Flower power feat. Meg

On ne va pas se le cacher. Mon job était crevant. J’avais des horaires de fonctionnaire, mais passer son temps à aller d’un espace vers à un autre, s’occuper des fleurs, des arbres, et parfois même des trucs qui n’avaient pas trop à voir avec mon job, mais bon. Je n’allais pas me plaindre d’avoir un travail. Au contraire, ça me faisait du bien d’être dehors, de prendre l’air. Les soirs étaient de véritables enfer. A chaque fois que je croisais Mo, la culpabilité m’envahissait. J’aimais ma grande-soeur. Mais je sentais bien que ma présence ne l’enchantait pas plus que ça. Et je pouvais la comprendre. Qui avait envie de voir son ex-taulard de frère sur son canapé ?

Et après, il y avait la nuit, et pf, je vous laisse imaginer l’enfer de ces pensées qui ressassent, qui me rappellent à quel point j’étais un échec. Puis ce canapé qui n’était pas si confortable que ça. Il me fallait un appart. Et il me fallait de quoi m’occuper les week-end, parce que je n’aimais pas tourner en rond. J’avais du mal à rester enfermé, ce qui pouvait se comprendre après cinq ans de prison. Puis errer dans les rues de Los Angeles était dangereux, enfin, l’ennuis était dangereux. Il me poussait à aller dans des coins que j’avais l’habitude de fréquenter et c’était bien les derniers endroits où je devrais être.

Alors je m’étais mis à la lecture des petites annonces. C’était moins passionnant qu’un bon roman, mais c’était la meilleure option que j’avais pour rester occupé. Avec mon niveau d’études, je ne pouvais pas viser haut. Et franchement, je n’avais pas envie d’un travail en intérieur. La meilleure option serait d’être en extérieur, jardinier, pour un privé, serait parfait, mais ce n’était pas évident à trouver. Mais j’étais déterminé et après quelques jours de recherches, j’avais fini par tomber sur cette annonce. Une famille qui vivait à Pacific Palisades, qui cherchait un jardinier à temps partiel. Je ne pouvais pas demander mieux alors je n’avais pas hésité à appeler le numéro indiqué sur l’annonce. Une femme au bout du fil m’avait donné rendez-vous pour un entretien.

Maintenant venait la partie délicate. L’entretien. Nous n’avions pas échangé énormément au téléphone. J’avais fait un effort sur ma tenue pour ne pas paraître comme un clochard, je m’étais même rasé de près. On ne pourrait pas dire que je ne faisais pas d’efforts. West side n’était pas la porte à côté. Mais ce n’était pas infaisable en transport. Certes, j’avais mon permis, cependant, pas assez de thunes pour un véhicule, alors, il fallait se débrouiller avec autre chose. Puis ça faisait des années que je n’avais pas conduit, je n’étais plus très sûr de mes talents au volant. Je n’eus pas trop de mal à trouver l’adresse. Et man ! Cette baraque quoi ! J’aurais dû me douter que ce n’était pas les pécores du coin qui allaient demander un jardinier, mais quand même.

Dans quoi est-ce que j’allais atterrir encore ? Pendant un instant j’hésitai à faire demi-tour. Mais bon, j’étais déjà devant la porte, ce serait con de ne pas aller jusqu’au bout. Je sonnais et attendis qu’on vienne m’ouvrir. Une femme, sûrement la quarantaine, apparu devant moi. Sans doute la femme que j’avais eu au téléphone.

- Bonjour, Madames Barnes, c’est ça ? Je suis Rowan O’Hara, que vous avez eu au téléphone hier, pour l’annonce…

C’était maladroit, je le savais. J’étais nul pour les conversations. Je n’avais jamais été un grand orateur. J’espérais que ça ne me porterai pas trop préjudice. De toute façon, elle n’avait pas l’intention d’engager un jardinier pour sa conversation, hein ?

Une journée off à l’hôpital devrait annoncer quelques heures de détente, de temps pour toi, mais ce n’est pas vraiment ainsi que tu fonctionnes. Tu as décidé de reprendre les choses en main. Tu fais de ton mieux depuis le départ à la retraite de votre jardinier de toujours, faisant du chantage à ton fils pour qu’il tonde la pelouse, et t’occupant tant bien que mal des fleurs, mais il faut que tu te rendes à l’évidence : tu n’as pas la main franchement verte. Ca t’a rendue triste, un temps, mais tu es passée à autre chose désormais. On dit souvent qu’on ne peut pas être bon partout, voilà au moins une chose que tu peux éliminer de ton portfolio. Tu as donc passé une petite annonce sur internet pour te mettre en quête de quelqu’un pour remplacer Keith. Toute l’après-midi, tu as rencontré des hommes, et quelques femmes, tous plus ou moins qualifiés, plus ou moins motivés, mais personne ne t’a réellement convaincue. Plusieurs feraient l’affaire, évidemment, mais ça n’a pas fait tilt. Tu as un dernier rendez-vous avant de devoir t’avouer vaincue, et revoir tes ambitions à la baisse.

