War of hearts ft. Tian He

Cette histoire le rend tout mou. Déjà qu’il n’est pas très réactif dans la vie de tous les jours. Mais depuis quelques temps, c’est de pire en pire. Ses pensées abstraites s’orientent vers lui. Ses rêves, espacés de terreurs nocturnes, se couvrent d’un manteau mielleux de sentiment sur son visage. Phet veut son attention. Il veut qu’il pense à lui. Il pense à lui. Et son cœur se met à battre un peu plus vite. Il ne pensait pas se retrouver de nouveau dans cette situation. Ce flottement d’émotion indescriptible. Il ne sait si ce qu’il vit est ce dont Lucas lui a parlé. « Attends que quelqu’un te trouve. » Et si ce quelqu’un était lui ? Et si ça avait été lui depuis le début ? Depuis même avant qu’il ne rencontre son premier amour ? Car il a toujours été là. Sur ce trottoir d’en face. Tous les soirs. Et si Minhyuk était celui qui devait le trouver ?

Dramatiquement lentement, Phet récupère son déjeuner. C’est lasagne aujourd’hui. Alors, pour une fois, son plateau est plutôt bien rempli. Parce que les dames de la cantine essayent toujours de lui donner plus, mais il refuse. Elles le trouvent trop maigre pour un adolescent. Trop petit aussi. Au milieu de ses géants de l’équipe de football américain. Même s’ils ne s’approchent pas trop près de lui. Phet est un chat noir après tout. Cette fois, il n’a pas refusé la deuxième portion qu’elles lui offrent. Il l’accepte même avec un petit sourire. Et elles se disent qu’elles ont fait leur bonne action de la journée. Il rejoint le réfectoire. Aujourd’hui est l’un des seuls jours de la semaine où il peut manger avec He Tian. Son meilleur ami. L’autre bout du club des cœurs brisés. Zadig n’est pas là aujourd’hui. Il a eu son message, tout comme le chinois. Cela l’inquiète. Elle est de plus en plus absente. Mais que peut-il faire ? Ange chérit sa fille comme la prunelle de ses yeux. Zadig est entre de bonnes mains. Enfin… Il l’espère de tout son cœur. Le brun ne l’a pas attendu. Après tout, Phet c’est fait retenir par son professeur d’SVT, surprise devant l’excellente composition qu’il avait fait sur les maladies chroniques. Mais il y a une raison à tout ça. Il s’est documenté. Beaucoup. Pour comprendre. Pour savoir ce qui lui avait arraché sa part de bonheur.

Ses yeux cherchent la jolie frimousse de He. Et lorsqu’enfin il le voit, son corps réagit tout seul. Il se dirige vers lui, se faufilant entre les tables. Il est plus pressé que d’habitude. Parce qu’il a pris une décision. Il faut qu’il lui en parle. Même s’il sait que le cœur du jeune homme est en pleine perdition dans ses propres sentiments, Phet ne peut se résoudre à laisser le sien se consumer tout seul. Minhyuk est peut-être son secret. Mais Phet souffre de l’amour qu’il pourrait lui porter. Doucement, le McCoy dépose son plateau devant celui du plus jeune. Il retire son sac, le pose à ses pieds, puis s’assoit. Il ne touche pas à son plat, ne dit pas bonjour. Il veut aller droit au but. Les yeux plantés sur le visage angélique de son ami, il hésite à peine avant de lâcher :

« Je crois que je suis amoureux. »

C’est plus qu’une bombe qu’il a largué. Ce sont des semaines de déclarations de guerres atomiques. Dans quelques jours, ils passeront la soirée chez Zadig. Et là, il le sait, il ne pourra pas échapper à cette question qui tue. « Et toi, Phet ? Un amour à nous partager ? Dis-nous tout ! » Bien sûr, il ne pourra pas résister. Son secret de Minhyuk volera en éclat. Phet garde le petit papier de son numéro de téléphone et de son adresse dans la coque de son téléphone. Il l’a toujours avec lui en quelque sorte. C’est étrange de se dire qu’il ne l’accepte que maintenant. Que son cœur oscille pour le roux plus que pour lui-même. Il n’est pas encore près à lui faire savoir. Mais ce qu’il se passe entre eux existe vraiment. Quoi qu’ils en disent.

Les yeux toujours plantés sur son meilleur ami, Phet attend sa réaction. Il n’a toujours pas touché à son plateau, bien trop obnubilé par l’idée de prévenir le jeune homme de cette extravagante nouvelle à son sujet. Tout le monde pouvait penser que le McCoy resterait seul à vie après le drame de sa vie. Mais sans compter sur cet organe vital qui s’émoie de n’importe quelle petite attention donnée à sa personne par un homme. Enfin… Il en fallait beaucoup quand même. Des petites attentions. Minhyuk semblait avoir très bien compris comment le capturer. Mais Phet n’était pas si compliqué que cela lorsqu’on se mettait réellement à le regarder. Zadig et Tian le connaissent comme leur poche maintenant. Même si chacun a son petit secret. Parce qu’il faut bien garder l’inavouable. Même s’il y a des doutes, bien évidemment. Tian ne peut pas passer à côté du corps marqué de son ami, ni même de ses soudaines disparitions dans les toilettes. Et Phet le voit bien, ce regard qu’il porte sur Jenny, ce n’est pas de l’amour ni même de l’attirance, c’est une facilité. Parce que Phet le sait aussi. Shinji mourrait d’amour pour Tian. Et il en crève toujours d’ailleurs. Et c’est une lutte de tous les instants.

Tout ça pour en arriver au fait que Phet vient d’avouer ce qui le rendait tout chocolat depuis quelques temps. Il se sent alléger de cette sensation un peu coupable de vivre dans un sentiment sur fort en secret. Mais le « je crois » coupe un peu la véracité de ses sentiments. Son cerveau désire encore ce qu’il ne peut plus avoir. Et il se souvient de ce qui lui a échappé des mains lorsqu’il était bien plus jeune. On n’oublie pas son amourette de douze ans, ni son premier amour. Mais on ne peut pas se détacher de celui qui a définitivement bloqué ses pensées. Et Min est le seul qui le hante réellement. Ou plutôt, Min est le seul qui a réussit à l’accoler contre un mur qu’il ne peut traverser. Phet est coincé dans son amour pour Minhyuk.

