ignite your bones (ft. Lila)

Du coin de l’œil tu la vois s’échapper, encore une fois sans que tu ne puisses rien faire. C’est toi qui as animé cette réunion, toi qui as lancé les invitations, et c’est donc toi qui dois veiller à ce que tout le monde soit content avant de pouvoir t’éclipser. D’habitude Lila et son grand sourire font toujours les fermetures avec toi, chit-chatant gaiement avec les contributrices jusqu’à clore officiellement la boutique, mais elle semble te filer entre les doigts depuis son retour. Tu n’es même pas sûre de l’avoir vue entre quatre yeux, pour de vrai, comme avant. Alors tu la regardes partir et faire claquer la porte de verre, décidée à creuser cette histoire, mais reportes rapidement ton attention sur ton interlocutrice, abandonnée à un monologue que tu rattrapes avec grâce.

Tu tapotes nerveusement sur ton volant en parcourant les quelques kilomètres qui te séparent de Silverlake et de l’appartement de ton amie. Tu n’aimes pas conduire et préfère te laisser porter quand c’est possible, mais tu as dû t’y faire avec les années. La ville de Los Angeles est loin d’être accessible de transports en commun, et tu as abandonné l’idée de ne fonctionner qu’avec des taxis. Entre tes déplacements sur les chantiers, ton bureau, les réunions pour CC, et les dîners à droite à gauche, tu ne t’en sortirais pas. Mais l’habitacle d’une auto fait toujours ressortir ton anxiété, et tu ne peux plus arrêter ton cerveau qui tourne en boucle.

Tes phalanges cognent contre la porte en bois dans un bruit sourd. Tu es décidée, et t’engouffres à l’intérieur sans crier gare à l’instant où elle t’ouvre. Ton approche est plutôt frontale, mais tu n’as jamais prétendu être très subtile. Sans cérémonie, sans même dire bonsoir, tu fais comme chez toi et t’appuies contre le dossier d’un fauteuil. Les bras croisés sur ta poitrine et le regard perçant tu demandes : « What’s up with you ?  » Tu te mords l’intérieur de la lèvre, assumant tes mots mais redoutant quelque peu la direction que prend cette conversation. C’est entièrement de ta faute. Tu fonces, tête baissée, et tu t’embarrasses plus tard des conséquences. « Whatever it is, you know you can tell me, right ? » Tes doigts glissent dans tes ondulations rousses alors que ton ton se fait plus doux. « We’ll figure it out. We’ll get through it. We always do. » S’il y a bien une chose qui ne fait aucun doute dans ton esprit, c’est bien que vous trouvez toujours des solutions, à tout. Toutes les six, vous avez traversé des déserts, individuels et collectifs, mais vous avez toujours réussi à vous en sortir, ensemble contre l’adversité.

ignite your bones

i want to know
have you ever seen the rain
comin' down on a sunny day?

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Elle se laisse tomber dans son sofa dans un grand soupir. Elle a l’impression que son corps tout entier pèse une tonne, comme si la gravitation terrestre avait soudain plus d’effet sur elle que sur les autres. Quand on vous annonce une maladie, on pense forcément à la mort, à la souffrance, au temps qu’il reste, à la possibilité de guérison. Mais on ne pense jamais à la fatigue. Cet épuisement qui vous englue un peu plus à chaque minute qui passe, alors que son corps continue de s’éteindre tout doucement. Ew. Elle ferme les yeux, fort, serrant les paupières à s’en donner la migraine. Ce genre de spirale négative est devenue plus forte qu’elle, surgissant sans prévenir quand la tentation de céder au pessimisme devient trop grande. Elle soupire doucement, mais avant d’avoir pu formuler la pensée suivante, l’abysse de fatigue par-dessus lequel elle tanguait finit par l’engloutir, et elle sombre.

Elle émerge en sursaut quand quelqu’un semble avoir décidé de prendre sa porte d’entrée pour un punching ball. « Yeah, yeah, coming » Elle croasse plus qu’elle ne parle, et se lève maladroitement, manquant d’aller s’écraser dans le mur quand son équilibre lui fait défaut. Se rattrapant dans un juron coloré, elle atteint finalement la porte. Elle n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que ce qu’elle suppose être sa meilleure amie l’éjecte pratiquement du chemin pour entrer. Oh. Quand Klara adopte sa technique caractéristique de la tornade, c’est que les choses sont sérieuses, et Lila appréhende instantanément la suite de la conversation. « Jeez, Klara. Good evening to you too, » ironise-t-elle en refermant la porte avant de se tourner vers elle.

