You need me and I need you [Elliot]

La situation est un peu tangente en ce moment avec Eliot. Non pas entre elle et moi, mais entre elle et elle-même. Elle vient d’apprendre qui était sa mère, qu’elle est non seulement tout près mais qu’elle l’a suivie, durant toute son enfance, qu’elle sait tout des grandes lignes de sa vie… Mais tout ce qu’Eliot en retient pour le moment, c’est qu’elle n’a pas fait l’effort de la récupérer, de lui dire qui elle était, ou bien de changer son destin en lui offrant une vraie mère biologique tout en sachant qu’elle en avait besoin.
Elle ne le formule pas réellement, elle le fait comprendre, à demis mots, tout est comme ça chez Eliot. Se livrer est compliqué et pour tout dire, j’ai du mal à comprendre tout ce qui se passe dans sa tête. Si tant est qu’on puisse l’expliquer. J’imagine que tout se bouscule, que tout doit fuser à cent à l’heure. Et si ça ne complique pas son sommeil, ça change son comportement. Elle est de moins en moins là et quand elle l’est, elle est nerveuse, sur le qui-vive, sursaute plus facilement à tout ce que je peux renverser, un enfer. Elle est pourtant patiente, au-delà de ce dont je la pensais capable. Plus câline aussi je crois. En tout cas c’est l’impression qu’elle me donne, surtout dans les moments où il lui arrive de se glisser dans mon lit la nuit, pour ne pas dormir seule. Elle ne tente jamais rien quand c’est elle qui me rejoint. C’est moi qui le tente parfois quand je la rejoins dans sa propre chambre. Mais à l’inverse, quand ça se passe dans la mienne, c’est souvent pour une présence, un câlin, et pas d’avantage.
D’ailleurs elle est de sortie ce soir. Une soirée chez des potes d’un pote, son texto était succin. Je ne lui demande jamais de compte, elle est chez elle et ne me dois rien. Même si notre relation est ambigüe, nous ne nous sommes rien promis, ce serait la meilleure façon de la voir m’échapper, je le sais.
Je me suis installée sur le canapé, avec un bon bouquin et une tasse de thé… il y a plus sexy, mais personne pour constater. Et je me suis lamentablement endormie au bout de 50 pages. C’est mon portable qui me réveille, qui vibre sur la table basse. « Eliot ?... » J’entends du bruit, beaucoup de bruit, et surtout des cris, une bagarre ? La voix d’Eliot semble lointaine et ça n’est pas parce que j’ai la tête dans le coton. Je le sais. « Tu bouges pas, tu m’envoies l’adresse, j’arrive. » Je me lève précipitamment, vais enfiler un jean sous ma nuisette et me prend le genou dans un meuble, et merde. Je prends mes clés, et le volant jusqu’à l’adresse indiquée par Eliot, que je bascule sur le GPS. Je me retrouve devant une immense villa pleine à craquer, de la musique à fond et de l’alcool qui coule à flots. Mais ça se bouscule en bordure de terrain. Je me gare un peu en vrac, claque la portière, oubliant mon téléphone dans l’habitacle. Je la cherche, elle ne doit pas être vaillante, je crois bien qu’elle a trop bu… « Eliot ?! »

Depuis que j’ai appris qui était ma mère biologique, et appris aussi qu’elle suivait mon parcours depuis des années, je suis restée sur le cul. Ça m’a bouleversée plus que je n’aurai voulu que ça soit le cas. Et le pire je crois, c’est que ce soit la meilleure amie de la nana chez qui je vis. La nana avec qui je couche régulièrement. La nana avec qui je me sens bien. C’est dingue quand même, on dirait que chaque fois que j’arrive à me poser un peu, que je retrouve une espèce de calme, y’a tout qui foire. Toujours. C’était pareil avec Sofia, il a fallu que je fasse tout foirer. Cette fois, c’est pas de ma faute, mais le résultat est le même. Je sais plus où j’en suis. Je sais qu’Ellen est là pour moi, elle me le dit, me le montre assez pour que j’en ai la certitude. Mais parfois ça ne suffit pas. Et puis parfois je me contente de me glisser sous ses draps pour juste un peu de réconfort, une simple étreinte et un baiser sur le front. Je sais pas ce que je cherche, j’ai pas envie d’aller voir un psy pour qu’il me dise que je fais un genre de complexe d’Œdipe sur ma mère ou je sais pas quoi. Non alors c’est pas parce que je couche avec une meuf qu’a tout juste moins du double de mon âge, que c’est forcément en rapport avec le manque d’une mère. J’en sais rien en fait. Mais je préfère pas penser à ça, je couche pas avec ma mère putain. Bref, j’ai l’esprit embrouillé c’est l’enfer, et la seule façon que j’ai trouvé pour arrêter de trop penser, c’est sortir. Au boulot, j’envoie chier tout le monde, mais ils peuvent pas me virer, c’est moi qui fais tout. Je rentre crevée, je sors le soir, je dors très peu, et ce cercle vicieux est certainement en train de me coûter la santé.

