intuition is the whisper of the soul (eliony 1)

Depuis que j’ai retrouvé ma mère biologique, ou du moins, qu’elle s’est présentée comme tel, j’ai l’impression d’avoir le mal de mer. J’ai toujours cru que le jour où je rencontrerai mes parents biologiques, père ou mère, ça me donnerait la sensation d’avoir recollé un morceau de mon puzzle de vie. Mais là, y’a rien qui va. Non seulement parce que j’ai appris qu’elle me ‘suivait’ depuis longtemps, et qu’elle n’avait jamais eu les couilles d’assumer qui elle était pour moi. Elle m’a laissée dans la merde sans lever le petit doigt. Surtout que putain, vu la vie qu’elle vivait, elle aurait pu faire un effort. Oui je lui en veux. D’autant plus que j’ai appris récemment qu’elle avait eu des gamins après moi, et eux, elle les a assumés, élevés. Ça me donne la gerbe. Et puis y’a aussi le fait que merde, la nana chez qui je vis et avec qui j’ai pris l’habitude de coucher, c’est la meilleure amie de ma mère. Non mais vous la voyez la vie de merde là ?? Ça me rend dingue. D’ailleurs depuis ça, j’ai l’impression de sombrer. Depuis ma séparation avec Sofia, j’avais un peu réussi à remonter la pente, grâce à Ellen, et voilà qu’Ella fout tout en l’air. Je lui en veux. Je lui en veux beaucoup. Bref, tout ça pour dire que ces derniers temps, du coup, c’est un peu moi qui fous tout en l’air. Inconsciemment je crois que je suis en train de saboter ma relation avec Ellen, enfin même si le mot est aussi vague qu’un peu trop précis à mon goût. Je sais pas bien ce qui nous lie, mais en ce moment, j’y arrive pas. Et ça m’emmerde de sentir que ça la blesse. Je sais qu’elle fait tout ce qu’elle pense le mieux pour moi, et moi je la repousse du mieux que je peux.

J’ai encore pas mal bu ce soir, je sais que je commence le boulot tôt encore demain matin, que je vais pas être fraîche, mais tant pis. J’ai besoin de me changer les idées, voir du monde, entendre de la musique trop forte, enchaîner les shots de tequila, draguer, être draguée, et potentiellement coucher avec une fille différente chaque soir. C’est la seule chose qui me fasse me sentir un tant soit peu vivante ces derniers temps. Ce soir, j’ai pas trop abusé sur la dose d’alcool, je marche encore droit, ou du moins c’est la sensation que j’ai. J’ai un peu tiré sur un joint, rien de bien fou, je me sens juste plus apaisée, et c’est agréable. Je vais fumer une clope dehors, fais quelques pas et m’arrête devant un immeuble, laissant le temps à mes neurones de se connecter. Sur une des boîtes aux lettres il est marqué Morales. Y’en a des centaines voire des milliers de Morales à L.A., mais c’est peut-être Marie-Jeanne qui traîne un peu trop dans ma tête, qui me pousse à sonner au numéro correspondant. On est au milieu de la nuit, je ne pense pas au fait que je puisse réveiller quelqu’un qui n’a rien à voir avec Tony. Une voix se fait entendre, et je demande, un peu connement. « Tony ? » On me demande qui j’suis, je plisse un peu les yeux. « Tony c’est toi ? C’est Eliot ! » Si c’est elle, j’suis juste bien tombée.

Les yeux clos, le sommeil qui habite encore son corps, Tony tend le bras vers la table de nuit à la recherche de son téléphone pour faire taire ce bruit horripilant. Un fracas dans ses oreilles qu’elle voudrait stopper, le plus vite possible, pour abréger ses souffrances. L’objet de ses convoitises en main, elle le rapproche de son visage, ouvre difficilement les yeux et… constate qu’il est tôt, beaucoup trop tôt pour qu’elle soit arrachée de son sommeil par la sonnerie du téléphone. Il n’est pas responsable, silencieux comme il est, attendant que le soleil se lève et que la pendule affiche 06:00. La source du bruit est ailleurs, mais où ? Il faut de longues secondes à la brune pour que les neurones de son cerveau se connectent, et mettent en évidence la réalité. C’est l’interphone qui fait un tel raffut. Quelqu’un à l’extérieur a osé la réveiller au milieu de la nuit. Difficilement, Tony sort de son lit, repoussant la couette qui lui assurait confort et chaleur. Ses pieds sur le sol froid l’emmènent jusqu’à la porte d’entrée, où elle presse contre le bouton pour s’enquérir du pourquoi du comment. « Oui ? » Demande t-elle, la voix encore ensommeillée. L’autre voix, grésillante, lui répond, en utilisant son surnom. D’accord, ouais, pourquoi pas. « C’est qui ? » Elle porte une main à son visage pour frotter sur ses yeux, dans l’espoir de faire disparaître ce brouillard flottant. Dans l’interphone, le voile est levé. À l’extérieur, il n’est autre qu’Eliot qui fait un boucan sans mot. Eliot ? Elle se souvient. Jolie femme, caractère de feu, bon coup au passage et… silence radio depuis plusieurs mois. C’est pas un soucis pour Tony, qui est bien trop attachée à son indépendance pour se menotter à quelqu’un, à l’heure actuelle. « Ptain Eliot, tu as vu l’heure. Reste pas dehors, monte. » Aussitôt, elle presse sur le bouton qui permet d’ouvrir la porte, quelques mètres plus bas, afin de libérer l’accès à la jeune femme. Tony se demande ce qu’Eliot fiche ici, et surtout pourquoi elle n’a pas appelé ou envoyé de sms avant, au lieu de débarquer comme ça. Les questions trop nombreuses à cette heure dans son esprit, la brune ouvre la porte d’entrée au même moment que la Donovan apparaît dans le couloir. C’est dans de plus simples appareils que la lieutenant accueille la jeune femme, avec un short qui fait office de pyjama, et une brassière de sport qui dévoile sa silhouette fine, mais aussi les marques d’un hématome gagné lors d’une intervention, quelques jours plus tôt. « Tu t’es perdue Donovan ? » Demande t-elle, une esquisse de sourire sur les lèvres, tandis qu’elle se décale légèrement pour inviter silencieusement la jeune femme à entrer. À cette heure, il est préférable d’éviter la conversation sur le pas de la porte. Ce serait le meilleur plan pour avoir des ennuis avec le voisinage.

