La meilleure pâtissière de L.A? -Alyssa

La boutique d’Alyssa est officiellement ouverte. Depuis le 1er mai, précisément. Un début de mois qui sonne comme un nouveau départ. Un nouveau chapitre commence, et c’est à elle d’écrire la suite du livre de son existence. Cela commence par ce changement de statut, celui de propriétaire d’une boutique, et chef pâtissier des lieux. Le stress des dernières semaines s’est amoindri, mais il est encore là. L’inauguration n’a fait qu’ouvrir un peu la vanne pour relâcher la pression, sans pour autant faire disparaître l’anxiété de la jeune femme. Elle a beau connaître son sujet, avoir toutes les cartes en main pour mener à bien ce projet, il est normal de ressentir un poids sur ses épaules. Les affaires fonctionnent depuis la dizaine de jours d’existence. La personne en charge de la publicité et du marketing a merveilleusement fait son travail. Toutefois, il ne faut pas se reposer sur les lauriers. C’est l’attrait de la nouveauté qui fait ça. Dès que le soufflé sera retombé, il est possible d’aller droit dans le mur. Une perspective effrayante, qui fait peur à Alyssa, mais son optimisme naturel l’aide à garder le sourire, et à ne surtout pas penser au pire. À savoir qu’elle pourrait rejoindre la longue liste des établissements qui ont essayé, mais qui n’ont pas réussi à prospérer. Épicerie. Restaurant. Pâtisserie. Qu’importe ce que l’on vend, le challenge est toujours énorme. Surtout dans une ville aussi vaste, où la concurrence est rude.

Aujourd’hui est un jour assez calme. Rien d’extraordinaire ou d’alarmiste, il y a des moments plus intenses dans une journée. À l’heure du déjeuner par exemple, à la sortie des écoles ou en fin de journée. Pour l’instant, c’est calme. Un “temps mort” qui permet à Aly de remettre un peu de choix dans les vitrines. Pour une fille qui aime cuisiner, elle est servie. Elle passe littéralement ses journées dans l’arrière cuisine, afin de toujours avoir un minimum de produits à proposer à ses clients. Sa dernière fournée placée dans la vitrine réfrigérée, la brune retourne en cuisine pour déposer le plateau. Il ne faut pas longtemps avant que le petit son signifiant l’arrivée de quelqu’un se fasse entendre, dans la boutique même. Sa vendeuse n’étant pas là, mais en pause, Aly sort de la cuisine pour s’en occuper elle-même. Elle n’a aucune connaissance dans la vente, mais elle sait s’en sortir un minimum. Après tout, elle connaît ses créations. Elle est la mieux placée pour en parler, et les vendre, quand il le faut. C’est avec un large sourire qu’elle apparaît dans la boutique, où une jolie rousse vient d’entrer. La jeune femme prend immédiatement la parole, et décline son identité. Brianna. D’accord. Alyssa ne connaît personne de ce nom, et n’a pas souvenir d’avoir l’un de ses contacts professionnels prénommé ainsi. La rousse ne s’arrête pas là, l’informe de son statut de joueuse dans l’équipe des LA Striker. C’est pour cela que le prénom ne dit rien à la Baker. Elle suit un minimum l’actualité sportive, mais n’est pas calée pour les noms des joueurs ou des joueuses. La suite par contre parvient à lui faire perdre son sourire de politesse. La dégustation ? Quelle dégustation ? Malgré ses efforts, la surprise et l’incompréhension doivent s’afficher sur son visage. Pourtant, elle essaye de se ressaisir. Elle remet un sourire sur son visage, et fait un pas vers elle, avec une main tendue pour la saluer. « Enchantée Brianna. Je suis Alyssa, la gérante de la boutique. » Autant commencer par le commencement. Les présentations sont faites. Maintenant, ce serait pas de comprendre ce qu’est cette histoire de dégustation. « Ma question va vous paraître étrange mais… quelle dégustation ? » Aly fait de son mieux pour détendre l’atmosphère, notamment avec un petit rire qui s’échappe de ses lèvres, bien qu’un poil nerveux. En parallèle, l’activité de son cerveau s'affole. Elle cherche dans sa mémoire, essaye de visualiser son agenda mais la vision est claire, car elle date du matin même : une journée ordinaire sans rendez-vous. Et même en feuilletant de façon imaginaire les pages de l’agenda, Alyssa n’a aucun souvenir d’une quelconque dégustation organisée. Il y a bien le rendez-vous avec Roxana, en prévision de son mariage, mais c’est tout.