Pour la première fois, Lila a du mal à soutenir le regard perçant de la danoise, et elle finit par détourner le sien tandis que son amie annonce ce qu’elle avait sans doute sur le cœur depuis que Lila est revenue en Californie. Forcément, cela devait arriver. Le cœur y est toujours, mais son énergie décline, et tenter de maintenir les apparences est plus coûteux qu’elle ne l’avait cru. Et puis que leur dire ? Elle a fini par les fuir, toutes, avec leurs regards inquiets et incrédules, perturbées par le changement soudain de celle qui jusqu'alors toujours été l’équivalent humain d’un sugar rush.

Mais que veut Klara exactement ? Elle en revient toujours à l’impossibilité qu’il y a de trouver les mots justes pour leur expliquer. Parce qu’à partir du moment où elle lâchera ce secret, tout changera définitivement. Je vais mourir et on n’y peut rien. Tu proposes quoi comme solution ? Un instant elle brûle de lui lâcher ici et là, mais son amie ne mérite pas de se voir déverser cette rage qui la consume en même temps qu’elle la tient debout depuis un an. « If this is about me leaving early tonight, I'm sorry. Really. I just wasn't... feeling too well. » No shit, Sherlock. Quelque chose à voir avec le fait que son seul rein restant est en train de pourrir sur pied, peut-être ? « But I'm fine now, just took a power nap. Won't happen again. Apart from that... I genuinely don’t know what you want me to say. » Elle hausse les épaules, ravalant la culpabilité grandissante de lui mentir ainsi. « And don’t just stand there. Sit, woman. Fancy a cuppa’ ? » propose-t-elle dans un sourire, fuyant aussitôt vers la cuisine. Elle fait beaucoup de ça, ces derniers temps. Fuir les questions. Les conversations. Les gens. Montant d’un ton alors qu’elle remplit la bouilloire, elle continue depuis la cuisine, forçant un ton désinvolte « Earl Grey or Darjeeling ? »

codage par aqua

« If this is about me leaving early tonight, I'm sorry. Really. I just wasn't... feeling too well. » Tu lèves les yeux au ciel, visiblement exaspérée par sa réponse. Tu sais pertinemment qu’elle se cache derrière des excuses. T’apprêtant à protester, tu es coupée dans ton élan. « But I'm fine now, just took a power nap. Won't happen again. Apart from that... I genuinely don’t know what you want me to say. » Sans retenir le soupir qui s’échappe de tes lèvres, tu te frottes le front du bout des doigts. Prenant sur toi pour ne pas hurler, parce que ce ne serait ni productif ni constructif, et qu’il est trop tard pour hausser le ton, tu es trop lente. Ca t’apprendra de jouer les diplomates, ça ne te ressemble pas. « And don’t just stand there. Sit, woman. Fancy a cuppa’ ? » Aussitôt sa phrase finie, tu l’observes tourner les talons, impuissante. « Oh come on. Don’t play housewives with me. » Tu pourrais la suivre dans la cuisine, te hisser sur le plan de travail et ne pas la lâcher, mais tu pressens que la conversation risque de durer bien plus de temps qu’il ne faut à l’eau pour bouillir. « Earl Grey or Darjeeling ? » Tu ronchonnes en quittant ton équilibre précaire sur le dossier du fauteuil et réponds en grommelant : « Vodka ! » Sachant pertinemment qu’elle reviendra avec une infusion fumante, tu exprimes ta mauvaise foi pour la forme.

Pendant qu’elle est partie, et acceptant que tu en as pour un moment, tu retournes dans l’entrée pour y laisser tes chaussures, maigre héritage de l’éducation de tes parents. En Scandinavie, on se déchausse en intérieur, probablement avant tout pour éviter de mettre de la neige partout. Mais tu as toujours associé ce geste à un confort, une forme d’aise et un signe que tu choisis d’embrasser l’environnement dans lequel tu te trouves. Poussant le vice encore plus loin, tu dégrafes ton soutien-gorge à travers le tissu de ton t-shirt et t’en débarrasses agilement en te contorsionnant dans tes manches, le faisant atterrir dans ton sac à main. Bring it on.

