Tightrope (ft. Jay)

Il y avait bien longtemps que tu n’avais pas pris le temps de cuisiner, vraiment. C’est toujours toi qui prépare les repas, à partir d’ingrédients frais et plus ou moins sains, mais depuis quelques années tu te contentes souvent de quelque chose de rapide et assez peu compliqué. Cette fois ci tu as envie de faire un effort, d’abord pour Jay, et puis aussi un peu pour toi. Tu te lances alors dans une entreprise complexe, reproduire un plat de ta grand-mère, en version végétalienne. Autant dire que c’est mission impossible, la cuisine mexicaine s’y prêtant très mal… Malgré tout, à force de recherches google et d’expérimentations, tu penses pouvoir maitriser une version acceptable de tamales.

Ce n’est qu’à la moitié de la recette que tu te souviens, finalement, de la raison qui t’avait poussée à retirer ce plat de ton répertoire. C’est long, tellement long… Mais à force de patience, et au bout de quelques épisodes de podcasts, tu triomphes. Plus qu’… une heure de cuisson à la vapeur. Super. Il ne te faut qu’une dizaine de minutes pour ranger la cuisine et passer le balais, guère plus pour te recoiffer, alors tu entames un pico de gallo. Couper les oignons te fait pleurer. Tu as tout essayé, toutes les astuces de la terre, mais rien n’y fait. Cet exercice a au moins le mérite de t’occuper, hachant menu les tomates, les oignons et la coriandre. Tu as la main légère sur le piment, ne connaissant pas le degré de tolérance de ton invitée du soir.

La sonnette qui te fait sursauter te décroche un sourire, et c’est d’un pas vif que tu files ouvrir la porte en essuyant tes mains sur ton tablier. Aussitôt sa silhouette apparaissant sur le perron, tu sautes dans les bras de Jay, l’enlaçant en disant avec enthousiasme. « Heeeeeeey ! I missed you ! » Les allées et venues de ton amie rythment un peu ton année, mais il est évident que tu préfères quand elle est là. « Come on in ! It’s almost ready. » Tu l’attires à l’intérieur sans cérémonie, et dis, sans t’arrêter de marcher. « I wanted to get some wine, but I read somewhere that not all of them were vegan ? I don’t get it. » Tu es tombée, par hasard, sur un article expliquant le pourquoi du comment certains mouvement vegan rejetaient la plupart du vin traditionnel. Ca t’est passé un peu au-dessus de la tête si tu dois être complètement honnête. Mais, soucieuse de respecter les choix de ton hôte, tu as fait attention. « Anyways, I think this one should be fine, it was recommended on a website. I hope it’s ok ? » Tu lui tends la bouteille, posée sur le comptoir, avant de récupérer le couteau et terminer de ciseler le bouquet de coriandre.

Tu te prépares le sourire aux lèvres. T’as lancé un vinyle d’un vieux groupe de rock, branché tes enceintes et tu te dandines en passant d’une pièce à l’autre. Tu fais des aller-retours dans la salle de bain. En kimono, en sous vêtements, puis en essayant l’une ou l’autre tenue. Ce qui n’est pas retenu est lancé en rythme sur la chaise de ta chambre. Quelques minutes de playback pour le fun. Un fond de vin dans un verre à la main. This evening is a good one ! 
Une fois fin prête, tu te passes une dernière mains dans les cheveux, une seule pulvérisation d’une eau de toilette légère, et pas de maquillage. Tu as constante bonne mine de par ta couleur de peau mais surtout de par ces mois passés au soleil en permanence. Avant de claquer la porte de ton appartement, tu embarques une bouteille de rouge sous le bras droit et un plat de verre à la main.

Le chemin te séparant de la villa de Meg, tu le parcours à pieds. Le long de la jetée, évitant soigneusement le sable, bien que tu aurais adoré y marcher pieds nus. Face à la charmante propriété, ton sourire s’élargit sans avoir même encore franchi le seuil. Tu sonnes. Tu trépignes. Lorsque la porte s’ouvre, ton visage rayonne. « Heeeeeeey ! I missed you ! » Tu serres ton amie de ton bras libre. Bien fort. Tu as toujours donné des embrassades un peu “sportive”. Tu ne peux pas t’en empêcher. Tu es du genre tactile, et lorsque tu aimes quelqu’un, tu ne peux le cacher. “I missed you more blondie !!! God It’s so good to see you !” Tu finis par la lâcher non sans avoir couvert sa joue droite de plusieurs gros bisous. « Come on in ! It’s almost ready. » Tu la suis et refermes simplement derrière toi. Tu connais bien cette maison. Tu t’y sens plus qu’à l’aise et, depuis les années, plus aucun chichi n’est nécessaire entre Meg et toi. “Damn you look good girl ! Have you been working out ?”

Sur le chemin vous menant à la grande cuisine, Meg s’inquiète d’un détail absolument adorable. Le genre de chose auquel personne ne pense. Mais ton amie n’est pas comme tout le monde. « I wanted to get some wine, but I read somewhere that not all of them were vegan ? I don’t get it. » Tu souris en posant le plat en verre sur le comptoir de l’ilot central, ainsi que la bouteille que tu as toi-même apportée. « Anyways, I think this one should be fine, it was recommended on a website. I hope it’s ok ? » Elle te tend la sienne que tu attrapes en parcourant l’étiquette. “Yeah vegans are pains in the ass." Tu ris. "This is so thoughtful ! You’re adorable, thanks ! It’ll be more than fine” Tu reposes ladite bouteille avant d’indiquer “I brought one of my own. But it’s just for you ! Keep it for a great occasion.” Sans vanter quoi que ce soit, tu vas déposer toi même le grand cru français plutôt rare dans le coin bar de la maison. Au retour, tu attrapes ton plat en verre et ouvres le frigidaire : “Can I put this in here ? It’s fresh pastries. I tried my best !” Dis-tu ponctuant d’un petit pouffement amusé.

De retour aux côtés de ton amie éminçant des herbes, tu retrousses tes manches pleine de bonne volonté : “Ok, tell me : what can I do to help and most of all : how are you doing ??” Vous ne vous étiez plus vues depuis près de 6 mois et lors de ton départ, tu savais les choses un peu remuée pour Meg. Bien que sa séparation et son divorce aient été enclenchés depuis un moment, l’officialisation de certaines choses et le passage par la case “paperwork” n’était jamais une véritable partie de plaisir. Tu t’en souvenais d’ailleurs particulièrement bien pour ton cas.