Alyssa pensait être en présence d’une simple cliente, comme il en défile dans sa boutique depuis l’inauguration des lieux. Or, après quelques secondes à peine, la brune constate qu’il y a méprise, ou un quiproquo. Brianna n’est pas une cliente ordinaire, c’est une joueuse professionnelle des L.A Striker, et si elle est dans la pâtisserie d’Alyssa, ce n’est pas pour acheter un encas, mais pour assister à une dégustation. Jusque là, il n’y a rien d’anormal, c’est courant dans les établissements culinaires de faire des ateliers, des mini dégustations pour se faire connaître et donner envie d’acheter. Malheureusement, la gérante n’est pas au courant. Elle est (presque) la seule à décider de son emploi du temps, et des événements à côté. Et, elle est catégorique, rien de ce genre n’était prévu dans la journée, ou le restant de la semaine. Il y a une erreur, c’est certain. Par chance, la jolie rousse est en possession de l’invitation qui stipule qu’elle devait venir aujourd’hui. Si cela se trouve, la joueuse a mal lu la date, c’est pour le mois prochain, ou quelque chose comme ça. Mais en prenant le téléphone dans ses mains, Alyssa ne peut que constater que la date inscrite sur le mail est celle du jour. Comment une telle bourde a pu se produire ? C’est Brianna qui donne la réponse à la jeune femme, quand elle donne la description de la personne à l’origine du concours. Un sourire mitigé, mi figue mi raisin, s’installe sur les lèvres d’Alyssa, qui redonne l’objet à sa propriétaire. Nul besoin de chercher plus loin, il y a eu un couac dans la communication entre elle et l’homme qui gère le marketing de la boutique. « Oui, j’ai engagé quelqu’un sur les recommandations d’une personne fiable. Ce mec est bon, il connaît son taff, et il a su capter ma vision des choses. Mais il s’emporte un peu, et semble oublier de me prévenir, ou alors au dernier moment. C’est pratique. » Il va falloir qu’Aly touche deux mots à son homme, une discussion dans le blanc des yeux. S’il souhaite continuer de travailler pour elle, il ne va pas devoir reproduire cette erreur, car c’est elle qui passe pour une incapable, une énième fille qui a voulu tenter l’aventure et qui va se ramasser. Et ça, ce n’est pas prêt d’arriver. La Baker va réussir, percer dans le milieu, se faire un nom. Un jour, son nom sera connu par delà les océans, jusqu’en Europe ! Elle aimerait tellement faire comme les grands chefs, ceux qui peuvent ouvrir plusieurs boutiques, et faire connaître leur art sur plusieurs continents. D’abord l’Amérique, avec Los Angeles. Peut-être l’Europe avec la France, là où de grands pâtissiers sont. Pourquoi l’Asie. Au Japon par exemple, les mets à connotation française plaisent beaucoup. De beaux rêves, qui mettront -ou non- plusieurs années avant de se réaliser.

Le mystère résolu, Brianna propose - ou impose presque - à la pâtissière d’oublier cette histoire de concours. Sérieusement ? Elle lui demande des conseils, le regard tourné vers les vitrines garnies. La rousse observe, arpente la boutique à la recherche de ce qui lui fera le plus envie. C’est le genre de réaction qu’Alyssa espérait en ouvrant l’établissement. Offrir du choix, pour créer l’hésitation et l’envie de revenir pour tester tous les produits proposés. C’est un sentiment plaisant, elle ne peut le nier, mais elle n’est pas d’accord avec cette proposition. « Hors de question d’oublier. Vous avez gagné un concours, vous méritez d’avoir la récompense ! » Ce serait terriblement frustrant sinon. Cette excitation que l’on ressent dès qu’on comprend