D’ailleurs, ça tourne grave là. J’ai l’impression que mes jambes ne me portent plus. J’ai pris un truc mais faut croire que c’était pas fiable. J’ai la gerbe. Je gerbe jamais même quand j’ai trop bu. Là c’est chelou, j’ai plus de sensation dans le bout de mes doigts, et des fourmis à peu près dans tout le corps. Dans un instinct de survie, je m’enferme dans un placard où personne pourra venir me chercher ou me faire du mal. J’envoie un sms à Ellen, mais pas de réponse, alors je l’appelle. J’ai du mal à articuler, cette merde a pris possession de tous mes muscles on dirait. J’essaie de lui dire que ça va pas, je sens la panique dans sa voix. Elle me demande où je suis, j’en sais rien. J’ouvre l’application plan, fais une capture d’écran et lui envoie par sms, je suis pas capable de plus que ça. Le temps me semble infiniment long, et les effets ne se dissipent pas vraiment, on dirait qu’ils mutent doucement en moi, c’est la première fois que je vis un truc pareil. Ma tête va exploser, tous les sons sont amplifiés, j’ai l’impression d’entendre mon prénom, c’est la voix d’Ellen. Je délire complet. Et puis mon téléphone sonne et j’arrive même pas à décrocher, j’ai juste le réflexe de le mettre en silencieux après la troisième sonnerie. Pas assez vite, je suis repérée, quelqu’un ouvre la porte du placard pour me sortir par les pieds en se marrant. J’arrive à peine à me débattre, et même me relever c’est pas simple. C’est là qu’Ellen arrive. Qu’est-ce qu’elle fout là ? Est-ce que je délire ?

Ce n’est pas dans ses habitudes de me passer un coup de fil à pas d’heures parce qu’elle a trop bu et qu’elle veut que je vienne la chercher, et encore moins ivre morte. Elle est assez impressionnante pour ça. Boire comme un maçon ne la fait pas vaciller, moi je suis facilement joyeuse. Alors comprenez que son état, aux vues de ce que j’entends au téléphone, me fasse un peu flipper.
Je ne réfléchis pas longtemps à ce que je dois faire, juste aller la chercher, ça n’est pas si compliqué, si ? Après tout, elle n’est pas en état de rentrer et j’ai bien trop peur qu’un de ses amis, dans le même état, ne prenne la route pour la ramener et risque de se planter sur la route… je ne me le pardonnerais jamais. C’est dingue le lien qui peut nous unir petit à petit. Je ne me sens pas responsable d’elle comme le serait une grande sœur, ou une mère. Je crois que je suis simplement pleinement attachée à elle, d’un lien que je ne parviens pas à décrire mais qui ressemblerait à s’y méprendre à une grande attirance. Amoureuse ou pas, je ne suis pas prête à me poser la question, c’est beaucoup trop tôt. Et puis de toute façon, les mots, elle n’aime pas les mettre sur nous. Ni sur un choix à faire.
Je reçois la capture d’écran de son application. Elle a capté le truc, c’est naturel chez elle de fonctionner avec le dernier cri. Visiblement, même dans son état, cet éclair de lucidité numérique ne lui en coûte pas. Parfait, ça m’arrange.
Je fonce sans plus tarder à l’adresse indiquée. Une fête, ressemblant à s’y méprendre à une soirée du campus. Je vous promets que c’est parfaitement conforme à ce dans quoi Loan pouvait bien me trainer, et ça n’est pas pour me rassurer. Quand on savait ce qui y circulait… Bien qu’à l’époque, nous étions plus jeunes et la société, plus libérée. Bref, ça n’est pas le débat. Je demande aux jeunes s’ils ont pu croiser une nana s’appelant Eliot. Sans doute un peu éméchée. Et c’est là que je la perçois. Sous les sifflets de ses potes tous aussi mal qu’elle.
« Eliot. » Elle entend ma voix, et aussitôt se repère, en tout cas sait par où tourner la tête. Je viens lui soutenir le bras, puis la soutenir tout court une fois sur ses jambes. « Tu vas devoir aligner trois pas, et mieux que je ne le fais habituellement. Tu te sens d’attaque ? » Un bras autour de sa taille, son bras autour de mon cou, je tente de la ramener jusqu’à la voiture, mais elle pèse un âne mort. Et je manque de trébucher, et ben on est bien tiens ! « Qu’est-ce-que tu as pris Eliot ? » Elle ne me répond pas et j’ouvre la portière pour l’aider à grimper dans mon 4x4. « Juste un effort, s’il-te-plaît. » Je l’attache comme je peux, fait attention à sa tête et refermer la portière. Elle est en train de s’endormir ou je ne sais quoi. « Hey, Eliot tu restes avec moi. » Je suis calme en apparence mais au fond, je suis en plein élan de panique. Je dois prendre sur moi mais il n’y a rien d’évident. « Tu ne t’endors pas. Eliot ! Tu ne t’endors pas, sinon c’est direct aux urgences que je te ramène. » Je la menace pour tenter de faire mon effet mais tu parles… Je crois qu’au fond, elle s’en fout. Ou elle est déjà en train de sombrer ailleurs.
Je me gare dans l’allée de la maison, et serre le frein à main avant d’ouvrir la portière de son côté, soutenant sa tête comme je le peux pour éviter qu’elle ne tombe ou ne se blesse. Je la détache et la porte comme je peux. « Un dernier effort… » Difficilement mais avec succès, je parviens à l’aider à se laisser tomber sur le canapé. Tant pis pour le bouquin qui y traine. J’ai horreur de les plier, de les abimer, de les écorner, mais c’est un cas d’urgence. « Couvre-toi. » Je vais chercher une bassine dans la cuisine, non sans renverser un truc au passage, merde, l’eau de javel sur le sol. Tant pis, je nettoierais plus tard. « Si tu te sens pas bien, c’est là-dedans que ça se passe, d’accord ? » Les toilettes étant à l’étage, ça me paraît loin vu son état. Je glisse une main dans ses cheveux. Je devrais exploser, mais si elle en est là, c’est bien que c’est le chaos dans sa tête… « Eliot… »

