Ghost [Thyles]

Mon premier réflexe en me réveillant a toujours été de regarder mes mails, mes appels manqués, mes textos, bref, mon téléphone est mon lien avec le monde. Professionnel comme social… quoi que non, sociale ça n’a jamais été. Alors on va en rester au professionnel. Sauf que depuis quelques temps, Jules fait partie de mon quotidien. J’avais pour habitude de recevoir quelque-chose de temps en temps, un article qui lui avait plu, une réflexion sur un abruti qui lui aurait foutu sa journée en l’air ou bien même un petit mot. Quelques mots, qui, sans qu’ils ne soient mis dans le contexte, n’ont pas grande valeur pour moi, mais quand je sais qu’ils viennent d’elle, je sais que ça doit vouloir dire que je compte un peu dans son quotidien.
Mais rien, depuis des jours. Ou alors des mots sans grande importance, même remis dans leur contexte. Je sais Jules plus significative que ça. Elle ne répond pas à mes appels ou décline mes invitations à sortir alors que je sais que c’est le genre de truc qu’elle aime faire, pas moi. Pour elle, profiter des gens, avoir une relation avec eux, quelle qu’elle soit, c’est échanger, partager. Et elle n’a plus l’intention de le faire visiblement.
Ça fait trois mails sans réponse. S’ils étaient rapprochés, j’aurais compris. Mais ça n’est pas le cas. Je n’ai rien de la névrosée qui insiste. Ou qui la suit, cherche à savoir ce qu’elle fait. Je la laisse venir à moi. Je n’aime pas interagir dans l’intimité des gens, je n’aime pas qu’on soit intrusifs avec moi, alors je tente d’en faire autant.
Seulement ça va faire presque 5 semaines qu’elle m’ignore. Et ça m’énerve. Quelques mots de temps à autre ça ne fait pas tout. Alors je prends sur ma soirée boulot, enfile une veste en cuir, un jean et des baskets. Basique, simple, et efficace. Je me rends chez elle et sonne. J’insiste un peu parce que j’entends de la musique à toute berzingue, sans doute qu’elle a besoin de se concentrer, elle bosse de cette façon. Pourquoi pas.
Je tape une fois de plus, en tambourinant à la porte, et elle fini par ouvrir. « Généralement quand les gens n’ont plus envie de me voir, ils me le disent. » Je bloque la porte au cas où il lui prendrait l’idée de refermer, mais elle est plus civilisée que ça je crois. « C’est toi qui m’a dit que les gens, si tu ne leurs parlaient plus, ils finissaient par t’oublier. » Beaucoup de ce que je sais sur le genre humain, vient de ses enseignements…

Les aveux de Thylo, ou plutôt ses explications sur ce que représente ce je ne sais trop quoi qu’on partage, m’ont fait prendre conscience que je perdais le contrôle. Parce que je me rends compte que ma curiosité m’a mené dans une direction imprévue et finalement ce n’est plus un jeu. Ça ne peut plus l’être, car il n’a jamais été question pour moi de jouer avec la jeune femme, et certainement pas avec ses sentiments. Elle ne met pas les mots exacts sur ce qu’elle ressent, mais sa manière de décrire les choses a trahi son début d’attachement à moi et pourtant je n’ai rien fait pour ça. Ou plutôt si, je l’ai fait sans m’en rendre vraiment compte, me mettant dans une situation dont je perds peu à peu la maitrise parce que moi aussi d’une certaine manière je m’attache à elle  tout aussi bizarre et atypique soit elle. Et elle n’est sans doute pas à même de le comprendre, à vrai dire j’en sais rien j’ai pas essayé de lui expliquer, mais j’ai besoin de prendre du recul, faire le point et surtout éviter de faire une connerie. Rien de tout ça n’était mon but, ça m’amusait juste de chercher à la comprendre, jusqu’à finir par apprécier sa compagnie, vraiment l’apprécier et maintenant je fais un peu marche arrière, pas de la plus jolie des manières. Mais comme chaque fois que je veux m’éloigner de quelque chose je me focalise sur une autre, le boulot en l’occurrence et ça tombe bien parce que j’ai plusieurs enquêtes sur le feu. Je n’ai pas totalement coupé les ponts avec Thylo, mais progressivement le travail prend le pas sur le reste et la pensant la plus à même de le comprendre je ne prends pas le temps de le lui expliquer. Erreur.