Ta joue, étirée par un grand sourire, est assaillie de baisers. De tous tes proches, Jay est assurément la plus tactile et enthousiaste, ce qui ne te déplait pas. C’est d’habitude toi qui est la personne la plus chaleureuse et affectueuse d’un groupe, un peu de concurrence ne te fait pas de mal. “I missed you more blondie !!! God It’s so good to see you !” Elle est l’une des seules à t’affubler de ce surnom, et si tu protestais au début, tu as fini par t’y faire et l’accepter comme gage d’amitié. Alors que tu l’invites à l’intérieur, plus par formalité que par obligation, elle t’interpelle. “Damn you look good girl ! Have you been working out ?” Tu ris à sa remarque et réponds aussitôt, la plaisanterie évidente dans ta voix : « Mmm… Not since college, I haven’t.  » C’est d’ailleurs assez surprenant quand on y réfléchit. Toi qui étais ce qui est considéré aux États-Unis comme une athlète de haut niveau pendant des années, d’abord au lycée, puis à l’Université, tu as tout laissé tomber quand tu es tombée enceinte, et n’as jamais repris de bonnes habitudes.

Rapidement, tu te laisses emporter par des explications confuses sur la question du vin et des végans. “Yeah vegans are pains in the ass." Tu ris avec elle et te défends, levant les mains en signe d’innocence. « You said it, not me ! » Au fond de toi tu sais que c’est elle qui a raison, mais tu n’as franchement pas l’énergie de te plonger dans une telle entreprise et changer le régime alimentaire de toute la famille, en particulier celui de deux adolescents en pleine croissance. "This is so thoughtful ! You’re adorable, thanks ! It’ll be more than fine” Malgré tout, tu veux faire les choses bien et ne pas la mettre mal à l’aise. Tu sais qu’il peut parfois être difficile de refuser des intentions maladroites, de peur de froisser, alors tu veux t’assurer de faire les choses à la perfection. “I brought one of my own. But it’s just for you ! Keep it for a great occasion.” Tu jettes un coup d’œil à la bouteille qui disparaît aussitôt de ton champ de vision et qu’elle range exactement là où tu l’aurais posée. « Oh, thank you ! » C’est un peu devenu une tradition entre vous, elle disparaît pendant quelques mois et vous reprenez vos habitudes comme si de rien n’était dès son retour, une bouteille de vin plus ou moins exotique en guise de trophée de voyage.

“Can I put this in here ? It’s fresh pastries. I tried my best !” Alors que tu retournes derrière ton plan de travail, elle se dirige vers le réfrigérateur pour y ranger le plat que tu n’avais même pas vraiment remarqué. « If you manage to find a spot, it’s yours !  » Ton frigo, comme à son habitude, est plein à craqué. Tu joues au moins trois fois par jour au tetris pour en extirper ou déposer des ingrédients, alors tu as assez peu d’espoir pour elle. “Ok, tell me : what can I do to help and most of all : how are you doing ??” Tu agites le couteau vaguement dans sa direction, sous un faux-air de menace. « Oh stop it. Will you sit down for once ?  » Non seulement ce n’est pas dans tes habitudes de faire travailler tes invités, mais tu es bien décidée, pour elle en particulier, à lui faire passer une soirée relaxante. Tu la sais toujours par monts et par vaux, jamais une minute pour elle, alors ce soir elle ne pourra pas faire autrement que d’accepter de mettre les pieds sous la table. Reprenant ton sérieux, tu réponds à sa question en haussant les épaules. « Pretty good… Except I feel like I haven’t slept this little since the boys were 2.   »  Mais il n’est pas question de t’apitoyer sur ton sort, une autre fois peut être. « But my life is boring ! It’s you I wanna talk about ! What have you been up to ? When did you land ? »

Meg s’affaire avec habitude dans cet univers qui est le sien. Tu la suis plus posée et t’amuses d’un compliment qui se veut malgré tout sincère. Ton amie ricane préférant la plaisanterie à la flatterie. Classic Meg. « Mmm… Not since college, I haven’t.  » Tu secoues la tête avant de répondre simplement. “Well, whatever you are doing or not doing, it suits you !” Tu aimais charmer, gentiment et sans même t’en rendre compte. C’était le cas depuis ta jeunesse et cela n’était pas toujours pour séduire. Il y avait rarement quoi que ce soit de déplacé ou d’arrière pensée.

Au coeur de la maison dans laquelle tu te sens si bien, vos habitudes et votre dynamique amicale revient vite. Taquineries, plaisanteries, petits cadeaux : la totale ! Autant de routines qui - en contre balance avec tes 6 autres mois de l’année - te font un bien fou. Un retour aux sources nécessaire pour refaire le plein d’énergie. « You said it, not me ! » Tu rigoles tout en t’adonnant à un fameux jeu de logistique dans le frigidaire de Meg afin d’y déposer ton plat. “Jesus ! Are you feeding your family or a pack of wolves ?” C’est sur qu’en comparaison avec le tien : il y avait une différence ! Tu coinces tes patisseries comme tu peux et tentes avec succès de refermer la porte du frigo.

Apres avoir osé proposer de l’aide à ton amie, tu te retrouves un couteau sous le nez. Finement maîtrisé, certes, mais tout de même. « Oh stop it. Will you sit down for once ?  » En un geste de capitulation, mains ouvertes, tu viens finalement faire le tour de l’ilot central pour prendre place assise, juste en face de Meg, sur l’une des chaises hautes. “Blondie got ferocious … Good for you !” Tu te retiens de pouffer, sachant pertinemment que Meg possède tout le tempérament nécessaire pour mener un bataillon d’armée. Elle semble souvent l’oublier elle-même, mes ses proches sont là pour lui rappeler. D’ailleurs, c’est très intéressée que tu lui demandes de te donner des nouvelles. « Pretty good… Except I feel like I haven’t slept this little since the boys were 2.» Non sans surprise, parler d’elle ne lui semble pas une priorité. « But my life is boring ! It’s you I wanna talk about ! What have you been up to ? When did you land ? » . Tu souffles indiquant par là même que tu détestes lorsque Meg se sous-estime comme ça. Tu ponctues d’un regard qui en dit long. Tu sais très bien qu'elle comprendra. Tendant une main vers la pile de petits légumes déjà coupés, tu en voles deux trois morceaux dont l’un que tu croques directement. “Ok, so I wanna know about my friend. Sue me !” Tu lui fais à nouveau les gros yeux avant de reprendre plus sérieusement “Why aren’t you sleeping honey ? What’s happening ?” Tu te souviens de quelques appels derniers où Meg avait brièvement évoqué l’une ou l’autre insomnie mais - bien évidemment - sans rentrer dans les détails. It was about time to change that !  Mais puisque tu la connaissais si bien, tu savais aussi qu’il allait falloir lui en donner un peu à se mettre sous la dent pour qu’elle accepte de se détendre. Avec Meg, c’était donnant donnant. Fair game. “I got here last Friday. So, almost 2 weeks already !” Tu termines ton légume entamé et te perds en pensées. Deux semaines déjà. Tu avais l’impression d’avoir atterri hier seulement. Et pourtant les jours étaient passés sans que tu ne les vois. Tu avais revu Chris, les filles et même … une fameuse surprise dont tu ne te remettais pas encore. Tu évoquerais surement le sujet un peu plus tard, mais tu avais besoin d’encore un peu de temps.