Tes talons claquent contre le carrelage alors que tu te diriges vers la porte d’entrée pour ouvrir la porte qui sonne. Tu préfères généralement rester pieds nus, chez toi, mais tu voulais te donner un minimum de contenance, te sentir à l’aise et en confiance devant ces inconnus qui défilent chez toi. « Bonjour, Madames Barnes, c’est ça ? Je suis Rowan O’Hara, que vous avez eu au téléphone hier, pour l’annonce… » Tu lui offres un sourire chaleureux en tendant ta main droite pour serrer la sienne. « Meg. Bienvenue, entrez je vous en prie ! » Tu l’accompagnes à l’intérieur, vers le salon où tu l’invites à prendre place. Sur la table basse trône un plateau avec une théière encore brûlante. « Un thé ? » Sans attendre sa réponse, tu lui verses une tasse, avant de récupérer la tienne, à moitié bue, et de t’installer dans le fauteuil, une jambe croisée sur la seconde et les lèvres toujours joyeuses. « Vous m’avez dit que vous travaillez pour la mairie, c’est bien ça ? » Tu engages la conversation comme tu peux, jugeant cette approche comme plutôt safe et confortable. Tu espères ne pas avoir mélangé les profils dans ta tête, mais tu es presque sûre d’avoir bon. Et ça t’arrange. Vous n’avez pas besoin de quelqu’un à plein temps. Quelques heures par semaine seront plus que suffisantes, alors tu aimes autant savoir que la personne que tu emploieras est occupée le reste du temps.

Je ne savais pas où me mettre. Cette femme semblait bien trop gentille et innocente. Et sa maison ! Vous avez vu la taille de cette maison ? Je trouvais ça fou, j’avais l’impression que rien qu’à respirer là dedans j’en salissais les murs. Je devais avoir l’air d’un imbécile fini à regarder autour de moi, suivant la maîtresse de maison sans discuter. Je m’assis là à l’endroit qu’elle me désigna. Mais non sans une nouvelle hésitation. Est-ce que ça ne serait pas trop cliché pour un type comme moi de bosser ici ? Quoique, non, j’étais jardinier, je ne voyais pas trop ce qu’il y avait de cliché. Peut-être par mes origines américano-hispaniques. Mais j’avais ni la tête ni le nom d’un mexicain. Alors j’imagine que ça n’avait pas été un critère déterminant pour Meg.

J’ouvris la bouche quand elle me proposa un thé. Je n’avais rien contre cette boisson, et boire un peu pendant qu’on parlait c’était loin d’être une mauvaise idée. Mais j’allais tout de même refuser. J’ouvris la bouche et la referma en voyant qu’elle avait déjà servi la tasse de toute façon. Après, je n’étais pas obligé d’y toucher, si ? Elle allait croire que je ne lui faisais pas confiance si je ne buvais pas… Mais j’avais tellement peur de casser ce magnifique service qui devait coûter plus cher que mon salaire. Et tellement distrait par cette histoire de tasse que je faillis ne pas entendre sa première question.

Pendant quelques secondes, je restais sans rien dire, allez Ro, un peu de courage. Je rasemblais mes idées pour entamer :

- Oui, en effet, j’ai commencé il y a quelques jours. Euhm, j’espère que ça ne vous dérange pas ? Vous disiez dans l’annonce que vous aviez seulement besoin de quelqu’un pour quelques heures, donc je me disais que….

Je n’avais aucune idée comment finir cette phrase, donc je la laissais en suspens. Je n’avais pas eu à passer d’entretiens pour travailler avec la mairie, parce que c’était un programme de réinsertion, ils n’avaient trop eu le choix que de me prendre quoi. Enfin, officiellement j’étais quand même en période d’essais, mais j’étais confiant. J’avais de bon retours de mes collègues. C’était donc mon premier entretien. Il y avait de quoi être stressé, non ? D’ailleurs, est-ce que ce n’était pas un peu short ce que je venais de dire ? Est-ce qu’il ne fallait pas que j’argumente un peu ? Perdu, je me lançais tout de même :

- Pour être honnête avec vous, je n’ai pas d’autre expérience que celle-ci, je n’ai pas de diplôme en botanique ou de paysagiste. Juste, c’est un peu cliché de dire ça, mais j’aime les plantes, j’aime ce job et j’ai pas peur de bosser.

Et je ne mentais pas, ce n’était pas mon genre. Au moins à travailler, je n’avais pas autre chose à penser et ça me plaisait bien. Sinon je n’aurais pas chercher à faire des heures sup’. Bon, ok, peut-être aussi parce que financièrement, j’étais pas au top, mais c’était assez secondaire dans mon choix au final. Putain, cette ambiance me foutait la pression. Et encore cette tasse de thé qui semblait me narguer. Est-ce que j’avais le droit d’y toucher ? Non, elle allait m’échapper des mains, c’était sûr.

« Oui, en effet, j’ai commencé il y a quelques jours. Euhm, j’espère que ça ne vous dérange pas ? Vous disiez dans l’annonce que vous aviez seulement besoin de quelqu’un pour quelques heures, donc je me disais que... » Tu souris en dodelinant de la tête, rassurante. « Pas du tout. C’est même mieux ainsi à vrai dire. » Tu préfères être sûre qu’il aurait une autre source de revenu stable. Tu as déjà l’impression que bien trop de monde dépend de toi, l’idée d’avoir une responsabilité de plus ne t’enchante pas des masses. Surtout que tu voulais justement retrouver un jardinier pour te décharger un peu, ce serait contre-productif. Quelque chose te satisfait aussi dans le fait de le savoir employé par la mairie, et non par un particulier. C’est probablement un cliché, mais tu ne veux pas te retrouver mêlée à des embrouilles de voisinage.