Je ne suis pas dans mon état normal. Y’a un truc qui cloche, et j’ai encore un peut d’esprit, juste de quoi contacter Ellen pour qu’elle vienne me chercher. Je vois pas qui j’aurai pu appeler d’autre en qui j’ai confiance. Il n’y a plus qu’elle. Comme s’il y avait eu quelqu’un d’autre… Je me sens comme une poupée de chiffon, n’importe qui pourrait faire n’importe quoi de mon corps à ce stade, et heureusement Ellen arrive avant que le pire ne soit fait. « Tu vas devoir aligner trois pas, et mieux que je ne le fais habituellement. Tu te sens d’attaque ? » Sa voix est lointaine, pourtant je sens déjà ses mains sur moi, sa main à ma taille pour me relever et me soutenir. Avec son petit gabarit, je me demande bien comment elle arrive à m’aider à soulever ce poids mort qu’est mon propre corps. « Qu’est-ce-que tu as pris Eliot ? » « Je sais pas… » J’arrive à peine à ouvrir la bouche pour parler, j’ai mal partout, je fois flou, ma tête tourne, heureusement que je sais que c’est elle. Nous arrivons jusqu’à sa voiture et j’ai même du mal à monter à l’intérieur. Elle redouble d’effort et une fois installée, je me sens sombrer à nouveau, comme si j’arrêtais de lutter, maintenant que je suis en sécurité avec elle. J’entends sa voix de plus en plus loin, mes oreilles sifflent. « Tu ne t’endors pas. Eliot ! Tu ne t’endors pas, sinon c’est direct aux urgences que je te ramène. » Elle sait exactement comment me parler. Je lutte pour garder les yeux ouverts, mon corps se balance de gauche à droite au rythme des coups de volants d’Ellen, je lutte mais c’est dur. Nous arrivons à la maison, chez elle, chez nous, et elle me demande un dernier effort. Je m’écroule sur le canapé. Je sens déjà sa main dans mes cheveux, sa voix rassurante. Je fais un effort pour lever ma main et venir la poser sur sa jambe. « J’ai pris un truc pas clair. Ça me fait pas ça d’habitude. » J’avoue à demi mot qu’il m’arrive de prendre de la drogue. Après tout, c’est Ellen, elle est pas censée me juger. Quoi que ce soir elle serait en droit de le faire. « Merci d’être venue. » Je comate à moitié, mais j’arrive à peu près à articuler quelques mots, c’est déjà beaucoup…

Je ne veux même pas imaginer comment aurait pu tourner la soirée si elle ne m’avait pas appelé. J’aurais pu l’attendre des heures durant, des jours. Même si j’aurais fini par la chercher. Je sais qu’elle a besoin d’air, et je n’ai rien à redire là-dessus, mais il faut à un moment donné qu’elle prenne soin d’elle si elle ne me laisse pas le faire. Je peux le faire uniquement quand elle est à la maison. Je ne dis même plus chez moi, c’est aussi chez elle à présent… Elle y passe certes de moins en moins de temps, mais comment je peux lui dire quoi que ce soit ? Loan a raison, tout ce que je peux faire c’est me montrer patiente, et présente quand elle me le demande. Mais si je dois aussi m’inquiéter quand elle n’est pas là… Ca risque de devenir invivable, pour autant je ne peux rien dire. Elle aurait tout à fait le droit de m’envoyer balader. Je ne suis pas sa petite amie que je sache, je suis juste… une personne que j’espère spéciale. Mais je n’ai aucun statut pour elle.
Je la hisse avec grande difficulté à l’intérieur de la voiture et tente ensuite de la garder éveillée. Je parviens avec succès à cette étape, et une fois devant chez moi, il faut réitérer l’opération en vue de la laisser tomber sur le canapé. Un dernier effort… hors de question que je ne la monte dans sa chambre, elle n’y parviendrait pas et moi non plus pour tout avouer. « J’ai pris un truc pas clair. Ça me fait pas ça d’habitude. » Je soupire. Je me doutais qu’elle ne se contentait pas de quelques pétards, mais pour autant, je ne pensais pas que c’était si régulier. Mais est-ce si surprenant pour autant ? Je ne crois pas. Je l’installe un peu plus confortablement. Son discours est décousu, mais elle respire, elle est encore consciente, et je l’installe différemment, je pense à la suite. Elle est dans un sale état. « Un dernier effort Eliot, le dernier. Il faut que tu t’allonges sur le côté. » Je l’aide à tourner, même si elle grogne parce que c’est désagréable. Je la mets en position latérale de sécurité, on ne sait jamais qu’elle se mette à vomir, qu’elle finisse par faire un coma éthylique, ou quoi que ce soit d’autre. Une fois dans la bonne position, je glisse un coussin dans son dos, un autre sur son ventre, comme un cale bébé de fortune. « Merci d’être venue. » « Ne me refais jamais ça. Ne TE refais jamais ça, Eliot. » Je l’embrasse sur la tête, tendrement, passe une main dans ses cheveux, et glisse une couverture jusqu’à ses épaules.