« Ptain Eliot, tu as vu l’heure. Reste pas dehors, monte. » Un sourire étire mes lèvres lorsque j’entends le bruit de déverrouillage de la porte. Bingo. Je pousse cette dernière et cherche l’étage qui correspond, avant de grimper les étages pour arriver devant la porte de Tony. Mon sourire s’étire et je ne retiens pas mon regard de glisser sur sa silhouette peu vêtue. J’avais presque oublié à quel point elle était canon. « Tu t’es perdue Donovan ? » me demande-t-elle tout en me laissant entrer en se décalant de la porte. Je ne me fais pas prier et la laisse refermer ladite porte derrière moi. « Perdue ? Nan, j’étai dans le coin, j’ai vu ton nom j’ai eu envie de sonner. » Non, je ne suis pas tout à fait dans mon état normal, mais pas si loin non plus quand on y réfléchit. Et puis Tony m’a vu dans des états pires que ça quand on y réfléchit. J’ai pas vraiment conscience de l’heure qu’il est et du fait que j’ai pu la réveiller. « T’as changé d’appart alors ! C’est cool ici ! » Je fais le tour d’un regard panoramique, me rends compte qu’il y a plusieurs portes, plusieurs chambres ? « Tu vis toute seule ? » Je suis un peu intrusive, c’est vrai, mais ça non plus je m’en rends pas trop compte. En ce moment je me rends pas compte de grand chose faut dire, j’ai un peu muté mon cerveau pour éviter de réfléchir à des choses qui pourraient me faire souffrir. C’est vraiment pas une période facile, mais ce soir, avec ce que j’ai bu et fumé, ça va, j’arrive à ne pas trop y penser. Et maintenant que je suis en bonne compagnie, j’y pense encore moins. « J’aime bien ta tenue… mais eh… » Je m’approche en me rendant compte de son joli bleu, et j’approche ma main pour frôler sa peau du bout des doigts. Oui, je m’y autorise sans demander la permission. Marie-Jeanne je vous dis. « Tu t’es pas loupée ! Une intervention musclée ? »

L’esprit de la flic tourne aussi vite que son état lui permet. Entre l’heure tardive - ou matinale selon les gens - et l’état comateux lié à un sommeil récent, il ne faut pas encore trop lui en demander. Elle se demande ce que fiche Eliot chez elle, et ce qu’elle lui veut, surtout. Non pas que sa présence l’importune, bien au contraire, c’est une fille vraiment sympa, avec qui elle passe toujours des moments très plaisant, mais ce n’est pas dans ses habitudes de se pointer au milieu de la nuit après une période de silence complet. Ce n’est pas dans les habitudes à Tony de tourner autour du pot, d’où cette question presque cash adressée à la Donovan, tout en refermant la porte derrière elle pour ne éveiller la curiosité de ses voisins de palier. L’état de son amante ne lui échappe pas, elle est loin d’être sobre, bien que Tony ne sache pas encore à quoi Eliot tourne, entre alcool ou drogue, voir les deux. En tout cas, c’est ce qui la pousse à ne pas trop s’attarder sur les détails, comme le fait qu’elle ne doit pas être la seule Morales dans cette ville, que la chance de tomber sur elle relève d’un exploit. C’est une remarque qui pourrait bien ne faire que passer dans les oreilles de la blonde. « Je vivais seule, mais j’ai une pseudo colocataire maintenant. J’héberge une collègue durant une période indéterminée. » Loïs, sa collègue d’un autre service à la LAPD, et surtout amie. L’une des quelques femmes de la profession, avec qui ça a de suite matché. Elles ont leurs petites habitudes, depuis quelques années. Il était donc normal pour Tony de lui proposer de venir vivre chez elle, quand elle n’a plus eu de toit sur sa tête. Entre solidarité féminine et amitié, la question ne se posait pas. Elle bouge un peu dans la pièce, avec une idée en tête, jusqu’à être stoppée dans son élan par les mots d’Eliot. D’abord taquins, en faisant allusion à cette tenue que porte la flic, pas très habillée, mais un peu plus sérieux quand elle se rapproche d’elle jusqu’à effacer la distance entre elles. Ses doigts qui caressent avec douceur la peau bleutée de Tony, blessée quelques jours plus tôt lors d’une intervention. Il y a eu plus de peur que de mal. C’est pas joli à regarder, mais il n’y a rien de cassé en dessous. « J’ai surestimé mon agilité légendaire. » Tente t-elle, pour ne pas plomber l’ambiance. Mais elle reprend rapidement, pour apporter une réponse un peu plus sérieuse. « J’ai pas vu le coup venir, mais je l’ai senti. » Avec Eliot, comme avec Lucas d’ailleurs (son partenaire), Tony sait qu’elle peut plaisanter mais qu’il faut savoir s’arrêter à un moment pour apporter de vraies réponses. Maintenant que c’est chose plus ou moins faite, la brune peut reprendre son idée initiale, à savoir se diriger vers la cuisine. Là, elle prépare tout ce qu’il faut pour faire couler deux cafés, avec une forte intensité. Quand les deux tasses sont remplies, la brune revient vers Eliot et lui tend l’une des tasses. « Moi, c’est car mon petit doigt me dit que je ne pourrais pas aller me recoucher. Et toi, car tu sembles avoir consommé bien assez de merde pour la soirée. » Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère, mais ça, ça ne change pas. Tony a déjà vu Eliot dans des états pires que ce soir, elle accepte, elle le tolère, mais elle ne se prive pas de dire ce qu’elle en pense. C’est le deal. Ce soir (ce matin ?) ne fait pas exception. Une première gorgée, pour repousser le sommeil, avant de poursuivre sur le même chemin. « Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Il me semblait que tu avais trouvé un corps chaud contre lequel te coucher, et ne plus venir me trouver. Les choses auraient-elles changé ? » Demande t-elle, un sourire taquin sur les lèvres, tandis qu’elle se laisse glisser sur le canapé, le regard braqué sur la blonde.