Musique trop forte, plusieurs cafés ingurgités je suis en plein dans la finalisation de mon enquête, j’ai monté tout un dossier sur ce type infidèle que je suis depuis des semaines. Je connais tout son emploi du temps, qui il voit, quand, pourquoi, tout est là et sa femme va pouvoir le plumer comme il faut. Dans le bruit ambiant j’entends qu’on sonne à ma porte, mais comme j’ai déjà eu quelque fois cette hallucination auditive cette fois je ne prends pas la peine de me déplacer jusqu’à la porte. Du moins pas avant que j’entende tambouriner contre cette dernière. Merde, d’habitude y’a aucun voisin qui se plaint du bruit, ils partent tous bosser. Je baisse un peu le son de la musique, par anticipation et aussi pour pouvoir entendre ce qu’on a à me dire. Je vais ouvrir et tombe nez à nez avec la journaliste qui ne me laisse même pas le temps de la saluer me donnant aussitôt l’objet de sa visite. Une certaine contrariété. Un regard vers son pied qui bloque la porte. Sérieusement ? Elle pense que je vais la lui claquer au nez ? Elle me ressort un phrase de mon cru, je hoche la tête et m’écarte pour l’inviter à entrer « C’est vrai j’ai dit ça. ». Je referme derrière elle et soupire « J’ai rien dit parce que c’est pas que j’ai plus envie de te voir. » il va lui falloir plus que ça comme explications, c’est légitime. Je vais couper la musique « Tu bois quelque chose ? » agir comme si presque de rien était c’est peut-être une bonne stratégie le temps de trouver les bons mots.

Je me doutais qu’elle était chez elle. Et quand la musique est à fond, ça signifie qu’elle se concentre. Elle est aussi décalée, dans un certain sens, et ça me plaît. Je ne suis pas la seule weirdo, bien que je sois bien au-dessus de son niveau à elle, mais je ne contrôle pas tout. Je n’hésite finalement pas à la déranger. Mais si tout avait été normal entre nous, je n’aurais pas interrompu une séance de travail, je déteste qu’on le fasse quand c’est moi à sa place, alors je respecte ça. Ne pas faire aux autres ce que j’aimerais pas qu’on me fasse, ça je l’ai bien appris.
Elle fini par m’ouvrir la porte, surprise visiblement de ma visite mais encore plus de mon air agacé. Elle plaisante ? J’ai commencé à savoir lire les expressions sur son visage, même si j’ai dû les apprendre par cœur, étant jeune adulte, pour me faciliter le boulot quand je suis en interview. Mon boss m’a toujours dis que 50% de la communication était non verbale. Un défi en soit pour moi qui n’arrive pas à capter mes propres expressions et ressentis.
