here comes the sun (swiolet)

Assise au bar, sur l’un des tabourets hauts que tu trouves inconfortables, il y a bien longtemps que tu attends. Ton verre est déjà à moitié vide, et tu continues à jouer avec la rondelle de citron, du bout de ta paille, pour patienter. La boisson translucide, avec ses bulles et ses glaçons, pourrait ressembler à s’y méprendre à un gin tonic, mais ce n’est en réalité qu’une eau pétillante. C’est le choix que tu fais le plus souvent, à moins que tu n’aies envie d’un cocktail coloré, une bombe de sucre, pour ne pas avoir à te justifier. De loin ça fait illusion, et tu peux demander la même chose au barman sans qu’on te pose de question. Tu n’as pas spécialement envie de cacher ta sobriété, mais ce n’est pas non plus le sujet que tu préfères aborder lors d’un premier rendez-vous. C’est trop lourd, trop chargé, et traine trop d’implications dont tu préfères ne pas t’encombrer tout de suite.

Plus les minutes passent, plus tu te dis qu’il est temps de te rendre à l’évidence. On t’a posé un lapin. Tu n’es pas plus vexée que ça, ce n’est pas la première et probablement pas la dernière fois que ça t’arrive. Mais tu dois t’admettre un peu déçue tout de même, tu avais investis du temps dans cette soirée, plusieurs heures de discussion sur The Chart, et des efforts pour dompter tes cheveux et revêtir une tenue seyante. Tu aurais mieux fait de rester dans ton canapé, devant Modern Love, les larmes auraient été bien moins difficiles à digérer. Jetant un énième coup d’œil à ton téléphone, tu sens l’agacement monter en toi. Il aurait au moins pu s’excuser, t’envoyer un message pour te prévenir qu’il n’était finalement pas intéressé. Ça aurait permis à cette petite lueur d’espoir qui nargue tes prunelles de s’éteindre définitivement. Là, tu es prise le cul entre deux chaises, entre l’envie de rentrer chez toi après une heure à poireauter comme une idiote, et le petit doute qui veut te faire croire qu’il est peut être coincé dans les bouchons, que son portable n’a plus de batterie ou qu’il lui est arrivé quelque chose et qu’il est en chemin. Finissant par te résigner, tu avales le reste de ton verre d’une traite, prête à déguerpir. Juste avant de te lever, tu croises le regard d’une femme assise près de toi, qui semble elle aussi esseulée. « Waitin' for someone ? »

robe noire enfilée, escarpins de même couleur aux pieds, je m’échappe de la maison dans un dernier soupir. ça va mieux, je ne peux pas dire le contraire mais c’est toujours compliqué pour moi que de sourire à des gens comme si de rien n’était. quoique l’autre jour j’ai discuté avec une femme qui n’avait aucune connaissance de mon passé et ça m’a fait du bien. c’est peut être une solution comme une autre. temporaire mais qui fonctionne. bon ce soir je ne serai pas avec une inconnue qui ne sait pas ce qu’il s’est passé, loin de là. une amie, lina, elle sait tout elle. c’est une collègue avant tout mais c’est devenue une amie avec le temps. et elle s’évertue à vouloir me faire sortir de chez moi elle aussi. je crois qu’ils se sont tous donné le mot à ce sujet. mais bon, ça commence à m’amuser, c’est plutôt bon signe. quoiqu’il en soit, je me dirige vers le planet, ce bar où elle m’a donné rendez-vous. je le connais mais ce n’est pas l’endroit vers lequel je me serai dirigée naturellement. mais tant pis, ce n’était pas à moi de choisir alors voilà, j’y vais. j’arrive un peu en avance je pense et évidemment lina n’est pas là. installée au bar, je commande un verre de vin pour commencer. ou pour attendre plutôt. les minutes défilent et toujours pas de lina. mon premier verre est presque terminé que toujours pas de tête blonde à l’horizon. je commence à penser qu’elle ne viendra pas. sortant mon téléphone pour la énième fois, je constate que je n’ai toujours pas de message. je le dépose sur le bois en espérant avoir bientôt une réponse à ma question. est ce qu’elle viendra ou non. mes pensées se retrouvent interrompues par une voix à côté de moi. « waitin' for someone ? » je pose mon regard sur la brune qui m’observe et hoche doucement la tête. « yes. » que je réponds alors que mon telephone se met à vibrer. un message. des excuses. une annulation. je soupire, réponds rapidement et relève rapidement mon regard vers l’inconnue. « actually… no. » je rigole légèrement avant de lui montrer le siège à côté de moi. « aren't you expecting anyone either? » que je sache dans quoi je m’embarque avant tout.