Je plane un peu c’est vrai, du coup, je peux m’attarder sur des détails, comme être totalement vague dans mes réponses, et c’est le cas quand Tony me pose une question. Ce que je fous là, j’en sais trop rien à vrai dire. C’est juste son nom qui a popé dans mon esprit au moment où je l’ai vu écrit là. J’aurai pu passer mon chemin, mais au lieu de ça j’ai préféré savoir si c’était elle ou pas. Ça aurait pu ne pas l’être, et j’aurai passé mon chemin. Mais c’est bien elle, et je suis là. « Je vivais seule, mais j’ai une pseudo colocataire maintenant. J’héberge une collègue durant une période indéterminée. » C’était quoi la question que j’ai posé déjà ? Ah oui. Si elle vivait seule. Une coloc donc, intéressant. Je me retiens - je ne sais comment - de lui demander si elles dorment dans le même lit ou même si elles couchent ensemble, mais j’ai encore un semblant de bienséance. Pour le moment. Et puis mon regard - comme à son habitude dans ces moments de planage - s’attarde à nouveau sur un détail qui n’avait rien à voir avec la conversation. Son bleu. Il est balaise. « J’ai surestimé mon agilité légendaire. J’ai pas vu le coup venir, mais je l’ai senti. » Je grimace un peu. « Va falloir prendre des cours avec catwoman. » Je lui souris, mutine, enfantine, et voilà qu’elle s’éclipse, agrandissant la distance entre nous. Mais les souvenirs ont largement eu le temps de reprendre leur place dans ma tête. Je la regarde faire, et voilà qu’elle revient avec une tasse de café fumant, et je la remercie pour ça. Je crois que j’en ai bien besoin. « Moi, c’est car mon petit doigt me dit que je ne pourrais pas aller me recoucher. Et toi, car tu sembles avoir consommé bien assez de merde pour la soirée. » Tony elle a jamais pris trop de pincettes pour dire les choses. Un peu, mais pas trop. Juste de quoi ne pas foncer dans le tas, mais le faire quand même mine de rien. Elle a assez de tact pour deux. Je ricane légèrement. « Ça se voit tant que ça, lieutenant Morales ? » C’est vrai que j’ai du culot de me pointer chez une flic alors que je viens de fumer un joint bien tassé. Bon, c’est autorisé en Californie, mais à usage thérapeutique. Il paraît. Ouais, on va dire que j’en ai besoin en ce moment. Et puis, c’est mieux ça que l’autre genre de merdes que j’ai pris l’habitude de prendre ces derniers temps. « Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Il me semblait que tu avais trouvé un corps chaud contre lequel te coucher, et ne plus venir me trouver. Les choses auraient-elles changé ? » Là encore, elle ne passe pas par quatre chemins, et ça me fait sourire. Je me laisse tomber à sa suite sur l’autre partie du canapé, renversant un peu de café sur mon t-shirt, c’est pas grave il devait partir au sale de toute façon. Et puis c’est plus moi qui fais la lessive. Cette pensée fait écho à la question de Tony. « C’est compliqué. » que je réponds un peu vaguement avant de me brûler la langue avec une première gorgée de mon café. « J’ai rencontré une nana ouais, après ma rupture avec Sofia, pas mon genre, mais elle était cool. Enfin elle est cool, et puis récemment j’viens de retrouver ma mère biologique, qui est en fait la meilleure amie de cette nana chez qui je vis depuis un moment. » Je m’enfonce un peu plus dans le divan en soupirant. « J’vais jamais réussir à trouver un truc simple sans prise de tête j’te jure. » Et en même temps, les trucs simples, ça me ferait chier. Preuve avec Sofia, il a bien fallu que je la trompe à maintes reprises alors…

Ouais, les cours avec Catwoman pourraient servir, si elle devait escalader des arbres ou faire des courses poursuites sur les toits. La raison de cet hématome est bien moins glorifiante que dans les séries télévisées ou les films. C’était une simple altercation, avec une personne plus forte qu’elle. Elle ne portait pas de gilet pare-balle (car il n’y avait aucune raison d’en porter) donc sa peau en a pris un coup. Mais Tony le vit bien. Bon, son égo n’a pas forcément aimé la scène, et elle a dû prendre sur elle pour faire bonne figure, mais ça lui servira de leçon : on ne l’aura plus de cette façon. Certes, il est trop tôt pour prendre un petit déjeuner, mais il n’y a pas d’heures pour une bonne tasse de café. La lieutenant en a grandement besoin, et à en juger par la tête d’Eliot, elle aussi. Elle s’affaire alors dans la cuisine, pour prendre le moins de temps possible, et revenir dans la pièce principale pour donner l’une des tasses à la jeune femme. Au passage, elle en profite pour lancer une pique à son amie, au sujet de son état déplorable. « C’est écrit sur ton front Donovan. Il ne manque que le néon clignotant au dessus de ta tête. » Le sarcasme est risible dans sa voix. Les cochonneries de ce genre, Tony n’aime pas ça. Elle a un passif avec, et il est assez moche pour grincer des dents quand quelqu’un de son entourage y touche. Et comme le karma l’adore, elle doit se coltiner Loïs et Eliot. Avec les deux, elle est servie ! Heureusement que son partenaire carbure surtout à l’alcool. Ça serait le pompom. D’humeur taquine, même au saut du lit, elle cherche Eliot, faisant allusion à sa longue absence dû à cette nouvelle femme dans sa femme. Tony n’est pas jalouse, loin de là, mais elle trouve ça marrant d’embêter Eliot avec ça. Assise dans l’un des coins du canapé, elle tousse sur la tasse fumante avant de se risquer à boire une gorgée. Trop chaud encore. « Le contraire m’aurait étonné. » Dit-elle en ricanant légèrement. C’est un peu la spécialité de la jeune femme ça, les choses compliquées. Le jour où elle viendra toquer à sa porte (à une heure correcte) pour lui dire qu’elle est en couple avec quelqu’un dans une relation simple et légère, Tony tombera certainement de sa chaise, et veillera à ce qu’Eliot aille consulter un médecin. Elle la laisse alors parler, confier cette fameuse histoire compliquée et effectivement, elle n’a pas choisi la facilité. « Sérieux ? Tu fréquentes et vis avec la meilleure amie de ta mère biologique ? T’es pas croyable Eliot. » Il n’y a aucun reproche dans la voix de Tony. C’est juste sa façon à elle de commenter cette situation, pour le moins invraisemblable. « Après, j’vois pas où est le problème. D’accord, c’est space mais c’est juste la pote de ta mère. C’pas comme si tu avais découvert que c’était ta tante, ou un autre membre de ta famille biologique. » Rien que cette pensée fait frissonner la jeune femme. Ce serait l’horreur d’apprendre ça. Le temps est passé, alors la brune se risque à boire une nouvelle gorgée de café. C’est encore un peu chaud, mais plus assez pour se brûler la langue. « Qu’est-ce qui te bloque en vrai ? » Car elle connaît Eliot depuis suffisamment longtemps pour savoir que, parfois, elle se trouve des excuses. De ce qu’elle en sait, ça se passait bien avec Sofia et pourtant, ça ne l’a pas empêché de coucher avec Tony (qui ne s’en plaint pas). Peut-être que le schéma est le même, que l’histoire se répète à nouveau. Tony n’en sait rien, mais elle est disposée à écouter son amie, si elle ressent le besoin de parler à quelqu’un.