Tu la laisses te complimenter sans protester davantage, bien consciente que tu n’arriveras à rien sur ce front. Tu n’as jamais vraiment décidé de ce que tu pensais de ton apparence. Une seule chose est sûre : ta pudeur te suit toujours comme une ombre, incapable de te laisser tranquille. On flatte régulièrement ton égo et ton apparence, mais tu te demandes toujours quelle est la part de réalité et la part d’intérêt derrière tout cela. Tu supposes que tu as été, jadis, dans un passé lointain, une jeune femme attirante et pleine de vie, mais tu ne sais pas si elle est encore dans le coin ou si elle a déserté depuis belle lurette.

“Jesus ! Are feeding your family or a pack of wolves ?” La reaction typique de toute personne normalement constituée qui ouvre ton frigo. Evidemment, une part de cette opulence peut être expliqué par ton côté sur-protectrice qui veille silencieusement à ce que ta famille ne manque de rien, mais tout de même… « I have two growing boys. And those EAT. » Tu ris. Longtemps persuadée que l’appétit des adolescents n’était qu’un énième cliché, tu as fini par te rendre compte que parfois, les stéréotypes puisent racine dans la réalité. Alors que ton amie tente de se mettre au fourneaux à tes côtés, tu la menaces de ton air le plus intimidant et la forces à reculer. “Blondie got ferocious … Good for you !” Reprenant ton couteau fermement dans ta main, tu lui montre tes crocs, sans réussir à garder ton sérieux.

Tu essayes d’esquiver ses questions en vain. “Ok, so I wanna know about my friend. Sue me !” Un soupir presque inaudible s’échappe de la barrière de tes lèvres. Tu n’as pas forcément envie d’en parler. Pas parce que tu ne lui fais pas confiance ou que tu ne voudrais pas partager ce genre de choses avec elle, mais parce qu’il n’y a simplement rien à dire. “Why aren’t you sleeping honey ? What’s happening ?” Tu es frustrée, et tu n’as pas de réponse à lui fournir. Aucune de vraiment logique, en tout cas. « I don’t know… It’s silly and it drives me mad. I’ve barely had a full night of sleep since Mark moved out… » Les doigts de tes deux mains te suffisent pour compter les nuits qui t’ont offert un véritable repos. « I know what you’re going to say. It doesn’t mean anything. I’m just bad with… change.  »

Tu essayes de détourner la conversation, tant bien que mal, en l’interrogeant sur son retour. En écoutant sa réponse, tu as le malheur d’ouvrir le couvercle de la casserole où cuisent tes tamales. Attaquée par un nuage de vapeur que tu aurais dû anticiper, tu te recules violemment en clignant des yeux. D’un geste de la main, tu dissipes l’air chaud avant de retourner au combat pour vérifier ta cuisson. “I got here last Friday. So, almost 2 weeks already !” Après avoir arrêté le gaz, tu mimes le choc, la bouche grande ouverte et les paupières écarquillées. « Two weeks and I’m only seeing you now ? » Malgré tes mots, elle sait que tu plaisantes et que tu ne lui reprocherais jamais sincèrement de passer du temps avec ses filles avant de t’accorder une soirée. Tu ferais la même chose. « How are the girls ? I saw Em’ the other day, when I was checking on the plants. Gorgeous, as always. »

Vous vous amusez l’une et l’autre de divers détails forgeant votre amitié. Le passé, le présent, vos conditions respectives, ainsi que les jumeaux de Meg s’apparentant visiblement à de vrais “petits ogres”. Vos rires se mélangent et offrent une atmosphère rassurante et enivrante à la pièce. Tu te nourris de ce genre d’instants. De leur simplicité parfaite. De leur effet apaisant sur toi. Meg est ce genre de proche. De celle dont tu ne pourrais pas te passer. Une présence douce et inconditionnelle. Une âme que l’on protège comme un diamant dans son écrin. Ainsi, lorsque la blonde t’avoue, à demi mot, ne plus dormir sereinement, tu t’interdis de laisser passer l’information. Elle tente une esquive - comme à son habitude - mais tu insistes. Loin de toi l’idée de vouloir la mettre mal à l’aise mais tu connais son olympique propension à s’effacer au profit des autres.

La mine de ton amie se chiffonne quelques peu. Plus par empathie qu’effet miroir, la tienne suit le mouvement. « I don’t know… It’s silly and it drives me mad. I’ve barely had a full night of sleep since Mark moved out… » L’info tombe et dans un long clignement de paupières, tu hoches la tête. Lorsque tu redresses le regard, tu entre-ouvres les lèvres pour t’exprimer mais Meg te coupe à la volée, comme ayant miraculeusement lu dans tes pensées. « I know what you’re going to say. It doesn’t mean anything. I’m just bad with… change.  » Tu as refermé ton joli clapet mais la moue que tu arbores parle pour toi. L’espace de quelques minutes, tu lui offres un peu de répit. Un peu de temps pour continuer de tâter le terrain sans la brusquer. Bon, Meg n’était pas un oiseau tombé du lit mais tu n’étais pas là pour en faire ton quatre heure non plus.

Tu observes ton amie s’affairer aux fourneaux et tu ne peux t’empêcher de te sentir bien inutile dans cette cuisine. A la vue de Meg attaquée par la vapeur, tu ne peux réfréner un petit rire avant de t’inquiéter de son état : “Are you ok ? Do you need any help ?” La blonde te lance un nouveau regard de défi et ne voulant pas te retrouver une fois de plus face à la lame de son couteau, tu abdiques : “Ok ok … God you’re stubborn”. Tu reposes ton fessier ayant oser se lever dans l’élan et lui annonce être rentrée il y a maintenant 2 semaines. « Two weeks and I’m only seeing you now ? » Un nouveau rire franc s’échappe de tes lèvres alors que tu complimentes son grossier jeu d’actrice : “What a magnifient Drama Queen you could become. It’s never too late for Broadway, honey !” Alors que Meg se reconcentre sur sa casserole, tu tends de nouveau le bras en chasse d’un second morceau de légume cru. « How are the girls ? I saw Em’ the other day, when I was checking on the plants. Gorgeous, as always. ». Tu souris. Comme à chaque fois que l’on parlait de tes filles. Comme à chaque fois que quiconque les complimentait. Ou comme à chaque fois que tu pensais à elles. “She is, right ?! Maybe I shouldn’t be bragging like that but … oh what the hell ! My babies are perfect !” Nouveau rire alors que tu croques dans le légumes et reprends la parole, bouche un peu plus encombrée : “No but seriously, I think they’re really fine. I can’t believe how Em’ became such an beautiful grown up already. And Lean is … always full of surprises” Tu t’arrêtes là, feintant de garder le sourire le plus éclatant que l’on te connaisse. Tu n’avais pas envie d’évoquer tes récentes découvertes quant à ta benjamine et pas envie de te couper l’appétit si tôt dans la soirée.