Luka avait lui aussi des projets pour la soirée, et c’est un peu dépitée que tu te résignes à rentrer seule chez toi. Tu n’as pas envie de retrouver le silence de l’appartement, tu veux voir du monde, rire et danser. Tu ne sais pas ce qui pousse ton regard à s’attarder sur la personne qui se tient près de toi, une femme qui semble elle aussi abandonnée par sa compagnie promise. Tu t’apprêtes à tourner définitivement les talons lorsqu’elle t’indique attendre quelqu’un, ne voulant pas t’imposer, mais te ravises rapidement. « actually… no. » Tes lèvres s’étirent en un fin sourire alors qu’elle t’invite tacitement à prendre place près d’elle. « aren't you expecting anyone either? » Tu te hisses à nouveau sur un tabouret, tes cuisses collant contre la fraicheur du bois sous ta jupe courte.  « I was. Not anymore, it seems. » Tournant franchement la tête pour la regarder, tu décides de te présenter. « I’m Vi’. Violet. Aaaand… I guess I’ve been stood up. » Un rire franc s’échappe de ta bouche et résonne dans le bar. Tu dédramatises, surtout que tu te dis finalement que tu vas peut être gagner au change. Il n’était pas si beau. Il avait l’air un peu agressif parfois, et pas toujours brillant. Non, tout compte fait, ce n’est pas plus mal.

« And you are… ? » Au-delà d’une très belle femme habillée bien plus élégamment que toi, évidemment. Tu veux connaître son nom et entendre davantage sa voix. Savoir si ce qu’on peut deviner sur ses traits se révèle juste ou non. Ce qu’elle fait si apprêtée dans un bar comme le planet où l’ambiance est des plus décontractées. D’ailleurs… Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’y avais pas réfléchi, mais c’est étrange d’avoir rendez-vous avec un homme dans un bar lesbien… Tu te souviens maintenant que c’est toi qui lui as proposé ce lieu, sans vraiment réfléchir, sans saisir la portée de tes mots. Le pauvre a probablement dû, après une petite recherche sur google, penser que tu te moquais de lui et décider qu’il valait mieux pour son honneur rester chez lui. Tant pis. D’un revers de la main, tu mets Nick et toutes les pensées qui l’entourent à la poubelle pour concentrer pleinement ton attention papillonnante sur la mystérieuse inconnue.

j’aurai pu simplement me retrouver seule pour la soirée mais la brune qui vient de m’accoster semble en avoir décidé autrement. je ne vais pas m’en plaindre. la perspective de devoir sortir de là après qu’on m’ait posé un lapin est fort peu alléchante. ” i was. not anymore, it seems. “ elle semble elle aussi avoir perdu la personne qui devait la rejoindre, du moins c’est ce que je comprends dans ses dires. ” i’m vi’. violet. aaaand… i guess i’ve been stood up. “ je ne peux m’empêcher de rire face à la légèreté dont elle fait preuve. elle vient de se faire poser un lapin oui mais elle reste très positive et son sourire est toujours présent. ” pretty much the same… “ que le laisse échapper dans un murmure. enfin pour le fait d’avoir été laissée pour compte, pas pour le prénom bien sur. ” and you are… ? “ tiens visiblement mon prénom semble l’intéresser en retour. je pose à plat mes mains sur le comptoir et me tourne vers elle pour être plus à l’aise dans cette discussion qui semble s’engager. ” swan. “ pas mon prénom complet mais plus personne ne l’utilise lui alors autant ne pas gâcher du temps en le révélant. je termine mon verre et fais signe pour en recommander un autre. ” you want another one ? “ que je lui demande en lui indiquant son verre d’un mouvement du doigt. je ne sais pas trop ce qu’elle boit mais ce n’est pas le plus important. ” drinks are on me. there it's to thank you for not leaving me in embarrassment. “ celui de finir seule accoudée à ce morceau de bois en attendant que le temps passe et que mon égo se soit suffisamment apaisé pour me laisser partir d’ici. bon d’accord ce n’est pas très grave si lina n’a pas pu venir, ce n’est pas comme si c’était un rendez vous galant - comme pour ma coéquipière de la soirée visiblement - mais c’est le principe d’être toute apprêtée et de l’avoir fait pour rien. ” who dared stand you up ? “ si elle veut en parler bien sur. mais elle n’a pas l’air très fermée à la conversation. ce qui peut présager que ma soirée n’est pas totalement fichue finalement.

