Nobody said it was easy (Rayden #12)

Les choses s’accélèrent sur le tournage et il y règne une certain tension. Les délais sont de plus en plus cours, quelques problèmes sont inévitablement survenus et l’équipe fait de son mieux pour que tout se fasse dans les temps. En tant qu’actrice je perçois tout cela, j’observe cette tension et j’entends beaucoup de chose. J’ai toujours été de nature à m’intéresser à ce qu’il se passe autour de moi, et curieuse je ne peux m’empêcher de laisser un peu trainer mes oreilles. « Tu es sûr qu’elle a dit ça ? » la réalisatrice a l’air un peu remontée « … Mais elle est vraiment à côté de ses pompes en ce moment ! Elle débloque ou quoi ? » fulmine t’elle. Difficile de comprendre ce qui la contrarie tant puisque j’ai pris la conversation en cours de route « Ne tire pas sur le messager, je n’y suis pour rien. Et puis c’est elle la patronne. » répond son interlocuteur avec un air désolé. C’est sans doute d’Eden dont ils parlent, ce n’est pas la première fois ces derniers temps que ses décisions ou des erreurs de sa part ont des répercussions sur l’ambiance ici sur le tournage. Clairement ça ne lui ressemble pas, mais je ne suis au courant de rien. Depuis l’incident avec sa fille nous nous tenons à distance l’une de l’autre. Une décision prise à deux, implicitement, face à la réaction de l’adolescente. Sa mère ce doit de la préserver et je suis en accord avec ça… Et puis nous devons nous préserver également. A vrai dire j’évite de trop y repenser, je me suis sentie tellement mal durant plusieurs jours suite à cela, j’essaie de mettre ça derrière moi. Pourtant je ne peux m’empêcher de m’inquiéter d’avantage suite à cette conversation épiée. Ce n’est pas du tout le genre de la productrice de manquer de professionnalisme et la savoir qui perd pied m’est très difficile à ignorer. Une fois mes prises terminées je n’ai toujours pas réussi à me sortir tout ça de la tête, je dois savoir ce qu’il se passe… C’est plus fort que moi, je devrais quitter les studios mais je me rends dans les bureaux. Cette fois pas de prise de risque, je m’adresse directement à Oliver, l’assistant d’Eden et il a l’air d’appréhender ce que je vais lui demander « Ms. McHalway, que puis-je faire pour vous ? Ms. Lewis est en rendez-vous. » je m’apprête à lui demander quand elle sera libre mais il enchaine « Je vous en prie ne me dites pas que vous venez vous aussi suite à un problème. Je n’en peux plus. » et je le crois sur parole, ça se voit. Je secoue la tête et lui adresse un sourire « Non, du tout, je souhaitais simplement la voir à propos d’une interview qui m’a été proposé et je dois voir avec elle certains détails. » il semble soulagé et à la fois un peu embarrassé alors qu’il regarde l’agenda de la productrice « Peut-être pourra t’elle vous voir entre deux… » je l’interromps d’un geste de la main « Ne vous embêtez pas Oliver, je repasserai quand ce sera plus calme. » un dernier sourire et je tourne les talons mais pas le temps de regagner l’ascenseur que l’on m’interpelle.