Doucement, Phet hoche la tête pour confirmer la question répétitive de Tian. Oui, il croit être amoureux. Il croit que son cœur appartient à quelqu’un. Il croit qu’il est en train de tomber sévèrement pour un homme. Il n’a jamais cherché à aller plus loin que son amour pour la gente masculine. Pour lui, c’est une évidence toute faite. Même si ces messieurs lui donnent souvent des difficultés. Ils maltraitent toujours son cœur de jolies phrases et de douces paroles. Et lui, il succombe. Par leur simple sourire, ou leur gentillesse. Par leurs beaux yeux ou leur voix. Pour eux, il pourrait pleurer ou même rire. Pour eux. Et pour lui aussi. Car son propre plaisir, il ne l’oublie pas. Loin de là. Phet n’est pas ce que l’on peut appeler un tendre chaton lorsqu’il désire quelque chose. Ce serait même, plutôt le contraire.

La curiosité de Tian le fait sourire. Tranquillement, il prend ses couverts, commençant à manger. A part à coup de grands hasards et coïncidences, non. Tian ne connait pas Minhyuk. Mais, c’est possible inversement. Après tout, le McCoy parle beaucoup de ses amis. Zadig et Tian. Le club des cœurs brisés. Son seul point d’encrage pendant un long moment. Zadig un peu plus que Tian. Ils se connaissent depuis leur première année de lycée. Dans la même classe, ils se sont rapidement rapprochés. Et même si le caractère solaire de la jeune fille contrastait déjà avec le sien, ils sont devenus quasiment inséparables. Seul la maladie de la Sibley-Thorn et la répartition des classes réussirent à les éloigner l’un de l’autre. Et puis, comme descendu d’un nuage, Tian est arrivé. Et là, c’est un peu partie n’importe comment. Parce qu’il avait tous les deux options de littérature et que Zadig et lui avaient des soins similaires, il se retrouva incorporé quasiment automatiquement dans leur monde. Alors, Phet fut au premier rang pour suivre l’histoire avec Shinji. Tout comme il l’était aussi lors des crises de ses amis. Le club des cœurs brisés ne porte pas son nom pour rien.

« Non, tu ne le connais pas, répondit-il enfin. Il n’est pas au lycée. »

Il prit une bouchée de son plat en regardant Tian. Il ne savait pas si cela était surprenant ou non. Il est vrai que Min a un an de plus que lui. Quasiment deux. Même s’il avait continué ses études, il n’aurait pas été au lycée en ce moment même. Ou alors, après des années infructueuses et un redoublement. Pourtant, la chance était fine. Donc, normalement, le He ne connait pas celui qui faisait battre son cœur de verre. Peut-être qu’un jour, ils se rencontreront. Après tout, le plus vieux connait bien Shinji. Pourquoi pas inversement ? Tout est possible. Mais non. Pour le moment. Ses deux meilleurs amis sont dans l’ignorance complète de ce personnage. Et d’autant plus Zadig qui ne sait même pas que le cœur du thaïlandais balance enfin.

Comme s’il savourait chacune de ses bouchées, Phet mange doucement. Son regard remonte de temps en temps vers le chinois. Le bruit habituel du réfectoire ne l’atteint même plus. C’est une conversation à deux. Et les autres leur créent la parfaite barrière pour les faire passer inaperçue. La deuxième question de Tian l’a un peu surpris. Que va-t-il faire ? C’est compliqué. Phet sait que Minhyuk est tout aussi complexe que lui. Autant dans ses sentiments que dans ses relations. Il ne sait même pas si le jeune homme peut aimer une personne du même genre que lui. A part les quelques mots d’une banalité sans nom échangés les soirs où le roux le raccompagne, il n’excite rien. Ou pas grand-chose. Tout reste dans un flou étrange. Il y a bien eu ce moment étrange où ils ont dormis ensemble sur le canapé du Kawasaki. Mais il ne s’est rien passé. En tout cas, rien que le McCoy n’est réellement relevé. Il ne sait pas ce qu’il va faire de cette boule de sentiment qu’il se trimballe depuis quelques temps. En haussant les épaules, sa fourchette remuant légèrement dans son assiette, il baisse les yeux.

« Je ne sais pas. Lui dire rendrait les choses… complexes. »

Bien sûr, il n’y a pas que ça. Il est effrayé. Il a peur. Jamais il ne s’est déclaré à quelqu’un. Ce sont toujours les autres qui venaient vers lui. Il était aveugle au regard qu’on pouvait lui porter. Même s’il voyait celui des autres pour quelqu’un. Se rendre compte qu’on attire une personne est bien plus difficile que de déterrer l’évidence chez les autres. Il n’a pas décidé d’en parler à Tian pour recevoir des conseils en vérité. Il voulait juste vider son sac. Lui dire ce qui devait lui brûler les yeux ces derniers jours. Il sait très bien que l’esprit de Tian est un champ de ruine pour ses sentiments amoureux. Depuis que Shinji a quitté le lycée, plus rien ne va du côté du chinois. D’ailleurs, la nouvelle qu’il avait une petite-amie avait été toute une histoire aussi. Zadig et lui avaient été autant surpris que septique. Puis, ils avaient décidés de laisser couler. Jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que Jennie avait une relation particulière par rapport à Tian. En plus de le monopoliser, elle n’aimait pas lorsque Zadig ou lui s’approchait trop près. Cela devenait vraiment dérangeant.

D’ailleurs, en parlant d’elle. Une silhouette apparaît alors dans le champ de vision de Phet. Aussitôt, sa mine s’assombrit. Il n’aime pas la jeune fille. Et cela peut se sentir à des kilomètres. En plus d’être réciproque. Mangeant un nouveau morceau de ses lasagnes, il tente de détourner son attention d’elle. Bien sûr, elle va venir vers eux. Elle va s’asseoir à côté de Tian. Et commencer à parler. C’est frustrant de ce dire que leur conversation entre meilleurs amis prendra bientôt fin. Mais c’est inévitable. Surtout avec la demoiselle qui arrive.

« Il y a ton nounours au miel qui arrive. » dit-il, légèrement acide, en pointant du menton la personne.

Phet sait très bien mentir. Il pourrait être tout à fait agréable et ne pas avoir parlé sur ce ton. Mais il n’en voit pas l’utilité. Avec les gens qu’il ne supporte pas, il ne leur masque rien. « Garde tes amis proche de toi. Tes ennemis encore plus. » Ce genre d’expression lui déplait beaucoup. D’une part car, être plus proche de ses ennemis que de ses amis lui semble impensable. Et aussi car, il ne veut pas tartiner de bons sentiments ses relations. Soit, tout va bien. Soit, il est totalement indifférent. Soit, cela ne passe absolument pas. Et dans le cas de Jennie, c’est la troisième option.