” pretty much the same… “ Le ton de sa voix te fait penser qu’elle prend les choses avec moins de nonchalance et de philosophie que toi. Elle n’a pas l’air traumatisée non plus, ce qui te fait dire qu’il y a de grandes chances pour qu’elle n’attendait pas le grand amour de sa vie. ” swan. “ Son prénom t’intrigue, et tu as beau le retourner dans tous les sens dans ta tête, tu ne vois pas de quoi il pourrait être le diminutif… Pas que ça t’importe beaucoup, mais tu as du mal à imaginer des parents, dans les années 70, nommer leur bébé comme un oiseau, aussi majestueux soit-il. En 2010, pourquoi pas, mais à l’époque ? Mais tu n’as pas le temps de pousser tes réflexions plus loin qu’elle interrompt le flux de tes pensées. ” you want another one ? “ Ton regard suit son doigt pour finalement lorgner ton verre. ” drinks are on me. there it's to thank you for not leaving me in embarrassment. “ C’est avec une certaine légèreté dans ta voix que tu réponds : « Well… Thanks to me, then ! » Tendant ton verre à la barmaid, tu lui adresses un clin d’œil furtif, lui intimant de te resservir le faux cocktail que tu as bu toute la soirée.

” who dared stand you up ? “ Ta main mouline dans l’air alors que tu cherches tes mots. Tu ne sais même pas ce que tu pourrais bien dire. Finalement, tu te fiches bien de ce Nick, ou Vic, ou peu importe son nom. Swan, ça sonne bien mieux. « You know what ? He already wasted an hour of my life, I’m not giving him one more minute. And you shouldn’t either. » Veux-tu dire qu’elle doit arrêter de penser à son rendez-vous manqué, ou au tien ? Ca ne fait pas une grande différence. « Besides, I’m grateful, really, it’s usually weeks that I’ll never get back. At least this was quick. » Un rire cristallin s’échappe de ta gorge alors que tu te moques du désastre qu’est ta vie amoureuse.

« Oooooh ! » Tu te lèves de son siège, atterrissant plus ou moins gracieusement sur tes pieds, et avale d’une traite ton eau pétillante, pour la deuxième fois de la soirée. Si tu as appris une chose de tes nombreuses années de fêtes intempestives, c’est qu’on ne laisse jamais une boisson sans surveillance. Trépignant, un sourire radieux sur tes lèvres, tu tends la main en direction de Swan. « Come on, I love this song ! Let’s dance ! » Comme pour ponctuer ta phrase, tu balances tes hanches au rythme de la musique.