Rien ne va plus. Depuis que Maé a compris qu’il se tramait quelque chose entre Rayan et moi, je sens le poids de la culpabilité. Et puis j’ai pris la décision de ne plus voir l’actrice montante, parce que c’est comme ça que ça doit être, ma fille doit passer en priorité. Le problème, c’est que mon mental en pâtit, mon boulot aussi, et ma santé se mêle au jeu. J’ai refait un malaise cardiaque la semaine dernière, et mon cardiologue est formel, je travaille trop, trop de stress. Je sais pourtant bien que ce n’est pas le travail le problème, j’ai tenu jusque là, le couac au milieu de ça, c’est mon début d’histoire avec Rayan, interrompue par Maé. La vie peut être franchement chienne quand on y pense. Mon esprit est préoccupé, c’est une certitude, je sais que je ne dois pas tirer sur la corde à cause de ce satané coeur qui m’en fait voir de toutes les couleurs. Mais il est là, il fonctionne, encore un peu, le problème c’est qu’il avait l’air de mieux fonctionner lorsque Rayan y avait une place de choix. Le fait même de vouloir l’y évincer n’a pas l’air de lui plaire, à mon coeur. Je fais comme je peux, pour ne décevoir personne, mais c’est difficile. Alors forcément je suis moins concentrée et je fais des conneries, alors que j’ai habité le monde entier à être toujours ‘parfaite’, tirée à quatre épingles, pas un pas de travers. Je m’en mords les doigts aujourd’hui, c’est mon perfectionnisme qui revient me hanter. Connerie. Je finis un rendez-vous avec un des showrunner d’une série que je produis, un malheureux oubli de ma part, une signature qui saute, et le tournage est reporté de trois semaines, je vais encore perdre une fortune avec mes conneries. C’est de pire en pire, je songe à acheter une corde et un tabouret. Une fois mon rendez-vous terminé, je sors de mon bureau pour le raccompagner vers l’ascenseur, c’est là que je vois Rayan. Mon coeur s’emballe. Si elle est à cet étage, il n’y a pas d’autres choix qu’elle soit venue pour me voir, alors pourquoi elle s’échappe. Je lance un regard à Oliver en fronçant les sourcils et lui me sort son plus beau haussement d’épaules. Je suis à deux doigts de le virer. « Ms. McHalway ! » Elle se retourne et je lui fais un signe de main pour lui dire de m’attendre. Une fois mon rendez-vous foutu dans l’ascenseur, je repose mon regard sur la jolie brunette. « Tu voulais me voir ? » J’imagine. Et puis au fond, je crois que ça me ferait plaisir que ce soit le cas. Depuis le soir où elle est venue dans mon bureau, fiévreuse d’envie, et que Maé était là, on ne s’est plus revues, à peine croisées et encore. C’est dur de tenir, j’ignore si c’est la même chose pour elle.

Ça n’a pas l’air d’être le bon moment pour voir Eden. Son assistant est sous pression, elle aussi sans doute et je ne veux pas prendre le risque d’en rajouter. Je signifie à Oliver que je repasserai quand se sera plus calme et m’éloigne en direction de l’ascenseur. Je n’ai pas encore appuyé sur le bouton pour l’appeler quand la voix d’Eden retentit. Je me retourne, mon cœur accélère légèrement en la voyant a moins que l’entendre m’interpeller ai suffit. Elle me fait signe d’attendre et j’accepte d’un léger hochement de tête. Elle fini de saluer son rendez-vous et lorsque les portes de l’ascenseur se sont refermées sur lui, m’interroge sur la raison de ma présence ici « Oui. Je voudrais te parler si tu as cinq minutes. » un temps qu’elle semble encline à m’accorder et je la suis jusque dans son bureau. La dernière fois que je me suis trouvée là les choses ne se sont pas passées exactement comme je l’espérais, pour ne pas dire que ça a été un fiasco total. Je croise son regard, je peux y lire de la fatigue et de la lassitude, mon inquiétude se confirme je m’installe où elle m’invite à le faire « Comment tu vas ? » demandé je directement « Je suis venue pour parler de... » je marque un temps d’arrêt, pourquoi lui mentir ? « Pour prendre de tes nouvelles. » je soupire « Est-ce que ça va avec ta fille ? ». Maé est une ado et je suis bien placée pour savoir combien ils peuvent être difficiles parfois, surtout en période de conflit, de contrariété. Et si c’est le cas je me sais en partie responsable et depuis ce jour où l’adolescente a plus ou moins découvert ce qui nous liait Eden et moi, je traîne une certaine culpabilité. « Je sais que je l’ai déjà dit mais je suis désolée... Débarquer ici comme je l’ai fait c’était une mauvaise idée. » je hausse les épaules « Tu noteras que j’ai appris la leçon je suis passée par Oliver cette fois. » et j’ai faillit repartir.