Chassant tout ça de ton esprit, tu te redresses un peu sur ton tabouret et viens t’appuyer avec assurance sur tes deux avant-bras posés sur le plan de travail. “Ok. Now that I did my job and answered you very nicely, can we please come back on your insomnias ?” Tu as le regard presque suppliant. Tu inspires lentement et profondément. “It does mean something. You spent a lifetime with that same body next to yours in your bed. It is a change. A huge one. Don’t underestimate your feelings about this” Et Dieu sait que tu savais de quoi tu parlais. Le manque de Chris t’avait noyée dans un tel chagrin que certaines nuits, tu étais persuadées que l’aube ne reviendrait plus jamais. “Are you talking to anybody about this ? Does Lise know ?” Tu savais à quel point leur relation était également proche et indispensable à leur équilibre respectif. Et bien que tu aies tes différents (ressemblant plus à des gamineries) avec la grande blonde, tu respectais ce qu’elle pouvait représenter dans la vie de Meg. Par rapport à toi, elle avait pour elle l’avantage d’être présente 12 mois de l’année.

“What a magnifient Drama Queen you could become. It’s never too late for Broadway, honey !” Tu ris franchement avec elle, sans pour autant arrêter de battre des cils pour lutter contre la vapeur. « Well… I do need a job ! » Ce n’est pas faux. Si tu avais prévu de travailler, enfin,  après la fin du lycée des jumeaux, l’encre sèche au bas des papiers du divorce a quelque peu accéléré le processus. Et Mark a beau te dire de ne pas t’en faire, ce n’est pas juste, pour personne.

Sans surprise aucune, la conversation dérive pour atterrir sur l’un de vos sujets de prédilection : ses filles. “She is, right ?! Maybe I shouldn’t be bragging like that but … oh what the hell ! My babies are perfect !” Clichés ambulants de mamans quadras que vous êtes, vous pourriez parler de vos enfants pendant des heures… Et vous le faites. “No but seriously, I think they’re really fine. I can’t believe how Em’ became such a beautiful grown up already. And Lean is … always full of surprises” Détournant ton regard de tes herbes aromatiques, tu lèves la tête, l’air perplexe. « Good surprises ? » Tu ne sais pas trop quoi en penser. Tu as l’impression qu’il y a une histoire derrière tout ça, mais qu’elle laisse volontairement planer une part de mystère.

“Ok. Now that I did my job and answered you very nicely, can we please come back on your insomnias ?” Tu soupires, comprenant que tu ne réussiras pas à t’en sortir en faisant l’anguille. Tu mimes la protestation mais ne prends même pas la peine de verbaliser ton désaccord, tu gaspillerais des mots pour rien. “It does mean something. You spent a lifetime with that same body next to yours in your bed. It is a change. A huge one. Don’t underestimate your feelings about this” Tout le monde autour de toi semble faire toute une montagne de cette histoire de sommeil, et tu en viendrais presque à regretter ta confidence. Personne ne veut te croire quand tu dis que ce n’est qu’une coïncidence, ou tout au plus une manifestation physique d’un moment pivot de ta vie, mais rien de plus. « There’s no feeling ! » Ces mots, tu ne comptes plus le nombre de fois que tu les as répétés, mais plus tu les entends et plus ils sonnent faux. « I just can’t sleep. » Dans ta tête, c’est simple, c’est mécanique. Un trouble du sommeil, clinique, qui finira bien par passer quand ton corps comprendra qu’il n’a pas le choix et que la situation est ce qu’elle est.

“Are you talking to anybody about this ? Does Lise know ?” Ton coeur s’assombrit un peu face à sa question. Elle doit être inquiète, pour de vrai, pour mentionner le nom de Lise. Tu n’as jamais vraiment compris – ni cherché à comprendre – ce qu’il s’était passé entre elles, mais elles ne sont pas les meilleures amies du monde. « She’s worse than you. » Cette manière qu’elle a de roder autour de toi quand quelque chose ne va pas, comme un vautour. Cette Lise plus proche de la maman poule que du grand méchant loup qui ne se révèle pas au premier venu. « She stays over sometimes. » Quand tu es vraiment à bout et que tu finis par l’admettre. Mais là tu te sens comme au sortir de ces cauchemars que l’ont fait enfant, arrivant à l’école en pyjama et chaussons. La lumière du projecteur est sur toi, et le regard de Jay pourrait te déshabiller qu’il en serait moins invasif. Posant ton couteau pour pouvoir te servir de tes mains et faire des gestes tentant de la convaincre, tu dis, un peu trop vite, un peu trop fort : « But it’s pointless to talk about it. There’s nothing to do beside wait for it to get better. I’m not popping pills again, not since... » Les mots se coincent dans ta gorge. « Last time. » Une part de ta vie que tu lui as toujours caché. Tes yeux qui la fixaient prennent aussitôt la fuite. « Nevermind. »

« Well… I do need a job ! » Tu termines un souffle amusé en secouant légèrement la tête de gauche à droite. Tu connais la propension de Meg à ne surtout pas vouloir déranger. Et cette histoire de boulot, c’est surement un peu pareil. Tu es assez proche de Mark pour savoir que “techniquement” : 1. Il a tout à fait les moyens de continuer à subvenir aux besoins de sa famille. Et 2. Il serait le premier à soutenir son ex-femme dans ses projets les plus fous si celle-ci décidait de vivre un peu pour elle. Cela dit, tu respectes la pensée actuelle de ton amie et lui rappelles au passage que, si tel est vraiment son désir, tu avais quelques contacts pouvant surement lui être utile.

Tu préfères ne pas insister sur ce point. L’importance n’est pas capitale. Ainsi, et comme toujours, vos esprits de mamans gaga dévient sur vos bambins. En l’occurrence, tes filles que tu venais à peine de retrouver. « Good surprises ? » Tu hausses les épaules en guise de seule réponse, ton visage ponctuant le tout d’un timide sourire. Celui de la politesse. De la tristesse aussi, mais tu n’as pas trop envie d’entamer le sujet. Il est bien simple pour toi de repousser certaines informations dans un coin de ton esprit, te focalisant sur Meg uniquement.
Assez vite, tu pointes un détail qui te tracasse. Et plus vite encore, tu te débarrasses des diversions de ton amie afin de creuser quelques peu. « There’s no feeling ! » Point sensible touché. Ce ne sont pas les mots qui te lie disent mais bien le ton et le corps de la blonde. « I just can’t sleep. » Ta bouche se tord, tentant tant bien que mal de se taire.