” well… thanks to me, then ! “ elle accepte donc de prendre un autre verre avec moi. ce qui est rassurant, ce qui montre qu’elle ne compte pas partir tout de suite. oui, ça l’est en quelque sorte. enfin pour moi ça l’est. bref. je préfère me concentrer sur cette soirée, ce moment présent plutôt que de partir dans des divagations futiles et qui pourraient finir par me blesser. ne plus réfléchir, ne plus trop réfléchir. les verres resservis et sans savoir ce qu’elle a pris elle, je lui demande qui a osé la laisser tomber. ” you know what ? he already wasted an hour of my life, i’m not giving him one more minute. and you shouldn’t either. “ je me mets à rire et hoche doucement la tête. ” okay. “ donc on n’y pense plus. ” besides, i’m grateful, really, it’s usually weeks that i’ll never get back. at least this was quick. “ elle semble quelque peu habituée à ce genre de choses. c’est triste quand on y pense. parce qu’elle a l’air sympa violet. enfin du peu que je la connais, c’est à dire… quelques minutes à peine. donc c’est peu oui. mais quoiqu’il en soit elle a l’air sympa, c’est tout ce que j’ai à dire. à moins que ça ne soit une psychopathe qui va me découper en rondelles en fin de soirée mais elle n’en présente aucuns signes. et même si fort heureusement je n’en ai jamais croisé, j’ai fait pas mal d’études sur le sujet. bref, arrêter de se poser des question, ne plus réfléchir. ” oooooh ! “ sa voix me tire hors de mes rêveries et j’observe ce large sourire prendre place sur ses lèvres. elle se lève, descend de son assise et tend la main vers moi. ” come on, i love this song ! let’s dance ! “ ah oui, je ne m’attendais pas à ça. ” erm… no, i… “ et puis merde. je m’arrête dans ma tentative de refus et pose ma main dans la sienne. “ okay ! “ oui finalement, j’accepte. je ne pense pas faire de bêtise en faisant ça, loin de là. disons que je ne risque rien, je n’ai rien à perdre et peut être tout à gagner. alors me voilà qui descend de mon trône également et je la suis vers un endroit un peu plus à l’écart, plus propice à ces déhanchements qu’elle a déjà elle même commencé à expérimenter. je ne connais pas cette chanson mais en même temps je ne suis pas une grande adoratrice de musique. enfin j’aime bien en fond mais disons que de là à connaître les artistes, le nom des chansons etc… enfin j’ai mes classiques en tête mais ça s’arrête là. ” are you a dancer ? “ que je lui demande, le rire aux lèvres et l’amusement présent. elle se débrouille bien, après je ne sais pas si elle danse à côté mais au moins elle prend du plaisir et ça c’est agréable à voir. nos corps qui se rapprochent et ces mouvements qui s’amplifient. une envie de partager le moment, rien que toutes les deux.

” erm… no, i… “ Les tentatives de protestations sont faibles, et elles ne durent pas bien longtemps. Très rapidement, une main se pose dans la tienne. “ okay !“ C’est avec un entrain contagieux que tu vous entraines en plein milieu de la piste de danse qui n’est pas encore bien active. Aussitôt tu virevoltes et la fais tourner, remuant librement aux rythmes des basses. ”are you a dancer ? “ Ton rire cristallin qui résonne peine à couvrir la musique. « Not at all ! I’m just having fun ! » Pour illustrer tes propos, tu refermes tes doigts sur ses épaules et la fais bouger en cadence. Pas que ça importe énormément, mais tu crois bon de préciser tout de même : « I’m a photographer. » Tu oses rarement t’affirmer photographe, le syndrome de l’imposteur probablement. Tu viens d’une famille où l’on étudie, où l’on mérite ses titres et ses statuts. Alors toi, tu prends des photos et c’est ainsi que tu gagnes ta vie, certes, mais tu n’as rien d’une grande artiste. L’ambiance est trop festive et bruyante pour te permettre de te justifier et de prendre des détours, donc tu t’autorises ce rare raccourci.

Tu t’apprêtes à l’interroger à son tour sur son métier, quand la musique change et se radoucit considérablement. La chanson pop endiablée laisse bientôt place à une douce balade, presque un slow. Adressant un regard espiègle et rieur à Swan, tu lui dis, mutine : « I swear this wasn’t a trap. I didn’t plan it. » Tu n’es pas à l’origine de ce plan drague foireux, tu n’as pas glissé une pièce à la personne en charge de la musique en lui demandant de t’arranger le coup. « I almost wish I did, though… The timing was great. » L’air de rien, tu te rapproches un peu. « Do you wanna go back ? » Ton corps répond pour toi. Si la décision t’appartenait, tu ne bougerais pas d’un iota. Mais tu ne veux pas la prendre au piège, lui donner l’impression qu’elle n’a pas le choix. Ca t’est arrivé bien trop souvent, au bras d’un lourdaud un peu trop entreprenant dont tu ne savais pas comment te défaire.