« C’est vrai j’ai dit ça. » Elle me laisse entrer et je pénètre dans l’appartement comme si elle pouvait changer d’avis dans la seconde. « J’ai rien dit parce que c’est pas que j’ai plus envie de te voir. » « J’ai trouvé ton comportement assez ressemblant pourtant. » Je suis mesquine ? Je ne le fais pas exprès. Mais son levé de sourcil me signifie bien qu’elle ne réagit pas comme si je lui parlais sur un ton neutre, c’est donc que pour elle, j’en ai adopté un autre, peut-être celui de l’ironie. C’est encore une notion que je ne maîtrise pas vraiment tout ça. « Tu bois quelque chose ? » « Non, je ne suis pas là pour ça. » Elle ouvre tout de même le frigo. « J’aimerais savoir pourquoi tu m’évites. Est-ce que j’ai dis quelque-chose, fait quelque-chose n’inapproprié ? » Ca ne peut venir que de moi, c’est évident. Nous ne sommes que deux dans cet échange et elle a changé. Donc ce doit être une réaction à mon propre comportement. Et je suis plantée dans sa cuisine. Droite comme un I, à attendre une explication logique qui pourrait influer sur mon changement de comportement à venir. Les rapports humains sont beaucoup trop compliqués…

Sur le moment je suis surprise de voir Thylo devant ma porte, beaucoup moins quand de but en blanc elle me fait part de sa contrariété. Sa visite est légitime, mon comportement ne trouvant pas d’explication logique pour elle, c’est auprès de moi qu’elle vient directement la chercher. Je n’argumente pas, pas pour l’instant, la laissant simplement entrer pour lui signifier que je suis encline à une discussion. Veut-elle boire quelque chose ? Non. Simple et limpide, elle n’est pas là pour ça. Je me sers quand même un verre de jus de fruit, j’ai soif et j’ai besoin d’autre chose dans mon estomac que du café. Je repose la brique dans la porte, la journaliste rentre directement dans le vif du sujet, comme à son habitude. Elle s’interroge sur sa propre responsabilité concernant mon silence, je la regarde et hausse les épaules « Non pas vraiment… Enfin si un peu mais… » je soupire parce que cette conversation s’apprête à être compliquée, j’en ai l’intuition. Je dois lui expliquer les subtilités des relations humaines, là où elle a dû mal à conceptualisé les relations et la subtilité ! Je cherche le meilleur angle possible pour aborder correctement le sujet, lui faire comprendre que son comportement ou ses propos en tant que tels ne sont pas le problème, mais plutôt ce qu’ils ont provoqués en moi. Je la regarde, plantée là à attendre sa réponse « Allons nous asseoir. » dis-je en désignant le canapé dans le coin salon de la pièce. Je me dirige dans cette direction mon verre à la main et m’installe « C’est pas que je veux plus te voir… J’ai juste eu besoin de prendre un peu de recul. » c’est là que les choses se compliquent « Pas à cause de toi mais parce que ce que tu as dit ça m’a fait prendre consciences de certaines choses et j’avais besoin d’y réfléchir. » et là elle va sûrement me dire que je n’avais qu’à l’informer que j’allais prendre des distances, ce en quoi elle n’a pas tort parce que mon comportement était stupide mais la vérité c’est qu’une nouvelle fois je me suis laissée embarquer, continuant à bosser en donnant de moins en moins de nouvelle, me coupant du monde. « Je m’y suis mal prise. Je te présente mes excuses pour ça. » sauf que ça ne change rien à ces questions qu’ont susciter son discours l’autre soir. Elle s’attache et moi je n’avais pas prévu ça, pas du tout et maintenant je ne sais pas du tout dans quelle direction aller. Peut-être que la solution serait justement de couper les ponts, cependant je ne suis pas certaine d’en avoir envie, c’est bien ça le problème.

La culpabilité. Pas qu’elle me ronge, mais elle fait partie intégrante de la façon dont je fonctionne. Tout du moins je me dis que mon comportement influe sur celui des autres, comme celui des autres a tendance à influer sur moi. Un genre de réaction en chaîne, encore que les autres sont plus sensibles que moi à certaines subtilités. Subtilité est d’ailleurs un mot que je ne parviens pas à comprendre. A saisir. Qu’est-ce en elle-même, la subtilité ? On m’en parle, et je tente de faire comme si je maîtrisais le sujet.
J’ai besoin de savoir si ça vient de moi, si j’ai pu faire quelque-chose l’ayant contrariée, sans m’en rendre compte. Faire de la peine à Jules est la dernière chose que je voudrais, seulement je ne suis pas capable de calculer l’impact de chacun de mes actes. « Non pas vraiment… Enfin si un peu mais… » Encore une réponse qui ne fera que m’embrouiller, parce qu’elle-même n’a pas les idées claires. C’est pourtant elle généralement, la référence. « Allons nous asseoir. » Je lui cède, dans l’espoir d’obtenir les réponses que je veux. Et dont j’ai besoin pour arrêter de cogiter.