« C’est écrit sur ton front Donovan. Il ne manque que le néon clignotant au dessus de ta tête. » Ouais, j’dois avoir une sale gueule quoi. En même temps, je dors quasiment plus, ou très mal depuis le retour de ma mère. Y’a qu’en prenant des trucs ou en fumant on bon joint avant de me coucher que j’arrive à dormir un peu. forcément, ça doit se voir sur ma gueule. Je sais qu’elle a jamais aimé la drogue, Tony, j’ai jamais trop su pourquoi, elle n’en parle jamais, ou en tout cas pas avec moi. Mais doit y avoir une bonne raison, et faut dire que j’ai du culot de me pointer ici avec les pupilles dilatées. Mais j’ai pas trop réfléchi quand j’ai sonné à vrai dire, la probabilité pour que ce soit elle était quand même vachement mince. « Sérieux ? Tu fréquentes et vis avec la meilleure amie de ta mère biologique ? T’es pas croyable Eliot. » Je soupire un peu, le résumé de Tony n’est pas glorieux et pourtant c’est bel et bien la vérité. Je suis pas croyable, ouais, j’aimerai parfois que les choses soient plus faciles. Mais j’aime pas non plus quand c’est trop facile, alors faut croire que j’attire les emmerdes, pour donner un peu de piment à mon existence. Y’a des gens comme ça qui n’aiment que vivre dans le chaos, je crois que je m’en approche. La brunette reprend la parole, elle ne voit pas où est le problème. J’aimerai être d’accord avec elle sur ce point. « C’pas comme si tu avais découvert que c’était ta tante, ou un autre membre de ta famille biologique. » Je lève les yeux au ciel en ricanant un peu. « Eh n’exagère pas s’te plait. » Si Ellen était de mon sang, mon dieu l’angoisse. Quand je pense que certaines personnes tombent amoureux et se rendent compte après coup qu’ils sont en fait du même lien du sang, l’horreur. « Qu’est-ce qui te bloque en vrai ? » Je hausse les épaules. Elle essaie de me faire parler, et moi, parler c’est pas mon fort. Pourtant je suis là, assise sur son canapé au beau milieu de la nuit avec une tasse de café brûlant entre les mains. Je m’attendais à quoi ? Une partie de jambes en l’air et basta ? Peut-être bien, j’y ai pas vraiment réfléchi en pressant le bouton de la sonnette à vrai dire. « Bah déjà, de base, c’est clairement pas mon style. Mais bon ça faut croire qu’on choisit pas toujours. Et puis c’est super chelou de me dire qu’elle a côtoyé ma mère pendant autant d’années, qu’elle connaît mieux ma mère que moi, j’en sais rien… » Tout ça c’est quand même vraiment bizarre, et puis dans mon état, j’arrive même pas à mettre de mot sur ce que je ressens de toute manière. Déjà que ça n’a jamais été mon fort, alors avec ce que j’ai pris ce soir, n’en parlons pas. « Enfin bref ça passera. J’vais p’t’être me barrer dans un pays voisin et plus personne viendra me faire chier. » Ouais enfin là ce soir, c’est plutôt moi qui vient faire chier.

Elle l’écoute avec la plus grande attention, la tasse de café fumante entre ses doigts. La chaleur s’étend jusqu’à la tasse, qui réchauffe peu à peu ses doigts. Elle aime cette sensation. Ça ne brûle pas, mais c’est réconfortant. Comme de s’envelopper dans une couverture soyeuse au coeur de l’hiver, quand il fait frisquet dehors. Même si, c’est clairement pas avec le climat de Los Angeles que cette scène peut se produire régulièrement en hiver, à moins d’être véritablement très frileux. La situation d’Eliot est assez complexe, Tony en convient, mais elle n’est pas non plus catastrophique. D’accord, le lien entre la femme qu’Eliot fréquente et sa mère biologique est fort, ce qui peut perturber, mais cela reste une amitié. Il n’y a pas de lien de parenté, ou quelque chose d’aussi repoussant. La lieutenant pourrait parler de la différence d’âge, même sans connaître l’autre jeune femme, mais si la relation a eu lieu avant de connaître le lien avec sa mère biologique, c’est que ce n’est pas un problème à ajouter à l’équation. De ce fait, Tony ne voit pas ce qui bloque son (ex ?) amante. « Une minute Eliot ! Qu’on ne choisit pas ? Si, on choisit quand c’est juste une histoire de cul, un plan d’un soir, une petite passade… donc si tu penses comme ça, c’est que c’est potentiellement sérieux. Qu’il est question de sentiments. » Ce n’est pas l’intention de Tony de mettre le couteau dans la plaie, mais bon, là, c’est flagrant. Ce sont des phrases que l’on prononce dans le cadre d’une relation amoureuse, pas d’une transition ou une histoire de fesses. Elle en sait quelque chose, car elle n’a pas spécialement envie de se poser avec quelqu’un. Bon, il y a de temps en temps la fameuse horloge biologique qui s’affole, pour lui rappeler que le temps passe, que si elle espère un jour fonder une famille, faudrait pas trop tarder à ouvrir les yeux avec un regard sur le long terme, mais la plupart du temps, Tony l'envoie chier. C’est sûrement l’approche de ses trente ans qui court circuite son centre de raisonnement. Il ne faut pas trop s’inquiéter. Elle va faire abstraction à cet âge durant toute une année, et passer de vingt-neuf à trente et un ans. Et voilà, plus de problèmes ! « En tout cas, fuir ailleurs ne va pas régler tes soucis. Ça fait longtemps que j’ai capté que la technique de l’autruche, c’est merdique. En plus, c’est faux ton truc. Car moi, je viendrais te faire chier dans ton pays voisin. » Dit-elle, un sourire taquin aux lèvres, tandis qu’elle pousse doucement la jeune femme à l’aide de son pied. Doucement, car elle ne voudrait renverser aucune des tasses. Le café brûlant, c’est pas le bon plan pour commencer la journée du bon pied. Mais oui, ça serait tout à fait le genre de Tony. Plusieurs personnes aiment lui dire qu’il est aussi coriace que la mauvaise herbe, qu’elle revient toujours. Et c’est pas faux.