avoir gagné quelque chose, pour ne rien avoir à la fin, juste une vulgaire annulation ? Impossible. Pas venant d’Alyssa. Elle s’empresse donc d’aller vers la porte d’entrée pour retourner l’écriteau, passer de Open à Closed, pour signifier que c’est fermé. Ça ne le restera pas longtemps, car sa vendeuse devrait bientôt revenir de sa pause. Elle pourra prendre le relai sans problème. Après tout, elle est payée pour ça. Une fois fait, elle se retourne vers Brianna, un charmant sourire aux lèvres. « Je vais devoir improviser, donc j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. » dit-elle, avant qu’un rire amusé ne s’échappe de ses lèvres. C’est la première fois qu’elle se retrouve dans une telle position, à devoir improviser une récompense de concours, alors que l’idée ne vient pas d’elle. Mais ce n’est pas grave, c’est un bon entraînement. Une situation complexe qui se présente à elle, et il lui faut réagir vite mais correctement pour la régler. « Je peux vous proposer plusieurs choses, et vous laissez choisir ce qui vous emballe le plus, d’accord ? Nous pouvons passer dans l’arrière cuisine pour un cours de pâtisserie, et vous pourrez ainsi repartir avec vos créations. Ou bien sélectionner plusieurs mets pour une dégustation, comme c’était prévu à la base. Ou même réfléchir ensemble à quelque chose qui n’est pas proposé actuellement, le créer et le proposer à la vente. Vous pourriez avoir une pâtisserie à votre nom, ou au nom de votre équipe. » Alyssa est plutôt fière d’elle, car les idées se succèdent dans son esprit. Elle n’était pas préparée à ça, mais elle s’en sort plutôt bien. Ses anciens patrons seraient fiers d’elle. Fiers de l’autonomie qu’elle a acquis, des initiatives qu’elle sait prendre, grâce à leurs enseignements. Maintenant, plus qu'à espérer que Brianna accroche avec l'une des idées.

Si Alyssa en juge par les mots de la jeune sportive, le manque de communication dans le milieu professionnel n’est pas si rare. C’est quand même un comble, quand on sait que c’est la tâche principale. C’est comme si la brune ne savait pas faire une recette de gâteau correctement, alors que c’est la base de son métier. Tant pis. Cet incident n’est pas assez important pour mettre à mal l’humeur de la jeune gérante. Par ailleurs, cette collaboration ne va pas s’éterniser. Elle avait surtout besoin de lui pour le lancement de la boutique, pour faire de la publicité, des événements exceptionnels pour faire connaître les délices d’Aly. D’ici quelques semaines, Aly espère être en mesure de s’en sortir toute seule, grâce au bouche à oreille, et à son bagout légendaire. Le jeune homme pourra retourner s’occuper de ses autres clients, et faire des bourdes du même genre loin de la brunette. En attendant que ce jour arrive, la gérante compte bien rattraper comme elle le peut cette erreur, même si ça signifie devoir improviser quelque chose sur le moment, sans rien avoir préparé à l’avance. L’exercice est un peu effrayant, mais la Baker est prête à relever ce défi ! Ce genre de challenge est dans ses cordes. Quand elle était simple apprenti, elle a déjà dû faire face à des petits défis comme celui-ci. Arriver un matin, avec des ingrédients sur le plan de travail, et devoir improviser une recette. Pas n’importe quoi, il fallait que le résultat final ait de l’allure, soit apte à figurer sur la carte d’un restaurant ou d’une boutique, et surtout, soit bon ! Que ce soit joli est un plus, mais si c’est ignoble en bouche, il n’y a plus aucun intérêt. Ça en revient à faire du gachis alimentaire.