« Oui. Je voudrais te parler si tu as cinq minutes. » Je hoche la tête, tentant un léger sourire, en espérant seulement qu’il n’y ait rien de grave, ou que je n’ai pas - encore - fait une énième connerie. Je les enchaîne ces derniers temps, il faudrait peut-être que je pense à prendre quelques jours de vacances. Je lui fais signe de me suivre et nous nous installons dans mon bureau, elle d’un côté et moi de l’autre, même si c’est un peu protocolaire, ça reste plus prudent. Parce que malgré les jours qui se sont écoulés, ce que je peux ressentir pour elle n’a pas changé. Je m’en rends compte maintenant, le fait de l’avoir en face de moi, sûrement. « Comment tu vas ? » me demande-t-elle pour démarrer la conversation. J’avoue que je ne sais pas trop quoi répondre, et d’ailleurs, elle doit s’en rendre compte puisqu’elle ne laisse pas un trop gros laps de temps avant d’enchaîner. « Je suis venue pour parler de… Pour prendre de tes nouvelles. Est-ce que ça va avec ta fille ? » Je soupire. Je n’ai pas pris le temps de me poser trop de questions, j’évite. Mais maintenant que je fais face à Rayan et qu’elle me pose la question, je suis bien obligée d’analyser la situation, et d’y faire face. « Ça pourrait aller mieux. Elle m’en veut, évidemment. Je sais même pas comment j’ai pu imaginer qu’elle s’en rendrait jamais compte. » Je lève les yeux au ciel et retire mes lunettes pour me masser l’arrête du nez. « Je sais que je l’ai déjà dit mais je suis désolée... Débarquer ici comme je l’ai fait c’était une mauvaise idée. » Je secoue la tête, mais encore une fois je sens le stress de Rayan, elle ne me laisse même pas répondre qu’elle enchaîne. « Tu noteras que j’ai appris la leçon je suis passée par Oliver cette fois. » Je lui adresse une esquisse de sourire. « J’ai vu oui. Mais arrête de culpabiliser, c’est pas de ta faute tu pouvais pas imaginer qu’elle serait là, et j’aurai pu te prévenir. Enfin c’est un concours de circonstances, c’est comme ça. » Et ça fait chier. Ça fait chier parce qu’elle me manque et que je ne peux rien faire face à tout ça. Je sens comme un pic de douleur au niveau de mon coeur, je n’aime pas cette sensation, et place immédiatement deux de mes doigts au dessus de mon sein gauche en appuyant légèrement, faisant passer ce geste comme quelque chose de normal ou de naturel. « En dehors de ma fille qui fait la gueule et qui campe chez son père, c’est pas la grande forme non. Tu dois t’en douter, les informations circulent vite… » Et ça me fait chier. « Je suis fatiguée et toujours ces soucis de santé qui me prennent la tête. » Nouveau soupire. J’ai du mal à croire que je sois en train de montrer ma vulnérabilité à quelqu’un. Il fallait bien que ce soit elle. « Enfin bref. Et toi, comment tu vas ? Tu as commencé à travailler avec ton coach pour la sortie du film ? Le tournage est quasiment terminé non ? »

Pas besoin d’être fine analyste pour voir à quel point Eden est fatiguée. A vrai dire je ne pensais pas que c’était à ce point. Le stress de son boulot, la situation sans doute compliquée avec sa fille, et des ennuis de santé dont j’ai vaguement entendus parlé. Je me suis tenue à distance de la productrice mais aussi des conversations dont elle était l’objet, une manière de me préserver et pourtant je suis là, parce que je ne peux plus faire l’autruche et j’avais besoin de prendre de ses nouvelles. Je m’inquiète véritablement pour elle, même si je la sais forte. Maé lui en veut, et la quadra culpabilise d’avoir cru que l’adolescente resterait dans l’ignorance.  