Tu optes pour une stratégie un peu différente. En réalité, ça sort tout seul. Ton inquiétude est sincère. Tu la sondes et espères entendre rapidement que Meg n’est pas seule à affronter cette situation nouvelle. Tu fais de ton mieux pour être une proche décente et à l’écoute durant 6 mois de l’année, mais tu sais que Lise, elle, ne la quitte normalement pas d’une semelle. « She’s worse than you. » Tu as là toute la confirmation que tu attendais. C’est parfait ! Pour l’amusement et parce que tu ne peux pas t’en empêcher, prenant faussement le premier degré de ce commentaire, tu ajoutes simplement en un haussement de sourcils : “Well yeah, of course she is. That I know … !” Tu souris, préférant rassurer Meg quant à la nature humoristique de tes mots. Tu ne voulais pas qu’elle s’inquiète de vos querelles de gamines maintenant. « She stays over sometimes. » Ton regard s’ouvre un peu plus, doublement satisfaite de cette information. “Ok good ! Very good actually ! I’m happy to hear that.” Un enthousiasme auquel ne se joint pas spécialement la mère de famille. Posant énergiquement son menaçant couteau de tout à l’heure, elle plante son regard dans le tien et s’adonne à quelques gesticulations des mains pour poser ses mots davantage. « But it’s pointless to talk about it. There’s nothing to do beside wait for it to get better. I’m not popping pills again, not since... » Ta silhouette se redresse, se fige. Tes yeux ronds viennent agripper ceux de Meg alors que ceux-ci prennent aussitôt la fuite. “Wait, what now ?!” Surprise certes mais inquiète surtout. Tu te sens te crisper sans pouvoir le contrôler. « Nevermind. » Tu quittes ton tabouret, fais le tour du plan de travail et attrapes doucement ses poignets afin qu’elle oublie de suite l’idée de noyer tout ça ou de s’enfuir loin. “Sorry not sorry. But no. I won’t let this go. When did you ever pop pills ?!” Le son de ta voix est presque tremblant. Et sans que Meg n’ait à répondre, tu te doutes de l’époque où cela aurait pu se passer. Vous ne vous connaissiez pas encore et Meg ne t’en a parlé à demi mot qu’une seule fois. Tu n’avais pas voulu remuer le couteau dans la plaie mais ce soir résonnait en un bien drôle d’écho. “And why are you talking about this again if this is not happening … ?” Souvent le signe d’une envie présente. Le retour d’idées précises. Avant un potentiel passage à l’acte. Tu pouvais remercier Chris pour ce genre d’analyse. Son métier avait, l’air de rien, laissé en toi quelques traces de savoir utiles au quotidien.  

“Wait, what now ?!” Il a fallu que tu en dises trop. Tu t’es laissée emporter, probablement trompée par le naturel et le confort qui règne toujours entre Jay et toi. Tu as oublié de retenir tes mots. Tu as beau essayer de mouliner, de rétropédaler, mais c’est trop tard. Elle se saisit de tes poignets, et tu es coincée. “Sorry not sorry. But no. I won’t let this go. When did you ever pop pills ?!” Tu pinces les lèvres et essaies de la reprendre. « I didn’t. » C’est vrai. Tu as parlé trop vite, tu n’as jamais eu de comportement problématique. Mais ça aurait pu, et tu le sais. “And why are you talking about this again if this is not happening … ?” Tu soupires et la dévisages, comprenant bien qu’aucun échappatoire n’est possible ce soir. « Alright. Sit down. » Tu n’auras pas cette conversation comme ça, sur un coin de plan de travail, entre la tomate et la coriandre. Tu te retournes, sans un bruit, et te rinces les mains dans l’évier avant de les essuyer machinalement contre le tissu de ton tablier, sur tes cuisses. Toujours sans un mot, tu ouvres la bouteille de vin promise à ton amie et vous sers deux verres.

« It was a few years before we met. » Tu commences ton histoire dans le plus grand des calmes. Tu ne sais pas si ça va durer d’ailleurs, tu n’en parles jamais, donc tu n’as aucune expérience. Pour l’instant tu te sens sereine. « Lex had just turned 2, and I was pregnant with another girl. » Facts, just facts. Ca tu peux le faire, n’est ce pas ? Tu trempes tes lèvres dans l’alcool, y puissant un peu de courage liquid. « A few days before her due date, at the end of may, I… » Non ! Tu entends la voix de ta thérapeute, loud and clear. Cette phrase, elle doit être conjuguée au pluriel. « Mark and I, we lost her. » Le ‘nous’ veut dire beaucoup. D’abord que ce n’est pas ta faute, ni celle de ton corps. Et que vous ne pouvez donc pas être tenus responsables pour l’accident. Mais il signifie aussi que tu n’es pas la seule à avoir dû supporter le poids émotionnel de ce deuil, que ton ex-mari mérite qu’on reconnaisse sa douleur.  

« I didn’t cope very well. I went through a debilitating depression, and it lasted forever. I had…» Encore une fois, tu te reprends. Quitte à jouer carte sur table, autant le faire jusqu’au bout, non ? « … well, I have, PTSD. » Malgré tout, ce n’est pas le sujet du jour, donc tu ne t’y attardes pas. « I had to take a lot of medicine, amongst them sleeping pills, for a while. » Tu ne saurais même plus les compter aujourd’hui, ni en faire la liste d’ailleurs. Tu dois avoir des carcasses de piluliers, quelque part au fond d’un tiroir, pour seule preuve matérielle de cette période. « I hated them. I hated taking them. I hated how they made me feel, and how dependent I was. But mostly, I hated that I couldn’t trust myself around them. » Jusqu’à present, tu trouvais que tu avais plutôt bien gardé la face. Tu ne t’es pas laissé guider par tes émotions, et tu as réussi à raconter ce moment pivot de ta vie avec une certaine objectivité et un détachement que tu ne pensais jamais atteindre. On arrive toutefois sur un territoire miné, alors tu vas être prudente, et rapide. « I was right on the edge, all the time, and it seemed like they were not really on my side. » Tu avais l’impression, à chaque fois que tu en avalais une, qu’elle te murmurait : Et si tu en prenais 10 ? 20 ? Si facile, Meg. Une Tequila, et tout s’évapore. Tu es donc catégorique aujourd’hui, tu refuses de revivre la même chose une fois de plus. « So no, I’m not taking anything to help with the insomnias, besides the lavender I put in my pillow. »  Tu la regardes, un demi-sourire aux lèvres mais ton regard est franc et déterminé, l’air de dire que ce n’est pas ouvert au débat. « Can we move on ? » Ton ton n’est pas empreint de reproches ou d’agressivité, il est plutôt implorant. Tu n’as plus rien à dire là-dessus.