« C’est pas que je veux plus te voir… J’ai juste eu besoin de prendre un peu de recul. » Je lève un sourcil, sans tout comprendre. « Pas à cause de toi mais parce que ce que tu as dit ça m’a fait prendre consciences de certaines choses et j’avais besoin d’y réfléchir. » « Mais réfléchir à quoi ? » Je ne sais pas ce que j’ai pu lui mettre en tête mais visiblement je l’ai plus que largement perturbée, et ça n’était pas mon intention. « Je m’y suis mal prise. Je te présente mes excuses pour ça. » Excuses acceptées, mais ça ne change rien au problème. J’ai besoin de savoir. Je m’installe autrement, pour être face à elle, et accoudée au dossier. « Mais qu’est-ce-qui t’a poussé à couper court comme ça, on s’entendait bien, non ? » Je n’ai même pas conscience de ce que j’ai pu lui dire de si définitif qui l’ait fait fuir. J’ai pourtant conscience que les gens s’éloignent quand ils ont peur, quand ils ne se sentent pas en sécurité, parce que moi aussi je fonctionne comme ça, et pour une fois, c’est un trait commun à tous les autres.
« Si j’ai fait une erreur, j’ai besoin de savoir laquelle, c’est toi-même qui m’a dit qu’on apprenait tous les jours. »

Clairement je ne suis pas du tout en train de répondre aux interrogations de Thylo. Je le vois à son regard, les choses sont peut-être encore plus floues maintenant que je tente une explication sur ce qui m’a fait prendre de la distance avec elle. Putain qu’est-ce que j’aimerais qu’elle sache lire entre les lignes à cet instant. Parce que c’est pas tellement mon style d’étaler mes réflexions lorsque ça concerne quelqu’un d’autre, qu’il s’agit d’attachement, peut-être même de sentiment. Je suis un peu pudique, sans être complètement fermée, mais je ne parle pas de ça si facilement. J’avais besoin de réfléchir à ce que la journaliste a avoué l’autre soir, avec cette forme de candeur liée à son fonctionnement atypique. Forcément ça la dépasse et j’échappe un petit soupir avant de lui présenter des excuses au moins pour ma maladresse, c’était pas malin de la ghoster comme ça sans vraie raison en plus. Thylo les accepte, mais encore une fois elle n’est pas venue pour ça, même pas, ce qu’elle veut c’est des explications et elle n’en démordra pas je le sais. « On s’entend bien. Pas besoin de le mettre au passé. » rectifié-je. La journaliste veut connaître et comprendre son erreur, elle n’en a pas fait, elle s’est simplement montré sincère, honnête et moi j’ai un peu flippé, connement. « T’as pas fait d’erreur, c’est juste que ce que tu m’as dit la dernière fois… que en quelque sorte tu t’es attachée à moi, je l’avais pas prévu. » je hausse les épaules « Je comptais pas passer du temps avec toi, et l’apprécier. Pas plus que j’avais prévu qu’on couche ensemble, ou que tu puisse me plaire… ». Je bois une gorgée de jus de fruit, pour m’aider à rassembler mes idées, gagner du temps pour le faire surtout. « Je me sens un peu coupable. » avoué-je, prenant le parti d’être tout à fait honnête puisque c’est ce qu’elle veut, apparemment. « Parce qu’au départ j’étais juste curieuse vis à vis de toi, de ton côté weirdo. Après j’ai voulu commencer à comprendre, je me suis prise au jeu et c’était même cool de voir que je décodais de mieux en mieux. » je fais un légère moue « T’étais une distraction en fait. » et si Thylo ne le voit pas comme péjoratif, moi en revanche j’ai l’impression de l’avoir comme un peu utilisé. « Donc t’as vraiment rien fait de travers. En fait c’est plus à moi que j’en veux. Et c’est pour ça que j’ai pris de la distance… » c’est con mais j’ai choisi d’agir ainsi.

Je ne suis pas venue chercher quelconque excuse, selon moi, elles ne sont pas productives, mais les explications le sont, puisque ce sont des informations en tant que telles, à analyser et prendre en compte. Une fois obtenues, tout devient normalement beaucoup plus clair. En tout cas c’est ma façon à moi de fonctionner. Sans doute que je suis trop terre à terre ou trop rationnelle mais comment pourrais-je trouver de base solide sans un mode d’emploi presque écrit noir sur blanc ? Je pense me connaître assez pour savoir comment me gérer. Mais quand il s’agit de gérer les autres et d’anticiper, tout devient beaucoup moins évident.