Moi aussi je me sens coupable et je lui présente de nouvelles excuses pour mon comportement totalement irréfléchi, à croire que c’est un des nombreux effet qu’elle a sur moi. Je tente un petit trait d’humour et prends plaisir à la voir sourire, même si ce n’est qu’une ébauche. Eden tente de me rassurer, me libérer de ma culpabilité, c’est un concours de circonstances qui nous a mené là où nous en sommes. Je hoche la tête, incapable de lui donner tort, mais pas totalement absoute de mes fautes pour autant. Bien qu’elle essaie de donner le change, je la vois grimacer légèrement, appuyer sur le haut de sa poitrine et je fronce les sourcils, je déteste la voir comme ça et surtout ne pouvoir rien faire, ou plus exactement ne pas avoir le droit de faire quoi que ce soit. La productrice répond à mes questions, s’ouvre à moi, se dévoile, vulnérable. Elle est fatiguée, sa santé lui joue des tours et le reste vient s’ajouter à cela… Je ne la quitte pas des yeux et si je cherchais à me rassurer en venant la voir, je crois que je suis encore plus inquiète maintenant. Si je n’écoutais que moi, j’aurais déjà pris sa main pour l’emmener je ne sais où, mais dans un endroit où elle pourrait trouver le calme nécessaire pour se reposer. Loin du boulot, de sa fille et ses reproches, juste elle et moi. Tu dérailles Rayan !
Eden me coupe dans mes pensées, me demandant à son tour comment je vais, où en est ma préparation pour la promo du film ainsi que le tournage. « Ça va. » ça irait mieux si elle pouvait faire encore un peu partie de ma vie, plus que juste un nom ou une sorte de mirage comme ça l’est en ce moment, mais on ne peut pas tout avoir. « On a commencé oui, je devrais être au point le moment venu. » je soupire « Bientôt. Y’a un peu de retard. Et… quelques contretemps, de ce que j’ai cru comprendre. » je n’ose pas lui dire que la réalisatrice pestait après ses décisions pas plus tard qu’aujourd’hui, elle n’a pas besoin de ça. Je sais que je suis évasive, la quadragénaire le sent forcément. La vérité c’est que j’ai dû mal à me concentrer sur autre chose que mon inquiétude et le manque ressenti depuis cet accord silencieux de nous éloigner pour de bon. Nerveusement je mordille l’ongle de mon pouce gauche « Tes soucis de santé, à quel point ils te prennent la tête ? » elle les a évoqué lors de la soirée précédant la nuit que nous avons passé ensemble et j’ai bien vu cette cicatrice sur sa poitrine, mais j’avais choisi de ne pas poser de questions, maintenant je le fais. Je soupire et lève les yeux un court instant avant de la regarder à nouveau « J’aimerais pouvoir t’aider. Je sais même pas si je pourrais faire quoi que ce soit, mais je voudrais le faire, si c’était le cas. » et là tout de suite j’ai tellement envie de contourner ce bureau pour la prendre dans mes bras, mais je me l’interdis car ce serait une folie. Une de plus…

Je n’ai pas pour habitude de me lamenter sur mon sort, bien au contraire. Je suis plutôt le genre de femme qui ne montre jamais ses sentiments, gardant contenance, et ce masque qui permet de tout cacher, de tout garder pour soi. Mais face à Rayan je me suis ouverte, j’ai baissé certaines barrières et je me permets avec elle des choses que je ne me permettrai pas avec d’autres. Avec beaucoup d’autres. Je ne veux pas non plus m’étaler sur ce qui ne va pas, je préfère encore retourner l’attention comme je sais si bien faire, pour lui demander elle, comment ça se passe pour sa carrière. « On a commencé oui, je devrais être au point le moment venu. Bientôt. Y’a un peu de retard. Et… quelques contretemps, de ce que j’ai cru comprendre. » Je lève les yeux au ciel. Je sais que je fais partie de ces contre temps. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi même, pour eux ça ne change pas grand chose au final, c’est moi qui allonge la monnaie. Je soupire légèrement, préférant ne pas répondre à ça, même si je sais que ce n’est aucunement une provocation de sa part, bien au contraire d’ailleurs. « Tes soucis de santé, à quel point ils te prennent la tête ? » demande-t-elle finalement, me faisant reposer mon regard dans le sien. Je ne sais même pas quoi répondre à vrai dire. « J’aimerais pouvoir t’aider. Je sais même pas si je pourrais faire quoi que ce soit, mais je voudrais le faire, si