everglow (luolet)

Tu es rôdée à présent, depuis le début de la semaine tu fais pipi sur des bandelettes à longueur de journée pour être sûre de ne rien rater. Et si les premières fois ont été quelque peu complexes, tu peux dire que tu es une pro de ces tests maintenant, pas que ce talent soit réellement utile par ailleurs dans la vie de tous les jours. En revanche, tu n’étais pas préparée à ce qui suit, à savoir que le petit trait, jusque-là rose pale, vire au rouge, puis au cramoisi jusqu’à tirer vers le bordeaux. Oh. Tu crois savoir ce que cela signifie, mais préfères te précipiter sur le paquet et relire les instructions pour la vingtième fois au moins. Ovulation tests -- a test line as dark or darker than the control line indicates a positive result. Tu jettes un coup d’œil dans le miroir, mi horrifiée, mi bouillonnante d’impatience. « Luka ! LUKA ! » En attendant son arrivée, tu remontes ta culotte, jusque-là descendue sur tes chevilles, et rejoins ta chambre attenante sans lâcher ta preuve des mains.

Tu ne lui laisses pas le temps de se poser davantage de questions lorsqu’il débarque et tends le test à bout de bras. « It’s positive ! » C’est l’ouverture officielle de ta fenêtre de fertilité, la course est lancée. Si tu dois tomber enceinte ce mois-ci, c’est dans les 48 prochaines heures que tout se joue. « It’s go time ! » Tu freezes sur place, sans bouger ni réagir, contrastant hautement avec le ton enjoué et pressé de ta voix. Certes, c’est maintenant, mais maintenant quoi ? Après une première tentative soldée par un échec et des comptes en banque bien plus légers dans une clinique de fertilité, vous avez décidé de redescendre au niveau inférieur. Vous n’avez pas les moyens financiers d’enchainer les essais encadrés par des professionnels, et comme vous n’êtes pas non plus très pressés – un peu quand même – vous vous laissez quelques mois de bricolage à la maison avant d’y retourner. Sur le papier c’est une bonne option. Mais tu es un peu perdue. Il n’y a personne d’autre que Luka pour te tenir la main, et tu n’es pas sûre de comment tu es supposée t’y prendre. La seule chose qui est certaine, et ça ne t’aide pas du tout, c’est que vous refusez catégoriquement tous les deux de faire ça à la vieille école, Adam et Eve style. Alors il va falloir être créatifs. « Now what ? »

un silence bientôt déchiré par des cris. mon prénom prononcé deux fois par une violet visiblement très en forme aujourd’hui. je relève les yeux de ces écrits interminables à traduire et attends une suite qui ne vient pas. bon d’accord l’inquiétude vient vite remplacer cette interrogation. je décolle de mon siège et rejoins la harper dans sa chambre. ” hey ! what's ...“ pas le temps de terminer ma question que je vois arriver dans mon champ de vision et surtout très très près de mon visage, un test. un de ceux que j’ai déjà pu voir plusieurs fois. ” it’s positive ! it’s go time ! “ je regarde la petite bande, puis violet derrière et un sourire s’affiche sur mes lèvres. et puis la brune se fige. comme si elle venait de voir un fantôme. je la regarde et agite ma main devant ses yeux comme pour la réveiller. elle semble bien ancrée dans ses pensées mais elle finit par revenir. ” now what ? “ ah et bien oui… on fait quoi maintenant. c’est à dire que le fait que le test soit positif c’est donc qu’elle est en pleine période d’ovulation. ce qui est bien, évidemment. mais… elle a raison. on fait quoi maintenant. on a pas les moyens de retenter une fécondation in vitro et pour faire un bébé il n’y a pas trente six mille solutions. une qui n’est pas envisageable et puis peut être d’autres aussi mais trop coûteuses. ” i don’t know… “ je me pose sur son lit et soupire. ” there must be a solution. no ? “ j’avais regardé un peu par curiosité ce qu’il se faisait mais tout me semblait un peu bizarre et puis de toute façon c’est le corps de violet. il est hors de question que je la force à quoi ce que soit. ” do you have any idea ? “ c’est fou ces montagnes russes. être content de voir cette bandelette avant de se rendre compte que c’est peut être pas si utile que ça si on a pas la suite. bref… il va falloir qu’on trouve. de toute façon on s’est lancés dans cette aventure tous les deux et je ne la lâcherai pas.

A grands coup de main devant tes yeux, il essaie de te faire revenir à la réalité. Mais tu sembles partie bien loin, quelque part entre l’immense déception de l’échec de la FIV, et l’idée de concevoir un enfant naturellement, qui te horrifie. Et entre les deux, qu’y a-t-il ? ” i don’t know… “ Il ne t’aide pas beaucoup. ” there must be a solution. no ? “ Comme un miroir de lui, tu t’installes sur ton lit également, assise bien droite au bord du matelas. ”do you have any idea ? “ Tu devrais probablement te laisser attendrir par sa nervosité, mais ce n’est absolument pas le cas. Tu aurais bien aimé qu’il t’apporte toutes les réponses, parce que de ton côté tu nages dans un océan de panique. Tu réponds alors, un certain agacement dans ta voix : « Yes, Lulu. Yes. I have a pretty clear idea of how this is usually done. » Ce n’est pas contre lui que tu t’énerves, il le sait. La situation n’est pas habituelle. Personne n’imagine fonder une famille de la sorte, il faut l’avouer. Dans tes rêves les plus fous, ça ne se passait pas comme ça, évidemment. Et si, au final, tu ne regrettes pour l’instant rien, et tu es toujours persuadée de prendre la bonne décision, il faut reconnaître que ce n’est pas simple. « But we said no to that. » Tu te laisses tomber en arrière, t’allongeant à moitié alors que tes pieds reposent toujours fermement sur le sol. Comme par réflexe, tes mains se posent sur le haut de ton ventre, juste en dessous de ton sternum. « What does google say ? » C’est débile, mais on peut toujours compter sur Google. Qui n’a jamais fait une recherche honteuse, bizarre, posé une question qu’on aurait jamais adressée à un vrai humain, de chair et d’os ? Après tout, ce n’est pas bien différent comme situation. Et puis, vous semblez tous les deux aussi perdu l’un que l’autre, vous avez besoin d’un coup de pouce expert. Et gratuit.