Tian a raison : Phet doit remettre de l’ordre dans ses sentiments. Il est perdu, ne sachant plus comment on fait lorsqu’on est réellement amoureux. Ce simple sentiment qui fait des ravages à l’âme. C’est complexe, pour quelqu’un dont l’amour, inconditionnel et éperdu, n’arrive plus à se différencier du reste des lourds sentiments qui l’entravent. Mais cela vaut également pour le chinois. Si le plus vieux ne sait pas ce qu’il se passe dans la tête du He, il peut néanmoins en déduire que ce n’est pas tout rose non plus. Le faux numéro du couple en amour éternel lui donne envie de se lever et de quitter le plus rapidement l’endroit. Il trouve Jenny possessive, en plus d’être troublante d’inventivité pour garder son Tian chéri proche d’elle. Elle a déjà réussi à faire du mal à Zadig. Il ne le lui pardonnera jamais. A lui, ce n’est pas trop grave. Il a en quelque sorte l’habitude. Mais personne ne touche à sa meilleure amie.

Hochant la tête, il le regarde repousser son assiette dans son plateau. Un doux sourire étire les lèvres du plus vieux. Tian n’aime pas cela, à son plus grand malheur. Il ne le regarde même pas commencer à saupoudrer son pain de sucre. Dans une petite euphorie que seul son plat préféré peut lui offrir, il se remet à manger normalement. Oui, comme les autres. Et pas lentement. Pour les lasagnes, il est prêt à passer à la vitesse supérieure. Si ce n’est pas une preuve d’amour, il ne sait pas ce que c’est. Mais rapidement, tout est coupé par l’arrivé de celle dont l’aura pourrait faire vomir le McCoy. Il n’a pas vraiment besoin d’elle au quotidien pour aller jeter ses repas aux toilettes. Mais lorsqu’elle apparait dans son champ de vision, tout devient beaucoup plus prenant. Il l’observe s’asseoir à côté de Tian et lui rouler la pelle de sa vie. Une grimace déforme les traits du thaïlandais, le nez et les sourcils froncés. Ouh que c’est moche ! Et le comble fut le passage de langue sur les lèvres. Jennie faisait tout pour qu’il voie la scène dans son entièreté. Il avait presque envie de lui dire qu’elle n’avait pas besoin de marquer son territoire. Même si, son territoire à proprement parler, n’était pas vraiment à elle, ni même très marqué. Mais il ne jubile pas face à cette pensée. Au contraire, il n’en est que plus énervé.

Sa remarque passe comme si elle ne l’avait jamais prononcée. On lui a dit bien pire dans sa vie. Tellement. Qu’elle-même en serait choquée. Et s’il lui répondait que oui, il était complètement en chaleur pour un mec dont il ne savait même pas s’il l’aimait en retour, qui était peut-être en train de faire du deal illégale dans son quartier ou alors de vendre un mojito ? Qu’est-ce qu’elle ferait hein ? Mais il se tait. Bordel. Parfois il aimerait avoir le courage de dire ce qu’il pense vraiment à ses petits cons qui lui mènent la vie si dure. Cela l’énerve contre lui-même. Et l’exaspère de sa propre personne. S’il lui répondait les yeux dans les yeux qu’il voulait actuellement qu’un certain roux le prenne au milieu du réfectoire, elle n’agirait plus comme ça. Repiquant dans ses pauvres lasagnes, il détourne les yeux, ignorant le regard de fierté qu’elle lui porte. Il lui aurait arraché ses beaux ongles bien manucurés s’il avait pu. Mais cela ne se fait pas. Et Phet n’est pas ce genre de psychopathe. Il est un d’un tout autre gabarie et il le sait très bien. Seulement, les autres ne le savent pas.

Et puis, il y a la goutte d’eau qui brise cette tension plus qu’étouffante. Littéralement, c’était bien de l’eau. L’électricité de la situation se transforme en bataille de tranchées. Dans une complète surprise, Phet regarde son plateau devenir une piscine. Son cœur se brise dans sa poitrine. Pour une fois qu’il pouvait manger. Pour une fois qu’il avait la possibilité d’être à peu près bien nourris. Relevant les yeux vers le couple, il tombe sur le regard devenu furieux de Tian. Pour lui aussi cela tombe comme de nulle part. Le regardant alors faire, le McCoy se sent bien idiot de récupérer son assiette. Puis ils partent, ils s’isolent. Et lui se retrouve tout seul avec trois plateaux dont deux sans personne. Il est totalement perdu et ne remarque même pas qu’on murmure autour de lui. Les gens font souvent des conclusions par une simple façade. Sauf que même lui n’a aucune idée de ce qu’il se passe réellement. S’ils ont quitté l’espace où il se trouvait, c’est qu’ils avaient des choses importantes à se dire. Or ils ont simplement changé de table, en trouvant une vide un peu plus loin. Les entendant commencer à se disputer, il se rend cette fois compte que le petit couple est devenu l’attraction de la journée pour les demi-pensionnaires. Il n’a pas touché à l’assiette de son meilleur ami. Parce qu’il n’en a pas envie. Il sait que c’est du gâchis mais, il n’y peut rien. Il se sent mal pour lui à l’heure actuelle.

Toute la salle a entendu la claque, plutôt forte, il faut l’avouer. Phet en sursaute même. Il ne s’était pas attendu à tant de violence en si peu de temps. Même s’il devrait y être habitué, en voir à l’extérieur de sa maison lui donne toujours l’impression que ce n’est pas de la vraie douleur. Pourtant, il doit bien avouer qu’en voyant Tian passer devant lui, les larmes aux yeux, rend tout de suite la chose plus réelle. Jennie revient vers lui alors que le chinois quitte le réfectoire. Elle aussi semble sur le point de casser quelque chose. Et Phet espère sincèrement que ce n’est pas lui qu’elle a dans le viseur. Mais en voyant son regard suffisant sur son petit corps à lui, un câble dans son cerveau lâche. Sans même réfléchir, il prend le pichet d’eau, et le verse sur le sac de la jeune fille avant de se lever en prenant le sien. Si elle a osé gifler l’un des membres du club des cœurs brisés devant la moitié du lycée, Phet osera lui rendre la pareille à sa manière. Attrapant son assiette mouillée, il la renverse sur les chaussures de la jeune fille avant de la regarder dans les yeux.

« La prochaine fois, penses-y à deux fois avant de t’en prendre au club des cœurs brisés, pétasse. »

Œil pour œil, dent pour dent. Et sans même lui adressé un regard, il quitte la salle, de la démarche de celui qui sait qu’il vient de faire une connerie mais qui assumera jusqu’au bout. Il avait déjà finit dans le bureau du directeur. Et pour pire que ça. Elle n’aura jamais le courage de le dénoncer. C’est le chat noir du lycée. Le seul qu’on arrive jamais à vraiment attraper. A part s’il se laisse faire. Ou s’il attrape à son tour. Son cœur était plus léger, et son esprit aussi. Lui dire enfin ce genre de chose lui avait fait un bien fou. Bon, il s’en voulait aussi d’avoir été la petite pute de McCoy que peu de monde connaissait. Mais pour Tian, il était prêt à se faire insulter de tous les noms par sa copine – qu’il espérait être une future ex – pour qu’il aille mieux. Dans trois jours, tout le monde aura oublié cette histoire. Mais en attendant, le He avait disparu des radars.