 « Une minute Eliot ! Qu’on ne choisit pas ? Si, on choisit quand c’est juste une histoire de cul, un plan d’un soir, une petite passade… donc si tu penses comme ça, c’est que c’est potentiellement sérieux. Qu’il est question de sentiments. » Je fronce un peu les sourcils. J’avais pas ni besoin ni envie d’entendre ça. Pourtant, il faudrait que j’y pense quand même. Non. Pas envie d’y penser. Mais je sais que si ça me fait autant chier qu’Ellen connaisse ma mère - et inversement - c’est aussi et surtout parce qu’il se passe quelque chose avec Ellen. « Mouais. » Ma nonchalance légendaire. Je ne compte pas avouer que j’ai des sentiments pour Ellen, même si c’est le cas. « En tout cas, fuir ailleurs ne va pas régler tes soucis. Ça fait longtemps que j’ai capté que la technique de l’autruche, c’est merdique. En plus, c’est faux ton truc. Car moi, je viendrais te faire chier dans ton pays voisin. »Je me mets à rire un peu et lève les yeux au ciel. « Ouais, la preuve aujourd’hui, on est jamais tranquille nulle part, même au milieu de la nuit, et après avoir déménagé, hum ? » Je lui adresse un sourire taquin. Je hausse un peu les épaules finalement, en gardant mon regard rivé dans mon café que je fais tourner dans sa tasse. « Enfin voilà, la vie d’Eliot ces derniers temps. Génial quoi. Et toi alors, raconte. » Je repose mon regard sur son visage et esquisse un nouveau sourire. « Fais pas genre que t’as rien à raconter. Cette fille avec qui t’es en coloc, c’est vraiment juste une copine ? » Quoi ? Je me renseigne. Pas nécessairement parce que je suis intéressée par Tony - quoi que, qui ne le serait pas - mais surtout parce qu’avec le temps, même si on a plus souvent partagé les mêmes draps qu’échangé sur nos vies respectives, on a quand même tissé un certain lien amical. Elle est tout à fait le genre de nana, comme Willie, avec qui j’aurai pu être amie depuis gamine. Je suis fidèle en amitié, étrangement. Enfin, contrairement à mes relations amoureuses. Je sais pas pourquoi, peut-être que je devrai consulter pour essayer de comprendre, mais j’ai trop peur de ce que je pourrai découvrir. Alors non, merci, ça ira. C’est déjà bien assez compliqué comme ça.

Eliot… Eliot… Eliot… Son prénom pensé plusieurs fois, qui pourrait s’accompagner d’un mouvement de tête de droite à gauche pour faire comprendre sa désapprobation. Cette fille est la meilleure dans l’exercice de l’autruche, mettre la tête dans le sol, pour se couper du monde, ou au contraire, observer les papillons dans le ciel en n’écoutant pas un traître mot de ce que les autres peuvent dire. Si elle se plaît dans cet exercice, c’est son problème, pas celui de Tony. La brune n’a pas trop de mal à dire ce qu’elle pense, assumer pleinement ses choix, comme celui de ne pas être encore posée dans une relation sérieuse à presque trente ans. La lieutenant aime son statut de célibataire indépendante. Elle aime pouvoir papillonner comme elle le désire, sans se menotter à un homme ou une femme pour les vingt ou trente prochaines années. Les sentiments, c’est pas sa cam’. Elle préfère l’adrénaline, l’aventure, l’extrême. Un jour, peut-être. En tout cas, elle respecte les choix de son amie. Si Eliot ne veut pas parler, alors Tony ne compte pas insister. Par contre, elle ne résiste pas à la faire chier un peu. « Mais carrément. On ne peut même plus dormir tranquille dans cette ville ! C’est dingue ça. » dit-elle pour entrer dans le jeu de la jeune femme. Mais le sérieux reprend vite sa place dans le salon, avec un certain silence, rompu par Eliot qui clôture en quelque sorte le chapitre sur sa vie, pour ouvrir celui qui concerne la vie de la lieutenant. Tony lève les yeux au ciel. Il y a tellement de choses à dire, et presque rien, en définitif. Mais avant qu’elle ne puisse choisir un sujet, la Donovan revient sur celui de la coloc’ de Tony. Décidément. « Serait-ce de la crainte que je lis dans tes yeux ? Celle que je te remplace par une autre… » La Morales n’est pas sérieuse, et son ton l’exprime à merveille. Elle veut seulement taquiner son amie, qui semble très intéressée par Loïs, la colocataire de Tony, et de la relation qu’il peut y avoir entre les deux femmes vivant sous le même toit. Finalement, la brune lève les mains en l’air, pour prouver de son innocence, et de sa bonne volonté à répondre sérieusement. « Loïs est juste une amie. Au début, c’était une collègue, et on a sympathisé. Il y a tellement peu de femmes dans le métier qu’il faut faire jouer la solidarité féminine. Donc pauses clopes et cafés. Et quand elle a eu besoin d’un toit, j’ai pas hésité à lui proposer de venir ici. Il faut bien s’entraider. Mais on couche pas ensemble, si c’est ce que tu veux savoir, et c’est pas dans mes intentions. Faut pas mélanger boulot et vie privée. C’est le bordel ensuite ! » C’est une excuse à la con ça, même si dans le fond, la jeune femme est d’accord. Il faut réussir à faire la distinction entre la vie privée, celle en dehors du boulot, et le boulot. Être vingt quatre heures sur vingt quatre avec la même personne, c’est assez toxique. Tony a besoin d’indépendance, de son jardin secret. Or, Loïs le connaît déjà. C’est ce qui fait qu’il ne pourrait rien se passer entre elles. Et c’est très bien comme ça. La Garcia est une amie. Une amie sincère. Pas besoin d’y mettre une histoire de cul pour tout gâcher. « Sinon, côté boulot, j’ai un nouveau partenaire. Un mec misogyne, que je ne supporte pas, qui ne me supporte pas non plus. Je rêve de lui mettre un coup bien placé… j’espère que ça sera temporaire, et que j’aurai quelqu’un avec l’esprit ouvert ensuite. » Car elle ne se fait pas d’illusion. Lucas est dans une mauvaise passe, et Tony n’est pas certaine qu’il remette les pieds un jour au département de police avec la fonction de lieutenant.

