tonight belongs to you (mother & son)

« Juli ? Ranch ou fromage ton pop-corn ? » Les tiens, la question ne se pose pas, sont aromatisés à l’ail et au parmesan. En ce début d’année 2021, avant que les choses sérieuses ne débutent réellement, tu partages un moment suspendu avec ton fils pendant que le reste de la maisonnée est par monts et par vaux. Les moments de calme comme celui-ci se font de plus en plus rares et cela ne va pas aller en s’améliorant. Tu ne réalises pas encore tout à fait que dans quelques semaines à peine tu vas reprendre le chemin de l’hôpital pour une toute autre fonction, et retrouver un emploi du temps de près de 100 heures par semaine. Tu as prévu encore quelques jours de formation – jusqu’à la fin de la semaine – avant de rendre le flambeau de l’association pour de bon. Une partie de ton cœur reposera toujours dans ce petit bureau du fond du couloir, perdu entre les placards à balais et les cagibis à équipement médical. Et si tu chéris tout ce que ces années t’ont appris, la pause que tu t’accordes avant de te jeter dans la fausse aux lions te sera cruciale.

Sur un plateau, tu déposes les deux bols, une canette du soda préféré de l’adolescent, et te verses un verre de vin blanc dans un ballon en cristal. L’habitude te permet de ne pas jouer les équilibristes en allant jusqu’au salon, bien trop entrainée pour ne pas avoir besoin d’une intense concentration pour arriver à bon port sans encombre. Tu déposes un baiser sur la tête brune avant de t’installer sur le canapé. « Tu as choisi quelque chose ? » Tu lui as laissé carte blanche pour le sélection du film de la soirée, sachant pertinemment que ça t’importe peu. Non seulement le seul fait de passer du temps avec ton fils suffit à te combler, mais tu n’es même pas sûre d’avoir suffisamment de concentration pour suivre avec attention une histoire complexe.

Tu n’as jamais été l’enfant trublion et expansif. Non, depuis tout petit, une sensibilité extrême t’habite et tu n’en as pas honte. C’est très certainement pour cette raison que tu rencontres tous ces problèmes à l’école en ce moment. Les jeunes de ton âge ne comprennent pas les ovnis de ta trempe. Ils préfèreraient que tu sois un garçon lambda, qui écoute du RAP et qui fait un sport viril tout en courant les filles. Mais ce n’était pas la personne que tu étais. Tu étais cet adolescent frêle mais malgré tout robuste, qui aimait la peinture, la danse et qui ne cherchait clairement pas à être au bras d’une fille. Tu étais dans ton coin, restant dans cette bulle salvatrice qu’était la tienne. Mais c’est bien connue, l’originalité dérange et c’est pour cette raison que tu fais l’objet de ce harcèlement scolaire. Tes parents n’en savent rien. Tu préfères le garder pour toi, ne voulant pas les inquiéter.

Pourtant, la violence verbale et parfois physique était monté un cran au-dessus. Ton jumeau prenait à présent part à ce quotidien détestable. Il ne l'avait pas fait physiquement mais en ne faisant rien lorsque ses "amis" t'ont agressé, t'ont rabaissé et bien il a participé en quelque sorte. Sa passivité avait été pire que ce qu'avait fait ces gars. La vérité, c’était que tu n’étais pas sûr de tes envies, de l’attirance que tu pouvais ressentir pour quelqu’un. En tout cas, cet épisode ne t’aida pas forcément à y mettre un mot et à prendre position. Tu es espérait pouvoir tenir jusqu’à la fin du lycée pour pouvoir prendre ton envol et être définitivement celui que tu aurais envie d’être.

Ce soir, tu ne voulais pas penser à tout ça. Tu préférais souffler et tu le ferais en compagnie de ta maman. Cette soirée, tu l’avais attendu depuis des semaines maintenant. Pouvoir regarder un film tout en mangeant du popcorn te ferait le plus grand bien. Tu espérais tout de même secrètement qu’elle ne te demanderait rien sur le lycée et les cours parce que tu ne savais pas si tu serais capable de lui mentir une énième fois.

« - Ranch ! Merci maman. »

Tu avais une relation particulière avec ta mère. Elle était très certainement la seule à te connaître et à comprendre ta sensibilité. L’art vous rapprochait, tu le savais et tu en étais d’ailleurs ravi. Lorsqu’elle vint te rejoindre sur le canapé et qu’elle vint déposer un baiser sur ton front, tu ne pus t’empêcher de sourire. Tu étais un adolescent et même si tu n’étais pas comme les autres, tu avais un petit attrait pour les films d’horreur. Tu avais donc choisi un film dans ce genre-là.

