let the sun shine (klary)

Jamais tu n’aurais cru que ce voyage te ferait l’effet d’un pèlerinage. Voilà des années que tu n’as plus mis les pieds au Danemark, le pays des Lund te semblant si lointain depuis le décès de ton grand-père. Ses funérailles, bien qu’elles n’aient pas été les premières auxquelles tu assistais, t’ont semblé atroces. Plus que tes parents ou que tes grands-mères, c’était lui le pilier de la famille, et le pilier de tant d’autres gens autour de lui. Ici, tu n’étais pas Klara, ni la rouquine. Pas l’architecte, pas la lesbienne, pas la féministe cinglée qu’on devrait enfermer. Non, à Læsø tu étais juste la petite fille du docteur. Lâchement, tu as refusé de revenir, ne te sentant pas prête à affronter la tristesse dans les yeux de ceux qui, sans faille, associaient ton identité à la sienne. Tu as mis la maison dont tu étais la seule héritière en location longue durée pour le fils d’une connaissance qui venait de se marier, et as plus ou moins arrêté de te préoccuper de cette histoire depuis. La terre de tes ancêtres est alors restée en friche, un vieux souvenir d’étés heureux qui sentent bon la cannelle et les embruns.

Le danois t’es revenu comme si tu n’avais jamais cessé de le parler. Les voisins t’ont accueillie comme ils le faisaient quand tu avais huit ans, dans une liesse non feinte et des pâtisseries plein les bras. Même la mer du Nord semble t’avoir reconnue en engouffrant ses bourrasques dans tes cheveux fins. Toi qui abhorres d’ordinaire la solitude, tu t’épanouis pleinement lors de ces quelques jours, trouvant un plaisir immense à réparer de tes petites mains la vieille bicyclette de ta grand-mère qui n’a jamais quitté la remise. Tu pédales dans les petits chemins de ton enfance, t’étonnant de voir que finalement, rien n’a changé. Tout est comme tu l’imaginais jusqu’à toi, parfaitement à l’aise dans cet environnement que tu retrouves pour la première fois depuis dix ans.

Adossée contre un mur, à l’ombre d’une ruelle non loin du port principal de l’île, tu observes le ferry s’approcher doucement. Tu as docilement accepté d’attendre Lucy un peu à l’écart, même si les touristes se font rares à cette heure de la journée. Des concessions, tu as appris à en faire mille avec elle, mais celle-ci tu lui offres de gaité de cœur si ça veut dire que vous pourrez vivre un semblant de normalité pendant les prochains jours. Loin des quatre murs de ton loft ou de la lumière de Los Angeles qui se reflète sur les vitres du studio d’architecture. L’île est trop petite pour être menaçante pour son anonymat, ses habitants trop intéressés par toi pour prêter attention à celle qui sera accrochée à ton bras. Tu n’as jamais amené personne ici, jamais vraiment prête à partager ce havre de paix, même si tu ne te l’avouais pas. Il te faut quelques minutes avant de distinguer la silhouette de l’actrice qui se détache de la foule, et tu ne réfléchis pas vraiment en parcourant les quelques mètres qui vous séparent à grandes enjambées. Portée par la spontanéité du moment, tu la surprends d’un baiser plaqué sur sa bouche, sous le soleil scandinave.