Passée la parenthèse sur la mairie, tu t’apprêtes à pousser les questions un peu plus loin lorsqu’il te devance et se met à te parler spontanément. « Pour être honnête avec vous, je n’ai pas d’autre expérience que celle-ci, je n’ai pas de diplôme en botanique ou de paysagiste. Juste, c’est un peu cliché de dire ça, mais j’aime les plantes, j’aime ce job et j’ai pas peur de bosser. » Ca te va toi, tu n’es pas bien difficile. D’ailleurs c’est à se demander pourquoi tous les ‘candidats’ précédents ne t’ont pas convaincue. Tu n’as pas besoin de quelqu’un de surqualifié, digne d’entretenir les jardins de la maison blanche. Tant que c’est propre et joli, tu n’en demandes pas plus. Tu salues toutefois l’honnêteté. Il serait tellement aisé de mentir sur des choses aussi peu vérifiables qu’une expérience professionnelle. Il lui aurait suffi d’expliquer qu’il travaillait illégalement depuis plusieurs années et qu’il voulaient désormais rentrer dans le droit chemin et se bâtir une retraite convenable, tu n’aurais pas eu d’autre choix que de le croire. « Je peux vous demander ce qui vous vaut cette reconversion ? » Tu n’attends, à vrai dire, aucune explication particulière. Il n’y a pas de bonne, ou de mauvaise réponse, c’est simplement une conversation, parce que tu es curieuse. Tu te dis qu’on ne devient pas jardinier du jour au lendemain. Toi en tout cas, tu ne le deviendrais pas, c’est une évidence. « Que faisiez-vous avant ? » Tu as beau essayer de le sonder, tu n’arrives pas à te décider. Ancien trader qui a fait un burnout ? Agriculteur contraint de fermer son exploitation parce qu’il n’avait pas réussi à faire face au diable Monsanto ? Il semble entouré d’une aura de mystère qui a le don de t’intriguer, et il faut dire que tu n’as pas peur de profiter ta position de supériorité – hiérarchique – pour éclaircir tout ça.

Ecoutez, je ne sais pas trop ce que mon interlocutrice avait en tête, mais si ça l’arrangeait que j’aie un autre job, tant mieux. Parce que je n’avais pas très envie de mettre fin à mon contrat avec la mairie aussi rapidement. C’était une source de revenu stable et même si ce n’était pas grand chose, c’était déjà un début. Et man, j’en avais bien besoin. Donc peu important la raison de Meg… Quoique, j’étais un peu curieux quand même. Est-ce que ça la rassurait de savoir, que j’avais un autre salaire et donc était moins susceptible de voler son argenterie ? Ou alors elle avait peur de m’avoir dans les pattes trop souvent autrement ? Qui sait. J’aurais peut-être pu poser la question, mais je n’osais pas. Je crois que ce n’était pas à moi d’interroger mon interlocutrice, mais plutôt le contraire.

Jusque là, il me semblait que je ne me débrouillais pas trop mal ? Meg ne m’avait pas mis à la porte, donc j’estimais que c’était un bon signe. Elle ne semblait pas offusquée que je vienne sans l’attestation d’expérience ou de diplôme concret. Comme quoi, elle n’était peut-être pas aussi difficile sur le profil qu’elle recherchait que ce que j’aurais cru. Mais évidemment, elle allait m’interroger sur mon passé. Je n’allais pas pouvoir me dérober très longtemps. Pendant un instant, j’y avais cru, vous savez. Depuis que j’étais sorti de prison, j’avais découvert qu’il n’était pas si compliqué d’éluder le sujet. Mais bon, Meg n’était pas une collègue ni mon amie. Si cet entretien se passait bien, elle serait mon employeur, je travaillerais chez elle. Ce n’est pas rien. J’imagine qu’avant tout, elle cherchait à recruter quelqu’un de confiance.

Je restais un moment silencieux à sa question, je n’avais toujours pas touché à la tasse de thé. Elle devait être froide à présent. Quel gâchis. Au moins je n’avais pas pris le risque de la casser, bref, je n’allais pas pouvoir fuir la question bien longtemps. Est-ce qu’on pouvait parler de reconversion dans mon cas ? Meg pensait sûrement à une reconversion professionnelle… Quelque part c’est un peu le cas. Je relevais le regard vers mon interlocutrice, je l’avais assez fuit comme ça. Et quand je parlais de mon passé, j’avais toujours peur qu’on ne me crois pas. Quoique, ceux qui connaissaient mon sale caractère le remettait rarement en doute. Puis ce n’était pas comme si j’avais eu grand monde à qui raconter ma vie depuis ma sortie de prison. Allez, il était temps de se lancer.

- C’est bien là tout mon problème. Je ne faisais rien avant. Enfin, pas exactement…

Tu es encore en train de tourner autour du pot Rowan. Pourquoi est-ce que c’est si dur d’en parler ? Un peu trop de regrets peut-être ? La peur d’être jugé ? Pourtant, ça faisait parti de moi maintenant, puis quitte à commencer une nouvelle vie, autant que ce soit sur de bonnes bases, saines, sans mensonges.

- Désolé, je m’égare, je… j’étais en prison. Pendant cinq ans, j’ai été libéré il y a, quoi… Deux semaines ? C’est là bas que j’ai commencé à jardiner. Ca faisait partie de quelques activités proposées.

je fuyais à nouveau le regard de mon interlocutrice, parce que je n’arrivais pas à le soutenir. C’est con, je ne la connaissais pas, elle avait l’air d’être tout sauf d’une personne violente, pourquoi j’avais autant peur ? Avant qu’elle n’ait le temps de dire quelque chose, je repris :

- Hum, je comprendrais que vous ne vouliez pas de ça chez vous. Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude. Juste avant que vous ne posiez la question, j’y étais pour deal, je faisais partie d’un réseau et on s’est tous fait prendre. Et non, je n’ai pas l’intention de faire pousser quoique ce soit d’illicite dans votre jardin.