j’aime pas quand elle est comme ça violet. presque agressive. je sais que c’est compliqué tout ça mais bon j’y suis pour rien moi… ” yes, lulu. yes. i have a pretty clear idea of how this is usually done. “ enfin je ne le prends pas mal et je ne lui en tiens pas rigueur de toute façon. c’est juste que je n’en sais pas plus qu’elle. les bébés, la maternité c’est quand même bien loin de mes connaissances. bon okay j’ai lu quelques bouquins mais plus sur l’après que sur la conception. faut dire que de base, c’est plutôt simple comme concept. c’est juste qu’entre nous c’est compliqué. parce qu’on n’est pas comme tout le monde, comme tous ces parents, comme tous ces couples. tout simplement parce qu’on n’est pas un couple. et ça change beaucoup de choses. on a déjà tenté les alternatives médicales mais le fric ça pousse pas sur les arbres. alors maintenant… et bien maintenant il faut qu’on trouve autre chose. parce qu’on sait très bien tous les deux que la méthode traditionnelle n’est définitivement pas pour nous. ” but we said no to that. “ et je hoche la tête. parce que évidemment, ça ne fonctionnera pas. enfin moi je sais que ça n’ira pas. peut être que en dernier recours… mais… franchement ça me paraît être compliqué. elle s’allonge et je suis le mouvement tournant ma tête vers elle. deux pauvres désespérés posés sur ce lit à attendre… attendre quoi ? surement la solution miracle. évidemment. comme si elle allait tomber du plafond… ” what does google say ? “ ah oui, c’est bien connu, google a réponse à tout. ” i don’t know but… wait. “ j’extirpe difficilement mon téléphone de la poche de mon jean slim et rejoins la page de mon navigateur. je la prends au mot, je cherche sur google. on n’a rien à perdre après tout. ” hum… “ premières réponses, toutes sur la procréation dite normale. et donc non. maintenant les méthodes un peu moins conventionnelles. je tombe sur un site qui parle surtout des dangers pour la reconnaissance par la suite. mais ça je m’en fiche. il y a juste un petit paragraphe sur la méthode qu’un couple de jeunes femmes à utiliser. ” they talk about pipette and juice pear … ? “ je crois que je vois ce que ça peut donner mais… c’est vraiment faisable ça ? je tends le téléphone à violet pour qu’elle regarde. elle a aussi l’opportunité de fouiller pour chercher d’autres méthodes si jamais elle en trouve. je m’en fiche j’ai rien à lui cacher.

” i don’t know but… wait. “ Tu fermes les yeux pour ne pas voir son visage renfrogné alors qu’il parcours les méandres de Google. ” hum… “ Tu lui demandes de chercher, mais en réalité tu sais parfaitement quelles sont les étapes à suivre, ou du moins ce qui est préconisé dans votre situation. Mais tu ne sais pas, tu retardes le moment. ” they talk about pipette and juice pear … ? “ Tu n’as pas envie de faire machine arrière, loin de là, le projet a été muri, pensé pendant longtemps. Mais tu te sens… bizarre. Il te tend son téléphone, et tu le prends, mais le laisses tomber sur le matelas. Du dos de la main, tu te frottes le front en énonçant : « You gotta… do your thing in a cup. » Ta seconde main mime vaguement ta phrase, machinalement. « Then, there’s a sterile syringe in my bathroom cupboard. » Elle est là depuis un moment déjà. Tu dois admettre qu’aller acheter cette seringue t’a rappelé de très mauvais souvenirs, une époque où elle aurait servi à bien d’autres choses. Des intentions moins louables. Mais cette fois-ci, les aiguilles sont restées bien au chaud dans le tiroir du pharmacien, inutiles aujourd’hui. « You put it in there. » Jusque-là, tu n’as pas à intervenir. C’est son problème. Enfin, c’est le tien aussi, mais il ne devrait pas avoir besoin de toi. « And then, well… in me. » Ensuite, on te conseille de garder les jambes en l’air pendant 30 minutes. Oh, et d’avoir un orgasme aussi, ça aide parait-il. Mais quelque chose te dit que ça n’a pas l’air d’être au programme pour aujourd’hui. Ca ne se commande pas ces choses-là, et tu es bien trop tendues, tu n’es pas dans le bon état d’esprit. Pas du tout.

Tu pousses un grand soupir en rouvrant les yeux. Tes doigts cherchent ceux de ton meilleur ami, et les serrent aussitôt qu’ils les trouvent. « Why is everything always so difficult ? I’m tired Lulu… » Sur le papier ce n’est pas non plus un ouvrage monstrueux qui vous attend. Mais c’est certain, ce n’est pas normal, pas naturel. D’ordinaire, on a pas besoin de réfléchir autant pour avoir des enfants, c’est simple, instinctif, pas besoin de checklist. Mais ta remarque renvoie beaucoup plus loin. Tu as l’impression que ta vie n’est qu’une succession de complications. Il y a toujours des si, des mais, des détours et des imprévus. Le long fleuve tranquille, tu n’en as jamais vu la couleur, ni même ressenti la brise.