Partir au Danemark sans avoir de film à promouvoir ? C’était bien une première ! Lucy avait déjà fait un ou deux arrêts, purement professionnels, à Copenhague, mais en dehors de ça : c’était la première fois qu’elle mettait les pieds ici seule. Elle avait pris l’avion, puis un taxi et maintenant un ferry, suivant aveuglément l’adresse que lui avait envoyé Klara, sans vraiment savoir où elle allait. Accompagnée d’une petite valise et cette désagréable boule au ventre qui ne l’avait pas lâché depuis son départ de Los Angeles, elle avait passé le voyage à regretter d’être partie. Pourtant jusqu’ici tout allait bien. Elle n’avait pas eu l’impression d’être suivie, ni d’être photographiée, ce qui était assez rare pour être noté. Elle avait quitté le pays sans faire de vague et pourtant elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer que déjà des photos d’elle montant dans un taxi à l’aéroport de Copenhague faisait le tour d’internet. Alors c’est les mains presque tremblantes qu’elle pianotait sur son téléphone, restant en communication avec sa publiciste qui traquait tout article où le nom de Lucy Jones était évoqué. Alors bien sur son trajet avait été rythmé par tout un tas d’ascenseur émotionnel. Son cœur manquait un battement chaque fois que son téléphone ne vibrait. Les messages de sa publiciste se voulaient pourtant rassurant : “It’s all good !”, “they’re talking about your last movie, the review are  great!”, “Some rumors about you shaving your head for your next role, but that’s fine.”, “Lots of talk about your outfit from the other day when you went out to the grocery store. Your tits were showing a little.” Mais à chaque message Lucy retenait son souffle, craignant de voir que sa petite escapade scandinave faisait la une des journaux.

Le ferry semblait arriver à bon port et Lucy glissait son téléphone dans la poche de sa veste, rajustant ses lunettes de soleil avant que ses mains ne viennent nerveusement serrer la poignée de sa valise. Elle retrouvait bien vite la terre ferme, avec les quelques personnes qui étaient avec elle à bord, s’éloignant un peu du reste du groupe, avant de se faire attraper par une tornade blonde qui manquait de faire tomber son chapeau. Tenant ce dernier d’une main elle venait machinalement repousser de sa main libre Klara qui était venu l’embrasser, faisant même un pas en arrière dans la panique. « What the hell mate? » Lâchait-elle à mi-voix, avant de regarder au alentour. Les personnes qui étaient descendu du bateau en même temps qu’elle semblaient déjà bien loin, il n’y avait personne dans les alentour, ci ce n’était peut-être pour un ou deux marins qui se mettaient déjà au nettoyage du ferry et qui ne prêtaient pas du tout attention à Klara et Lucy. Elle soufflait un coup, sentant sa nervosité s’envoler un peu. « alright… » murmurait-elle, tirant à son tour Klara près d’elle pour l’embrasser. « But don’t get used to this. » annonçait-elle tout de même après ce baiser avant de rajuster son chapeau.

Tu n’es pas bien surprise d’être repoussée d’une main ferme sitôt le contact établi. Mais tu t’en fiches, l’occasion était trop précieuse. « What the hell mate? » Sans même essayer de masquer le large sourire qui fend le bas de ton visage et remonte jusqu’au coin de tes yeux, tu la regardes, mutine, alors qu’elle observe les alentours. « alright… » Tu t’attendais à devoir protester, à lui expliquer par A + B que vous êtes presque seules au monde ici et que tu ne prends pas des risques inconsidérés, alors de l’entendre réaliser tout cela par elle-même te fait l’effet d’une bouffée d’oxygène. C’est avec une joie non dissimulée que tu accueilles son initiative et son baiser. « But don’t get used to this. » Tu laisses échapper un petit rire avant d’annoncer : « Oh believe me, I will.  » Impossible de te demander de ne pas t’habituer à pouvoir la voir à la lumière du jour, à ne pas calculer le moindre de vos mouvements. Tu te fais du mal, sur le long terme, tu goûtes à une liberté qui va t’être enlevée bien trop vite, mais tu préfères en profiter tant que ça dure.

Tu glisses tes doigts entre les siens et lui prends la main pour ce que tu réalises être la première fois. « We’re not quite home yet. » C’est déjà pas mal, tout de même, vous êtes sur la bonne île, vous arrivez presque à la destination, mais ce n’est pas dans l’une des petites maisons du centre-ville que tu habites. Il ne faut pas que Lucy t’entende décrire ces quelques rues comme le centre-ville, d’ailleurs, elle en ferait probablement une syncope. « But we have to make a tiny stop before we can go. » Un dernier petit detail à régler avant de prendre la route. Tu as tout prévu et si tout se passe bien, vous devriez pouvoir pousser la porte d’entrée du foyer de tes grands-parents dans moins d’une demi-heure. Presque. Faisant un pas vers la rue qui commence devant vous, tu l’entraines dans ton sillon en disant : « Come on ! I did promise it was ‘in the middle of nowhere’ » C’était même un point crucial de ton argumentation. Une bâtisse à l’abri des regards, dans la forêt et sans vis-à-vis. Tu n’as pas menti, mais il faut le mériter.