« Serait-ce de la crainte que je lis dans tes yeux ? Celle que je te remplace par une autre… » demande-t-elle presque innocemment. Ça me fait rire. Je secoue la tête. « Non ça va, de ce côté aucune crainte. C’est le jour où tu m’annonceras que tu es fiancée ou que tu attends un gamin que j’pourrai avoir une crainte. Quoi que… » Petit sourire mutin au coin des lèvres. C’est vrai que moi, les femmes mariées, en couple ou maman, ça m’a jamais posé de problème. En réalité, y’a pas grand chose qui me pose problème. Finalement, la jolie brune répond à ma question. Sa coloc est juste une amie. Très bien. Après tout, ça reste un bon point pour moi. Je me mets à rire quand elle parle de mélanger boulot et vie privée. « Ça va, ça ça risque pas de m’arriver ! » Puisque je suis le 0,1% de femmes dans l’univers dans lequel je travaille. Tous mes collègues sont moches et gras - autant physiquement que dans leur manière d’être - et puis surtout ce sont des hommes. Aucune chance ! Mais dans le fond, je pourrai être d’accord avec elle. Sauf que moi, j’ai pas vraiment de limite en réalité. Si un jour je dois bosser avec une nana qui me plait et inversement, boulot ou pas, c’est clair que je coucherai avec elle. On se refait pas. « Sinon, côté boulot, j’ai un nouveau partenaire. Un mec misogyne, que je ne supporte pas, qui ne me supporte pas non plus. Je rêve de lui mettre un coup bien placé… j’espère que ça sera temporaire, et que j’aurai quelqu’un avec l’esprit ouvert ensuite. » Un nouveau rire franchit la barrière de mes lèvres quand elle parle d’un coup bien placé. « J’suis sûre qu’ils sont nombreux les flics misogynes. J’en ai déjà croisé quelques uns… » Je hausse les épaules et termine de boire mon café d’une traite maintenant qu’il n’est plus aussi chaud que quand elle me l’a apporté. « J’me suis toujours demandé pourquoi on continue à vouloir évoluer dans des métiers où les mecs continueront toujours de vouloir nous écraser. » J’suis pas féministe, j’ai peu d’espoir pour ça. Pour moi, la femme ne deviendra jamais l’égale de l’homme, ou alors dans des siècles, et je serai pas là pour voir ça. Un peu défaitiste, oui, sans doute. Même si bon, j’évolue quand même dans un métier quasi exclusivement masculin. Et je sais que je suis moins bien payée même si je travaille largement plus qu’eux. Mais j’suis payée, alors c’est déjà pas si mal. Je soupire un peu et laisse tomber ma tête sur le dossier du canapé, le cannabis est en train de doucement quitter mon corps.

Eliot et Tony n’ont jamais été ensemble, et c’est une constante qui n’a pas lieu de changer. La lieutenant, elle n’est pas faite pour les relations de couple, l’exclusivité. Rien que cette pensée lui donne des frissons dans le dos. C’est étrange, surtout d’entendre une femme dire cela, mais pas tant que ça. C’est seulement la preuve que le monde est fait que de préjugés. Un monde où toutes les petites filles rêvent d’un mariage de princesse, avec une robe dix fois plus grosse qu’elle, grâce à des montagnes de tulles et dentelles. Le prince charmant à côté. Le château. Les domestiques. Les petits animaux qui font le ménage. Et bien non, toutes les petites filles ne font pas ce rêve. Tony est dans ce lot. Elle a préféré le champs de bataille, les entraînements militaires, ramper dans la boue… plutôt que les soirées cocooning entre filles à se faire les ongles et parler des beaux gosses des téléréalités. Elle préfère circuler en ville sur sa moto, plutôt que dans une petite voiture coquette, rouge avec des points noirs pour rappeler l’apparence d’une coccinelle. Ouais, Tony aime faire l’inverse de ce qu’on attend d’elle. Alors, les relations de couple, les fiançailles, le mariage et la ribambelle d’enfants… trop peu pour elle.