c’était le cas. » Je suis touchée, sans doute aussi un peu trop à fleur de peau ces derniers temps, à tel point que mon regard se voile légèrement. « Ça va, t’en fais pas. C’est pas si grave, c’est juste que je devrais lever le pieds, mais j’y arrive pas. J’ai personne à qui déléguer tout mon boulot, et mon cardiologue me bassine en me disant que c’est vital… » Je soupire plus profondément et me laisse tomber au fond de mon siège, glissant mes mains dans mes cheveux. « J’adore ce boulot, mais je veux pas jouer avec ma santé, je l’ai déjà fait une fois il est pas question de faire une autre crise comme celle que j’ai vécue l’année dernière. » Mais en même temps, c’est elle qui m’a permis de venir m’installer à L.A., acheter cette boîte de production, rencontrer Rayan… On n’a rien sans rien. « Tu sais ce que tu pourrais faire ? » Je me penche à nouveau pour poser mon coude sur mon bureau et fais reposer ma joue dans le creux de ma paume de main, un peu avachie, pas dans mes habitudes. « Trouver un marabout qui voudrait bien faire en sorte que Maé oublie toute cette histoire… » Parce que je suis persuadée que si tout ça n’était pas arrivé, j’aurai eu plus de facilités à gérer les crises au boulot. Et puis… elle me manque. Enfin oui. Ma fille me manque, c’est vrai. Mais là je parlais surtout de Rayan en vérité.

Je ne m’attarde pas sur des détails concernant les retards de tournage ou autre contretemps faisant pester la réalisatrice. Eden est déjà au courant et si elle est sous pression ce n’est pas pour rien. Inutile d’en rajouter une couche, de toute façon mes préoccupations sont ailleurs, la concernant directement. Loin d’être rassurée de la voir dans un tel état de fatigue, je l’interroge sur ses problèmes de santé et lui témoigne mon soutien, même si ce n’est pas suffisant parce que j’aimerais faire tellement plus, des actes concrets. Je ne l’ai jamais vu comme ça, même dans des moments où elle tombait le masque, c’est à sa vulnérabilité que la quadragénaire me donne accès et ça me touche. Bien sûr elle cherche à me rassurer, disant que ce n’est pas si grave pour se contredire la seconde d’après. Elle mène un combat avec elle-même, sa santé, ses obligations et les récentes prises de tête avec sa fille par dessus le tout. Tout s’imbrique, s’alimente, il va falloir lâcher du leste, sinon c’est elle qui finira par lâcher et je ne suis pas capable de l’entendre, encore moins de le vivre. « Je crois que nous n’avons pas la même définition du pas si grave. » je lui adresse un sourire compatissant « Si ton cardiologue te dis qu’il est vital de lever le pied, ça ne me semble pas être anodin. » le pire c’est que la productrice ne veut pas risquer sa santé, mais s’éloigner de son boulot lui apparaît comme impossible. Je ne veux pas me montrer intrusive ou indiscrète mais je me risque à poser la question qui me brûle les lèvres « Ton autre crise, c’est d’elle que te viens ta cicatrice ? » je suis presque un peu gênée « Ce n’est pas rien… c’est tout sauf rien. ». J’ignore si c’est ce qu’elle veut entendre, mais c’est en tout cas ce qu’il me paraît pertinent de lui dire. Lasse, elle s’appuie sur sa main, il y a peut-être quelque chose que je puisse faire. Mon espoir retombe un peu comme un soufflet quand Eden évoque son idée, j’esquisse un léger sourire sans vraiment d’enthousiasme « J’en connais un, il s’appelle le temps et il va faire son œuvre. » je hausse les épaules « Son seul problème c’est que parfois il n’est pas pressé. » quant dans d’autres moments il passe vite, beaucoup trop vite. Je soupire et secoue la tête « Elle pourra pas t’en vouloir éternellement. De toute façon qu’est-ce qu’elle imaginait ? » j’ai essayé de ne pas céder à la colère, parce que c’est une gamine et je sais que l’adolescence est une période difficile, mais présentement je ne peux m’empêcher d’en vouloir un peu à Maé de réagir ainsi, avec tant de véhémence