« Alright. Sit down. » Elle capitule. La mine concernée après avoir sondé ton regard ne lui offrant aucune échappatoire. Meg dépose son couteau, se rince les mains et sort le vin. Sans dire un mot, tu te glisses à la grande table de la cuisine, prends place assise sur l’une des chaises et ton amie te rejoint, déposant deux verres devant vous.
« It was a few years before we met. » Tes iris s’accrochent à elle dans un calme don’t tu n’as pas l’habitude. Toi qui est d’ordinaire bien plus bavarde que la moyenne, tu gardes ici un silence et une concentration étonnante. « Lex had just turned 2, and I was pregnant with another girl. » Tu sens ton amie sur le point de plonger dans un souvenir douloureux. Elle articule avec précision, regard noyé dans un passé lointain alors que ses lèvres cherchent probablement un peu de courage dans son verre. « A few days before her due date, at the end of may, I… » Pause. Tu n’as toujours pas bougé d’un cil « Mark and I, we lost her. » Le couperet tombe et un pincement de compassion vient te déranger le ventre. Tu n’as pourtant pas porté tes propres filles mais des fois, tu as l’impression que ton corps aimerait t’en faire croire le contraire. « I didn’t cope very well. I went through a debilitating depression, and it lasted forever. I had…» Nouvelle pause. Les mots se font plus lents. L’émotion la gagne sans surprise. Ta gorge se serre très légèrement de la voir dans un tel état. Elle se contrôle pourtant. Très bien même. L’art des années lui a donné la parfaite routine, tu le sais. « … well, I have, PTSD. » Ce n’est pas rien. Tu n’as pas envie de tomber dans le mélo et tu n’es pas du genre à t’apitoyer simplement sur le sort des autres mais le syndrome est réel. Savoir Meg à ce point atteinte te fait du mal. « I had to take a lot of medicine, amongst them sleeping pills, for a while. » Ton regard se crispe légèrement mais les mots ne sortent toujours pas. « I hated them. I hated taking them. I hated how they made me feel, and how dependent I was. But mostly, I hated that I couldn’t trust myself around them. » Meg reste forte. Les phrases sont pourtant dures et le récit poignant. Tout résonne dans ta tête et tu ne peux t’empêcher de t’inquiéter face à l’aveu de “faiblesse”. « I was right on the edge, all the time, and it seemed like they were not really on my side. » Tu es tant concentrée et entièrement avalée par le moment présent partagé, que tu n’as toujours pas touché ton verre. « So no, I’m not taking anything to help with the insomnias, besides the lavender I put in my pillow. »  Le ton est affirmé et le regard planté dans le tien comme on pose un point final à une histoire. Elle t’offre malgré tout un fin sourire que tu sais n’exister que pour les apparences.

Très franchement, tu aurais une centaine de chose à lui dire, à lui répondre. D’autres questions te brûlant les lèvres. Mais tu connaissais bien assez ton amie pour savoir que ce soir n’était plus le moment de rebondir. Cette porte qu’elle venait de t’ouvrir et cette explication offerte, valaient toute inquisition. Tu dois te mordre la lèvre pour ne pas enchérir. Tu ferais pire que bien. Tu finirais par imiter Chris et ses analyses. Mais ce n’était pas ton job, pas ton rôle. Là, tout de suite, Meg avait besoin de son amie. De ta présence, et de vos énergies positives. Ainsi, tu lui offres (enfin) un franc sourire en réponse au sien. Tu tends l’une de tes mains, simplement, pour venir la poser sur la sienne et la serrer. “Thank you for sharing that with me. And I’m sorry this happened to your beautiful family.” Tu resserres encore un peu ta poigne avant de la libérer et de prendre ta première gorgée de vin. “But please be safe and take care of that little body of yours, ok ? I’m here for you anytime …” Brève ponctuation. Particulièrement sincère bien que tu saches ne pas être toujours là physiquement. Mais Lise l’était et il devenait d’ailleurs de plus en plus clair dans ton esprit que tu passerais la voir un de ses quatre, peut-être même plus tôt que prévu. « Can we move on ? » Une demande aux résonances d’imploration. Tu vas devoir lui accorder. Tu as l’impression de ne pas avoir réagit correctement, de ne pas avoir eu les bons mots. Tu aimerais plus mais restes bloquée. La seule image de cette tragédie te paralyse. Tu te souviens de cette peur qui vous hantait jour et nuit lorsque Chris et toi aviez entamé les démarches pour être mamans. Le ciel vous avait béni rapidement et votre parcourt ne ressemblait à aucun autre. “Un conte de fée”, voilà ce que Chris avait dit. Pourquoi si facile ? Pourquoi vous ? Tu n’en avais aucune idée. Peut-être que tout était écrit … ? Et pourtant. Le conte avait clairement été revisité et plus rien ne semblait avoir de sens. Meg et Mark n’avaient pas mérité telle épreuve. “Sure …” Tu inspires et expires en pleine conscience, trempe à nouveau tes lèvres dans le verre de vin et finis par accorder à Meg toute la délivrance souhaitée. “Wanna hear about that girl I’ve actually been seeing for a while now ?” Sourire en coin, presque crispé, et léger mouvement d’épaules pour te donner contenance. C’était la première fois que tu en parlais. A qui que ce soit. Mais révélation pour révélation, c’était un peu ta manière de rendre la pareille à Meg et de faire planter un peu de légèreté dans votre bulle.

Du coin de l’œil tu vois sa main se soulever, et le temps semble se suspendre un instant alors qu’elle parcourt la courte distance qui la sépare de la tienne. Tu attends, patiemment, la vague brûlante qui va t’arracher l’épiderme quand sa peau va toucher la tienne. Mais la flamme n’arrive jamais, seule une écume tiède et agréable effleure tes phalanges et te décroche un sourire. “Thank you for sharing that with me. And I’m sorry this happened to your beautiful family.” Finalement, peut-être aurais-tu faire ça il y a une éternité. Tu as toujours eu confiance en Jay, ce n’est pas le problème. Mais pendant longtemps, tu as cru que vivre dans une sorte de réalité parallèle, où les apparences sont intactes et la famille parfaite, te donnerait un peu de répit. Fake it till you make it, right ? Mais faking it est épuisant, tu seras à terre avant de parvenir à tes fins. “But please be safe and take care of that little body of yours, ok ? I’m here for you anytime …” Tu retournes ta paume et saisis la sienne. « I know. I really do. »

Pourtant, c’est assez pour aujourd’hui. Tu as percé quelque chose, une bulle légère mais vertigineuse. Tu lui demandes alors si vous pouvez vous éloigner du sujet, pas à tout jamais, mais pour maintenant au moins. Le temps que tout retombe, que ton cœur retrouve une douce torpeur et que ta gorge se dénoue. “Sure …” Tes yeux ont quitté les siens, refusant sciemment d’y lire les mille questions qui se bousculent dans la tête de ton amie. Tu admires sa retenue, sa capacité à t’accorder l’espace que tu lui exige à demi-mot, avec toute la bienveillance du monde. C’est ça, au final, plus que le reste, que tu retiendras. Imitant son geste, tu plonges à ton tour dans le vin, dissimulant tant bien que mal le vent de gratitude qui souffle sur tes traits. “Wanna hear about that girl I’ve actually been seeing for a while now ?”