Dans les couloirs, il n’eut même pas besoin de chercher pour savoir où se trouvait Tian. Il n’y a qu’un seul endroit dans ce bahut où les élèves en pleure peuvent se réfugier plus ou moins sereinement.  Phet le sait très bien. Il va directement vers les toilettes des garçons les plus proches. Se glissant à l’intérieur, il entend rapidement les sanglots qui s’échappent de l’espace. Cela lui fend le cœur un peu plus. Il déteste lorsque l’un des deux pleure. Il sent sa propre mélancolie ressortir d’un coup. Tout doucement, sans vraiment faire de bruit, il referme la porte derrière lui, entrant complètement dans le lieu. Le nombre de fois où il est venu ici ne se compte même plus. C’est peut-être pour cela qu’autant de rumeurs couraient sur lui. Mais il ne les écoutait pas vraiment. Il parait en fin d’année. Toquant à une des portes de cabines, d’où s’élever les bruits, il mordilla sa lèvre avant de dire, avec douceur :

« Tian... Tu veux bien me laisse entrer ? »

Certes, s’éloigner du monde était le meilleur moyen de ne pas avoir la honte de la défaite cuisante sur ses épaules. Mais Phet n’était pas tout le monde et surtout, il ne jugera jamais Tian. Même après toute cette histoire, il restera toujours son meilleur ami. Qu’il le veuille ou non. Il attendit un petit instant. Se demandant s’il allait lui ouvrir un jour, finalement. Et même s’il ne le faisait pas, ce n’était pas si grave. Après tout, il avait bien le droit de lui en vouloir à lui aussi. Phet ne l’avait absolument pas aidé dans sa relation avec Jennie. Pire même, il avait été du côté de Shinji lorsque ce dernier était encore au lycée. Il n’avait jamais regretté son choix, sa décision de prendre un partie qui était contre le politiquement correct. Parce qu’il s’était rendu compte d’une chose. Le regard que Shinji lui portait étaient bien les mêmes que lui rendaient Tian. Si seulement il n’avait pas pris peur. Si seulement… mais cela ne se contrôle pas, la peur. Et c’est peut-être aussi pour cela qu’il n’osait pas parler à Minhyuk. Peut-être ? Non. Sans aucun doute.

S’accroupissant devant la porte, il passe la main sous la porte. Il avait toujours détesté ce principe de voir les pieds de la personne dans la cabine. Mais les écoles américaines n’avaient jamais fait preuves d’une très grande clémence envers ses lycéens. Surtout envers les lycéens en réalité. Phet est en train d’offrir son pain à Tian. Celui qu’il a pris avant de fuir comme une diva. Celui auquel il n’avait pas touché, trop obnubilé par ses lasagnes. Il lui dit qu’il est désolé, qu’il n’y a pas de sucre dessus. Et il attend. Son cœur est une petite bombe dans sa poitrine. Il ne veut plus l’entendre pleurer. Il se sent si mal. Et c’est en partie sa faute. Et il s’en pense terriblement coupable. D’être l’un de ceux qui ont fait pleurer Tian.

L’impression que le temps est infini vient sans doute des sons étouffés des sanglots de son meilleur ami derrière la porte. Phet se sent inutile, d’autant plus qu’il n’a en rien aidé à améliorer sa situation amoureuse. Lui, il voulait que le He soit heureux avec la personne qu’il aime réellement, oubliant alors de le soutenir dans sa relation. Une erreur oui. Il a fait une erreur en étant aussi téméraire et présomptueux face au ressentit de Tian. Et maintenant, il l’entend pleurer dans une cabine de toilette. Phet sait que ce n’est pas entièrement de sa faute. Mais, la sensation désagréable d’y avoir contribué lui déplait fortement. Il a participé à arriver à cette fatalité. Et Tian subit de plein fouet les ravages d’un cœur qui ne sait plus où aller et que faire. Fragile dans ses décisions, le chinois l’est. Mais il peut tout aussi bien remonter la pente. Malgré cette claque violente, aussi physique que mental, d’un faux amour pour se voiler la face.

Puis soudain, le cliquetis sur loquet qui s’ouvre résonne dans la pièce carrelée. Et la tête brune de son meilleur ami apparait. Il a le visage humide de ses précédentes larmes. Et le nez légèrement rouge. Un court instant, Phet songe qu’il est adorable, même dans ce genre de situation. Un visage angélique, que même le pire sentiment du monde n’arrive à enlaidir. Phet aimerait être ainsi. Gardé une certaine beauté, alors que les larmes dévalent ses joues. Mais il ne l’a pas. Et il a assez pleurer devant un miroir pour le savoir. Ces bras s’ouvrent légèrement. Et Tian s’accroche doucement à lui. Il a beau être bien plus grand, obligeant le plus vieux à se hisser légèrement sur la pointe de ses pieds, ce câlin est le plus calme qu’ils ne soient jamais échangés. Sans rien dire, laissant le silence combler les lieux comme une couverture réconfortante, il lève doucement sa main pour caresser des cheveux soyeux. Il attend le temps qu’il faut, le laissant calmer son chagrin. Peut-être que Zadig aurait eu une meilleure répartie que lui. Avec elle, les pleure pouvaient rapidement se transformer en rires. Et les larmes se séchaient d’elles-mêmes. Mais Phet n’est pas Zadig. Et il ne sait pas quoi lui dire. A part le conforter dans un silence calme dont seul lui a le secret.

Son visage se tourne vers celui du chinois alors qu’il se redresse. Et ses oreilles rougissent légèrement en voyant son nez aussi proche du sien. Mais rapidement, il s’écarte. Les contacts physiques, Phet n’en a jamais été un grand adepte. Mais quelques personnes peuvent percer cette carapace protectrice. Et le jeune homme devant lui en fait partie. Un fin sourire anime son visage alors qu’il l’écoute. De tout ce qu’il aurait pu lui dire, l’unique chose qui lui vient à l’esprit est celle-ci. Cela en serait presque drôle. Mais il sent pourtant que son ami est vraiment inquiet. Sans doute que la taille un peu trop fine du thaïlandais lui indique qu’il a le droit de réagir ainsi. Mais il n’a pas à en avoir peur. Il se porte comme un charme. Malgré les apparences. Se mettant à farfouiller dans ses poches, Phet sort un paquet de mouchoir de l’une de ses nombreux interstices qui composent sa tenue. Et délicatement, il en sort un, pour l’offrir à Tian. Pour qu’il sèche définitivement ses traces salées sur ses si jolies pommettes.