Sa cliente du jour, ou plutôt la gagnante, n’est pas du tout contraignante. Alyssa a beau insister pour honorer la part du contrat, il semblerait que Brianna ne soit pas si vénale que le commun des mortels. Non pas que la brune juge au premier regard, c’est juste qu’il est rare de refuser une chose quand elle est gratuite, comme c’est le cas actuellement. Ce détail passé, et la boutique fermée temporairement pour avoir le temps libre nécessaire pour donner toute l’attention à la sportive, Aly énumère plusieurs idées qui lui passent par la tête. Cela passe par la simple dégustation de produits que l’on peut trouver dans la boutique, à un cours de cuisine personnalisé ou même l’invention d’un nouveau dessert qui pourrait porter le nom de la jeune femme ou celui de son équipe. Il y en a un peu pour tous les goûts, afin de laisser le choix à la rousse, selon ses envies, ce qu’elle peut aimer faire en dehors des terrains de sport. Et c’est sur la dégustation que son choix se porte, fortement aiguillé par des talents culinaires presque inexistant, ainsi que le péché capital de la gourmandise prononcé chez elle. « C’est presque impossible de rater une recette s’il y a un chef à côté. Sinon, c’est un degré de médiocrité très élevé. Mais pas de soucis, va pour la dégustation ! Comment résister, de toute façon. »  Sans forcément mettre de côté sa passion pour la pâtisserie, Alyssa ferait le même choix que la jeune femme. Avoir l’occasion de déguster plusieurs desserts, sans devoir les acheter, c’est une occasion en or, à ne pas manquer. Que ce soit pour assouvir le trait de gourmandise, comme de découvrir des mets qu’on n’a pas l’habitude de manger. Elle laisse d’abord Brianna observer ce qui est présenté dans les vitrines de la boutique. Le choix est assez large, c’est volontaire de la part de la Baker. Risqué, surtout quand on vient d’ouvrir la boutique, mais son imagination est si grande que la brune devait l’exploiter, en proposant une large gamme de choix. « Une spécialité ? » Aly est prise de court. Elle n’a jamais songé à mettre en avant un produit en particulier, quelque chose qui serait sa marque de fabrication. Toutefois, il y a bien quelque chose qui sort du lot. Alors, elle passe derrière les caisses, afin de sortir quelques mets. Elle place le tout sur un plateau, et avant de retourner dans la salle, récupère une paire de couverts pour permettre à Brianna de déguster les pâtisseries. La particularité des lieux, c’est qu’à l’opposée de la boutique est aménagé un coin avec des tables et des chaises, afin de permettre aux clients qui désirent consommer sur place de le faire. C’est dans ce coin qu’Aly se dirige, non sans faire signe à la sportive de la suivre pour s’installer à l’une des tables, où elle dépose le tout. « Pour le chocolat, je propose un éclair au praliné. Le goût est assez subtil, mais ça semble déjà plaire. Pour les fruits rouges, un classique. J’ai cru voir vos yeux loucher sur la tartelette aux framboises, donc la voici ! Et en ce qui concerne ma spécialité, j’en ai pas. Mais j’ai une affection pour les agrumes, alors je vous propose cette tartelette au citron yuzu. Si vous aimez ce qui a du peps, vous devriez trouver votre bonheur. » Aly a pu faire goûter cette petite création à plusieurs personnes de son entourage, et les retours ont toujours été positifs. Elle espère que ça sera de même avec cette potentielle cliente. Dans le cas contraire, la brune n’a plus qu’à croiser les doigts que l’un de ses autres choix éveille les papilles de la joueuse des L.A. Strikers.

« C’est vous qui êtes en train de me mettre au défi. Je suis presque tentée de vous proposer de revenir ultérieurement pour un cours de cuisine personnel. Même en dehors des horaires d’ouverture de la boutique, pour vous prouver que vous pouvez réussir quelque chose si je suis à vos côtés. » Alyssa ne se considère pas comme une magicienne. Soyons réalistes, elle ne fait pas de miracles. Si quelqu’un est extrêmement nul en cuisine, malgré toute la bonne volonté, ce sera difficile d’arriver à quelque chose de potable. Mais les quelques années d’expériences dans les plus belles cuisines de New-York lui font croire qu’elle possède la bonne pédagogie pour apprendre aux autres ce qu’elle sait faire. Elle n’est pas du genre à s’énerver à la première difficulté. Au contraire, elle sait garder un calme olympien, même si tout est en train de s’écrouler autour d’elle. Alors, même si Brianna se pense pas capable d’arriver à quelque chose de bien en cuisine, Aly est certaine de pouvoir lui prouver le contraire. Ce n’est pas une obligation, mais la proposition pourrait bien devenir sérieuse si cela intéresse la jolie rousse. Bien que pour l’heure, ce soit la dégustation qui l’intéresse davantage qu’un cours de cuisine. Excellent choix. Ce serait un crime de passer à côté. « Sage est le grand Oscar Wilde. » dit-elle en adressant un clin d’oeil à la jeune femme, avant de passer du côté professionnel de la boutique, là où se trouve les mets proposés aux clients. Oui, c’est un grand homme, à qui l’on doit de multiples citations, toutes plus belles les unes que les autres. Un vrai poète, qui savait trouver les mots pour charmer les femmes. Comment ne pas succomber face à ceci : les femmes sont faites pour être aimées, pas pour être comprises. Il y en a bien d’autres. Célèbres ou non. Ça donnerait presque envie à la jeune femme d’aller après sa journée dans la librairie la plus proche pour chercher un recueil le concernant. Non pas qu’elle soit très romantique, mais c’est de la culture générale après tout.