Je finis avec un petit sourire. Parce que oui, cette dernière phrase était une tentative d’humour. Il ne me restait qu’à espérer maintenant. Je ne me faisais pas trop d’illusions, mais sait-on jamais. Peut-être Meg se douterai que si j’avais l’intention de retourner dans les affaires illicites, je ne serais pas dans son salon à Westside à lui demander un job honnête. Puis entre la mairie et ce potentiel boulot, ça me laisserai assez peu de temps pour une troisième activité de dealer. M’enfin, je n’avais aucune idée de ce qu’elle pouvait bien penser. Les gens dans ce quartiers avaient souvent des aprioris sur les types comme moi. Peut-être qu’elle était déjà dans l’optique de ne pas me filer ce job.

« C’est bien là tout mon problème. Je ne faisais rien avant. Enfin, pas exactement… » Tu fronces les sourcils. Tu as beau essayer de ne pas être dans le jugement, tu le trouves un peu vieux pour se lancer dans la vie active pour la première fois. « Désolé, je m’égare, je… j’étais en prison. Pendant cinq ans, j’ai été libéré il y a, quoi… Deux semaines ? C’est là-bas que j’ai commencé à jardiner. Ca faisait partie de quelques activités proposées. » Tu hoches la tête. Ah. Va savoir pourquoi, tu ne l’aurais pas deviné, alors tu es un peu surprise. Le temps de remettre à l’endroit le flot de pensées qui grouille dans ton cerveau, qu’il enchaîne déjà. « Hum, je comprendrais que vous ne vouliez pas de ça chez vous. Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude. Juste avant que vous ne posiez la question, j’y étais pour deal, je faisais partie d’un réseau et on s’est tous fait prendre. Et non, je n’ai pas l’intention de faire pousser quoique ce soit d’illicite dans votre jardin. » Tu tentes de l’interrompre au milieu de sa tirade, mais il ne semble pas prêt à te laisser la parole. Tu veux lui dire que tu ne veux pas savoir les tenants et les aboutissants de sa condamnation, que ça ne te regarde pas, mais il est bien trop déterminé. Et finalement, c’est peut-être mieux ainsi, aurais-tu réussi à surmonter ta curiosité ? « Pas de chaîne à vos pieds… J’en conclus que vous ne vous êtes pas évadés et que vous avez donc purgé votre peine. » Tu hausses les épaules. Tu n’es pas juge, ni avocate de l’accusation, ce n’est pas à toi de le condamner. Enfin, ça c’est la philosophie à laquelle tu adhères. Tu ne dis pas que le scénario est idéal, mais tu refuses, par principe, de le laisser entraver quoi que ce soit. « Si vous ne pouvez pas vous reconstruire après ça, autant vous coller la perpétuité dès le départ. Ca évitera à tout le monde bien des peines. » Ton ton, jusqu’alors plutôt sérieux, est brisé par un éclat de rire. « Pardon, le jeu de mot n’était pas voulu. »

Avalant la dernière gorgée de ton thé avant de te lever en trouvant ton équilibre sur les accoudoirs de ton fauteuil. « Venez, je vous fais visiter le jardin. » Tu ne dis rien, mais c’est plutôt bon signe pour le brun. La moitié des candidats précédents n’est même pas arrivée à cette étape, tu n’as pas fait l’effort. Tu le guides dans l’espace extérieur, expliquant les différentes zones jadis désignées. La pelouse qui se dégarnit, les massifs de fleurs, les plantes grasses. Bref. Tu n’y connais pas grand-chose, mais tu vois bien que tout n’est pas au top de sa forme. « Verdict ? » Tu veux tout entendre, the good, the bad and the ugly. Ses préconisations, ses solutions et même ses idées, soyons fous.

Ce serait peu dire que d’avancer que j’étais tendu. A chaque fois que je racontais l’origine de mes cinq dernières années, j’avais peur de la réaction de mon interlocuteur. Et sûrement maintenant plus que jamais. C’était plus simple quand la personne savait déjà que j’étais un ancien taulard, ce qui était le cas de mes employeurs actuels, on avait même passé l’entretien alors que je n’étais pas officiellement un homme libre. Puis, dans ce contexte-ci, clairement, Meg ne venait pas d’un milieu que je connaissais bien. Cet endroit en lui-même me semblait être le total opposé d’une prison, presque une sorte de paradis parfait sans aucune tache visible. Mais ce n’était parfois qu’une belle illusion.

Mes muscles se détendirent un peu lorsque Meg reprit la parole. Elle me tenait pas compte de mes crimes ? J’avais purgé ma peine et c’était assez pour elle ? Elle n’avait pas peur que je re-sombre, elle ne partait pas du principe qu’il était impossible pour un criminel de ne pas retomber dans ses bonnes vieilles habitudes ? Comme quoi, je n’étais pas tant au mauvais endroit et cette femme, elle était définitivement aussi gentille qu’elle en avait l’air. Ou alors elle était une menteuse très douée. Aucune idée, mais jusqu’à preuve du contraire, je préférais penser qu’elle était quelqu’un de bien. J’en avais marre de voir le mal partout et de me devoir me méfier de tout le monde.