« Oh believe me, I will.  » please don’t, please don’t, please don’t. Lucy savait bien que ce qui allait se passer ici, sur cette île perdue allait devoir rester ici. Il n’était pas question qu’elle embrasse Klara de la même façon, en public, une fois de retour en Californie et elle n’avait pas envie de briser le cœur de la rousse en étant obliger de le lui rappeler. Les doigts de Klara glissaient déjà entre les siens et Lucy se laissait faire, non sans une pointe d’anxiété, machinale, presque maladive. Il fallait qu’elle se répète qu’ici elle était en sécurité, qu’elle était au bout du monde, que personne ne lui prêtait attention si ce n’était pour sa moitié qui ne la quittait pas des yeux. « We’re not quite home yet. But we have to make a tiny stop before we can go. » Ses sourcils se haussaient presque malgré elle. Elles n’allaient pas se réfugier chez Klara immédiatement ? Dans un lieu clos et sécurisé ? Non clairement non puisque déjà la rousse lui faisait signe de la suivre dans une rue qui semblait mener dans ce qui s’apparentait vaguement à un centre-ville. Le pas hésitant et traînant sa valise derrière elle, Lucy la suivait lentement. « You’re sure about this ? » « Come on ! I did promise it was ‘in the middle of nowhere’ » « Right…. But people have phones and internet here too, right? » Elle aurait préféré attendre sagement au port que Klara ne revienne la chercher, où qu’un taxi ne vienne la prendre. ça lui aurait évité de trainer sa valise et de prendre le risque de croiser d’autre être humain. Pour quelqu’un qui avait comme boulot de jouer les figure public 99% du temps, Lucy avait tout de même réussi a développer une véritable phobie pour la race humaine et cette fâcheuse tendance à documenter tout et n’importe quoi. Malgré le stresse qui ne semblait pas vouloir la quitter et cette crainte que son téléphone ne sonne avec au bout du fil sa publiciste en pleine crise, la brune observait tout de même les petites rues, charmantes, qu’elles traversaient. « where are we going and how far is it ? I’m not really in the mood for surprises so if you could just…. Tell me before I die from anxiety, that’d be lovely. »

« Right…. But people have phones and internet here too, right? » Sa méfiance, qui d’ordinaire commence à te peser, ne peut pas rivaliser avec le soleil radieux de la journée. « What ‘people’ ? » D’un geste désinvolte, tu montres votre environnement, dépeuplé de la moindre forme de vie, si ce n’est les mouettes qui virevoltent au-dessus de la mer calme, et des marins trop concentrés sur leurs cordes pour prêter attention au monde qui les entoure. Comme décidée à la faire sortir de sa zone de confort, tu pousses Lucy à remonter les quelques dizaines de mètres d’une petite ruelle qui vous sépare de votre destination provisoire. « where are we going and how far is it ? I’m not really in the mood for surprises so if you could just…. Tell me before I die from anxiety, that’d be lovely. » Tu finis par t’arrêter et te planter face à elle pour dire, tendrement : « Trust me, alright ? » Tu déposes un baiser furtif sur le bout de son nez avant d’ajouter. « Look, we’re here already. Wait for me, stay still. » Sans lui laisser l’opportunité de protester, tu lui voles la valise des mains et disparais dans le chemin qui mène à une petite boutique.