Elle n’a pas tardé à s’endormir, et moi, j’ai trouvé refuge sur le fauteuil, avec un plaid, recroquevillée dans un coin pour avoir plus chaud. Je ne pouvais pas la laisser seule ici, imaginez qu’elle fasse un malaise, qu’elle se mette à convulser ? Je ne me le serais jamais pardonné. Je me sens tellement responsable… Sans pour autant savoir réellement pourquoi.
Les premiers rayons de soleil me réveillent à l’aube, Eliot dort à poings fermés, l’alcool aidant sans doute. Je pense que d’ici quelques heures, les effets de la drogue prise plus tôt dans la nuit finiront par se dissiper sans effort. On va vraiment avoir besoin d’avoir une grande discussion elle et moi. Je me lève sans faire trop de bruit, et me fait un café, puis un autre, que je bois dehors, sur la terrasse, accordant de temps à autre un regard en arrière, pour Eliot, qui dort toujours.
Et puis passé les midi, elle émerge enfin, mal de tête ? Tu m’étonnes… Elle se lève tant bien que mal, pour aller vomir une première fois. Il faut que ça sorte, de toute façon. Je ne veux pas jouer les intrusives, je la laisse se rincer la bouche, monter prendre une douche, je n’ai pour le moment pipé mot, j’attends que ça ne vienne d’elle…

Je suis dans un sale état. J’en ai bien conscience, et croyez moi je préfèrerai ne pas en être consciente. Ma tête va bien, enfin même si ça tourne pas mal, ça ne cherche pas à me rendre inconsciente. C’est les sensations qui sont horribles, mon corps semble être un shamallow, et j’ai même du mal à parler. Comme si ma mâchoire était anesthésiée. « Un dernier effort Eliot, le dernier. Il faut que tu t’allonges sur le côté. » Ellen est parfaite, elle prend soin de moi comme si j’étais… je sais pas. Comme si j’étais importante, comme si elle s’inquiétait pour moi. C’est peut-être le cas. J’ai pas l’habitude que ce soit le cas. Je la remercie d’être venue me chercher, je sais pas bien comment j’aurai fini si elle avait pas débarqué. « Ne me refais jamais ça. Ne TE refais jamais ça, Eliot. »[/color] Je n’entends que très vaguement ce qu’elle me dit, je suis en train de m’endormir. Juste le temps de sentir le baiser qu’elle dépose sur ma tête. Ses caresses dans mes cheveux finissent par m’achever et je m’endors comme une enclume.

J’ignore l’heure qu’il est quand j’émerge. Il fait jour, j’ai des aigreurs d’estomac et la bouche pâteuse. Ce qui me fait quitter le canapé plutôt que me rendormir ? Une putain d’envie de gerber. Heureusement j’arrive aux toilettes à temps. Après ça, je monte - avec un peu de difficulté - prendre une douche qui dure une éternité. Je pourrai mourrir dans une douche. Dans cette douche. Mais toute bonne chose a une fin. Alors je vais enfiler un t-shirt et un short de basket, avant de redescendre, pieds nus. J’ai encore l’estomac en vrac, ça fait des bruits chelou là dedans. Je rejoins Ellen dehors sur la terrasse, plissant les yeux à cause de la luminosité. Je laisse tomber ma carcasse sur une chaise en soupirant, et frotte mon visage de mes deux mains, frénétiquement. « Merci pour hier soir. Tu m’as sauvé la mise… » Faut bien commencer par quelque chose. Faut dire que je la fuis un peu depuis quelques temps. Peut-être que j’ai juste peur de ce qu’elle pourrait dire. Parce qu’au fond je sais une chose : j’ai pas envie de la perdre.