alors que son crush n’est qu’une lubie débile. Je secoue la tête « Je veux pas la blâmer, mais cette situation… » je me lève, nerveuse, impatiente, j’en sais trop rien mais il faut que je bouge « J’aime pas te voir comme ça Eden. Ces bruits de couloir j’ai essayé d’en faire abstraction, mais j’ai entendu quand même et je me suis inquiétée alors je voulais te voir, pour me rassurer. » je lui adresse un regard désolé « Maintenant c’est pire. ». Je secoue la tête, dépassée par tout ça avant de la regarder à nouveau « C’est toi qui gère cette endroit, non ? C’est toi la patronne… Et tout le monde te vois comme une sorte de dragon. » je hausse les épaules « Fais un caprice de star, pars quelques jours sans rien dire. Personne ne te fera de reproche en face et les studios n’arrêterons pas de tourner pour autant. ».

« Je crois que nous n’avons pas la même définition du pas si grave. » J’ai sans doute un peu trop lâché de leste dans mes explications. Rayan ne devrait pas être au courant de tout ça, elle a assez à gérer pour en plus se sentir coupable ou avoir des inquiétudes me concernant. « Si ton cardiologue te dis qu’il est vital de lever le pied, ça ne me semble pas être anodin. » Les médecins sont toujours alarmants. Je sais bien que je dois faire attention, mais je ne suis pas à l’article de la mort non plus. Et puis surtout je n’ai pas vraiment le choix que de continuer sur cette lancée tant que je n’ai pas trouvé de solution miracle pour le boulot. « Ton autre crise, c’est d’elle que te viens ta cicatrice ? » Donc elle l’a vue. Ou sentie. On était dans la pénombre cette nuit là, je ne pensais pas qu’elle y avait fait attention, mais il faut croire que si. « Je me suis fait opérer après cette crise oui. C’était moins une, je suis pas passée loin. » Je ris un peu nerveusement. Parce que je pensais que c’était du passé tout ça, qu’ils avaient réglé le problème et qu’elle faisant juste un peu attention, je passerai à côté de nouveaux soucis de ce genre. Mais non. A croire que je vais garder ça à vie. Je déteste l’idée de devoir vivre en faisant attention sans arrêt. Je vois bien que Rayan est inquiète, je n’aurai pas dû lui parler de ça et maintenant je suis inquiète. J’essaie pourtant de dédramatiser la situation, change un peu se sujet, y mets un trait d’humour, mais elle n’a pas l’air de vouloir rire. Elle parle de temps, je sais bien que c’est la seule chose qui pourra apaiser la situation avec Maé. Elle a l’air remontée contre ma fille, je la comprends, je suis frustrée d’avoir dû mettre un terme à tout ça à cause d’une enfant, mais il n’y a pas que ça, Rayan n’est pas au courant de tout, de mon couple avec Cora, du pacte qu’on a fait en se mettant ensemble, s’interdisant les sentiments dans une quelconque autre relation parallèle. J’ai feint à la règle, même si je ne l’avoue pas. Parce que Rayan, ce n’était pas seulement ‘juste comme ça’. Elle se lève et je la suis des yeux, elle est inquiète, irritée, elle me parle des bruits de couloir donc je suis victime depuis quelques temps, et à juste titre. « C’est toi qui gère cette endroit, non ? C’est toi la patronne… Et tout le monde te vois comme une sorte de dragon. Fais un caprice de star, pars quelques jours sans rien dire. Personne ne te fera de reproche en face et les studios n’arrêterons pas de tourner pour autant. » Si seulement. Je lui adresse un petit sourire, elle me fait encore plus craquer quand elle est inquiète pour moi. Je me lève à mon tour, m’approche d’elle, fais glisser une main sur son épaule, son bras, et me saisis délicatement de sa main. « Ne t’inquiète pas pour moi. Je vais trouver une solution, j’ai pas vraiment le choix de toute manière. Mais je peux pas tout laisser en plan, ça c’est pas possible. A moins de me faire kidnapper. » Je ris à nouveau et de ma main libre je viens caresser sa joue. Je sais que c’est dangereux mais j’en ai envie, j’en ai besoin.