Si je n’avais pas rit à ce jeu de mot, j’affichai quand même un sourire. Ce qui était déjà beaucoup de mon côté. J’étais plus conforté dans mon idée que mon interlocutrice ne me blâmait pas pour mes crimes et était prête à m’aider à me reconstruire ? C’était bien la première à me le dire aussi clairement depuis ma sortie de prison. Si seulement tous les employeurs pouvaient penser de la sorte. Parce que là, je sortais à peine de prison, mais je savais que ce trou de cinq ans figurait à jamais sur mon CV et me suivrait partout, quoiqu’il arrive. Et j’aurais toujours à me justifier à son sujet. C’était sûrement pour ça que certains ne se prenaient pas la tête et retournaient immédiatement dans les activités illégales où un cv ne valait pas grand chose.

Je m’en voulais de ne pas être capable d’être plus avenant. J’aurais peut-être dû dire quelque chose, remercier Meg pour sa confiance et cette chance qu’elle me laissait. Mais non, j’étais incapable de formuler de telles réponses. Il s’écoula donc un long silence gênant, pendant que la maîtresse des lieux finissait sa tasse de thé. Il me semblait qu’il s’était passé des heures avant qu’elle ne propose de sortir. Malgré moi, je souris et hochais la tête. Je me sentirais sans doute bien mieux dans mon élément hors de cette maison trop spacieuse. Sans un mot je suivis Meg jusqu’au jardin. Ce dernier me semblait énorme, alors que, pas temps que ça au final, il est vrai que quelques heures la semaine suffisaient pour s’occuper de tout ça.

Mon regard se promenait aux alentours. J’étais peut-être silencieux depuis trop longtemps pour que Meg ne vienne me sortir de mes pensées en me demandant mon verdict après m’avoir fait faire le tour de chaque zone.

- Et bien, vous n’avez clairement pas la main verte. Mais ça aurait pu être plus dramatique.

C’est sûr que, si on part là dessus, il est toujours possible de faire pire.

- Votre jardin a clairement besoin d’entretien, enfin, je crois que vous n’aviez pas besoin de mon avis pour le comprendre. Franchement il n’y a pas à s’inquiéter. C’est l’avantage avec la nature, c’est qu’il est toujours possible de rattraper le coup.

Ce n’était pas très clair mon affaire. Est-ce que Meg s’attendait à ce que je lui fasse un plan détaillé de ce que je compterais faire à son jardin ? Quelle quantité de mauvaises herbes à enlever ? Que planter à quel endroit et pourquoi ? En un coup d’oeil rapide c’était difficile à déterminer.

- Enfin sauf si vous vous êtes amusé à jeter du sel dans tous les coins, mais j’en doute…

Alors, oui, c’était une tentative d’humour. Très mauvaise, parce que je parlais toujours sur le même ton, aussi sérieux. Et il fallait savoir que le sel rendait la terre stérile. Mais il me semblait que c’était assez logique. Là dessus je m’éclaircis la voix et repris un peu plus professionnel.

- De toute façon, là, l’hiver va arriver. On ne fera pas pousser grand chose. Mais bon, vu l’état du jardin, au moins ça laissera du temps pour tout remettre en ordre et si vous avez des envies particulières, je sais pas un certain type de fleur ou je sais pas, un potager ou quoi, c’est le bon moment pour y réfléchir et préparer la terre aux plantations.

Je n’allais pas lui vendre que son jardin serait le plus beau du quartier en un rien de temps grâce à mes coups de pelles et mes deux mains. Parce que ce n’était pas vrai. Le truc avec le jardinage, c’est que ça prenait du temps. Il fallait être patient et penser aux rythmes des saisons.

« Et bien, vous n’avez clairement pas la main verte. Mais ça aurait pu être plus dramatique. » Jusque-là, il ne t’apprend rien, mais tu ne résistes pas à la tentation de le taquiner. « Vexer son futur employeur pendant son entretien d’embauche… Belle stratégie Monsieur O’Hara. » Tu n’es évidemment pas sérieuse, il est facile de le lire sur ton visage, tu essaies simplement de le détendre. - Votre jardin a clairement besoin d’entretien, enfin, je crois que vous n’aviez pas besoin de mon avis pour le comprendre. Franchement il n’y a pas à s’inquiéter. C’est l’avantage avec la nature, c’est qu’il est toujours possible de rattraper le coup. Au moins ça ne semble pas être un cas désespéré, ça te rassure quelque part. Tu redoutais qu’on te dise qu’il faudrait tout reprendre à zéro, tout déraciner et replanter, ce qui aurait signifié des mois de tristesse absolue. « Enfin sauf si vous vous êtes amusé à jeter du sel dans tous les coins, mais j’en doute… » Une once d’humour, finalement… Tu es rassurée quelque part, tu ne sais pas bien pourquoi d’ailleurs. Peut-être parce que tu ne t’imagines pas pouvoir employer quelqu’un qui semble calculer le moindre de ses mots et redouter le moindre faux-pas. Ta bouche se fend d’un sourire en coin alors que tu continues d’écouter ses préconisations. « De toute façon, là, l’hiver va arriver. On ne fera pas pousser grand-chose. Mais bon, vu l’état du jardin, au moins ça laissera du temps pour tout remettre en ordre et si vous avez des envies particulières, je sais pas un certain type de fleur ou je sais pas, un potager ou quoi, c’est le bon moment pour y réfléchir et préparer la terre aux plantations. »