J’ai beau me dire que je n’ai pas le droit de m’en mêler, ça tourne en boucle dans ma tête. Pourquoi Eliott se fait du mal volontairement comme ça ? Quel besoin a-t-elle de se mettre en danger ? Elle l’était hier. Il aurait pu arriver n’importe quoi. Un viol, un accident, un coma éthylique et commençant à connaître les personnes qu’elle fréquente, ça n’est pas de la parano, juste du bon sens. Ça me fait peur. J’ai peur de ne pas trouver ma place auprès d’elle, ce qui me rendra totalement incapable de combler ses demandes, qu’elle ne formule même pas. Comment saurais-je si je suis légitime dans l’aide que je lui propose ? Je suis sûre qu’elle-même ne sait pas quelle place j’occupe pour elle.
Nous sommes plus proches que des amies, moins qu’un couple, un entre deux, et pour une rationnelle comme moi, c’est compliqué. Mais la différence d’âge fait que je sens un fil tendu, et ténu, qui pourrait se briser à la moindre étincelle, au moindre choc, alors je ne le provoque pas, pire, je l’évite.

Je la vois finalement se lever, dans l’urgence, pour aller vomir. J’aurais pu le prévoir. Combien de fois ais-je vu Loan faire la même chose au réveil à la fac ? En devenant maman, elle s’est calmée, mais avant… Ce qui est drôle c’est que si les générations passent, certaines valeurs sont intemporelles.
Je la laisse monter prendre une douche, elle ne peut que lui faire du bien, si elle ne s’endors pas dessous. Le temps de nettoyer à fond la cuisine, je n’hésite pas sur les produits, j’ai besoin de récurer, même si ça n’est pas sale, c’est ma thérapie à moi.
Elle redescend et vient me rejoindre, pour se hisser sur un tabouret de bar, la mine grise, et l’air exténué.
« Merci pour hier soir. Tu m’as sauvé la mise… » « Tu m’as appelé. » Autrement dit, il était hors de question que je ne l’abandonne à son propre sort. Pour autant, je ne cautionne pas ses fréquentations, mais je n’en pipe mot. « Ce sont vraiment des amis à toi ? » Pliant à présent toute une panière de linge. Je ne suis pas souvent là la semaine et tout a tendance à s’accumuler. Je lui fais couler un verre d’eau pour y faire fondre une aspirine et faire glisser le tout sur le comptoir, pour sa gueule de bois. « C’était quoi ce trip hier soir ? » Je ne lui demande pas de comptes, pas comme une petite amie en demanderais. Ma voix est très douce et j’ai juste besoin de l’entendre me rassurer sur le fait qu’elle n’ait pas fait preuve d’un acte totalement irréfléchis et destructeur.

Je suis pas du genre très expansive, parler c’est pas ma tasse de thé. Peut-être que ça me ferait du bien, si je le faisais avec quelqu’un qui a un certain recul sur la situation. Ellen n’est donc pas la personne toute indiquée, et de toute manière, même si j’en avais envie je crois que je m’en sentirai incapable. Une fois dans la cuisine, et après avoir regardé Ellen s’activer - pour faire passer le temps plus vite et occuper ses mains maladroites, je la connais - je décide d’au moins la remercier. C’est la moindre des choses en même temps. « Tu m’as appelé. » C’est un fait. J’en ai pas grand souvenir, mais c’est que mon inconscient ne s’est pas laissé faire, et qu’il a choisi une personne de confiance, et responsable, pour me venir en aide. C’est pas rien. « Ce sont vraiment des amis à toi ? » demande-t-elle en venant glisser un verre d’eau devant moi, dans lequel elle a fait tomber un cachet d’aspirine. Je sais pas ce que j’ai fait pour la mériter, et en plus je fous tout en l’air. « Des amis ? Nan… des amis j’en ai très peu, et c’est pas le genre à fréquenter ce genre d’endroit. » Alors qu’est-ce que je foutais là ? C’est la question qu’elle se pose, j’en suis certaine. « C’était quoi ce trip hier soir ? » Je soupire un peu, j’ai l’impression de devoir rendre des comptes, je déteste ça, je me sens comme une gamine qui a fait une connerie. C’est un peu le cas en même temps je crois. « Ecoute, j’sais bien que tu comprends pas, j’te demande même pas d’essayer. C’est ma manière à moi d’arrêter de penser un peu. Toi tu fais le ménage et tu ranges le linge, moi j’prends des trucs qui mettent mon cerveau en pause quelques heures. » C’est malheureux. Je sais. Et j’aime pas la manière dont je m’adresse à elle, mais merde, j’me sens jugée, et je déteste ça. J’imagine que c’est pas ce qu’elle voulait me faire ressentir, je me doute bien qu’elle est inquiète pour moi, mais chacun son truc pour arrêter de penser, c’est tout. « J’suis pas comme toi, je gère pas les choses difficiles avec autant de… facilité. Même si j’imagine que c’est que des apparences tout ça. » Je suis pas conne. C’est pas comme si elle avait pas d’émotions, ça doit être dur pour elle aussi, et elle a quand même perdu son mari et son fils. Comment on survit à ça hein ? Je lui arrive même pas à la cheville. « Je suis pathétique je sais. » Et ça, c’est la façon dont je me vois…