Rien n’a jamais été simple avec Eden, ou peut-être juste la nuit que nous avons passé ensemble, un moment comme hors du temps, dans une bulle qui n’appartenait qu’à nous et dans laquelle tout me semblait facile. J’ai lutté au début, puis céder, pour faire machine arrière avant de comprendre que cette force qui me pousse vers elle, cette attirance que je ressens à son égard, dépasse ma volonté de me tenir éloigner. Bien sûr que tout serait bien plus simple si j’en étais capable, et le seul fait d’être là face à elle prouve qu’une fois encore je suis faible. Animée par la force de ce besoin de la voir et de savoir comment elle va. Mais après un tel discours, de tels aveux sur son état autant physique que psychologique, comment repartir comme si de rien était ? Le sujet étant abordé je me risque à l’interroger sur ses soucis précédents, des antécédents médicaux sérieux, une opération faite en urgence et elle m’annonce ça presque sur le ton badin de la conversation. Je sais que la productrice se protège, tomber le masque est déjà un effort conséquent et je me sens toujours flattée d’avoir sa confiance. Je ne sais pas bien ce qui nous lie, ce que nous vivons mais il y a quelque chose de spécial et en être privé pourrait finir par me rendre dingue. J’en veux à sa fille, c’est aussi ridicule que le crush qu’elle a sur moi mais c’est la frustration qui parle et pourtant je m’efforce de la gérer. Cependant tout ça, voir Eden dans cet état et me sentir impuissante, c’est trop et la nervosité l’emporte. Je ne veux pas être encore un problème de plus pour la quadra, je veux pouvoir l’aider, à mon niveau. Sauf que ça ressemble un peu à une impasse, tout est trop étroitement lié. J’essaie de lui trouver une solution, qu’elle parte quelques jours sans rien dire à personne comme une starlette qui ferait un caprice. Une envie d’île paradisiaque comme seuls les gens de son standing peuvent se l’offrir. Son mince sourire me fait comprendre que je me berce d’illusion, elle ne l’envisage même pas, j’ai l’impression qu’elle est même résigner à vivre cette situation. Mon agacement s’évapore quand sa main se pose sur mon bras descendant jusqu’à ma main dont elle se saisit, c’est à la fois plaisant pour la sensation et agaçant de savoir que je dois y renoncer. Une nouvelle fois elle veut me rassurer « Trop tard. » je m’inquiète déjà, c’est comme ça. Bien évidemment je crois en sa force, elle n’a pas attendu de me rencontrer pour affronter des moments difficiles, mais ça me tue de ne pouvoir rien faire… et surtout être en partie responsable de cela, même malgré moi. Tout lâcher pour partir n’est pas un solution envisageable, pourtant elle me paraît très bien à moi ! Sauf en cas de kidnapping, auquel cas elle n’aura pas le choix. Elle retrouve un sourire plus franc, rit même un peu et c’est déjà un petite victoire en soit pour moi que de voir ça. Sa main se perd sur ma joue, j’aime les sensations que ce geste me procure, je soupire légèrement « Ne me tente pas. » je ne précise pas si je parle de la kidnapper ou de ce simple petit rapprochement qui pourrait me faire basculer. Je me sens tellement sur la brèche. Je retire sa main la caressant un peu, c’est plus fort que moi, lui adressant un sourire « Mieux vaut ne pas rendre les choses encore plus difficiles, non ? ». J’ai une certaine fierté mais Eden a toujours eu cette faculté à faire baisser mes barrières, me faire sortir de ma zone de confort. Mais là ce n’est pas de cette zone là dont je veux sortir, mais de celle de l’interdit. Surtout ne pas regarder ses lèvres…