Tu prends place sur le canapé en l’attendant, assise comme à ton habitude sur ton pied gauche. Silencieuse et le visage fermé, tu la laisses arriver, s’installer et ne plus avoir d’échappatoire. Ton ton est sérieux est détaché quand tu commences à parler, tenant à mettre une chose au clair. « I’m not your boss. You come, you go, that’s on you. » Techniquement ce n’est que partiellement vrai, elles t’ont élue à la tête de l’association, mais il a toujours été clair que vous n’avez pas de compte à rendre les unes aux autres. Les titres c’est bien pour l’administratif, le reste vous vous en débrouillez ensemble. Quoiqu’il en soit, tu refuses qu’elle se cache derrière le prétexte de la réunion, vous savez très bien toutes les deux qu’il ne tient pas la route. « Don’t pretend you don’t know why I’m here. » Tes doigts dansent sur ton genou. Tu ne te sens pas vraiment à l’aise dans cette inversion des rôles. L’oreille bienveillante, ça n’a jamais été toi. Toi tu secoues tout le monde par les épaules, tu parles fort et tu bouscules, tu ne fais pas dans la dentelle. Ca c’est Lila. « We may not understand what happened while you were away, but you’ve always been a terrible liar Lila. » Ta voix se radoucit. « What have we done to lose your trust ? » Tu inclues le reste de votre bande d’amies, en apparences pour lui prouver qu’elle n’est pas seule, et que vous êtes une armée prête à la pousser à bouts de bras. Mais en secret car tu crains que le problème ne vienne de toi, et tu es alors bien trop lâche pour l’affronter.

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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] « Come now, love! I’m already your part-time housewife. » La réponse part dans la foulée de la sienne, et une partie de Lila craint secrètement qu’elle ne la suive dans la cuisine. Elle ne se fait pas d’illusion ; Klara sait très bien qu’elle est venue chercher refuge dans la cuisine pour tenter vainement d’éviter une conversation qui s’annonce rude, de la même manière que Lila a conscience que son amie de toujours ne lâchera pas l’affaire. Le choix de boisson que Klara scande avec agacement à travers son appartement lui arrache un demi-sourire, penchée par-dessus ses deux tasses à thé vides, la bouilloire à un bouillonnement de l’alarme stridente. Le choix de la vodka lui paraît soudain tentant, par la simplicité de confier à l’ivresse et la chance le poids d’une confession qui va tout ravager.

Le clapet saute et le hurlement de la bouilloire lui fend le tympan. Versant l’eau fumante dans la théière, elle y ajoute le panier à thé et tourne le petit sablier. Les saveurs des feuilles qui s’imbibent imprègnent la vapeur d’eau qui vient lui titiller les narines. Sa jeunesse britannique lui a donné ce réflexe étrange de répondre à toute forme de crise par une tasse de thé. Laissant les minutes d’infusion s’égrener lentement, elle ramène les tasses vides et la théière fumante vers le living, posant le plateau sans un mot sur la table basse. Klara a, peints sur le visage, ses traits durs qui annoncent une bataille que Lila est certaine de perdre. Et la simple perspective du combat à venir la submerge d’un épuisement qui est devenu son compagnon quotidien.

En d’autres temps, le petit discours de Klara lui aurait volé un sourire, et elle aurait répondu par quelque chose de spirituel sur combien elle était, de facto, leur boss, et créait dans les cœurs la même peur. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui elle la scrute de ses grands yeux vides, alternant entre le sablier qui égrène ses derniers grains de sable et Klara qui continue. Quand le sablier enfin s’épuise, elle se penche et retire le panier de la théière, puis verse délicatement le liquide fumant dans les tasses pâles. Un sourire triste tire ses traits et elle porte la tasse brûlante à ses lèvres, savourant la sensation du thé qui lui réchauffe jusqu’au cœur. Quand enfin le silence les enveloppe à nouveau, elle pose sa tasse calmement, accompagnant son geste d’un soupir presque tendre « Oh, Klara, as if you could ever lose my trust. Truth is, I’m afraid I may lose yours, if I haven’t already » Toute envie de contester, de se battre, de mentir, l’a quittée entièrement. Calfeutrée dans la sécurité paisible de son appartement, elle se surprend soudain à vouloir abandonner ce secret, comme tant d’autres déjà confiés entre elles. « It’s funny, you know. I had sworn to myself I wouldn’t tell. But here you come, with your big eyes and your grand words. And it’s just gonna be hours of beating around the bush till you get answers, innit? Hell, I’m too bloody exhausted for that. » Elle lui sourit, ses traits empreints d’une infinie douceur malgré l’immense fatigue qui les tire. Puis un sourire émerge, illuminant ce moment suspendu, « And I’m not a terrible liar. I just could never lie to you. »