Saisie par un enthousiasme non feint, tu t’écries : « Erm… YES PLEASE. » Evidemment que tu veux tout savoir. « Do I know her ? » Tu te lèves pour récupérer des assiettes, couverts, verre et de quoi préparer la table pour votre dîner. « Is she here ? Oh. Is she French? » Tu finis par t’approcher d’elle et, de tes doigts insistants, montres son téléphone. « Show me ! »

“Fake it till you make it, right ?” Une phrase tout aussi triste que les pâles sourires venant à peine étirer vos deux visages. Tu ne pouvais nier que - pour de bien moins graves raisons - les mots résonnaient également en toi. Tu avais bien connu cette époque de faux semblant. Peut-être même t’arrivait-il encore d’en user de l’efficacité … 
Serrant chaleureusement la main de ton amie, celle-ci retourne sa paume pour te rendre la pareille et tenter de te rassurer du mieux qu’elle pouvait. « I know. I really do. » Une vague d’émotions sincères vous englobe de son étrange chaleur. Plus besoin de mots, de longs discours. Juste ce toucher, ces regards échangés et vos esprits en étroite complicité.

Tu acceptes de te laisser dériver. De parler d’autre chose. De tourner la page avec délicatesse. Tu avais su comprendre la différence entre le moment de creuser et celui où lâcher du lest. Il en était assez pour ce soir. Pour l’instant du moins. Tu n’étais pas pour autant entièrement rassurée mais tu savais au moins de quoi il retournait et tu aurais toujours bon de t’assurer une alliée future en la personne de Lise. Mais ce soir, tu acceptais maintenant d’offrir à Meg ta présence plus légère et ta bonne humeur légendaire. Bonne humeur et … histoires d’outre mer. Tu en avais toujours quelques unes en stock lors de tes retours, et cette fois, il était peut-être temps de lâcher le morceau le plus croustillant. « Erm… YES PLEASE. » L’enthousiasme de ton amie ne se fait pas attendre. « Do I know her ? » Aussitôt le sujet sur la table, aussitôt Meg s’y plonge. Comme une douce distraction. Peut-être. Surement. Alors qu’elle recommence à s’affairer pour préparer la table, elle continue sa petite et amusante inquisition : « Is she here ? Oh. Is she French? » Finissant par lâcher ses tâches auxquelles tu t’étais pourtant jointes, elle se rapproche. De son petit air mutin et insistant, elle vient pointer ton téléphone avec assurance et un clair éclair d’entrain : « Show me ! » . Sur la table, tu déposes la vaisselle que tu avais en main et sourit, particulièrement amusée de la réaction de Meg. “Easy tiger !” Tu inspires non sans garder ton sourire au beau fixe. Avant de t’exécuter, tu préfères répondre brièvement à ses premières questions. “No, you don’t know her. Yes, she is French and … yes, she is here. Which is really - really - recent” Meg boit tes paroles, le geste toujours immobile et le regard fixe sur ton visage. Elle hoche la tête comme pour en demander plus et insiste des pupilles lorsque celles-ci font quelques allers-retours sur ton téléphone. Ses haussements de sourcils finissent par te faire craquer : “Ok okay !” Lâches-tu en finissant par poser la main sur le portable non loin. Tu l’attrapes, le déverrouilles, et te surprends, une fois de plus, à devoir perdre une ou deux seconde à faire le point. Les joies de l’âge. Tu fais défiler les photos de ta belle sous tes yeux afin de choisir le cliché parfait. Sans pouvoir le contrôler, tu ne peux empêcher une petite pointe d’angoisse de montrer le bout de son nez. Nereida est jeune. Tres jeune. Et il n’y a pas besoin que tu l’exprimes pour que Meg ne le comprenne à la vue des photos. Bon, tant pis. C’est la soirée des confidences et de l’honnêteté n’est-ce-pas ? Apres tout s’il y avait bien un être assez pur et bienveillant pour te comprendre sans jugement, tu aurais tout à miser et parier sur Meg. Elle était la bonne première personne à qui en parler concrètement. Go. Showtime. Nouvelle inspiration et te voila qui tends l’appareil sur lequel tu as affiché l’une des photos les plus naturelle de Nereida. “There she is. Her name is Nereida”

On pourrait croire que ton entrain est feint, artificiel, fabriqué pour les besoins de la conversation. Mais il n’en est rien. Avec les années, tu as appris à naviguer entre les émotions, à anticiper les courants qui t’éloignent du rivage et à chérir ceux qui te sont favorables. Tu es alors doublement ravie. D’une part de l’annonce de ton amie, dont la seule lueur dans ses yeux suffit à te convaincre d’être heureuse pour elle. De l’autre, tourner la page sur le passé ne te fera que du bien. “Easy tiger !” Tu ris bien volontiers mais attends tout de même ses explications. “No, you don’t know her. Yes, she is French and … yes, she is here. Which is really - really - recent” Ta bouche toute ronde traduit ta surprise mais tu continues à insister pour qu’elle te montre une photo. “Ok okay  !” Tu profites des quelques secondes qu’il lui faut pour dégainer son téléphone pour amener l’entrée à table, et poser le plat entre vous deux. “There she is. Her name is Nereida” Tu te saisis du petit appareil et tes yeux s’écarquillent aussitôt. « Oh she’s… » Tu te retiens juste à temps. Tes yeux trouvent ceux de Jay, et un air mi-coupable, mi-amusé se dessine sur ton visage. A quoi bon énoncer l’évident ? Ca n’a rien de productif, et ce n’est pas très malin. Oui, la brune sur la photo est jeune, bien plus que vous, mais tu oses espérer que ton amie l’a remarqué. « Pretty ! » Ton rire résonne dans la salle à manger. Il est évident que tu as changé de direction au milieu de ta phrase, et tu sais que tu ne feras pas illusion. Tu ne penses, par contre, pas moins ce que tu dis. Elle est très belle, une boule de soleil au bras de la biologiste.