Je voudrais qu’elle arrête de s’inquiéter, j’ai vécu des périodes bien plus difficiles que celle-ci, je dois juste faire un peu attention, quelques temps. Mais force est de constater que la jeune femme n’est pas rassurée, et lui dire de ne pas s’inquiéter n’a pas l’air de fonctionner. Je lui explique que je ne peux pas tout lâcher, ce serait inconscient. Je m’approche d’elle finalement, je ne peux pas m’en empêcher, je me sens comme un aimant, attirée par elle sans avoir le pouvoir de me retenir. Ma main glisse sur sa joue, qu’elle retire assez rapidement en me demandant de ne pas la tenter. « Mieux vaut ne pas rendre les choses encore plus difficiles, non ? » Je laisse mon regard plongé dans le sien un instant, en silence, glissant ce dernier sur ses lèves avant de soupirer. Mes doigts viennent s’entrelacer avec les siens et je sens mon coeur qui bat un peu plus fort, c’en est presque douloureux. « Je sais pas ce qui est le plus difficile au final. Résister ou être loin de toi. » C’est un aveu de sentiments, pas très explicite, mais bien assez pour moi. Mon corps s’approche, je ne contrôle plus grand chose, la proximité avec Rayan me rend dingue, je n’ai jamais ressenti ça avant elle. Ma main libre se pose au creux de sa taille, mon front venant trouver le sien, alors que je ferme les yeux pour simplement m’imprégner de cette connexion. « J’aimerai tellement que les choses soient plus faciles… » Lui résister est pire qu’une torture, et pourtant je dois penser à ma fille, je dois penser à moi. Sauf que tout ça s’est emballé depuis que nous avons dû prendre nos distances, et j’ai l’étrange sensation que c’est ce qui fout mon esprit en vrac, mon coeur en lambeaux, et ma santé en péril. J’ai tellement envie de la retrouver, la tension est palpable, mon souffle déjà un peu plus rapide. Mon nez frôle le sien, j’approche mes lèvres des siennes, j’en meurs d’envie, j’ignore comment j’arrive à résister encore. Et c’est la vie qui nous aide, comme pour nous remettre sur le droit chemin, alors que l’interphone se met à biper, annonçant un appel d’Oliver. Je serre les mâchoires avant de soupirer, et m’éloigne d’elle à contre-coeur. « Miss Lewis, je suis désolé de vous déranger pendant votre rendez-vous, mais il y a un appel urgent pour vous, sur la ligne 2. » Les affaires reprennent. Je suis fatiguée. Je soupire et appuie sur le bouton pour parler à mon assistant. « Fais les patienter deux minutes le temps que je termine mon rendez-vous. » Je repose mon regard sur la brunette au milieu de mon bureau et lui offre une moue désolée. « Je vais essayer de lever le pied. Ne t’inquiète pas pour moi d’accord ? » Je garde mon regard ancré au sien comme pour appuyer mes dires, et m’approche à nouveau, glissant une main à sa taille, déposant un baiser sur sa joue. « Et prend soin de toi, toi aussi. Bientôt tu n’auras plus le temps de souffler non plus. » Je lui souris et me détache d’elle pour la raccompagner jusqu’à la porte de mon bureau, avant de reprendre le cours de mon boulot.