« Ce n’est rien, le rassure-t-il, en souriant doucement. Ce n’est pas le plus important. »

Calmement, il l’observe. Il se demande s’il doit lui dire où ont terminé ses lasagnes. Avant de se raviser. Même si elle a agis en peste avec lui, Jenny n’a jamais réellement voulue lui faire de mal. Elle aimait – peut-être aime toujours – Tian. Et même si elle méritait amplement cet affront de la part de Phet, Tian, lui, n’avait pas à devoir savoir ce qu’il avait fait. Il s’agissait désormais de ses affaires à lui, et même s’il se doutait au plus profond de lui que sa fin d’année allait être épique, il allait assumer. Se voulant réconfortant, il tapote doucement ce qu’il peut atteindre. Soit son épaule. Il aurait pu viser un peu plus bas, mais tapoter son biceps aurait été trop étrange. Ne sachant toujours pas quoi lui dire, il se mordille la lèvre. Devrait-il le rassurer encore une fois ? Lui dire que tout ira bien ? Lui certifié que tout le monde aura oublié cette claque dans une semaine ? C’est si complexe. Et il ne veut pas faire de faute. Il ne veut pas le blesser de nouveau. Même si la première fois n’était pas de sa faute.

« Ça va aller ? chuchote-t-il, en souriant doucement. Tu peux rentrer chez toi, tu sais. »

Tian ne devait pas en avoir envi du tout. Mais Phet panique et ne sait pas quoi lui dire de rassurant. Ou alors, il pourrait faire son rebelle pour abandonner avec lui les cours, partant à l’aventure dans les rues. Qui sait ? Tian est seul décisionnaire. Consoler quelqu’un avec des mots est compliqué pour le McCoy. Lui-même n’en veut pas forcément lorsqu’il pleure. Même s’il semblerait que son cœur est décidé de se tourner vers un garçon qui ne cesse de parler. La nature est donc bien étrange. Coupant le contact avec l’épaule de son ami, il le regarde un instant dans les yeux. L’imagine de son plateau s’effondrant sur les chaussures de la jolie jeune fille lui revint alors. Lui avait pensé pouvoir manger aujourd’hui, se retrouvait tout penaud avec un ventre vide. Et pas l’once d’une possibilité de se goinfrer de la journée en vue. Puis, comme une idée bête, lancé sur le bout des lèvres, pour rassurer Tian et le sortir de ce lycée, il propose, s’aidant d’un sourire cordial.

« Ou alors, on peut sortir remplacer ce repas perdu dehors. A toi de voir. »

Un tendre sourire s’étire sur les lèvres du plus petit alors qu’il observe son meilleur ami se recomposer un visage plus sûr. Le voir pleurer n’était jamais une partie de plaisir, mais il fallait savoir composer avec cela. Après tout, les amis étaient faits pour ça. Partager les rires, tout comme les larmes. Si Phet n’avait pas pu le prendre dans ses bras pour le consoler, à quoi aurait-il servi ? Ce n’est pas comme cela que les amis se comportent entre eux. Hochant alors la tête en l’entendant, il glisse les mains dans les poches de sa veste, effleurant du bout des doigts son téléphone par habitude. Et sa petite remarque, comme quoi il veut rester avec lui, lui va droit au cœur. Le He avait toujours été adorable avec lui. Même si Phet n’avait jamais vraiment agis comme grand frère, ils étaient aussi proche que cela, à toujours prendre soin l’un de l’autre autant qu’il le pouvait. Un petit bout de famille en quelque sorte. Un amour d’amitié inconditionnel. Le plus vieux espérait que cela durera, même lorsque lui et Zadig ne seront plus dans les couloirs de l’établissement. Ce qu’ils avaient construit à trois valait plus que n’importe quel or du monde.

Sentant la main de Tian se glisser dans la sienne, il la lui serre tout doucement avant de le suivre en dehors des toilettes. Bien sûr qu’il le suit. Il le suivrait partout. Il a confiance en lui. Même si parfois, certaines de ses décisions sont discutables, Phet possède une confiance sans borne pour Tian. Il sait que, quoi qu’il arrive, il va s’en sortir. Pas toujours de la manière dont on attendrait cela, mais, tant qu’il ne finissait pas agonisant dans une ruelle, il n’y avait aucune crainte à avoir. De plus, il est entouré de gens qui l’aiment ou l’apprécient. Même si, aujourd’hui, le nombre fut soustraie d’une personne. Ils avancent dans le lycée, le quittant plutôt rapidement et facilement. Après tout, aux Etats-Unis, l’obligation d’être en cours n’était pas très stricte. Après tout, ils avaient été là la matinée. Pas besoin de se faire un sang d’encre pour une demi-journée d’absence. Une fois à l’extérieur, c’est comme un petit bol d’air. Phet n’aime pas particulièrement le lycée. Il aime apprendre, se cultiver, passer des heures dans un musée à décortiquer l’histoire de l’œuvre devant lui, ou de la statue, ou de l’objet, ou de n’importe quoi même. Mais rester toute une journée à écouter des adultes déblatérer sur des sujets qui n’ont aucun intérêt ne lui convenait pas. Il préférait apprendre seul. De toute façon, il s’en sortait toujours très bien, lorsqu’il était seul. Son attention fut attirée par Tian de nouveau.

« Je ne sais pas vraiment, répondit-il en haussant les épaules. Ça fait longtemps que je n’ai pas mangé au fast-food, on pourrait se faire ça ? »

En fait, il n’en avait pas le temps. Son emploi du temps était divisé en deux. Le lycée et son travail à la superette. Même s’il y avait des variables qui se rajoutaient. Comme le temps qu’il passait à rentrer, qui s’allongeait de plus en plus, pour rester à discuter avec Min un peu plus longtemps. Ou alors, le combat de chaque soir de ne pas finir totalement mortifié sous sa couette à pleurer ses blessures. Il n’avait plus vraiment le temps de sortir dehors, de profiter de « la vie d’ado » qu’on lui accordait trop souvent comme de celle d’un fainéant. Il se considérait paresseux, un peu au ralenti par rapport aux autres. Mais loin d’être du type à se tourner les pouces en attendant que sa bonne étoile est décidée d’être clémente. Cela faisait un moment qu’il n’y croyait plus, à la fée bleue. Penchant la tête sur le côté en regardant Tian, il attend d’avoir sa réponse, voulant savoir s’ils vont pouvoir se payer de la bouffe à bas-prix et complètement dégelasse pour leur corps, mais terriblement bonne pour leur papilles, ou autre chose. Puis, avec un petit rire, il reprend :