Quelques secondes plus tard seulement, tu réapparaît à la lumière du jour, sans valise mais les mains encombrées par un vélo que tu pousses avec allégresse. Sans te retourner, tu cries, perçant l’air danois qui n’a plus l’habitude de tes manières d’américaine : « Tak Lars ! Vi ses senere* ! » La bécane est bleue turquoise avec un panier blanc dans lequel trône fièrement un casque. Elle ne voulait pas de surprise, quelque chose te dit qu’elle sera servie. « There you go ! It’s yours… for the time being. » Tu lui abandonnes le guidon dans les mains. Tu imagines, dans un futur plus ou moins proche et idéal, qu’elle achèterait son propre vélo qui resterait avec le tien, dans la remise. Une promesse tacite de venir plus souvent. « Lars is a neighbor, he’ll bring your stuff down later today, after work. It’s his daughter’s bike, she’s… » Plongée dans ton histoire, tu finis par éclater de rire toute seule avant de reporter ton attention sur l’actrice plantée à côté de toi. « I’m sorry, you don’t care ! » Et tu ne peux pas lui en vouloir. Tu aurais pu partir dans un récit détaillé de la nouvelle vie de Josefine, à la ville, tel qu’il t’a été conté il y a quelques jours. Mais il n’a pas la même saveur pour quelqu’un qui n’en connaît pas les protagonistes. Tu t’éloignes un instant, déverrouillant un anti-vol d’une barrière pour débloquer ta bicyclette mauve. « Don’t tell me you can’t bike, we would have to deport you I’m afraid. »

« What ‘people’ ? » Bon, Klara n’avait pas tort : il n’y avait pas grand monde au alentour et seul le bruit de la mer et des mouettes raisonnait dans la rue qui leur faisait face. « Trust me, alright ? » La rousse venait aussitôt déposer un petit baiser sur le nez de l’actrice avant de lui demander d’attendre là et de partir, lui volant sa valise au passage. Lucy n’eut même pas le temps de rouspéter que déjà Klara disparaissait un peu plus loin avec son précieux bagage. De courtes minutes s’écoulèrent durant lesquels l’australienne attendait nerveusement, avant que la danoise ne réapparaisse, poussant un vélo et criant quelques choses dans une langue étrangère. « There you go ! It’s yours… for the time being. » Lucy restait bouche bée, posant ses mains sur le guidon alors qu’une seule chose tournait en boucle dans sa tête : où était passée sa valise ? Mais une fois de plus pas le temps de râler que déjà Klara reprenait la parole : « Lars is a neighbor, he’ll bring your stuff down later today, after work. It’s his daughter’s bike, she’s… » Soulagement non dissimulée de la part de Lucy même si elle n’aimait pas l’idée que sa valise, bien que verrouillée, soit entre les mains d’un inconnu. « I’m sorry, you don’t care ! » « Well... I did care to know where my luggage went. » notait-elle comme pour rassurer sa petite-amie que non, tout ce qu'elle disait n'était pas sans intérêt aux oreilles de Lucy. Elle suivait Klara, poussant son vélo jusqu’à celui de la rousse qui était attaché à une barrière. « Don’t tell me you can’t bike, we would have to deport you I’m afraid. » La brune échappait aussitôt un rire franc. « I can, I can. Please don’t send me away just yet. » Heureusement pour elle, elle maîtrisait le vélo, tout comme elle maîtrisait tout un tas d’autre activités qu’elle avait apprises au fil de sa carrière. Un bon acteur se devait de savoir faire du vélo mais aussi conduire, monter à cheval ou encore tenir une arme à feu de façon crédible. Lucy avait donc, et ce depuis son plus jeune âge, appris de très nombreuses activités, diverses et variées. Donc la liste de ses petits talents cachés était très longue et le vélo était de loin le plus banal. Elle grimpait donc sans plus attendre sur ce joli vélo bleu Ellen DeGeneres, enfin bleu turquoise. « Last time I rode a bike it was on set, so we’ll see how I manage in the real world. » notait-elle tout de même, légèrement anxieuse à l’idée d’avoir oublié ou de perdre l'équilibre sur un route mal entretenue ou sur un chemin de terre. « So… now we’re going home, right ? » Oui, elle était pressée, to say the least. Le voyage jusqu’ici avait été assez long, elle avait bien envie de se poser et de passer du temps avec Klara, même si celle-ci avait visiblement plus envie de profiter du soudain anonymat de sa petite amie pour ne pas s’enfermer chez elle avec l’australienne.