Tout en servant généreusement vos deux assiettes, tu l’interroges : « So you know her from before. From France ? And now she’s here ? » C’est du moins ce que tu comprends au premier abord. « Wow. Big step. »  Elle est venue pour toi ? Cette dernière question te brûle les lèvres, tout comme mille autres, mais tu préfères laisser le fil de la conversation se tisser en douceur. Tu ne veux pas la brusquer, encore moins aborder des sujets potentiellement épineux. Après tout, tu ne sais pas où elles en sont, et tu soupçonnes quelques complications à l’horizon. C’est la première fois que tu entends parler de cette fille, ça veut bien dire quelque chose, non ? « How do you feel ? »

Meg attrape ton téléphone et analyse aussitôt le cliché. Rapidement son regard se redresse pour venir croiser le tien, non sans une once de ce que tu devines être de la surprise. Après tout, tu t’en doutais un peu. Voire beaucoup. « Oh she’s… » Elle pause. Meg a beaucoup trop de tact pour venir piquer au vif le “détail” pouvant - éventuellement - déranger ou poser “problème”. Son visage ne trompe pourtant pas. La mine est presque mal à l’aise de vouloir … sourire ? Evidemment qu’elle a remarqué. Et tu t’amuses en silence de sa politesse. « Pretty ! » Elle rit et tu te joins à cette douce spontanéité, la sachant parfaitement bienveillante. Tu récupères ton téléphone que tu poses sur un coin de table, bien décidée à ne pas te laisser distraire ce soir. “Pretty. Very much so, yes. Also … pretty young. I know …” Tu souris et grimaces en même temps. Comme coupable de profiter là d’un cadeau de la vie auquel tu n’aurais normalement plus droit.

Vous vous rapprochez de la table alors que ton amie vient de vous servir deux bonnes assiettes. Tu souris intérieurement reconnaissant là le parfait geste de la maman en elle. Nourrir est dans ses tripes. Dans les tiennes également lorsque les filles sont là. Mais pour ce soir, tu sais déjà que tu ne pourra pas tout finir. « So you know her from before. From France ? And now she’s here ? » Meg rassemble les informations données. « Wow. Big step. »  En temps normal, ça le serait, effectivement. Mais tu sais les choses bien différentes entre vous. Ainsi, ta bouche se tortille et tes épaules se haussent un instant. « How do you feel ? » Tu rapportes vos verres à vos places, installes deux serviettes et prends place assise. “We’ve been seeing each other in France for almost 3 years now … so every 6 month.” Si Meg désirait calculer, elle aurait vite fait le compte. Techniquement, vous n’aviez été “ensembles” qu’une année et demi. “She didn’t came here for me. Actually, I had no idea she was coming.” Tu trempes tes lèvres dans ton verre de vin, relevant par la même occasion, le regard très interrogateur de ton amie. “We have what’s called an … open relationship. I guess those are the words” Ils le sont, tu le sais, mais le formuler te semble toujours aussi étrange. Car si les choses sont claires pour Nereida et toi, tu n’as jamais réellement joué de ce statut unique. En France, tu profitais de sa présence sans te soucier du reste et une fois de retour à L.A., tu étais maman. Point. Le deal était facile à gérer.

Ton regard se perd dans ton assiette imaginant les divers scénario. Tu as peur de tes propres réactions. Peur de la perdre dû a une possible incapacité de t’adapter. La peur est présente mais aucune certitude n’a encore pointé le bout de son nez. La seule chose que tu savais était que tout ceci était nouveau et que tu n’avais jamais vécu de la sorte, ni même imaginé un jour le faire. Ta fourchette s’agite un peu au hasard dans ton assiette, sans réellement piquer quoi que ce soit. “And you wanna know a secret ? I have no idea what I’m doing !” Tu éclates de rire comme pour te donner un peu de cette légèreté dont tu avais (et aurais) surement besoin. “Just that I like her very much” Nouveau sourire, presque enfantin, avant que cette fois tu ne viennes remplir ta fourchette comme il se doit : “By the way, thanks again blondie ! This looks amazing as always”. Première bouchée et déjà tu sais ne pas t’être trompée. Un délice que ton regard s’appuie à lui faire comprendre, la bouche trop pleine pour l’articuler oralement.

“Pretty. Very much so, yes. Also … pretty young. I know …” Elle t’ôte les mots de la bouche, signe probable qu’elle ne te tient pas rigueur pour ton quasi-dérapage. Vous échangez un moment complice, empreint de la compréhension de celles qui se connaissent depuis de longues années, avant de laisser le sujet qui fâche derrière vous. Tu laisses alors couler et rassembles les informations qui sont en ta possession pour dessiner le récit au complet.“We’ve been seeing each other in France for almost 3 years now … so every 6 month.” Tu ne peux t’empêcher te l’interompre en t’exclamant : « 3 YEARS ? JAY ! And I’m only hearing about it now ? » Tu frappes l’avant-bras de ton amie du bout d’une cuillère propre en guise de représailles. Tu peux parler toi, avec tes révélations du soir. Mais tu te laisses prendre au jeu, retournant pour quelques instants dans un état d’esprit léger et adolescent. Et pour une Meg de 17 ans, il est impensable de ne pas tout savoir des histoires de cœur de ses amies. “She didn’t come here for me. Actually, I had no idea she was coming.” Ta bouche forme un petit “o” de stupeur que tu combles rapidement à coup de fourchette pleine. La situation te semble très étonnante, et tu n’es pas au bout de tes surprises. “We have what’s called an … open relationship. I guess those are the words” Lexa dirait probablement que tu es vieille école. Une relation ouverte tu sais ce que ça veut dire, d’accord, mais ce n’est pas pour autant que tu comprends vraiment ça. Enfin, tu ne comprends pas comment on peut s’en contenter, comment ça peut être satisfaisant. Tu es plutôt du genre fusionnelle, tu l’as toujours été, et serais infiniment trop jalouse pour accepter de partager quiconque. “And you wanna know a secret ? I have no idea what I’m doing !” Ca tu veux bien la croire. Déjà qu’une relation à distance – même si elle ne l’est plus à présent – c’est compliqué à gérer, mais additionné avec tout le reste, ça te semble être un cauchemar. “Just that I like her very much” Son rire te fait oublier tes doutes et inquiétudes. Elle a l’air vraiment heureuse, alors tu ne feras pas tomber la pluie sur ses célébrations. « I can’t wait to meet her ! The hiding is over, miss Fisher. I’ll harass you till she’s in my living room. » Toujours armée de ta cuillère, tu la menaces tendrement, avant de te concentrer à nouveau sur ton assiette. “By the way, thanks again blondie ! This looks amazing as always” Un grand sourire illumine ton visage, ravie de faire plaisir. « Well… eat now, before it gets cold. » Alors, naturellement, la soirée se déleste de ses teintes sombres pour retrouver l’éclat des dîners insouciants ponctués de joie et d’aventures.