« Ou alors, on fait un cliché, et on va manger asiatique ? Comme tu veux ! »

C’est un peu idiot de sa part oui. Mais s’il avait bien un droit, c’était de jouer là-dessus. Après tout, qui ne rirait pas de la situation. Il s’agit d’un chinois et d’un thaïlandais. L’un est amoureux d’un japonais, tandis que l’autre fond pour un métisse japonais-coréen. L’abréviation lui échappe encore. C’était une situation, un rapport de la culture, bien étrange qui se présentait à eux. De quoi faire sourire n’importe qui. En rajoutant à cela qu’ils étaient tous, bien évidemment, aux Etats-Unis. Ce qui rajoute, évidemment, une nouvelle étrangeté à la situation amusante. Mais bon. Le choix revient alors à Tian. Après tout, c’est lui qui allait dépenser son argent pour contenter le petit ventre du McCoy. Certes, ses lasagnes étaient restées sur le carreau, avec cette histoire. Mais s’il pouvait partager un petit moment convivial avec son meilleur ami à la place, cela lui allait très bien. Gardant la main de Tian dans la sienne, il n’est clairement pas prêt à la lâcher. Parce qu’il apprécie l’avoir ainsi. Cela le rassure en quelque sorte. Lui assure que tout va bien. Et qu’ils seront ensembles jusqu’au bout.

Cette petite manie de toujours attirer Phet est assez étrange. Le plus petit en taille se retrouvait toujours entraîner. Que ce soit ce fameux soir de course pour fuir les flics, où Min n’avait pas hésité un seul instant avant de lui prendre le bras pour le faire courir comme un fou dans les ruelles mal éclairées de Crenshaw, ou alors ce moment précis, Tian lui tenant la main pour l’emmener manger. Bien sûr, ils ne vont pas n’importe où, et le choix du plus jeune plait à Phet. Le restaurant thaïlandais qu’ils ont l’habitude de retrouver pour passer un moment ensemble autour d’un bon plat est la meilleur destination après ce qu’il s’est passé. Et puis, autant rater les cours comme il se doit non ? Même s’il s’agit de la dernière année du McCoy, il peut se permettre d’échapper à quelques heures idiotes et ennuyeuses, qui ne lui feront pas le moins du monde mal dans son dossier. Phet a toujours été moyen. Un élève qui ne se distingue pas forcément des autres, où les professeurs ne savent que mettre sur son dossier tant il est moyen. Certains diront qu’il le fait exprès, qu’il ne fait cela que pour qu’on lui foute la paix. Et c’est le cas. A part peut-être son professeur d’histoire, avec qui il aime particulière argumenter pour démonter pièce par pièce son cours, il n’a aucun problème avec les autres. Seul son prof de littérature, lui ayant de surcroit collé un club de poèmes dans les pattes, ne lui lâche pas la grappe. Phet pourrait être tellement plus s’il le voulait. Mais il ne le veut pas. Il désespère d’être normal. Il veut vivre comme il l’entend : d’une manière simple. Pourtant, cela ressemble plus à un songe, qu’à une réelle possibilité.

Donc, Phet se laisse entraîner, profitant un peu de cette chaleur dans le creux de sa main. Il n’est pas une personne tactile. Loin de là. Mais des exceptions, il y en a toujours. Pas exemple, très concret, Tian. Son meilleur ami depuis deux ans maintenant, proche de lui comme pourrait l’être un frère. Même s’ils ne se disent pas toujours tout, Tian n’étant pas au courant de la situation familiale de Phet (surtout parce que ce dernier le cache de tous depuis toujours), mais ils restent aussi complices que des enfants. Bien sûr, ils le savent très bien. Des choses ont fuité, d’un côté ou de l’autre. Tian ne peut pas fermer les yeux les absences de Phet, sur cette pudeur un peu maladive, sur ses disparitions aux toilettes pour revenir encore plus fatigué. Mais Phet le voit bien aussi, que Shinji n’étant plus là, Tian se laisse dépérir et sombrer un peu plus dans ce mensonge qui est Jennie. Parce qu’il avait compris au premier regard que le japonais possédait un cœur entier tourné vers Tian, le thaïlandais avait soutenu ses sentiments, tentant tant bien que mal de jouer les entremetteurs. Mais, une peur reste une peur et Tian était en quelque sorte effrayer de ses sentiments. Il y avait des squelettes dans le placard. Juste assez pour eux.

Une fois dans le restaurant, après le mouvement gentleman de Tian, ils s’installèrent tranquillement. Phet connait les plats proposés, les ayant pour la plupart, tous déjà mangé au moins une fois chez lui. Sa mère avait toujours tenu à ce que ses enfants connaissent leurs origines, parlent la langue, l’écrivent et entretienne certaines traditions. Hormis le fait que Phet n’allait certainement pas faire un séminaire bouddhiste à vingt ans, cheveux rasés et toges jaunes sur son frêle corps, le McCoy tentait de maintenir ses connaissances et de se les approprier. Vivre dans un pays qui n’est pas celui de ses ancêtres est dur. Surtout lorsque l’on veut conserver une petite partie de son histoire. Ne lisant même pas la carte, Phet relève les yeux vers le serveur. Il a les yeux légèrement moins en amandes que lui, une bouche légèrement plus pulpeuse. Mais sa peau cuivre, similaire à celle plus pale de Phet, ne le trompe pas. C’est avec un léger sourire qu’il commande donc. Du curry vert au poulet. Original. Quelque chose qu’il affectionne particulièrement. Autant pour la couleur que pour le goût. Et voilà qu’à peine seuls, Tian déjà, l’attaque.

« Non, je n’ai pas de photo, avoue-t-il alors, en sortant son téléphone. Mais… il m’a laissé son numéro… Et son adresse. »

Dit comme ça, on aurait pu penser que Minhyuk ressemblait à un type bizarre. Mais, ce n’était pas totalement vrai. Certes, Phet le voyait d’une manière étrange, surtout parce qu’ils se connaissaient à peine et que, déjà, tout s’enflammait comme des feux d’artifices. Mais aussi parce que cette manière si gentille, si désintéressée de prendre soin de lui, alors que rien ne les relit, l’avait en quelque sorte, fait chavirer. Techniquement, maintenant, il avait un chaton, un bébé, un animal errant, qui ressemblait à un fil entre eux. Retirant délicatement le boitier de son téléphone, il tend à Tian le petit papier qu’il gardait à l’intérieur. Ses yeux courent un instant sur le numéro, déjà enregistré dans son téléphone. Puis sur l’adresse. Et ses yeux se froncent. Comment n’a-t-il pas pu s’en rendre compte plus tôt ?