Cependant, ça ne l’empêche pas d’être taquine avec son amie, surtout quand celle-ci montre un certain intérêt à la colocataire absente de la lieutenant. « Il y a plus de chance que je ramène un chien tout moche de la rue que je tombe enceinte. Tu peux me croire sur parole. » La contraception, c’est primordial pour Antoinette. Avec son boulot, elle est aux premières loges pour voir des gamines mineures dans la rue, enceinte jusqu’aux os, car elles n’ont pas fait gaffe, et qu’elles ont été foutues à la porte par leurs parents. C’est dingue de voir autant d’accident au 21ème siècle, alors que la contraception est accessible à tout le monde. Est-ce si compliqué d’avoir des capotes sur soi, pour éviter d’engendrer un enfant de plus dans cette vie de merde ? Il faut croire que ça relève de la mission impossible, pour la génération d’aujourd’hui. Triste monde. Elle répond ensuite à Eliot au sujet de Loïs. Point d’histoire de fesses là dessous. La Garcia est son amie, sa collègue, et rien de plus. Même si elle est séduisante, intelligente, et qu’elle pourrait parfaitement plaire à Tony, cette dernière refuse de faire quoique ce soit. Il y a certaines relations qui doivent rester intact, pour ne pas les mettre en péril. Un rire fuse de ses lèvres face au commentaire de la Donovan. C’est vrai qu’à son boulot, elle n’est pas servie. Ce n’est pas le lieu idéal pour aller à la chasse au plan cul. Un bon plan pour avoir des bières abordables, ou alors pour trouver le meilleur bistro du coin, mais c’est tout. Alors, elle préfère ne pas s’étendre sur le sujet, mais lui parler des nouveautés à son boulot. Rien de bien réjouissant, seulement un sale type qui devrait prendre sa retraite pour lui foutre la paix. « C’est souvent le cas avec ceux de l’ancienne génération. Les nouvelles recrues, ça va encore, ils ont l’esprit un peu plus ouvert. Ils voient l’uniforme, et pas les formes qu’il y a en dessous. » Attention, il y a des exceptions. Genre les fils à papa qui ont l’esprit bourré de conneries. Ou les futurs ripoux. Mais ça, c’est comme partout, malheureusement. Il faut du bon, et du moins bon. Tony fait mine de réfléchir, à la question de son amie. C’est une bonne question, bien que la réponse lui semble évidente. « Car on a envie de changer ça ? J’ai conscience qu’une évolution positive va prendre des décennies, qu’on ne sera peut-être même plus là pour le voir, mais chaque petit pas va conduire à quelque chose de meilleur. Les conditions sont toujours aussi difficiles pour les femmes, mais il faut reconnaître qu’il y en a de plus en plus dans la police, chez les pompiers aussi, et même dans les affaires. Avant, c’était exclusivement masculin, et ce n’est plus rare de voir des cheffes d’entreprises ! » Une évolution qui fait plaisir à voir. La preuve que le monde avance. Que les esprits fermés vont devoir rester sur leur garde. Il y a de plus en plus de mouvements pour les femmes. Les voix s’élèvent. Les choses bougent. Par contre, il est un peu tôt (ou tard) pour avoir un tel débat. En fin de journée, après le boulot, avec de la pizza et des bières, pourquoi pas. Mais à 4h du mat’, avec du café comme carburant, c’est dur. C’est très dur. D’ailleurs, Tony ne manque pas les signes de fatigue qui s’installent chez son amie. Une vision qui la fait doucement sourire. « Tu peux aller dormir dans mon lit si tu veux. J’ai réchauffé la place. » La brune ferait bien de même, mais ce serait prendre le risque d’être encore plus fatiguée au réveil, et avec en prime, un bon mal de crâne.

« Il y a plus de chance que je ramène un chien tout moche de la rue que je tombe enceinte. Tu peux me croire sur parole. » Je pouffe de rire, manquant de cracher la gorgée de café que j’étais en train d’essayer d’avaler. Dit comme ça, faut dire que c’est drôle. « Bah voilà tu vois, t’as pas un chien errant, t’as une Eliot errante ! » Je préfère le jouer à l’humour. C’est comme ça que je fonctionne, à condition de me sentir déjà en confiance. Parce que avant ça, je suis plutôt très fermée et très peu bavarde. Sauf quand je vais draguer là c’est une autre histoire. Nous enchaînons sur son boulot, ce collègue dont elle dépeint un portrait loin d’être fameux. Ça me fait grimacer, parce que je déteste les mecs comme elle le présente. Je déteste les mecs tout court à dire vrai, mais ça c’est autre chose. Elle m’explique que l’ancienne génération était beaucoup misogyne, moins chez les nouvelles recrues. Encore heureux, les mentalités évoluent un peu. Ça me fait d’ailleurs me poser une question, je n’ai même pas la réponse. Tony part dans une dissertation thèse antithèse synthèse. On voit qu’elle est passionnée, ça, y’a pas à dire. Mais elle a raison, je suis d’accord avec elle, et j’acquiesce même d’un hochement de tête. « On sera peut-être pas là pour voir ça, c’est vrai. » Et c’est triste d’ailleurs. Même si bon, moi je fais pas ce boulot par militantisme. Je fais ça parce que je suis tombée dedans, il parait que je suis plutôt douée alors je continuer, maintenant que je suis formée. C’est pas pour autant que j’aime bien ce que je fais, mais j’ai au moins le mérite de le faire correctement, contrairement à la plupart de mes collègues. Et puis, je vois pas pourquoi je changerai de boulot, je sais même pas ce que j’aurai envie de faire… « Tu peux aller dormir dans mon lit si tu veux. J’ai réchauffé la place. » Ça se voit tant que ça que je suis déglinguée de fatigue ? Merde alors. « Franchement, je dis pas non. Ça te dérange si je prends une douche avant, histoire de pas salir tes draps ? » Je lui adresse un petit sourire mutin. J’ai jamais dormi très habillée de toute manière, et elle le sait. Enfin, même si les fois où on a passé des nuits ensemble, j’étais pas forcément là à son réveil, ou inversement d’ailleurs. « Tu veux pas te recoucher un peu ? Promis je prendrai pas trop de place. » C’est un risque à prendre que de dormir dans le même lit, mais on peut toujours essayer…