Les gâteaux choisis sur un plateau, la gérante se rend dans l’espace aménagé pour les clients, aux côtés de son invité surprise. Elle dispose face à elle ce qui lui a tapé dans l’oeil, pour débuter cette dégustation improvisée. Éclair au chocolat. Tartelette à la framboise. Et la tartelette au citron qu’elle a créé de toutes pièces, il y a quelques semaines déjà. Du classique amélioré. De la fraîcheur. Et du peps. De quoi ravir les papilles de la joueuse de soccer, surtout si elle est gourmande de nature. « Moi aussi. J’adore les agrumes en général, mais particulièrement le citron. Que ce soit en salé qu’en sucré en fait. Heureusement que j’ai un bon estomac pour supporter l’acidité ! » Ce serait une tragédie de ne pas pouvoir assouvir cette fascination pour l’agrume. Encore plus pour son métier, car ne pas supporter un aliment aussi commun, ce serait handicapant pour goûter ses préparations. Elle touche du bois, car à ce jour, Alyssa n’a aucune allergie connue. Elle peut aller les yeux fermés sur le chemin de l’inspiration et de la folie créative. Un sourire se forme sur ses lèvres quand elle entend le premier compliment de Brianna, au sujet de l’éclair. Le pari est risqué, c’est un goût qui peut surprendre et déplaire, mais visiblement, ce n’est pas le cas de la joueuse. Premier bon point. Elle croise les doigts pour que la suite se passe aussi bien. Ce qui est le cas. Nouveau compliment. La pâtissière ne peut qu’être ravie de cette réaction, et confortée dans son idée d’ouvrir sa propre boutique. Certes, l’avis de Brianna est isolé, ne représente pas forcément la majorité mais c’est un bon début. Il rejoint celui des personnes qui sont déjà venues pour acheter quelque chose. Surtout que certaines sont revenues plus d’une fois. C’est bon signe. « J’en suis ravie. C’est la preuve que je n’ai pas été aussi indisciplinée que ça durant mes cours de cuisine ! » Elle l’a été quelques fois. Bon, souvent. Mais c’était au début. Quand il y avait cette insouciance, cette envie d’envoyer balader l’avenir, malgré cette passion pour la pâtisserie. Et puis les années sont passées, l’assiduité s’est installée, et l’excellence à pointé le bout de son nez. Aujourd’hui, elle est fière de dire qu’elle a écouté et retenu les conseils de tous les chefs qui l’ont coaché lors de ses formations. « Vous voulez une boisson chaude pour accompagner tout ça ? Café, chocolat, thé ? » Car il faut bien se l’avouer que ça passe mieux d’avoir un truc à boire à côté. D’autant plus si c’est une boisson chaude. Chose qu’Alyssa peut offrir à Brianna, si elle le désire. Il y a tout ce qu’il faut dans la boutique pour.

C’est dommage de voir quelqu’un se dévaloriser de la sorte. Alyssa, elle est persuadée que cette jeune femme pourrait faire des miracles, avec l’aide de quelqu’un à ses côtés. La cuisine, ce n’est pas aussi compliquée que ça en a l’air. Certes, en pâtisserie, il faut faire très attention aux dosages. Il est hors de question d’user du pifomètre, comme aiment faire certains amateurs. Il faut peser les ingrédients, prendre soin de suivre les recettes à la lettre, dans le bon ordre, respecter les températures… Oui, il faut pour une fois être attentif. Sur le papier, ça semble être ennuyeux, mais le résultat vaut les efforts. Rien de tel qu’un gâteau tout juste sorti du four, nappé de crème anglaise ou surmonté d’une boule de glace. Tant pis. La rousse ne savait pas ce qu’elle manquait. Pour l’heure, Alyssa devait réussir à faire de la bonne publicité à cet endroit, et pour cela, elle devait gérer la dégustation comme une pro - ce qu’elle est, évidemment. Toutefois, elle ne peut retenir un sourire mi amusé mi attendri, quand Brianna lui demande qui est Oscar Wilde. La claque est un peu douloureuse, ça lui rappelle que la trentaine se rapproche d’un pas certain, mais elle va prendre sur elle. « C’est un