« T’as pas fait d’erreur, c’est juste que ce que tu m’as dit la dernière fois… que en quelque sorte tu t’es attachée à moi, je l’avais pas prévu. » C’est pourtant tout à fait le genre de choses que l’on ne prévoit pas, je crois. Je l’ai appris. Je retiens tout ce qu’on me dit, ça ne veut pas dire que je le comprends, mais j’ai le mérite de le retenir. « Je comptais pas passer du temps avec toi, et l’apprécier. Pas plus que j’avais prévu qu’on couche ensemble, ou que tu puisse me plaire… » « Alors qu’est-ce-que ça change ? C’est positif, non ? » Et je ne lui pose pas de question rhétorique, c’est une méthode que je ne maîtrise pas, quand je pose une question, c’en est une vraie et je demande sincèrement à le savoir.
« Je me sens un peu coupable. Parce qu’au départ j’étais juste curieuse vis à vis de toi, de ton côté weirdo. Après j’ai voulu commencer à comprendre, je me suis prise au jeu et c’était même cool de voir que je décodais de mieux en mieux. » Je lève un sourcil, l’encourageant à répondre parce que là tout de suite, je suis complètement à la masse, et c’est peu de le dire. « T’étais une distraction en fait. » Et j’imagine que ce genre d’information aurait rendu une autre complètement dingue. Sauf que je ne vois pas en quoi ça devrait m’énerver. J’ai eu une utilité. C’est plutôt une bonne chose. Enfin de mon point de vue à moi. Je ne préfère pas répondre, je prends l’info, du reste, je ne suis pas atteinte, je l’ai distraite durant un temps. Au moins elle pourra garder un souvenir de moi constructif. Je crois ? « Donc t’as vraiment rien fait de travers. En fait c’est plus à moi que j’en veux. Et c’est pour ça que j’ai pris de la distance… » Elle a fini, son lot d’explication. Et je fais quelques pas dans la pièce, les mains jointes sous mon menton, avant de m’asseoir à ses côtés, le regard dans le vague. « C’est définitif. Je ne comprendrais finalement jamais rien au comportement humain. C’est trop compliqué pour moi. » Renoncer à une chose est totalement à l’inverse de ce que je suis. Pourtant, je me sens dépasser. Il n’y a rien de rationnel dans le comportement d’un humain et moi je suis là à tenter de deviner la suite, alors qu’il n’y a aucun schéma prédéfini à suivre et à accepter. Alors comment m’y retrouver ? Aucun moyen, vraiment.
« Excuse-moi d’insister mais… ça veut dire quoi pour nous ? Pour toi, pour moi. Je sais même pas comment te poser la question. » Si elle pouvait poser des mots clairs, francs, massifs, sans ambiguïté aucune sur ce qu’elle souhaite, ça me serait d’un grand secours. Et pas un je sais pas.