Alors elle s’appuie sur le dossier du divan, sa tasse encore entre les mains, cherchant dans le liquide translucide de l’Earl Grey les réponses au millier de questions laissées en suspens entre elles. « I’m ill. » Les morts sortent comme balle, éclatant le silence et la laissant sidérée. C’est la première fois qu’elle le dit tout haut, et elle a l’impression de l’avouer autant à Klara qu’à elle-même. « It’s – it’s weird, it’s the first time I’m really saying it out loud. » Elle n’a pas remarqué le tremolo incontrôlable dans sa voix qui s’enroue. Elle pose sa tasse et regarde Klara droit dans les yeux, les siens trahissant un million de peurs enfouies alors qu’elle force un murmure enroué, « I’m dying, Klara. And there isn’t much I can do about it. »

codage par aqua

« Come now, love! I’m already your part-time housewife. » Malgré ton agacement, et ta patience qui s’est fait la malle, tu esquisses un sourire. Elle n’a pas tort. Elle est à peu près la seule raison qui fait que tu as une alimentation plus ou moins saine – parfois, du moins. Quand tu fermes les yeux un peu trop longtemps, tu ne peux d’ailleurs t’empêcher d’imaginer Lila à la tête d’une famille nombreuse, entourée de mini versions d’elles qui t’appelleraient Auntie Klara.

« Oh, Klara, as if you could ever lose my trust. Truth is, I’m afraid I may lose yours, if I haven’t already » Tes sourcils se froncent. Tu ne comprends pas, elle t’a perdue. Tes doigts fins enserrent ta cheville alors que tu invoques un effort surhumain pour ne pas surenchérir et dominer la conversation. « It’s funny, you know. I had sworn to myself I wouldn’t tell. But here you come, with your big eyes and your grand words. And it’s just gonna be hours of beating around the bush till you get answers, innit? Hell, I’m too bloody exhausted for that. » Tu ne peux pas la contredire. C’était exactement ton plan en tambourinant à la porte. Ne pas quitter l’appartement sans réponse, même si ça doit te prendre des années. Quelque part tu es contente de voir qu’elle se résigne si vite, facilitant ton combat. Mais tu as aussi l’impression que ça prend des proportions que tu n’avais pas envisagées. Tu pensais qu’elle te parlerait d’une offre d’emploi, de problèmes sentimentaux, enfin quelque chose de gérable. Et là, tu ne sais plus. « And I’m not a terrible liar. I just could never lie to you. »

« I’m ill. » Tu ne peux cacher la surprise, furtive dans ton regard. « It’s – it’s weird, it’s the first time I’m really saying it out loud. » Partagée entre l’inquiétude, celle de comprendre ce qu’elle te dit, et ton désir profond de tout contrôler, de tout arranger, tu te mets à parler à toute allure : « It’s ok, you can take a bit of time off, we’ll figure things out for the shop… Just get a bit of rest and…  » Tu t’arrêtes net en croissant ses prunelles. « I’m dying, Klara. And there isn’t much I can do about it. » Tu ne la laisses Presque pas terminer sa phrase et t’écries, perçant la quiétude des confidences nocturnes : « No you’re not ! » Le déni d’une enfant rosit tes joues et assombrit tes iris. Comme souvent, tu manques de cette empathie cruciale qui motiverait ta retenue. Tu n’as pas conscience de la violence de ta réaction et de la douleur que celle-ci peut provoquer. Viscérale et égoïste, à quoi peut-on s’attendre d’autre quand on te fait gardienne d’un secret ? « I know dead. I know dying. This is not it. » Tu as déjà perdu tous ceux qui partageaient le moindre fragment d’ADN avec toi, raison peut être pour laquelle tu as préféré te raccrocher à celles d’un autre sang. Tes parents, envolés avec la fumée d’un hélicoptère. Ta grand-mère, partie avant que tu n’aies pu arriver. Mais ce sont les six mois passés au chevet de ton grand-père qui ont laissé ce goût amer dans ta bouche et cette peur indélogeable au fond de ton estomac. Donc tu la connais, la mort, tu la tutoies même. Tu reconnais l’odeur putride qu’elle laisse partout où elle passe, et la vase poisseuse de regrets qu’elle dépose sur tout ce qu’elle touche. Et Lila, elle sent les fleurs qui éclosent, l’orée des bois et le thé à la bergamote, elle est immunisée, évidemment.  « Why would you even say that ? » A t’entendre, on pourrait presque croire que tu lui en veux, que tu lui craches des reproches au visage. Grattez seulement la surface, et vous trouverez une panique profonde, à vif.