Tu es agréablement surprise. Les précédents candidats se sont lancé dans des tirades interminables sur les bienfaits de telle ou telle plante, sur les possibilités qu’offraient la terre et le sol californien, et sur les compositions qui fonctionneraient le mieux ensemble. Mais jusqu’à présent, personne n’avait même pris la peine de te demander ce que tu en pensais. Tu n’y connais rien, évidemment, mais l’intention te touche et en dit long sur la personne que tu as en face de toi, aussi rustre peut-il se montrer au premier abord. « Une petite parcelle d’herbes aromatiques serait très agréable… » Tu t’imagines déjà cueillir du basilic ou de la coriandre fraiche pour préparer des bons petits plats, ce serait un luxe qui te plairait énormément. « Peut-être par ici, si c’est possible ? » Tu lui indiques un espace vert tout près de la cuisine, accessible facilement par la porte qui donne sur l’arrière de la maison. « Pour ce qui est du reste… Je dirais de faire ce qui vous plaît ? » Tu ne sais pas, après tout, ce qui l’intéresse le plus dans le jardinage. Imaginer des assortiments de fleurs et de buissons pour créer un paysage charmant ? Ou plutôt s’occuper de légumes et de fruits et voir le résultat concret de son dur labeur ? Tu peux trouver des points positifs aux deux options.

Etrangement, maintenant que nous n’étions plus dans cette énorme maison, je me sentais plus détendu. Ou alors, c’est juste que j’avais arrêté de voir mon interlocutrice comme un potentiel ennemi depuis qu’elle avait assuré que mon passé lui importait peu. Meg était à l’aise, elle blaguait, elle ne semblait pas avoir peur de moi, elle me demandait mon avis. On se connaissait depuis quelques minutes et elle me faisait confiance, enfin au moins pour ce qui était de s’occuper de son jardin. Et je sais, c’est mon job, heureusement qu’on me faisait confiance pour faire ce pourquoi on me payait, mais bon, ce n’est pas toujours le cas. Alors, j’osais donner mon avis sans filtre. De toute façon, je n’avais pas l’intention d’inventer de long mensonges pour passer pour quelqu’un que je n’étais pas. On me demandait mon avis, je le donnais, point.

Je me permis même de blaguer un peu. Ce n’était pas la grosse marrade non plus, mais une preuve que j’avais baissé quelques barrières. Je crois que je l’aimais bien cette Meg. Elle était aussi douce et avenante qu’elle en avait l’air, jusqu’à preuve du contraire. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit surprise que je lui demande son avis sur ce qu’elle voudrait voir dans son jardin. C’était la moindre des choses, non ? Après tout, quoiqu’il arrive, cela restait son terrain, elle avait bien le droit de demander à y faire pousser ce qu’elle souhaite.

« Une petite parcelle d’herbes aromatiques serait très agréable… »

La demande ne me semblait pas si complexe à réaliser. Je hochai la tête, quand on aimait la cuisine, c’est sûr qu’il était plus agréable de pouvoir aller dans son jardin pour y cueillir ce dont on a besoin.

« Peut-être par ici, si c’est possible ? »

Je regardais la parcelle désignée par la propriétaire, mon regard se tourna alors vers le soleil, juste histoire d’analyser, l’orientation de la maison rapidement et donc si ce coin de terre avait le droit à un peu de lumière directe par moment dans la journée.

- Hm, ouais, c’est totalement possible. Ce n’est pas des plantes qui sont très compliquées. Je peux bien vous préparer la terre et planter les herbes que vous voudrez en mars.

C’était déjà un début de projet et je ne vais pas vous cacher que, ce job commençait à me plaire de plus en plus. Ca changerait de tailler les haies et tondre la pelouse des parcs municipaux.

« Pour ce qui est du reste… Je dirais de faire ce qui vous plaît ? »

Ce fut à mon tour d’être surpris. Ce qui me plaisait ? Pour tout le jardin ? Ok, ce job me plaisait encore plus, Meg était sérieusement en train de m’offrir un terrain de jeu aussi grand ? J’avais du mal à y croire.

- Vraiment ? Vous êtes sûre ? Je veux dire, c’est un sacré terrain que vous avez là. Il y a de la place pour beaucoup de projets. Vous seriez prête à me faire confiance pour tout le reste ?

Mon cerveau avait déjà commencé à imaginer quelques massifs de fleurs colorées, les arbres rafraîchis.

- Excusez-moi, c’est peut-être une question trop personnelle, mais… Vous vivez seule ? Je veux dire… Si vous avez des enfants ou qui que ce soit, peut-être qu’ils auraient un avis aussi à donner sur l’avenir de votre jardin ? Et que je ne plante pas je sais pas, des roses, si un petit risque de se piquer dessus…

Je n’avais jamais pensé à ce genre de problème avant. Mais il faut croire que d’avoir grandi dans une famille nombreuse avait formaté mon cerveau sur certains aspects, notamment de sécurité. Puis sait-on jamais, si un habitant de cette maison avait envie d’une balançoire quelque part ou qu’on ne plante rien dans un endroit précis, parce que c’est le meilleur du jardin pour y mettre un transat et prendre le soleil. Honnêtement, j’étais prêt à me plier à toutes les demandes.