« - J’ai choisi The Descent, à ce qui paraît c’est top. »

C’était l’histoire d’un groupe de femmes qui allait à la découverte d’une grotte et qui faisait la rencontre de créatures sanguinaires. Tu en étais sûr, tu allais adorer. Tu pris une poignée de popcorn tout en lançant le film.

« - Tu as passé une bonne journée mam’s ? »

« J’ai choisi The Descent, à ce qui paraît c’est top. » Tu fronces les sourcils, essayant de te souvenir d’une éventuelle bande annonce que tu aurais vue. Tu n’as rien de très précis en tête, mais quelque chose te pousse à te méfier. Il faut dire aussi que tu connais ton fils, et tu sais pertinemment que vous n’avez pas les mêmes goûts. « C’est quoi ça ? » Tu t’attends au pire avec lui. Tu as beau essayé de ne pas juger, tu ne comprends vraiment pas cet engouement pour le genre de l’horreur et du gore. La vie est déjà bien assez effrayante comme ça, à quoi bon chercher à en rajouter une couche ? Tu regardes un film pour passer un bon moment, si tu veux te laisser submerger par l’angoisse, il te suffit de t’allonger sur ton lit en silence et tu seras servie. Tu fais, en plus, des cauchemars très régulièrement, dans des mises en scène ultra-réalistes. Tu n’as pas besoin de t’imaginer des tueurs en série qui te poursuivent à la machette, ou des esprits qui surgissent de derrière ton miroir pour te hanter jusqu’à la fin des temps.

« Tu n’as rien de… léger, en stock ? » Une comédie, un film à l’eau de rose, une comédie musicale. Même un dessin animé. Tu es prête à tout accepter si ça peut t’éviter un remake de massacre à la tronçonneuse. Tu préfèrerais même un documentaire animalier sur les pingouins, c’est dire. Tes doigts glissent dans tes mèches blondes et massent ton cuir chevelu pendant que ton autre main attrape ton verre de vin. « Tu as passé une bonne journée mam’s ? » Tu lui souris en hochant la tête. « Hmm… » C’est un peu difficile de répondre à cette question. Tes jours sont tellement étranges, et ceux qui arrivent promettent d’être encore pire. Celui-ci était plutôt un non-événement, un enchainement d’heures ordinaires, alors ça te va. « Oui, plutôt. Et toi, rien de neuf ? »

Tu le savais tes goûts cinématographiques n’étaient pas forcément appréciés de tous. Pourtant, ce soir, tu avais joué un coup de poker en proposant à ta maman de regarder un film d’horreur. Elle avait tiqué en entendant le titre du film. Peut-être cherchait-elle si elle le connaissait. En tout cas, tu sentis rapidement que ce n’était pas gagné. Rapidement, quelques minutes après le lancement du film. Son interrogation avait trahi son angoisse face au genre de film que tu avais pu lui proposer. Tu n’étais pas le genre de garçon à mentir et encore moins à sa mère. Du coup, tu lui répondis bien rapidement pour ne pas perdre le fil.

– C’est un groupe de femmes qui part faire de la spéléo, elles vont découvrir une grotte inconnue et dedans, des créatures y habitent. L’histoire ne se termine pas très bien.

Tu avais essayé d’être plutôt soft dans ton résumé du film, espérant qu’elle ne décide pas de vouloir changer de film. C’était peine perdue, elle te demanda bien rapidement si tu n’avais pas autre chose qu’un film d’horreur pour une séance cinéma à deux. Tu fis une petite moue, mais rapidement, tu avais capitulé.

– Tu préfères quoi ? Un dessin animé ? Retour en enfance ? Pourquoi pas Le livre de la Jungle ou le Roi Lion ?

Tu ne voulais pas que ta mère finisse par faire des cauchemars à cause de toi. Et puis, c’était censé être un moment complice avec elle. Tu le savais, le film n’était qu’un prétexte, un moyen de discuter tranquillement avec elle. Alors autant choisir quelque chose qui t’intéressait mais pas trop. Tu changeas donc rapidement de film pour revenir t’installer à ses côtés. Tu fus content de l’entendre te dire que sa journée était plutôt bonne. Elle te retourna bien la question.

– Et bien une journée plutôt tranquille, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Parfois je me dis que je préfèrerais étudier à la maison…

Tu avais dit ça comme ça. Aucun tirage de la sonnette d’alarme, aucune envie de l’inquiéter. Bien au contraire. C’était juste que parfois tu étais blasé par l’ambiance du lycée et par son système rien de plus. Mais pour le reste, ce n’était pas si grave. Enfin tu ne voulais vraiment pas l’inquiéter. Tu regrettais déjà d’avoir dit ça. Mais bon, c’était trop tard…