« Tant que la Eliot errante ne ramène pas de puces, je l’accepte chez moi ! » Ouaip. La connerie n’est jamais loin, et il suffit d’un rien pour l’activer. Mais que voulez-vous. Ce monde est déjà assez merdique pour déprimer. Autant trouver du bonheur partout où il y en a. Rire est un bon début. Ne pas se prendre la tête. Préférer la légèreté plutôt que les complications. Car rien qu’à son boulot, ce n’est pas tous les jours la joie. Tony, elle adore son métier. Ce n’est pas pour rien qu’elle a changé d’avis en chemin, plaquant les études qu’elle faisait pour suivre les traces de son père. L’école de police. S’engager dans l’armée. Et revenir avec une belle plaque de lieutenant. Sauf que derrière toutes ces jolies choses, il y a l’aspect pesant, celui installé par les anciennes générations qui trouvent à redire sur la présence des femmes dans des domaines comme les forces de l’ordre. Pas assez de force pour maîtriser les suspects. Trop émotive. L’humeur changeante à cause des menstruations chaque mois. Des conneries, ni plus ni moins. Tony a prouvé plus d’une fois sa valeur, mais il y en a qui font la sourde oreille, et qui ferment les yeux. Comme ce nouvel équipier, durant l’absence de son partenaire Lucas. Heureusement, il n’y a pas que des cons là où elle bosse. Les nouvelles recrues sont différentes. Plus ouvertes. Mais pas assez nombreuses pour assumer certaines décisions haut et fort. Ce n’est pas pour rien que Tony ne clame pas sa bisexualité au boulot. Ce serait se mettre une cible dans le dos, plus grosse que celle qu’elle a déjà à cause de sa condition de femme. Même si elle n’a pas peur d’aller dans l’tas, la brune n’est pas à ce point suicidaire. Il faut juste garder l’esprit positif. Se dire que les choses changent. Vont changer. Évoluer dans l’avenir. Le seul hic, c’est que ça prend tellement de temps, une allure d’escargot, que les jeunes femmes seront déjà six pieds sous terre depuis longtemps avant que ça n’arrive. Si un jour l’une d’elles a des enfants, ce n’est même pas sûr qu’il ou elle pourra voir les changements. La Terre a bien le temps de clamser par un nouvel astéroïde ou une troisième guerre mondiale quoi.

Le café terminé d’une traite, la lieutenant propose alors à Eliot d’aller dormir dans son lit, si elle le désire. Elle est fatiguée, ça se voit sur son visage. Et si elle a pris quelque chose avant de venir ici - alcool ou drogue, il faut s’attendre à un coup d’fatigue qui va lui tomber dessus, comme une bonne claque sortie de nul part. La brune lève un sourcil intrigué. Sérieusement, l’excuse de ne pas salir les draps pour aller prendre une douche ? Un peu limite, mais pourquoi pas. « Fais comme chez toi, j’ai rien à cacher. La salle de bain est de ce côté. » dit-elle en pointant un doigt dans la bonne direction. Tony n’est pas quelqu’un de matérialiste. En fait, son appartement, c’est seulement un endroit pour dormir, passer le temps quand elle n’est pas au boulot. Un toit au dessus de la tête quoi. Mais elle n’y tient pas plus que ça. Elle pourrait déménager trente fois par an, que ça lui serait complètement égal. Elle sait au fond d’elle qu’elle ne va pas passer sa vie dans cet endroit. C’est temporaire, le temps de savoir ce qu’elle veut faire de sa vie privée. Pour l’instant, pas grand chose. Ce mode de vie lui convient. Papillonner. Ne pas se poser de question. Profiter de la vie. Prendre du bon temps sans s'enchaîner à quelqu’un. « Juste une place au pied du lit ? » Sourire amusé qu’elle lui adresse, toujours dans ce délire du chien errant. L’idée de se recoucher n’enchante que très peu Tony. Elle sait que si elle prend une heure de sommeil supplémentaire, c’est prendre le risque de se réveiller avec la tête dans l’cul, et la migraine qui accompagne souvent cet état. Mais après tout, la brune n’est pas obligée de dormir. Elle peut juste faire acte de présence, et prendre de l’avance sur son boulot si elle ouvre l’ordi portable. « Va te doucher. Je t’attends dans la chambre. » Et sur ces mots, Tony se lève du canapé, récupérant au passage les deux tasses de café pour aller les mettre dans l’évier, avant de retourner de là où elle vient, à savoir la chambre à coucher, pour laisser de l’espace à son invitée surprise.

 « Tant que la Eliot errante ne ramène pas de puces, je l’accepte chez moi! » Je me mets à rire, et imite un chien qui a des puces, en passant ma main derrière mon oreille comme si je me grattais. « J’en suis pas si sûre. » Juste une manière de continuer sur la même lancée, et la même légèreté. C’est ce que j’aime bien avec Tony, c’est que je me suis jamais pris la tête. Puis même, elle est flic, je me pointe chez elle au beau milieu de la nuit, légèrement défoncée, et elle me laisse quand même prendre une douche et dormir un peu. C’est une fille bien, ça m’étonne pas qu’elle ait choisi cette voie, ça lui correspond bien, du peu que je la connais en tout cas. On peut pas dire qu’on ait eu de trop grandes discussions non plus, même si c’est pas une inconnue non plus. Et puis, maintenant elle sait que j’vis un truc un peu particulier avec la meilleure amie de ma mère biologique. Génial n’est-ce pas ? Je demande à la jeune femme si je peux aller prendre une douche, elle ne me le refuse pas et m’indique directement la salle de bain. Je lui propose quand même de revenir dormir un peu, après tout, c’est de ma faute si elle s’est réveillée si tôt. « Juste une place au pied du lit ? » Je ris à nouveau et hoche la tête. « Je sais bien me mettre en boule t’en fais pas ! » Finalement, elle accepte, et retourne dans son lit pendant que je vais à la douche. Je ne prends pas mille ans même si j’en ai franchement envie, mais en réalité, je m’endors un peu, donc autant aller directement au lit. Je me sèche et c’est simplement en boxer que je rejoins la brunette dans sa chambre. Je me glisse sous les draps en baillant, voyant que Tony est déjà sur son ordi, je vais pas tenter quoi que ce soit, et puis je suis crevée de toute manière. « Tu claqueras la porte en partant. » Je ricane un peu, faisant semblant que je vis ici alors que c’est l’inverse. « Il se peut que je dorme encore quand tu rentreras du boulot. » Je souris tout en m’endormant, et me laisse bercer par les cliquetis de ses doigts sur le clavier.