Hm, ouais, c’est totalement possible. Ce n’est pas des plantes qui sont très compliquées. Je peux bien vous préparer la terre et planter les herbes que vous voudrez en mars. L’enthousiasme se lit sur ton visage. Tu ne sais pas pourquoi tu n’as pas pensé à créer une parcelle de plantes aromatiques plus tôt, c’est un peu idiot maintenant que tu y penses. Tu n’as pas le souvenir que le jardin ait vraiment évolué depuis votre arrivée dans cette maison. Il était plutôt joli quand vous êtes devenus propriétaires, et le jardinier était content de garder son job quand vous lui avez proposé de rester ; alors vous vous êtes laissés emporter par la torpeur et la facilité des habitudes.

Pourtant, tu n’as absolument pas l’intention de t’impliquer plus que nécessaire dans le design de la propriété. Tu n’en as ni les compétences, ni le temps ou l’espace mental. Tu préfères lui laisser carte blanche, dans la limite du raisonnable évidemment. Vraiment ? Vous êtes sûre ? Je veux dire, c’est un sacré terrain que vous avez là. Il y a de la place pour beaucoup de projets. Vous seriez prête à me faire confiance pour tout le reste ? Tu ris doucement de sa candeur et de ces étincelles dans ces yeux, comme dans ceux d’un gamin dans un magasin de bonbons. « Oui ! Enfin, vous me ferez des propositions, bien sûr. On en parlera ensemble, je ne vais pas vous laisser faire de ma pelouse un champ de cactus. » Tu laisses échapper un petit rire avant de continuer : « Mais oui, je pense que vous êtes bien plus capable que moi de savoir ce qui serait le mieux ici. Et puis, je ne veux pas m’avancer, mais je crois que c’est plus agréable de travailler dans ce genre de conditions pour vous, non ? »

Peut-être que tu te trompes, et que certains préfèrent avoir un rôle un peu plus passif et se complaisent dans une action presque mécanique. Mais toi, tu deviendrais folle avec si peu de liberté et de créativité. Excusez-moi, c’est peut-être une question trop personnelle, mais… Vous vivez seule ? Je veux dire… Si vous avez des enfants ou qui que ce soit, peut-être qu’ils auraient un avis aussi à donner sur l’avenir de votre jardin ? Et que je ne plante pas je sais pas, des roses, si un petit risque de se piquer dessus… Décidément, il te plait ce Rowan. Personne jusqu’ici n’avait eu la délicatesse de se poser cette question, et tu apprécies qu’il ait autant le souci du détail. C’est vrai qu’il est important d’éviter tout accident avec les bébés, ou même avec des animaux qui pourraient manger des fruits toxiques. « Pas d’inquiétude de ce côté-là. J’ai 3 enfants, mais les plus jeunes, mes jumeaux, vont avoir seize ans. Ils devraient réussir à ne pas se faire trop mal. » Tu plaisantes, avant d’ajouter : « Mais je suis sûre que si vous réussissez à aménager un coin… comment dire… esthétique ? Ca ravirait ma plus grande qui est toujours à la recherche de nouveaux cadres pour ses photos. » Lexa et instagram. Une grande histoire d’amour que tu peines à comprendre, mais que tu as appris à respecter, de loin.

Tu finis par demander, assez naturellement : « Vous pourriez commencer quand ? » Un sourire innocent se dessine sur tes lèvres quand tu ajoutes : « Hypothétiquement, bien sûr. » Tu as quelques candidats à rencontrer encore, mais tu le sens bien celui-ci. De là à dire que ta décision est déjà prise, c’est un bien grand mot… Mais ta décision est déjà prise.

Ok, peut-être que je m’y voyais déjà. Le contrat n’était pas signé mais mon cerveau avait commencé à imaginer des plans par-ci par-là. Définitivement, c’était à se demander pourquoi je vivais en appartement alors que j’étais un gars qui était plus à l’aise à l’extérieur. Mon excuse était la complexité de ma situation. Pour le moment je n’avais pas d’autre choix que de dormir sur le canapé de ma sœur et de travailler double pour réussir à me sortir de cette situation précaire justement. Mais à travers mon job, je pouvais passer du temps dehors et j’étais d’autant plus enthousiaste à l’idée d’avoir un champ d’action bien plus large que les restrictions imposées par la ville. Définitivement, je ne regrettais pas mon choix d’avoir répondu à cette offre.

Je hochai la tête, évidemment, ce jardin n’était pas le mien non plus. Malgré toutes mes idées, il me faudrait l’approbation de la propriétaire, surtout que c’est à elle que reviendrait l’achat des plantes aussi. D’accord, peut-être qu’il n’y aura pas tant à acheter, parce que l’avantage de la végétation, c’est qu’il n’était pas si difficile de se procurer des graines, je n’aurais pas trop de pitié à me servir dans les parcs de la ville quand cela serait possible. Mais sur le principe, c’était son jardin à elle et les décisions lui revenaient.

- Bien sûr, si c’était pour des cactus vous n’auriez pas besoin de quelqu’un pour s’occuper du jardin.

Vu le temps qu’il faisait dans cette ville, ce n’était pas très compliqué de faire pousser des cactus, c’est sûr. Bref, c’était simplement pour blaguer, comme quoi je prenais vraiment mes aises. Je hochai la tête à la question de la propriétaire avant de répondre :

- C’est sûr que ça change des restrictions de la ville…

Depuis que j’avais commencé à travailler pour LA, j’avais passé plus de temps à ramasser des feuilles et à tailler des arbres plus qu’autre chose. Bon, c’était aussi la saison qui voulait ça. Mais je ne me faisais pas trop d’illusions pour la suite. Je me doutais bien que ce n’était la mairie qui me laisserai planter ce que je voulais dans les parc publics. Ici, j’aurais au moins le mérite d’avoir voix au chapitre.