« Je… Je viens de m’en rendre compte mais… Il n’habite pas si loin de chez toi. »

C’est à ce moment-là que le serveur revient, leurs deux plats dans les mains. Il est tard, pour manger, le service est bientôt fini. Alors, il n’y a quasiment personnes. Et eux deux sont servis comme des rois. Sortant de sa réflexion, Phet remercie l’homme avec un geste symbolique, auquel l’autre répond par la même. Mains jointes, proches du visage et petite salutation. Puis il repart, les laissant manger tranquillement, ou, en tout cas, commencer. Mais cette information nouvelle de voir que Tian et Minhyuk ne sont pas si éloignés l’un de l’autre, le perturbe. Comment n’a-t-il pas pu le voir plutôt ? Est-il si obnubilé que cela ? Prenant doucement la fourchette et la grosse cuillère, Phet commence à manger. Il se sent idiot. Très. Et il a envie de changer de sujet. Beaucoup. Mais il ne sait pas parler. La communication et lui, c’est difficile. Mais il essaye un peu. En tout cas, avec son meilleur ami, il tente de faire de se mieux.

« Bien sûr que je ferais attention, dit-il en rangeant son téléphone et l’adresse à l’intérieur de sa coque. Je ne suis pas inconscient. Ne t’inquiète pas. En plus, je pense que vous pourriez bien vous entendre. » sourit-il finalement.

Ni naïf, ni imprudent. Il avait l’air fragile, mais cela ne voulait pas dire qu’il ne savait pas réfléchir. Toute sa vie, il avait fait attention, ne pouvant pas se permettre de faire la moindre bêtise, sous peine de souffrir sans rien apprendre. Il savait que Minhyuk ne lui voulait pas de mal. Sinon, il le lui aurait bien faire comprendre les deux fois où ils se sont vus. Mais dans les deux cas, le roux était en position de faiblesse et Phet avait été celui qui lui avait porté secours. S’il se rendait compte de la moindre anomalie, il n’hésitera pas à partir, abandonnant le début d’un sentiment s’il le fallait, pour ne pas être d’autant plus blessé plus tard. Même si, il y avait quelque chose qui clochait entre eux, déjà. Les histoires lugubres du plus vieux l’inquiétaient tout de même beaucoup. Comme un pressentiment sur ce qui arrivera plus tard.

La discussion poursuivit son cours, prudemment. Jusqu’à ce que Tian ne s’étouffe en l’écoutant. Un sourire lui échappa alors qu’il semblait déjà monter tout un plan pour espionner son voisin, à coup de jumelles et de techniques cachées sans doute. Et ce sourire de sorcière (c’est lui qui l’a dit, pas Phet) n’aidait en rien à rassurer le plus vieux des deux. Il avait entendu la suite, évidemment. Mais il ne pouvait pas s’empêcher de rire devant le visage défait de son meilleur ami face à ses propres remarques. De toute façon, que pourrait-il bien voir ? Il n’était même pas sûr que cela finisse par quelque chose de concret. Ils allaient peut-être finir par totalement se séparer l’un de l’autre, s’oubliant comme si cela ne fut qu’un passage dans l’univers de l’autre. Mais pour cela, il faudra que Minhyuk arrête de le ramener cher lui le soir. Et que Phet perde ce numéro (pourtant déjà enregistré dans ses contacts). Il faudrait pleins de choses, effectivement pour arrêter ce si bon départ. Chaotique, et un peu sombre. Mais terriblement romantique. De quoi faire rêver les plus sensibles de nous. Mais pour la peine d’avoir rit à la remarque du He, le thaïlandais décida de ne pas relever l’incident, lui lançant simplement un regard qui voulait tout dire.

Ses doigts se saisirent de ses couverts pour se remettre à manger, savourant les goûts si agréables de son enfance. Rien ne pourra égaler les douceurs des plats de sa mère mais, il n’en était pas si loin que cela. Se saisissant de son verre, il releva la tête vers son meilleur ami, remarquant soudainement son mal-être et son hésitation. D’un regard, il l’encouragea à se confier. Après tout, s’ils étaient amis, c’était pour une bonne raison. Phet était loin d’être le type d’individu à juger. (Bon, à part si Tian lui annonce qu’il drop son amour pour Shinji pour aller vivre sa meilleure vie avec un crapaud. Là, il mettra un stop.) Il était d’ailleurs quasiment sûr que le nom du musicien allait tomber sur la table à un moment. Et il n’eut qu’à penser cela que le chinois se mit à parler, expliquant sa situation en lui posant des questions qui voulaient tout dire. Ses yeux corbeaux s’attendrissant alors en le regardant se débattre dans ses sentiments, il reposa ses couverts pour s’adosser à sa chaise, croisant les bras sur son torse en l’observant finir son assiette rapidement pour venir se caler contre lui, comme s’il recherchait de la présence physique. Heureusement pour lui, le plus vieux des deux acceptaient de lui fournir l’affection qu’il demandait. Ce qu’il n’autorisait pas à tout le monde. Il l’écouta jusqu’au bout, restant silencieux, comme toujours. Il attendait d’avoir la révélation finale avant de se prononcer. On le disait intelligent. Il se trouvait juste paresseux de répondre entre le discours des autres. Parce que ce qu’il dira n’aura pas autant d’impact que si il attendait la fin.

« Shinji t’aime toujours, fut la première chose qu’il pu confirmer. Ensuite, je suis content d’entendre que sortir avec Jennie était débile. Et la panique ne pardonne pas tout, Tian. Mais tu as tes raisons. (Il resta un petit moment dans un silence calme, posant la main dans les cheveux de son ami pour le consoler.) Par contre, t’as fait une belle connerie. »

Cette conclusion n’allait peut-être pas lui plaire, mais Phet le pensait réellement. Embrasser Shinji, juste avant de lui dire qu’il était en couple, c’était comme lui offrir un cadeau merveilleux et attendu depuis des années, pour lui dire juste après qu’il avait tué un membre de sa famille. Dans le cas du Ito en tout cas, c’était quasiment à ce niveau-là. Car Phet le savait, Shinji avait souffert de son amour camouflé pour Tian. Et même si le plus petit en taille avait beau avoir essayé de faire en sorte de créer toutes les possibilités possibles et imaginables pour qu’ils finissent par se rendre compte de la situation, tout avait échoué. Phet n’était pas un entremetteur. Il en était même plutôt loin. Mais il avait essayé, le plus qu’il avait pu. Mais Shinji était parti du lycée, Tian avait commencé à sortir avec Jennie, et il s’était retrouvé complètement désemparé par la situation. Il savait que le pianiste ne pourrait pas passer par-dessus Tian aussi facilement. Même si le plus jeune lui donnait toutes les bonnes raisons de le faire à vrai dire. Continuant de caresser doucement les cheveux du plus jeune, il soupira doucement.