« Well... I did care to know where my luggage went. » Ton sourire accentue les ridules qui commencent à se former au coin de tes yeux. La réponse n’est pas compliquée. Il a une voiture, vous non. Et ce n’est pas comme si les taxis couraient les rues sur cette île. C’était la solution qui te semblait la plus simple et raisonnable. Tu t’assures ensuite, avec humour, qu’elle est capable d’assurer sur un vélo. « I can, I can. Please don’t send me away just yet. » Tu ris avec elle. « Oh… So actresses are more than pretty faces, huh ? » Tu la taquines en bouclant ton casque sous ton menton. « Last time I rode a bike it was on set, so we’ll see how I manage in the real world. » Ta bouche se tord, mutine. « And here I was, thinking it was all your stunt’s work ! » Prise d’un élan protecteur, tu fais le tour du vélo bleu, pour en vérifier les roues et l’état général. Si tu as une confiance aveugle en ton voisin, tu préfères être prudente, un accident est si vite arrivé. « So… now we’re going home, right ? » Satisfaite de tes verifications, tu enfourches ton propre véhicule en disant : « We are. It’s about and hour and a half from here. » Décidant d’être clémente et de ne pas faire durer la mauvaise blagu trop longtemps, tut e reprends aussitôt : « I’m kidding ! We’ll be there in 20. 30, tops, if you’re slow. »

Bientôt, tu l’entraines à travers routes et chemins, quittant très rapidement l’environnement urbain de la petite ville. On pourrait être étonné de la qualité des pistes cyclables pour un endroit si peu fréquenté, mais c’est sans compter sur l’amour des danois pour leurs vélos. Tu fais quelques pauses pour montrer des choses notables à Lucy, tantôt le chemin qui mène à cette crique secrète que tu aimes tant, plus tard la maison du fameux Lars qui tient sa valise en otage. Plus les mètres vous séparant de la maison de tes aïeux se font rares, plus ton estomac se contracte. Pour une raison qui t’échappe, tu es soudainement prise d’une vague d’angoisse à l’idée de faire découvrir le cottage à l’Australienne. Au fond de toi, tu sais qu’elle ne te jugera pas pour la taille du bâtiment ou le prix des meubles, mais tu appréhendes. Ton loft californien est grand, spacieux et épuré, l’exemple type de ce qu’on peut attendre d’un appartement d’architecte. Ici, ce n’est pas la même histoire. Les espaces sont atypiques, exigus, le parquet grince et les plantes semblent avoir pris le dessus sur le moindre recoin vide. Mais il se dégage de cet endroit une chaleur que tu ne saurais reproduire nulle part ailleurs. Tu veux, par-dessus tout, qu’elle s’y sente bien. C’est en posant finalement un pied à terre que tu dis : « Welcome home, my love ! »

 « Oh… So actresses are more than pretty faces, huh ? » Lucy haussait un peu les épaules, préférant prendre ce genre de taquinerie avec humour. « Crazy, huh? » « And here I was, thinking it was all your stunt’s work ! » Elle pouffait de rire face à la véracité de cette remarque. « Well…You have to know how to fake it properly, at least for the close-ups. » notait-elle, puisqu’il était évident que s’il y avait une course poursuite en vélo à tourner Lucy ne la ferait pas sans une doublure. Klara faisait le tour du deux roues alors que l’actrice mettait à son tour son casque sur la tête avant de le fermer. « All good ? » demandait-elle, sans attendre de réponse alors qu’elle enfourchait son bolide d’occasion tout en posant la même question, limite insistante, que celle qu’un enfant de cinq ans embarqué dans un road trip qui s’éternise. « We are. It’s about an hour and a half from here. » Le sérieux de la rousse ne manqua pas de déstabilisé Lucy avant que sa petite-amie ne vienne désamorcer le tout. « I’m kidding ! We’ll be there in 20. 30, tops, if you’re slow. » Vingt minutes de vélo c’était déjà beaucoup pour celle qui ne se déplaçait qu’en voiture et en jet privé, alors elle n’était qu’à moitié soulagée d’entendre ça. Mais pas le temps de ronchonner que déjà elle devait suivre Klara à vélo. Heureusement que le paysage en valait le coup et que la danoise avait la gentillesse de faire des pauses pour jouer les guides touristiques.