Je ne lui demande pas de me rendre des comptes, enfin, pas totalement. Mais j’ai cruellement besoin de savoir ce qui a bien pu se passer. Elle se détruit, consciemment, ça, je le sais. Mais si je peux comprendre la faille, même si je la devine, il faut que je puisse réfléchir à une solution. Je ne la regarderais pas se noyer sans m’en mêler. J’y tiens beaucoup trop, et même si ma place à ses côtés n’est pas définie, j’ai tout de même un rôle à jouer. Quel qu’il soit.
« Des amis ? Nan… des amis j’en ai très peu, et c’est pas le genre à fréquenter ce genre d’endroit. » Non, ce ne sont pas ses amis, mais en fait, je m’en doutait un peu. De vrais amis ne l’auraient pas laissé se démonter la tête de cette façon, ou en tout cas, n’auraient pas encouragé cette débauche, et l’auraient protégé plus qu’ils ne l’auraient mise à l’épreuve, parce que je sais très bien que c’est ce qui s’est finalement passé à la soirée. Si je n’étais pas venue, elle aurait fini dans je ne sais quel endroit à honorer je ne sais quel pari débile.
« Ecoute, j’sais bien que tu comprends pas, j’te demande même pas d’essayer. C’est ma manière à moi d’arrêter de penser un peu. Toi tu fais le ménage et tu ranges le linge, moi j’prends des trucs qui mettent mon cerveau en pause quelques heures. » Au moins, elle est franche. Mais il me faut quelques secondes pour faire le tri dans tout ça. Pour comprendre, pour savoir quoi lui répondre sans la froisser davantage. Son ton est devenu agressif, mais ça, c’est juste sa façon de s’exprimer quand elle se sent prise en faute. On se fait à tout. Ça ne me perturbe pas, il en faut un peu plus pour me déstabiliser. « Que tu prennes ces trucs, je ne pourrais pas t’en empêcher. Je ne suis pas ta mère, ni… enfin je ne sais pas ce que je suis. Mais si je peux me permettre un conseil, quitte à te démonter la tête comme tu le fais, fais-le au moins dans un endroit où tu es en sécurité. C’est pas forcément toi le danger, c’est eux. Et si tu n’avais pas eu un sursaut de conscience, Dieu sait où tu aurais fini. » Je ne suis pas pour qu’elle se drogue, qu’elle s’évade de façon chimique, mais pour l’heure, ça n’est pas l’urgence. « Ce ne sont pas tes amis Eliot, ce ne sont même pas des gens bien pour toi. Tu mérites mieux que ça. » Et je ne lui ferais pas le discours sur les dangers de la drogue, elle le connaît par cœur, c’est bien pour ça qu’elle les prend d’ailleurs.
« J’suis pas comme toi, je gère pas les choses difficiles avec autant de… facilité. Même si j’imagine que c’est que des apparences tout ça. » Je pose ma main sur la sienne pour la calmer, et soupire, je prends sur moi. Bien évidemment que ce ne sont que des apparences mais parler de moi, là, tout de suite, ne me mets pas dans les meilleures dispositions pour l’aider. « Je ne te juge pas Eliot. Je te veux simplement à l’abri. » Ce qu’elle ne semble pas vouloir. « Je suis pathétique je sais. » « Hey, ça ne t’avancera pas ça. L’apitoiement c’est juste chiant, d’accord ? Alors tu relèves la tête et tu prends conscience que t’es bancale, mais ça, tu n’as besoin de personne pour te le rappeler. Seulement, tu n’es pas que ça. Tu es capable de beaucoup de choses, que tu ignores encore. Mais il y a au moins une personne qui croit en toi. C’est moi. Je ne te dirais pas comment te comporter. Tu vas le trouver toute seule. Par contre, je te dirais que tu vaux beaucoup mieux qu’eux, beaucoup mieux que tout ça. Et que ta vie n’est pas obligée de ressembler à un tel chaos. Toi aussi tu as le droit d’être heureuse Eliot, c’est pas réservé à l’élite. » Je caresse sa joue, je sens son mal de tête jusque dans son regard, et son sentiment de frustration combattre son envie de se laisser aller, à l’intérieur de sa tête où tout semble bouillir. « Qu’est-ce-que tu cherches à oublier ? Sophia ?... » Son ex. Et ce serait légitime, même si ça fait mal.