Qu’est-ce que ça change ? Tout et rien à la fois. Je n’avais rien prévu de ce qui arrive, mais je ne suis pas du genre à croire que tout doit être préparé, calculé. J’aime la spontanéité, alors pourquoi je me prends la tête au juste ? Thylo a raison c’est même plutôt positif, cette bonne entente, cette attirance, aussi inattendue soient elles. Le problème c’est que je m’en veux de l’avoir considérer comme une sorte de bête de foire dans un premier temps. Un genre d’énigme d’une escape game qui m’aurait occupée un peu. Ayant à cœur d’être franche avec la blonde et encourager par sa capacité à ne pas se vexer pour un rien je l’avoue sans détour, elle était ma distraction. La distance que j’ai prise c’était simplement pour moi, me préserver, prendre du recul et réfléchir. Je crois que j’ai perdu la journaliste, elle fait quelques pas, pensive avant de déclarer que le comportement humain est définitivement trop compliqué pour elle. Je lève les yeux et ris un peu, elle a un don pour l’exagération malgré tout. Qu’elle n’ai pas tout compris je le conçois, mais j’ai sans doute oublié un peu vite son intransigeance quant au fait d’obtenir des réponses à ses questions. Elle me demande de l’excuser pour le caractère insistant de sa demande et réitère ses interrogations, cette fois plus claire que jamais et je crois bien qu’elle n’en est même pas consciente. « Je… » son regard m’empêche de poursuivre, je ne peux pas la laisser dans le flou, lui dire que je n’en sais rien, elle ne l’acceptera pas comme réponse. Je soupire « Rien. Ça change rien. On s’entend bien, on a qu’à continuer pareil. » c’est peut-être pas le mieux, mais comme j’ignore totalement ce qu’est le mieux je n’ai pas franchement d’autre choix. Y’a pas vraiment de nous en plus, on est juste une association de deux personnes, jusque là sans prise de tête. « Tu pourrais me dire comment tu vois les choses toi aussi. » dis-je finalement, parce que si on est deux dans cette affaire, j’aimerais qu’elle s’exprime aussi « Qu’est-ce que tu veux, de quoi t’as envie ? » je souris et la pointe du doigt « Je t’interdis de dire que t’as envie de moi, c’est pas le moment. » je la sais capable de lâcher ça si c’est une envie qui est présente, donc je préfère anticiper.

Quand je pose une question, c’est que j’attends une réponse. Les autres appellent la rhétorique, une technique que je ne maîtrise pas, qui consiste à poser des questions pour rien, parce qu’ils connaissent déjà la réponse. Je ne suis pas capable d’user de tout ça. Je suis pourtant capable de calculer des racines carrées de tête et de réciter les décimales de Pi jusqu’à 267 chiffres, mais quand il s’agit d’interpréter moi-même, c’est largement moins facile.
« Rien. Ça change rien. On s’entend bien, on a qu’à continuer pareil. » « Sauf que visiblement, c’était le genre de choses qui fonctionnaient avant que tu te poses toutes ces… questions. » Qui ont fini par changer les choses qui se passaient si bien. C’est que ça devenait soit insupportable, soit ça ne lui convenait plus réellement. Alors j’ai pris sur moi, et j’ai surtout fait en sorte de la comprendre un peu mieux, de tenter de le faire en tout cas, sans grand succès, je l’avoue. « Tu pourrais me dire comment tu vois les choses toi aussi. » Je pourrais oui, mais c’est quand même plus facile de me laisser guider par ce qu’elle pense, ressent, parce que ça semble tellement facile pour elle de s’épancher, en tout cas de trouver des mots à mettre là-dessus. « Qu’est-ce que tu veux, de quoi t’as envie ? » « Et bien… » Elle est tellement nerveuse qu’elle ne me laisse même pas finir mes propres phrases. Je le fais moi aussi quand je ne suis plus capable d’attendre les mots que je veux entendre. Ou que je les redoute. « Je t’interdis de dire que t’as envie de moi, c’est pas le moment. » J’ouvre des billes rondes, malgré moi. « Mais… Ca c’est anti jeu. » Je suis butée aussi, et têtue. Mais je ne peux me défendre de cet argument, je dois en trouver d’autre. « J’ai envie… que ce soit facile. Et je vois même pas pourquoi c’est compliqué. On a envie de se voir, on se voit. Je crois que tu me manques, même si j’en suis pas certaine. Y a un truc que je comprends pas vraiment quand t’es pas là, et qui est plus facile quand tu l’es. » Je hausse les épaules, je ne parviens pas à le décrire d’avantage. « Et j’ai envie de toi. Maintenant, et les autres fois aussi. Et je comprends toujours pas pourquoi ça te met mal à l’aise, parce que de toute évidence toi aussi, vu comme ça fini… »