« Welcome home, my love ! » annonçait enfin Klara alors qu’elles s’arrêtaient près d’une maison, charmante mais qui paraissait presque abandonné tant la végétation semblait avoir repris le dessus. « This may sound stupid, especially coming from me but: it looks like a house from a Disney movie. » lâchait-elle très sincèrement en retirant son casque. A côté son immense villa californienne, trop bien entretenue par une armée de jardinier et d’homme à tout faire, était totalement fade. Comme un plat d’un restaurant étoilé qu’on aurait oublié d’assaisonner et qui serait servit froid. Cette maison-là était chaleureuse et son histoire pouvait presque se lire sur sa façade. « I might be a little bit in love with this house. » notait-elle. Elle avait comme une soudaine envie de déménager pour quelques choses de similaire, par simple envie mais aussi parce qu’elle avait presque honte de sa grande maison sans saveur et d’un jour devoir y invité Klara ; mais elle se rappelait que, malheureusement, la sécurité de son quartier et sa proximité avec les studios était son atout principal. Et puis, comment allait-elle faire rentrer toute ses affaires dans une si petite maison ?  

« This may sound stupid, especially coming from me but: it looks like a house from a Disney movie. » Un vent de soulagement te gagne toute entière et réchauffe ton coeur. Tu pousses la petite grille en bois et adosses ton vélo contre la clôture. Imitant Lucy, tu ôtes également ton casque que tu gardes à la main. « I might be a little bit in love with this house. » C’est un regard attendri que tu poses sur elle et sur les murs de la maison, sans réfléchir à autre chose que la béatitude de l’instant. « Good ! » Tu parcours les quelques mètres qui vous séparent sans quitter la bâtisse du regard. « ‘Cause… » Tu deposes un baiser serein sur ses lèvres étirées. Les mots qui suivent sont murmurés tout contre sa peau, comme un mirage dont l’existence reste à prouver. « I might be a little bit in love with you. »

Pourtant, tu ne cherches pas la fuite. Tu ne te perds pas dans des explications confuses ou des justifications embarrassées. Ces quelques syllabes pendaient à ta langue depuis bien longtemps, menaçant de s’envoler à tout instant. Mais à quoi bon attendre ? Chercher un moment parfait ? Existe-t-il seulement ? Là, tu juges que les cheveux emmêlés par la brise salée, les pieds fermes sur la terre des Lund et les joues rosies par la bicyclette, c’est suffisamment céleste pour toi. Tu n’as pas besoin de plus, ni même d’une réponse. Ca viendra un jour, demain ou dans cent ans. Mais il te semblait important qu’elle comprenne l’importance de ce voyage pour toi. Certes, les filles sont déjà arrivé jusqu’ici, mais c’était différent. Elles étaient là pour les funérailles, pour prendre le relais pendant que tu t’écroulais à vue de nez. C’était nécessaire, une question de survie. Maintenant c’est juste une question de vie, et Dieu t’es-tu jamais sentie si vivante.

Tes doigts glissent le long de son bras pour finir par attraper les siens, avant de l’attirer à l’intérieur. « Come on in ! »