Je suis sincère avec Ellen, je l’ai toujours été. Elle me connaît probablement mieux que personne, mieux que Sofia même. Avec mon ex, j’étais pas vraiment moi-même, ou en tout cas je tentais d’être un peu celle qu’elle voulait que je sois. Au début, ça me plaisait de juste lui faire plaisir et puis j’ai fini par me rendre compte que ce n’était pas ce que je voulais, pas comme ça que je voulais vivre ma vie. Mais il était trop tard et les sentiments s’en étaient mêlé depuis trop longtemps pour que j’ai la force de dire stop sans tout foutre en l’air. Et j’ai tout foutu en l’air. J’ai la sensation de n’être capable que de ça de toute manière. C’est exactement comme ça que je me vois, comme une fouteuse de merde. « Que tu prennes ces trucs, je ne pourrais pas t’en empêcher. Je ne suis pas ta mère, ni… enfin je ne sais pas ce que je suis. Mais si je peux me permettre un conseil, quitte à te démonter la tête comme tu le fais, fais-le au moins dans un endroit où tu es en sécurité. C’est pas forcément toi le danger, c’est eux. Et si tu n’avais pas eu un sursaut de conscience, Dieu sait où tu aurais fini. » j’ai bien conscience de ce qu’elle dit, et je sais qu’au fond elle a raison, mais me démonter la tête toute seule c’est pas pareil, ça rime à rien, ça ferait que m’angoisser davantage. Pourtant, je préfère ne rien répondre, je n’ai pas envie d’empirer l’idée qu’elle a déjà de moi. Ça suffit. « Tu mérites mieux que ça. » Si elle savait. Si elle savait que non, je mérite pas mieux que ça. Ou en tout cas je n’ai clairement pas le sentiment de valoir mieux que ça. Je ne suis pas comme elle, et je le lui dis. Elle m’apparait comme une héroïne des temps modernes, qui a réussi à vivre un drame sans sombrer, et la voilà qui essaie de s’occuper de moi, d’une âme perdue. Elle perd son temps et son énergie, j’aimerai qu’elle le comprenne mais on dirait que je suis un peu comme sa bouée de sauvetage, comme si elle voulait me sauver pour se sauver. Oulà, je vais peut-être un peu loin, putain ce que j’ai mal au crâne. Elle me juge pas, elle me veut juste à l’abris. C’est ce qu’elle dit. Et moi, moi je me vois juste comme un putain de déchet. C’est pas comme ça que je le dis, j’emploie un mot presque trop savant pour ma propre bouche. Faut bien que je me mette un peu à son niveau. Des fois elle dit des trucs que je comprends même pas… Elle me reprend. Ça sert à rien de m’apitoyer sur mon sort. Si c’était aussi facile. « Tu es capable de beaucoup de choses, que tu ignores encore. Mais il y a au moins une personne qui croit en toi. C’est moi. »[/color] Bordel elle me donnerait presque envie de pleurer. Personne ne m’a jamais dit ces mots là. Personne. Et moi j’ai juste envie de courir loin parque j’ai l’impression de ne pas y avoir droit, comme si on m’avait privée de ça dès la naissance, comme si c’était un truc qu’on donne à certains et d’autres non. Je passe mes mains sur mon visage, essayant de retenir cette boule dans ma gorge qui me donne envie de fondre en larmes. Non. Je suis plus fort que ça. Je ne dois pas pleurer. Pleurer c’est pour les faibles. Mais putain je suis faible. « Qu’est-ce-que tu cherches à oublier ? Sophia ?… » Je garde ma tête entre mes mains et je soupire. « Tout. Sofia, ma mère, mon boulot merdique, mon incapacité à faire les choses correctement… » J’ai l’impression que tout le monde attend quelque chose de moi et je suis incapable de leur donner ce qu’ils attendent. Un déchet. Elle veut pas que je dis ça mais bordel ce que je le pense. « Excuse-moi. » C’en est trop. Je descends du tabouret et quitte la cuisine pour aller prendre une grande inspiration sur la terrasse. Mais ça suffit pas, et je m’effondre en larmes et en sanglots, me laissant tomber sur le sol, assise dans l’herbe sans plus pouvoir contrôler quoi que ce soit…