écrivain, romancier, dramaturge et poète. Il est surtout célèbre pour de nombreuses citations mondialement connues. Dont celle-ci : le seul moyen de se délivrer d’une tentation, c’est d’y céder. Résistez et votre âme se rend malade à force de languir ce qu’elle s’interdit. » Il y a de quoi draguer avec d’aussi belles paroles, n’empêche. Dès que le rythme sera un peu plus calme à la boutique, et pour faire passer sa rupture récente, Alyssa devrait songer à puiser dans les références des grands auteurs. Ça pourrait faire un petit effet sur la gente féminine. Euh, masculine. Mas-cu-line. Les pensées parasites misent de côté, la jeune femme se concentre sur la tâche suivante : faire plaisir à son invitée. Et ça semble fonctionner. Déjà, Alyssa a fait de bons choix comme propositions. C’est un bon début. Surtout que tous semblent être du goût de la joueuse professionnelle. C’est un carton plein. « Oui c’est ça. Le citron avec du poisson, c’est un grand classique. Mais il peut y en avoir dans certains plats, comme les tajines. C’est très bon avec du citron confit, par exemple. » C’est celui-ci qui lui vient en tête sans trop réfléchir, mais il doit y avoir de nombreux exemples pour aller dans le sens de son idée. Pour l’heure, Alyssa était ravie et flattée de constater que son travail était récompensé. Comment ? En voyant la joueuse de soccer se régaler. Elle le sait grâce aux compliments qui lui sont adressés, et simplement en l’observant. C’est difficile de feindre l’adoration d’un plat quand le goût ne passe pas. La Baker connaît bien ça. Durant les longues années d’apprentissage, elle a essuyé plusieurs échecs alimentaires. Certes, c’est difficile à encaisser, surtout au niveau de l’égo, mais avec un peu de recul, ça permet d’avancer, de s’améliorer. Pour faire perdurer ce moment, la gérante propose à la jeune femme une boisson chaude, si elle le désire. Le chocolat chaud fait écho dans ses oreilles, alors c’est avec un sourire aux lèvres qu’Alyssa s'exécute. Elle retourne vers la partie boutique, où elle retrouve avec soulagement son employée, qui a terminé sa pause. Toutes deux échangent quelques mots le temps de faire la boisson chaude, puis Alyssa revient vers Brianna. Elle pose la tasse fumante près d’elle, sur une soucoupe où y est déposé cuillère et sachet de sucre si besoin. « C’est très récent, depuis le 1er mai. Je vivais à New-York avant, même si je suis originaire d’ici. J’y suis allée pour mes études, et puis mes formations. Finalement, j’y suis restée plus longtemps que prévu, car j’avais des opportunités, mais quand j’ai voulu sauter dans le grand bain et me lancer dans le projet fou d’ouvrir ma boutique, j’ai préféré revenir par ici pour le faire. Je suis plus proche de ma famille comme ça, et puis le cadre est nettement plus agréable avec l’océan, le soleil toute l’année.. » Entre la Grosse Pomme et la cité des Anges, la question ne se pose pas. Le cadre presque vacancier d’ici fait plus envie que les buildings de New-York. Outre ça, la case famille est importante, tout comme la présence de son meilleur ami ici, bien que ce dernier soit actuellement dans le coma, depuis très longtemps, à cause d’un accident de la route. « À quel moment on décide de devenir joueuse dans une équipe professionnelle ? Car je suppose que c’était une passion à la base. Donc c’est quoi l’événement ou le détail qui a fait que… c’était la voie que vous vouliez prendre ? » Alyssa est curieuse. Ce n’est pas une grande sportive, elle aime se dégourdir les jambes ou aller courir sur la plage avec son chien. Elle se demande comment on peut décider du jour au lendemain d’aller vers le monde sportif, plutôt qu’un travail relativement sûr. Car il ne faut pas oublier que dans ce monde, il suffit d’une blessure grave, une mauvaise chute par exemple, pour mettre fin à une carrière, peu importe l’âge.