« Good ! ‘Cause… » Un rapide baiser atterrit sur les lèvres de Lucy, un peu surprise par la réaction de la rousse. Elle avait dit aimé la maison, elle ne pensait pas que cette remarque ferait un tel effet à Klara. « I might be a little bit in love with you. » Et celle-là elle ne l’avait pas vu venir non plus. Elle restait un peu bête, immobile, prise par surprise par la soudaine déclaration de sa petite amie. Elle devait le lui dire en retour right ? That was her cue ? Pourtant rien ne semblait vouloir sortir d’entre ses lèvres, comme paralysées par un trac qui lui était bien inhabituel. Pourtant elle l’aimait aussi, elle le savait, mais c’était justement ça qui l’effrayait tant. Ces sentiments qu’elle avait développer pour la rousse étaient problématique à ses yeux et le sérieux de cette relation aussi. Elle avait beau faire mine d’ignorer le problème, faire comme si tout était normal, sa situation, elle, n’avait pas changé. Elle était toujours en couple avec un homme, s’affichait toujours avec lui en public et Klara n’avait du coup qu’un rôle secondaire dans sa vie. Lui dire ces quelques mots revenait presque à lui donner de faux espoir quant à leur relation que Lucy pensait toujours, malgré elle, sans véritable avenir. « I… » soufflait-elle, comme abandonnant déjà ce qu’elle voulait dire. Le malaise de l’actrice fut, heureusement pour elle, de courte durée. Klara n’attendait visiblement rien de plus d’elle et elle attrapait tendrement la main de la brune avant de l’entrainer à l’intérieur de la maison. « Come on in ! » La porte s’ouvrait enfin sur une pièce de vie un peu plus petite que Lucy ne l’avait imaginé. Une décoration quelque peu chargée mais surtout des photos de famille ici et là qui attirèrent immédiatement le regard de l’australienne. « is that you ? » lâchait-elle en pouffant de rire face à la photo d’un bébé, un peu dodu, qui avait les yeux de Klara.

La panique dans les yeux de Lucy, qui descend jusqu’à sa gorge incapable de produire le moindre son, aurait pu te décevoir. Elle aurait aussi pu te gagner à ton tour. Ou créer un malaise palpable. Mais ta certitude balaie tout. Tu ne cherches pas à être rassurée. Ce n’est pas toi, c’est elle. C’est partager, et pas arracher des confidences.

Avec une immense légèreté, tu l’entraînes à l’intérieur de la maison qui sent le pin. Tu observes avec joie les yeux de l’actrice se poser partout avant de s’arrêter sur l’un des nombreux cadres photos qui trônent sur les meubles. « is that you ? » Tu ris volontiers avec elle, te moquant de la Klara qui découvrait, à 2 ans, la glace au chocolat. « It is. » Tu regardes autour de vous avant d’ajouter : « All of them are me. All the kids ones at least. » Fille et petite fille unique, tu as été toute ton enfance la cible privilégée de tout un tas d’objectifs plus ou moins impressionnants. Un sourire nostalgique se dessine sur tes lèvres alors que tu t’imprègnes de ton environnement. « Everything was stored away when I got here earlier this week. The pictures, blankets, pillows. My grandmother’s bits and bobs. It took me days to put everything back as it used to be. » C’était logique. La maison était louée pendant des années. Les meubles étaient fonctionnels, ils sont restés, mais tout ce qui faisait la personnalité du lieu a trouvé refuge dans quelques caisses au fond du grenier, en attendant cette seconde vie que tu leur offres à présent. Tes doigts se sont arrêtés machinalement sur les pièces d’échec en bois peint de ton grand père, et se saisissent d’une tour. « It didn’t feel right without them. » Tu la remets méticuleusement en place. Dans un coin d’une étagère, tu repères une image qui attire ton attention. Tu l’extirpes, hissée sur la pointe des pieds et la tends à l’Australienne. « My parents. » Le couple ne regarde pas la caméra, tous deux trop concentrés sur une carte. Tu supposes qu’ils planifiaient votre voyage suivant, le sud de l’Italie, à en croire l’époque où le cliché a été immortalisé. La jeune femme à la chevelure encore plus flamboyante que la tienne est vêtue d’une longue jupe à fleurs et d’un simple débardeur blanc. Près d’elle, un géant blond en chemise et short, un crayon à la main. A leurs pieds, une petite affublée d’une adorable couronne de tresses observe en louchant une coccinelle posée au creux de sa main. « I don’t know how a photo can be so cute, happy and sad at the same time… » Adorable de candeur. Heureuse d’un autre temps où tout semblait plus naturel et simple. Triste de voir que des moments pareils ne reviendront jamais, et que la petite ne réussirait jamais à rivaliser avec la mappemonde.