Je n’aime pas l’image qu’Eliot a d’elle-même, et ça n’est pas nouveau. Pour autant, je ne suis pas sûre de pouvoir lui faire changer d’avis tout de suite. Mais je compte bien y arriver, un jour ou l’autre, prendre sur moi la mission de lui faire comprendre qu’elle a de la valeur. Elle compte pour certaines personnes, elle a sans aucun doute des amis qui tiennent à elle, elle compte pour sa mère, même si pour le moment c’est bien trop compliqué et ça le sera peut-être tous les jours, personne ne le sait. Et elle compte pour moi, si elle savait à quel point… Si elle n’avait ne serait-ce qu’une toute petite mesure de ce qu’elle peut me faire comme bien, je suis sûre qu’elle verrait les choses autrement, et peut-être alors elle s’estimerait d’avantage, bien que ça me paraisse un peu compliqué. Mais je me promets à moi-même et à tout ce en quoi je crois qu’un jour, elle finira par comprendre et par accepter de se voir autrement. Qui sait, je suis peut-être en vie parce que j’ai une mission sur Terre ? On ne sait pas, personne ne sait. Je ne sais même pas en quoi je crois. Je suis juste sûre de croire, ce qui n’est déjà pas mal.
Je sens bien que mes paroles ont un impact, même minime, mais je lis dans ses yeux qui se remplissent de larmes qu’elle prend tout ça en pleine tête. Elle n’a clairement pas dû entendre souvent ce que je lui propose. C’est pourtant important de les entendre non ? En tout cas, mon fils les a entendus chaque jour. Bien sûr, il était trop petit pour qu’on puisse remarquer l’impact que ça avait sur lui, même s’il avait l’air d’un gamin bien dans ses baskets, et très à l’aise en société. Et je voudrais qu’Eliot puisse ressentir un peu de ce bien être, juste un poil, et ça serait déjà franchement pas mal…
Je lui demande pourquoi elle se fait autant de mal, ce qu’elle cherche à fuir et pourquoi elle le fait. Je ne conçois pas réellement de me rajouter à sa peine, mais j’ai besoin de comprendre, ne serait-ce qu’à moitié. Ma question est donc ciblée. « Tout. Sofia, ma mère, mon boulot merdique, mon incapacité à faire les choses correctement… » « Eliot… » Je ne veux pas qu’elle se dénigre comme ça. Sofia est encore dans sa tête pour un bon moment, quant à sa mère… Sans doute pour le restant de ses jours mais je ne vais pas le lui dire. Pour son job, ça peut toujours s’arranger, je peux l’y aider, et je le ferais si elle est d’accord, mais il me reste sans doute une autre urgence à gérer.
Quand je la vois se lever du comptoir, et filer dehors… Et ce sont ses sanglots qui me déchirent le cœur. Comme un coup de poing au creux de l’estomac. Je ne peux pas la voir comme ça. Souffrir autant. Je me rends compte que ça me fait tout autant de mal à moi aussi… Elle est tellement torturée… Je lui laisse quelques secondes et suis son pas. Je me place derrière elle et passe mes bras autour d’elle, je la serre contre moi, aussi fort que je le peux pour lui offrir une coquille rassurante. Les mots ne suffiront de toute évidence pas. « Je le pense… Que tu es quelqu’un d’incroyable. Un jour tu vas y croire, autant que moi. C’est promis… Je peux t’aider. De la façon dont tu voudras. Tu n’es pas seule Eliot, tu ne le seras plus, je te le promets… » J’embrasse ses cheveux, doucement, j’espère simplement qu’elle fend un peu de sa coquille pour me laisser lui parler, pour entendre ce que j’ai à lui dire, même si les paroles feront écho plus tard, c’est elle qui en décide.

C’en est trop. Je craque. Je craque comme je n’ai plus craqué depuis des années, des décennies peut-être. Ça m’arrivait parfois, quand j’étais plus jeune, perdue, de me planquer dans un coin pour pleurer tout ce que j’avais à pleurer, et ressortir de là en jouant les dures à cuir. Me montrer forte, je l’ai fait un temps, et puis j’ai abandonné l’idée, le jugement des gens. J’en ai plus rien eu à foutre et j’ai commencé à sombrer encore plus. J’avais la sensation qu’avec Ellen tout était plus facile, que j’avais trouvé un semblant d’équilibre, je ne me sentais pas en cage comme avec Sofia, mais j’avais quand même de l’attention, et un peu d’amour aussi, même si je sais pas trop définir la forme qu’il prend, qu’il a pris. Et puis ma mère est arrivée comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, se foutant bien de savoir si j’en avais quelque chose à faire d’elle, si j’avais envie qu’elle entre dans ma vie comme ça sans prévenir. J’en voulais pas. Pas plus qu’elle quand elle a décidé de me laisser dans les mains d’autres personnes à ma naissance. Oui je lui en veux, et je ne suis pas sûre d’arriver à lui pardonner un jour. Mais ce n’est qu’une partie du problème, la partie immergée de l’iceberg. C’est comme si elle était venue telle une tornade pour tout remuer, et maintenant je sais plus où j’en suis, je sais plus qui je suis. Et je me détruis. Je sens les bras d’Ellen venir s’entourer autour de moi. Je reste recroquevillée, mes propres bras serrés autour de mes jambes que j’ai repliées contre ma poitrine, ma tête coincée entre mes genoux, inaccessible. Je déteste qu’on me voit pleurer. Pourtant je ne la repousse pas, et contre toute attente, sa présence m’apaise, mes larmes se calment doucement. « Je le pense… Que tu es quelqu’un d’incroyable. Un jour tu vas y croire, autant que moi. C’est promis… Je peux t’aider. De la façon dont tu voudras. Tu n’es pas seule Eliot, tu ne le seras plus, je te le promets… » C’est vrai que je n’arrive pas à la croire, parce que j’ai toujours tout fait n’importe comment. J’aimais Sofia, mais je l’ai trompée. Plusieurs fois. Mes amis ont tous fais les frais de mon immaturité. Y’au qu’au boulot que j’arrive à peu près à faire les choses correctement même si je déteste ce que je fais. Et puis y’a Ellen, qu’est arrivée comme un ange au milieu du chaos, et qui m’enveloppe de ses grandes ailes délicates. J’ai pas l’impression de la mériter, de mériter tout ce qu’elle m’apporte et pourtant elle est là. Toujours. Elle a raison, je ne suis pas seule. Elle est là. Mais pour combien de temps encore. Je suis la meilleure pour faire fuir tout ce qui est bon pour moi, alors je crois quelle ne sera plus là bien longtemps. Je desserre un peu mes bras, et viens poser une main sur son avant-bras, juste pour lui signifier que je l’ai entendue. Et que j’aimerai y croire, même si c’est difficile.