« Je sais que ce n’est pas facile. Crois-moi… Mais il va falloir assumer Tian. »

S’assumer, « sortir du placard » comme on dit, n’a rien de facile. Mais Phet est sûr que Tian en est capable. En plus, connaissant la famille du plus jeune, ce ne sera pas tant un problème que cela. Paradoxale en sachant que Phet est totalement out et que sa famille le rejette complètement. Mais, chacun a ses squelettes dans le placard et le McCoy n’a aucune envie d’aller chercher ceux de son père. Tendrement, il continua de prendre soin du plus jeune, qui avait besoin d’une présence rassurante. Après ce qu’il s’était passé tout à l’heure, après cet évènement qu’il venait de lui raconter. Phet était un peu comme un journal intime pour Tian. Même s’il ne devait pas forcément s’en rendre compte. Sa safe-zone étant plus une personne qu’un lieu. Pas que cela ne dérange réellement le McCoy.

« Prends ton temps, dit-il enfin. Juste… Prends en compte les sentiments de Shinji la prochaine fois. »

Des mots sages, qui ne semblaient pas tant couter que cela à Tian. Même s’il était dans une phase de rébellion complète – contre sa famille principalement (mais qui n’avait jamais été comme ça, hum ?) – le chinois n’était pas totalement à la ramasse lorsqu’il s’agissait des autres. L’exemple bête était son meilleur ami lui-même, Phet. Il ne l’avait jamais lâché, même si le McCoy était aussi silencieux qu’une tombe, autant au niveau des conversations du quotidien que de sa vie. C’était presque un miracle qu’il soit actuellement en train de le consoler comme ça, surtout sur un problème de cœur. Mais le plus vieux était d’une humeur… comment dire ? romantique ? Si ce renard avait bien réussi une chose à son sujet, c’est qu’il lui avait redonné une pointe de couleur dans sa vie principalement grise. Un soupire lui échappa en l’écoutant. Si Phet était resté dans un contact léger avec Shinji après son départ du lycée (après tout, s’il ne parlait quasiment pas à Tian, pourquoi il irait envoyer des messages à un quasi-inconnu ?), il pouvait au moins dire que le plus vieux était très certainement encore attaché à l’image tendre du Tian en première année qui débarquait un peu de Mars. Pour Phet, il avait été son partenaire de poésie et il avait rencontré Zadig dans la pire position possible. Il avait tout de même changé depuis. Tout le monde change. Même si l’on ne s’en rend pas forcément compte.

« On verra ce qu’il dira. » conclut Phet, tout simplement.

Il ne pouvait décidemment pas se placer à la place du japonais. Et il n’en avait aucune envie d’abord. Chacun ses problèmes de cœurs. Lui, il devait déjà gérer ce gros bordel qui arrivait à l’horizon. Ses yeux suivirent la silhouette de Tian qui se redressait, le voyant aussi sortir son argent pour payer. Phet n’avait que très peu de sous sur lui en général. Tout ce qu’il gagnait, il l’économisait au possible, ne s’attardant que très peu dans les restaurants où ce genre d’activité. Il ne savait pas ce que la vie lui préparait, alors autant prendre un peu d’avance sur elle. Il sortit tout de même son propre porte monnaie, déposant ce qui pourrait être un pourboire pour le serveur, écoutant Tian d’une oreille, comme il le faisait toujours. Si on pouvait au moins attribuer cela à Phet, c’est qu’il pouvait réellement faire deux choses en même temps. Le McCoy était toujours là pour détruire les stéréotypes et bizarrement, cela le rendait complètement indifférent. Suivant le mouvement, il se leva donc, remettant son sac sur son épaule, observant Tian qui le regardait en retour, avec un sourire qui le fit hausser les sourcils. Il essayait de sourire et d’être heureux là ? Vraiment ? Face au mec qui n’en avait strictement rien à carré de voir des gens tristes et qui savait directement lorsqu’un sourire était faux. Leur discussion avait foutu un coup au moral de Tian. Et c’est donc pour cela que Phet haussa les épaules, désobligeant.

« Evidemment. On est sortit du lycée, on peut faire ce qu’on veut maintenant. »

La joie de sécher était principalement la liberté relative qu’offrait cette illusion. Phet n’aimait pas particulièrement rater les cours. L’école l’ennuyait beaucoup, certes, il n’était pas un gros bosseur lorsque la matière ne lui plaisait pas, d’accord, mais tout de même. C’était toujours sympathique de voir ses professeurs s’arracher les cheveux devant ses copies qui ne dépassaient que très rarement le douze. Pourquoi ? Parce que Phet faisait toujours tout pour être entre dix et douze. Pas moins. Il répondait seulement aux questions qui valaient le plus de points, et il y répondait bien. Mais le reste, ne lui apportant rien, il laissait de côté. Sa professeure de philosophie lui avait demandé pourquoi il ne faisait pas plus d’effort pour, au moins, répondre à tout. Et il avait juste haussé les épaules en répondant, calmement « on ne me demande pas d’être prestigieux, on me demande d’être moyen ». Son père s’en foutait de sa vie scolaire, sa mère ne lui avait jamais demandé que d’avoir son diplôme de lycée. Personne d’autre ne le poussait à être meilleur. Alors, il se contentait d’être à la moyenne. Prétentieux, vous pensez ? Oui, sans doute. Mais que voulez-vous y faire ?

Ils finirent hors du restaurant, dans une autre chaude après-midi de Californie. Leurs pas les guidèrent d’eux-mêmes, ils connaissaient le chemin par cœur après tout. Phet ne passait pas énormément de temps chez Tian, sauf pour quelques soirées pyjamas et/où moment de détente entre potes. En contrepartie, Tian n’était jamais venu chez Phet. Et pour cause. Personne n’était jamais réellement rentrer chez lui. Il avait trop peur. Pour eux principalement, un peu pour lui aussi. Même s’il doutait que son père soit un idiot. Devant les autres, il se présentait comme quelqu’un de bien, un père de famille simple, qui prenait soin de son fils, un peu dépassé par la crise d’ado ou je ne sais quoi. Et bien sûr, tout le monde gobait cela. Qui irait regarder à la fenêtre d’un homme aussi respectable ? Avec une femme aussi jolie et des enfants tellement calmes ? Dommage qu’il n’est pas de travail, c’est la seule tâche au tableau. Mais personne n’est parfait. Les deux garçons arrivèrent rapidement dans leur quartier, perdu dans une nouvelle discussion. Pour finalement s’engouffrer dans la maison du plus jeune, Phet entrant, l’espace de quelques instants, dans une zone qu’il considérait sans danger.