Et plus je passais du temps à observer le jardin devant moi, plus j’avais d’idées, mais des questions aussi. Apparemment, Meg n’avait pas d’enfant en bas âge, donc pas de soucis à se faire là-dessus. Peut-être que sa fille aurait un avis sur la question, mais pas en terme de sécurité, plus sur l’esthétique. Là-dessus, je ne sais pas si j’étais très doué pour rendre les choses jolies. Mais écoutez, c’était une bonne occasion d’apprendre.

- Hm, pas de problème, je pourrais avoir avec elle directement à ce moment-là.

Encore de nouveaux plans qui se dessinaient. Décidement, on ne m’arrêtait plus, même moi j’étais étonné de l’imagination dont mon cerveau était capable de faire preuve. Je ne m’étais jamais figuré comme quelqu’un de créatif, mais il faut croire que j’étais capable de l’être dans certaines situations. Peut-être que cet aspect de ma personnalité attendait simplement une occasion pour faire surface.

« Vous pourriez commencer quand ? Hypothétiquement, bien sûr. »

J’affichai un sourire, je ne sais pas trop ce que ça signifiait, je ne voulais pas me dire que c’était acquis non plus, même si je l’avais oublié pendant un instant, mais je crois que c’était plutôt bon ?

- Dès ce week-end, je n’ai rien de prévu, et si vous ne voulez pas que je vienne le week-end, je pourrais vous transmettre mon emploi du temps avec la ville, je n’ai plus trop celui de la semaine prochaine en tête, je vous avoue…

Si j’étais un type qui vit avec son temps, j’aurais synchronisé mon emploi du temps de travail avec l’agenda de mon téléphone. Mais pour le moment, à défaut de mieux, j’avais un vieux portable qui n’avait pas toutes les fonctionnalités d’un smartphone. Il me permettait d’appeler et d’envoyer des messages, c’était déjà bien. Bref, je sentais bien que l’entretien touchait à sa fin et que je n’aurais pas une réponse immédiate. Cependant, j’avais hâte de commencer, ok, peut-être que j’avais un peu de mal à ne pas me projeter et me dire que ce job n’était pas pour moi. Je devrais, parce qu’on ne sait jamais, Meg avait sûrement d’autres potentiel postulant à accueillir. Peut-être que le suivant serait plus convaincant que je ne l’avais été. En même temps, je n’avais pas l’impression d’avoir à me battre beaucoup, j’étais simplement resté moi-même au final.

- Bien sûr, si c’était pour des cactus vous n’auriez pas besoin de quelqu’un pour s’occuper du jardin. Tu le sens se dérider, lentement, progressivement, mais il reste sur la retenue. Tu ne sais pas très bien si c’est simplement son tempérament, une forme de timidité liée à la situation dans laquelle vous êtes, ou si tout simplement il juge ton humour totalement nul. Peut-être un savant mélange des trois, mais il a la bonté de ne pas l’accueillir avec une poker face froide et impassible. Tu te sens obligée de justifier cette ‘carte blanche’ que tu lui laisses, expliquant que c’est aussi pour son propre épanouissement. Si cet aspect est assurément vrai, il a aussi le mérite de dissimuler un peu ton incompétence flagrante. - C’est sûr que ça change des restrictions de la ville…

Tu lui expliques ensuite la composition de ta famille, plus à l’aise, à présent – au moins en apparences – à retirer Mark de l’équation, et touches quelques mots des aspirations de ton influenceuse de fille. - Hm, pas de problème, je pourrais avoir avec elle directement à ce moment-là. Tu ne peux t’empêcher de rire. Il s’en mordra les doigts. S’il y a bien une chose de sûre avec ta fille, c’est qu’elle sait ce qu’elle veut et qu’elle n’a pas peur de l’affirmer. Ca t’amuse d’avance d’imaginer une rencontre un peu improbable entre les deux, et tu n’as pas besoin d’être Madame Irma pour savoir qu’elle risque de lui en faire voir de toutes les couleurs. Tu ne le contredis toutefois pas, choisissant plutôt de lui demander quand il serait disponible pour commencer. - Dès ce week-end, je n’ai rien de prévu, et si vous ne voulez pas que je vienne le week-end, je pourrais vous transmettre mon emploi du temps avec la ville, je n’ai plus trop celui de la semaine prochaine en tête, je vous avoue… Tu n’en attendais assurément pas autant. Après tout, vu l’état dans lequel se trouve la propriété, vous n’êtes plus à quelques jours ou quelques semaines près. « Très bien. »

« Merci. Je reprends contact avec vous très rapidement. » Tu le raccompagnes à la porte, estimant que vous avez fait le tour des questions que tu souhaitais aborder. Tu ne vas pas prolonger le moment et vous faire perdre du temps à tous les deux. Rowan n’a pas l’air du genre à s’épancher pendant des heures en small talk, et tu dois avouer que ça te va très bien. Il y a quelques temps, tu aurais probablement cherché désespérément à meubler les silences, à faire avancer la conversation pour te donner de la contenance. Mais tu as dépassé ce stade. Tu n’en as plus l’énergie, ni même l’envie. Alors tu le laisses partir en puisant en toi le courage d’affronter les 3 entretiens encore prévus pour la journée. Dans d’autres circonstances, tu les aurais probablement annulés, mais tu juges que ce serait beaucoup trop impoli. Alors tu te résous à faire semblant pendant quelques heures que ta décision n’est pas déjà prise.