« It is. All of them are me. All the kids ones at least. » Le regard de Lucy se perdait sur les photos d’enfants, réalisant en même temps qu’elle fondait devant l’adorable bouille de bambin de Klara, qu’elles franchissaient là une nouvelle étape dans leur relation. C’était comme si elle rencontrait sa famille en cet instant. « Everything was stored away when I got here earlier this week. The pictures, blankets, pillows. My grandmother’s bits and bobs. It took me days to put everything back as it used to be. » Lucy se retrouvait donc plongée dans l’enfance de la rousse. Chaque recoin de la pièce était décoré de photo ou de vieilleries qui, bien qu’elles ne soient pas forcément du gout de Lucy, avaient leurs charmes et surtout leur place dans cet ensemble étrangement harmonieux et chaleureux. Klara attrapait une photo sur laquelle se trouvait deux adultes, penchés sur une carte et la tendait à l’australienne. Celle-ci l’attrapait, l’observant de plus près. « My parents. » Lucy esquissa un sourire en notant la présence de Klara à leurs pieds, reportant son attention sur ses parents, dont sa mère qui lui ressemblait vraiment. « I don’t know how a photo can be so cute, happy and sad at the same time… » Lucy redressait la tête, posant son regard sur Klara qui semblait émue. Elle n’avait jamais vraiment osé demander plus de détails sur l’enfance de Klara, la rousse n’en parlait pas vraiment, donc Lucy n’avait pas posé de question de peur de mettre les pieds sur un terrain miné. Tout le monde n’avait pas une enfance de rêve avec des parents aimants, certain étaient moins chanceux et Lucy n’était pas certaine de savoir comment soutenir Klara si elle se retrouvait dans cette dernière catégorie. « Memories can be bittersweet I guess… » lâchait-elle un brin hésitante. « Where were they planning to go? » se risquait-elle en lui rendant la photo.

« Memories can be bittersweet I guess… » C’est exactement le mot. Mais au-delà de tes souvenirs, c’est en réalité toute ton enfance qui te fait cette impression douce-amère. Sur le papier, c’était formidable. Tu as vécu des choses avant même tes 16 ans que la plupart des gens ne connaîtront jamais dans toute une vie. Mais quel prix à payer… « Where were they planning to go? » Tu te rapproches un peu plus d’elle pour examiner le cliché à la recherche d’indices sur la période et ne pas dire de bêtises. « We left for Calabria a few weeks later. » C’était le début d’un voyage sillonnant le sud de l’Europe, qui s’est terminé au printemps suivant, des mois plus tard, par un périple dans les îles grecques. « We had to wait for the weather to cool down a bit. But it was scorching regardless. » Tes parents étaient du genre à tout prévoir, jusqu’à anticiper que vous ne supporteriez pas la chaleur du mois d’aout au cœur de la botte ritale. Tu ne te rappelles pas bien de cette époque, tu étais un peu trop jeune, mais tu sais que tu as détesté votre séjour italien. Tout état trop sec, trop montagneux, et tu t’ennuyais à mourir.

Tu quittes la gamine des yeux pour re-poser le regard sur Lucy. Tu as encore un peu de mal à réaliser qu’elle est bien là, chez toi, dans ton jardin secret. Tu t’attendais à ce qu’elle refuse purement et simplement cette virée danoise, alors tu es bien décidée à profiter de chaque instant, sans ressasser le passé et ses brises amères. « You must be starving ! » Et juste comme ça, tu te détournes des considérations nostalgiques et pesantes en l’entrainant dans la cuisine où un brunch vous attend. Les choses simples de la vie vous ouvrent les bras, et c’est quelque part le plus important. Quelques jours dans une parenthèse enchanteresse, riches d’insouciance et de spontanéité comme ils ne peuvent pas exister à Los Angeles.