Ce moment en compagnie de Brianna n’était pas prévu dans la journée initiale d’Alyssa, mais comme le destin en a décidé autrement - et elle peut remercier l’homme qui se charge de la com’ de la boutique, autant en profiter pour faire la discussion. La principale mission de la Baker est de faire des pâtisseries qui donnent envie au premier coup d’oeil, qui soient bonnes à la dégustation. Si elle juge les expressions de la rousse, et ses compliments, c’est pari gagné pour cette partie. Cependant, elle ne faut pas délaisser la communication, la bonne impression qu’elle pourrait laisser à la jeune femme. Si elle se sent bien, qu’elle voit d’elle-même que l’accueil est chaleureux, il y a de plus grandes chances qu’elle revienne d’elle-même, comme cliente, et non comme une gagnante de concours. C’est pour cela qu’Alyssa prend le soin de répondre aux questions qu’on lui pose. Cela commence par la date d’ouverture de ces lieux, et également une partie de son parcours, qui explique le cheminement. Grâce à ça, elle découvre qu’elle a des points communs avec la joueuse, à savoir qu’elles ont toutes les deux été dans la belle ville de New-York. « Sérieusement ? Le monde est petit. Et je constate que vous êtes aussi revenue sur Los Angeles par la suite. Comme quoi, c’est pas si difficile de délaisser New-York ! » C’est même assez facile en fait. Certes, ce n’est pas sur la même côte. New-York étant à l’Est quand Los Angeles est à l’Ouest. En fait, ça change du tout au tout. À New-York, le paysage est surtout composé de building, de bitume, d’agitation du matin au soir. Ici, il y a l’océan pas très loin, des palmiers, et le soleil presque toute l’année. C’est comme être en vacances sans sortir de la ville. Le cadre est plus reposant que dans la Grosse Pomme. Moins stressant. Alyssa pose à son tour une question à la jeune femme, au sujet de sa carrière, et des éléments qui ont déclenché ses décisions. Comme elle s’en doutait, la passion y est pour beaucoup. C’est souvent le départ d’une grande carrière. Mais pas que. « Je crois que c’est un sentiment assez récurent, chez les personnes qui s’investissent dans leur carrière. À force d’être focalisé sur un point, la vie privée à côté devient… terne ? Et, je ne sais pas pour vous, mais c’est presque l’impression de foirer sa vie en dehors du boulot. » Aly n’irait pas jusqu’à dire que c’est ce qu’elle ressent vis à vis de sa propre vie. Mais c’est vrai qu’elle prend plus de plaisir dans son travail qu’en dehors. Il faut dire qu’elle repart de zéro ici. Elle a délaissé cette ville pendant longtemps. Ses amis sont surtout à New-York. Ici, il lui reste sa famille, et des connaissances. Ainsi que pas mal d’emmerdes. Si elle n’avait pas eu la malchance de coucher avec la seule fille intouchable de la ville aussi… soit. Ça ne sert à rien de ressasser cette histoire. D’autant qu’elle a rendez-vous avec Roxana d’ici quelques jours, pour parler du dessert de son mariage avec Ryan, le meilleur ami d’Alyssa et futur marié. La question de Brianna tombe à pic, pour effacer de l’esprit les pensées d’Alyssa tournées vers cette blonde captivante. « Quand j’étais petite, j’aimais passer devant les pâtisseries. J’étais toujours les yeux plein d’admiration pour ce que je voyais. Alors ça s’est un peu imposé à moi. Je prends plus de plaisir à créer des desserts que des plats. C’est la dernière chose que l’on mange dans un repas, la dernière note. Ce n’est pas rien. Bon ça met la pression aussi, mais j’aime ressentir cette pression. » Heureusement d’ailleurs. Si elle ne gérait pas cet aspect, et perdait ses moyens dès le premier stress, jamais elle n’aurait pu aller aussi loin dans ce métier. C’est cru à dire, mais il faut avoir des couilles pour faire ce boulot. Et visiblement, Aly en a une bonne paire. En voyant le regard un peu insistant de la jeune femme, Aly ne peut s’empêcher de sourire, sans pour autant faire de commentaire. Professionnalisme avant tout. Elle sait qu’elle a décidé avec elle-même de mettre cette histoire avec Roxana de côté, pour ne pas gâcher le mariage, ni son amitié avec Ryan, mais il ne faudrait pas commencer à avoir des regards insistant sur les clientes, non ? N’empêche, Brianna est super jolie. Une belle rousse bien proportionnée. Stop Aly. « Et en dehors du soccer, vous êtes également étudiante ou bien vous avez terminé vos études ? » C’est pas forcément la bonne tactique que de poser des questions personnelles à la jeune femme, mais c’est trop tard. C’est la première qui lui ait passé par la tête. Alyssa se dit qu’une carrière sportive doit être assez prenante pour suivre des études en même temps, mais comme elle n’a jamais été confrontée à cette situation, elle n’en mettrait pas sa main à couper non plus.