Habituellement c’est Thylo qui est la plus compliquée à suivre, mais là on dirait bien que c’est moi qui complique les choses. Je propose que nous fassions comme si de rien était, mais la journaliste n’est pas dupe, forcément ça changera un truc maintenant que je me suis posée des questions. Je suis pas contre le fait de jouer un rôle de traductrice pour l’aider à mieux comprendre les relations humaines, mais je peux pas décider les choses à sa place et surtout je ne peux pas être dans le flou constant, c’est impossible. Certes elle ne perçoit pas les choses comme moi, mais elle est capable d’exprimer ses envies je le sais très bien. Mais ce n’est pas des envies primaires et basiques comme le sexe dont j’ai besoin qu’elle me parle, c’est du reste, de ce que ma présence lui procure, notre complicité. « C’est pas anti jeu, c’est pour éviter un hors sujet. » répliqué-je pour lui tenir tête et la focaliser sur ma question. Qu’est-ce qu’elle veut ? J’ai bien conscience que c’est difficile pour elle de l’identifier, encore plus de l’expliquer mais ça devient nécessaire, je dois savoir dans quoi je m’aventure potentiellement. Parce que c’est fini de jouer, elle n’est pas une bête de foire fait pour me distraire. Thylo veut que se soit simple, facile, simplement guider par l’envie. Mais derrière ce “ni plus ni moins“ se dissimulent des rouages dont elle ne se rend pas compte. C’est bien la première fois que ça m’arrive, être confronté aux sentiments de quelqu’un sans que cette personne ne les perçoive elle-même. Le problème finalement c’est pas ce qu’elle veut elle, c’est que je suis incapable de savoir ce que je ressens. De l’attachement, du désir, oui sans aucun doute… mais y’a t’il plus que ça ? J’en sais rien. Ou alors je ne veux pas le voir. Je secoue la tête à sa dernière remarque « Non ça ne me met pas mal à l’aise. » je dois tenter de lui expliquer des trucs flous de la manière la plus claire possible, je suis pas rendue ! « En fait, le problème c’est que finalement cette fois c’est moi qui ne sait pas trop... » je hausse les épaules « Je sais même pas te l’expliquer. » et pourtant c’est ce qu’elle attend de moi, des explications de la clarté. « Tu sais quoi ? On va faire comme si j’avais pas été stupide, que je t’avais pas ignoré. Ok ? » j’arque un sourcil « Tu t’en sens capable ? » je soupire « Je suis désolée Thylo c’est juste que je me suis posée un peu trop de questions. J’ai eu l’impression de faire quelque chose de mal vis à vis de toi. De t’utiliser et c’est pas ce que je veux. » ça au moins je le sais, c’est une bonne chose, non ?

Je commence surtout à comprendre que j’en demande un peu trop à Jules. Que je me base un peu trop sur elle et sur la confiance qu’elle peut inspirer pour m’expliquer tout de A à Z, alors que ce serait plutôt à moi de faire un bout de chemin jusqu’à elle, qu’elle n’ait pas à me mâcher le travail, mais que tout le chemin à accomplir puisse m’apprendre par moi-même ce que je dois retenir de tout ça. C’est flou, je ne le cache pas, et j’ai tellement l’habitude des choses carrées, limitées, bien définies, que forcément, ça fini par me miner. Mais je dois faire avec. C’est comme ça que ça doit se passer et pas autrement. Jules tente tant bien que mal de m’apporter des réponses, un peu de sérénité et tout ce qui se passe autour.
« Non ça ne me met pas mal à l’aise. En fait, le problème c’est que finalement cette fois c’est moi qui ne sait pas trop... Je sais même pas te l’expliquer. » Je ne sais pas trop comment l’interpréter, encore une fois. Je hausse les épaules et tente d’être un peu plus extralucide que je ne le suis d’habitude, histoire de faire les choses comme il le faut, et de l’aider, parce que j’ai bien conscience de ne pas servir à grand-chose en ce moment. « Et là c’est moi qui ne peut pas t’aider. » Je suis désolée, et je devrais le lui dire mais au final, ça n’est pas naturel pour moi, elle est censée le deviner, ou pas. Je ne sais pas.
« Tu sais quoi ? On va faire comme si j’avais pas été stupide, que je t’avais pas ignoré. Ok ? » Je la regarde, lui adresse un léger sourire, je tente de recoller les morceaux, j’ai le sentiment de louper un truc. « Tu t’en sens capable ? » « Heu… non. En fait. Mais je vois pas ce que ça peut changer réellement entre nous. Si on se dit qu’on continue comme avant. Oublier on ne peut pas. » Je suis trop rationnelle, je n’ai pas compris le double sens. Mais ne somme oui, je suis plutôt d’accord avec ce qu’elle dit.
« Je suis désolée Thylo c’est juste que je me suis posée un peu trop de questions. J’ai eu l’impression de faire quelque chose de mal vis à vis de toi. De t’utiliser et c’est pas ce que je veux. » Je hausse les épaules encore une fois, je ne vois pas le mal. « Si tu m’as utilisé comme tu le dis, c’est que je te servais à quelque-chose. En soit c’est plutôt positif. J’étais utile. Et je peux l’être encore. Au fond, on se sert tous les uns des autres, non ? Pour se rassurer, pour se faire du bien, par simple plaisir… » C’est la vision que j’ai des choses, on m’a toujours fait rentrer de force dans la tête que je devais servir à quelque-chose, servir les gens, la cause, l’Eglise, ça a fait son chemin.
« Si je peux essayer de te faire comprendre comment ça marche pour moi ça ressemblerait plutôt à quelque-chose comme… le fait que j’aime que tu m’emmènes acheter des vêtements parce que je n’ai aucune idée de ce qui me va, ou de ce qui se fait. Que tu répondes à mes questions sans t’en offusquer. Que tu ris quand j’ai pourtant l’air super sérieuse. Et je sais que même si tu ne le dis pas, tu fais attention à moi, tu ne comprends pas mais tu essayes de t’adapter. C’est plus que beaucoup n’ont pu faire pour moi. Alors je crois que c’est tout ça qui fait que pour moi, tu es plus qu’une autre. » J’espère sincèrement l’avoir aidée.

Je me suis un peu mise dans la merde toute seule avec ms conneries. Et si Thylo n’a pas l’air de voir le problème, moi je le perçois et je ne suis pas en accord avec mon comportement. J’ai laissé les choses aller trop loin, jouant avec la journaliste comme si elle était juste un passe temps. Seule circonstance atténuante je me suis attachée à elle, réellement, et c’est sans doute pour ça que je culpabilise un peu. En découle mon attitude stupide de ces derniers jours, pour laquelle je propose à la blonde de faire comme si rien ne s’était passé. Logique, terre à terre, elle m’affirme que non, mais que ça peut ne rien changer entre nous. Je hoche la tête « Oui voilà, ça change rien. » et j’enchaine avec mon mea culpa, tentant d’expliquer le vrai fond du problème, en tout cas pour moi. Je n’ai pas fini d’être étonné par la journaliste, je le sais mais ça a du mal à s’intégrer dans mon esprit, ce côté vraiment à part. Pour elle rien de négatif, au contraire, il faut prendre ce qu’il y a à prendre. En soi elle a pas tort, pourquoi me poser des questions ? Mes intentions n’étaient pas mauvaises, elles étaient simplement pas vouées à s’inscrire dans la durée. Enfin ça s’était à la base, parce que j’ai passé beaucoup plus de temps avec Thylo que ce que j’avais prévu de le faire au départ. Elle a raison, on s’utilise les uns les autres, mais on a tellement donné une connotation négative à cela, que je m’en suis voulu. Sa vision des choses fait changer de perspective à la mienne et sous son angle à elle, je n’ai rien fait de mal, je ne l’ai pas blessé, sauf peut-être en l’ignorant. Elle me surprend par sa volonté d’éclaircir les choses, c’est plutôt mon rôle ça, d’habitude, mais changer un peu de position me semble bénéfique, on avait peut-être besoin de ça. « Ok. Je continuerai à t’emmener acheter des fringues, à rire même quand t’es sérieuse et à répondre à tes questions. » je lui souris « Et j’éviterai de te ghoster. ». Je compte m’y tenir, même si dans le fond cette discussion soulève des questions sur cette relation particulière que nous avons. Autant laisser les choses suivre leur cours et puis on verra bien où ça nous mène. « On oublie pas mais on change rien. » conclue-je avec un regard complice à son égard.