Sourire amusé, qui se passe de commentaire. Oui, il y a une vie en dehors du boulot. Une vie avec des ami(e)s, une famille, des sorties, des expériences… Une vie mise de côté par Alyssa depuis les dernières semaines, la tête trop prise par la gestion de son futur bébé. Petit bébé qui est bien là, depuis quelques jours déjà, et qui fait déjà la fierté de sa propriétaire. Certes, ce n’est que le début. Les ennuis peuvent lui tomber dessus, au moment où elle s’y attendra le moins. Mais Alyssa n’a pas envie de songer à ça. Elle préfère profiter de l’instant, savourer cet accomplissement, le travail de toute une vie. C’était son projet, depuis plusieurs années, et elle est fière d’avoir réussi à le concrétiser avant l’âge de trente ans. C’est sa passion. Et elle aime la partager avec quiconque le souhaite. À travers les mets qu’elle confectionne dans l’arrière cuisine, ou comme à cet instant en répondant aux questions de Brianna. Alyssa n’a rien à cacher. Elle est prête à répondre à toutes les questions, tant que ça ne concerne pas sa vie sentimentale. Car sur ce point, c’est vraiment pas glorieux. Rien qui nécessite d’être abordé. « Vous ne prenez jamais de dessert lorsque vous allez au restaurant ? Ça alors. C’est souvent ce que les personnes attendent le plus. La touche sucrée, pour clore le repas. » C’est en tout cas ce qu’Alyssa a toujours cru, mais elle se trompait. Même si elle n’est pas difficile, et qu’elle aime manger de tout, la Baker serait du genre à débarquer dans un restaurant et demander le dessert en guise d’entrée. Il y a une discussion qui provient d’un film qui résume parfaitement cette pensée. Ils sont dans un restaurant, et la fille dit au garçon qu’elle souhaite commencer par le dessert. Il lui demande alors si c’est une décision politique, voir une condition médicale qui l’impose. Ce à quoi elle rétorque qu’elle ne voit pas l’intérêt d’attendre, à cause du risque de mourir pendant le repas, avant d’avoir atteint le dessert. C’est amusant comme façon de penser. Un film à voir. De prime abord, ça semble être le genre de film pour les filles, cucu, à l’eau de rose. Mais il y a une belle morale derrière. Sachant que le film se déroule au moment des attentats du onze septembre. Date marquante pour les Etats-Unis.
Alyssa décide d’aborder les études avec la jeune femme, afin de canaliser un peu ses pensées volatiles. La joueuse n’est pas obligée d’y répondre, si elle estime que la pâtissière dépasse la frontière entre la vendeuse et la cliente, bien évidemment. Mais elle réponds. Une réponse assez surprenante, il faut le dire. Quand on voit Brianna pour la première fois, on ne pourrait pas parier qu’elle fait des études en ingénierie. C’est une branche assez intellectuelle, qui serait presque incompatible avec un statut de sportif. Fort heureusement, Alyssa ne se base pas sur les apparences, et sur la première impression. Il faut creuser plus en profondeur pour découvrir quelqu’un. « C’est totalement à l’opposé de votre métier actuel, mais c’est un beau projet. Je suppose que vous avez passer votre enfance les mains plongées dans des moteurs de voiture pour avoir une passion si peu commune ? » C’est pas quelque chose qui se déclare du jour au lendemain, en se réveillant. Surtout pour une jeune femme. Le métier qu’elle vise est principalement constitué d’hommes. Il doit y avoir une histoire derrière dans son enfance, peut-être en rapport avec l’un de ses parents. Un peu comme le frère aîné d’Alyssa, Marlon. Il est journaliste, car il a voulu suivre les traces de leur mère, Scarlett. Alyssa n’a rien contre ça, son frère fait un métier qu’il aime, même si parfois il se met dans des situations dangereuses, à cause de son côté perfectionniste. Tant qu’il ne devient pas comme leur mère sur le plan privé, à se mettre avec quelqu’un, faire sa vie avec pour le tromper et recommencer une nouvelle vie à côté. Pire, refaire des enfants à l’âge d’être grand-mère. « En tout cas, je commence à comprendre pourquoi vous ne voulez pas d’un cours de cuisine avec moi. Une sportive qui n’aime pas prendre de dessert, qui est plutôt passionnée par les moteurs de voiture. C’est quand même un poil vexant pour moi. Vous remettez en doute ma pédagogie. » lui dit-elle finalement, non sans un air de défi sur le visage.