road trip and 'fake' valentine's day (lealyn 3)

Je pourrai facilement incarner un personnage d’une série pour adolescents. Avec une dizaine d’années de moins, je suis le parfait prototype. Le mec qui croit qui a couché avec sa meilleure amie après une soirée arrosée, mais il en est même pas sûr. Le mec qui craque définitivement sur sa coloc, manque de bol cette dernière n’aime que les femmes. Le mec qui essaie de se convaincre de sa virilité mais qui est incapable de satisfaire une fille rencontrée sur un site de rencontre. Sérieusement. A quel moment j’ai raté ma vie comme ça ? A quel moment tout a dérapé et je suis passé du mec sympa, avec une bonne situation, à ce putain de looser de l’amour ? Je suis un cliché, c’est affolant. Je sais pas comment font ces mecs pour enchaîner les relations sans lendemain, de toute évidence ça n’est pas mon style, et même avec une fille franchement canon j’ai pas réussi. J’ai des sérieuses questions à me poser.

Mais avant de me lamenter sur ma propre personne, je suis surtout ce gars altruiste, qui cherche à remonter le moral des gens qu’il aime. Jazz s’est ruée encore plus dans le travail depuis le décès de sa soeur aînée, et malgré la situation un peu étrange entre nous depuis cette nuit de l’espace dont personne ne se souvient, je reste avant tout son meilleur ami, son ‘partner in crime’, et je refuse de la laisser se détruire au travail. Avec la fatigue accumulée, elle pourrait faire une connerie, se louper sur un de ses patients, et s’en vouloir toute sa vie. Pas question. Alors j’ai profité de la saint-valentin et de ce programme mis en place par la mairie, pour tirer au sort une enveloppe. Jazz et moi ne sommes pas un couple, mais j’ai pu le prétexter sans rien avoir à prouver. Un road trip de quelques jours sur la côte californienne, en van wolksvagen à l’ancienne. Génial ! Je prépare un sac avec le strict minimum, en même temps y’a pas beaucoup de place dans ce genre de petite bagnole. Mes papiers, mon permis, les clés du bolide que je viens d’aller récupérer, et une carte de l’Etat. Pas de GPS, c’est pas drôle. A l’ancienne. Je me gare devant chez ma meilleure amie, entre chez elle grâce à mon jeu de clés et l’attend sur le canapé comme j’en ai l’habitude. Les heures défilent, elle est peut-être de garde. Je m’endors et me réveille quelques heures plus tard lorsque la porte s’ouvre. « Surpriiise ! » Je tends les bras tout en baillant, et tente au maximum de ne pas penser à cette nuit bizarre. Rien a changé, je m’en persuade. « Ça va ? » C’était pas prévu que je sois là, elle va me demander ce que je fous là, et j’ai pas préparé mon discours. Tant pis. Je le ferai au feeling.

Si j’étais déjà accro à mon boulot et cumulais les heures avant la disparition de Stella, on peut dire que j’y ai trouvé encore plus refuge depuis. Je sais pourtant qu’elle déplorait parfois de me voir mettre ma vie privée entre parenthèse, me conseillant souvent de prendre d’avantage de temps pour moi. Certainement que de là où elle est, si elle me voit, elle ne doit pas être ravie de me voir passer encore plus de temps à bosser que je ne le faisais. C’est l’affaire de quelques temps, celui de faire mon deuil et surmonter ma peine autrement qu’en me bourrant la gueule avec mon meilleur ami pour ensuite finir par ne plus me souvenir de rien. Je crois que ça aussi ça m’a poussé à me mettre encore plus dans mon boulot… cette soirée avec Leah dont j’ignore totalement l’issue, qui reste un mystère, a rendu l’ambiance étrange entre nous. Tout ce que je redoutais si nous dérapions un jour, et là le pire c’est qu’aucun de nous deux n’est capable de dire si c’est le cas ou non. Le plus triste dans tout ça, c’est peut-être que j’ai eu ce que je voulais… lui et que je ne m’en souviens même plus. Vous imaginez la VDM ? Moi ouais, je la vois très bien et c’est pour ça que je ne veux pas y penser. On s’est assez peu vu, croisés serait le terme plus adéquate et je plaide coupable pour avoir fuit toute confrontation. J’ai le chic pour faire l’autruche, il me connaît assez bien pour le savoir. Je me sais surveillée de toutes parts. Par mes proches, par mes supérieurs, par mes collègues… ils font mine de rien mais je le sens. Mon chef de service est particulièrement attentif au rythme que je m’impose, et si je me montre raisonnable en terme d’heures passées au bloc, je ne me ménage pas au niveau des rendez-vous. Il pose des limites quand ça devient nécessaire et me renvoie chez moi au besoin… et aujourd’hui il ne s’en prive pas, me sollicitant même à prendre quelques jours pour moi. Pour faire quoi ? Me morfondre en bouffant de la glace en mode cliché ? Ou me taper mon meilleur ami sans m’en souvenir ?
Je rentre chez moi et même si je râle un peu, je sais que j’ai besoin de repos. Mon corps commence à me le faire savoir et là tout de suite j’ai envie de m’affaler sur mon canapé en regardant Netflix pour le reste de la soirée. Je m’étonne de voir un vieux van garer devant chez moi, j’espère qu’il ne va pas rester là pendant des lustres. J’ouvre la porte, un peu la tête dans le guidon, vire mes chaussures, pose ma veste et sursaute en voyant Leah s’étirer sur le canapé en marquant le coup de la surprise. Apparemment il a fait une sieste ici. Qu’est-ce qu’il fait là ? On devait se voir et j’ai oublié ? Je ne crois pas. Je hoche la tête à sa question « Ouais ça va. Un peu crevée. La routine quoi. Et toi ? » je prends une pomme dans la corbeille de fruit et croque dedans, je trouve contenance dans ce que je peux. « Dis moi il était là le van quand t’es arrivé ? J’espère que c’est pas une nouvelle lubie du fils des voisins. » le genre a retaper tout un tas de vieux trucs, ce qui en soi est une chouette occupation tant que les trucs en question atterrissent pas juste devant chez moi m’empêchant de me garer comme je veux.

Jazz ne s’attendait pas à me voir chez elle, de toute évidence. Ce n’était pas prévu, c’est vrai, mais j’espère au moins que la surprise lui fera plaisir. Je ne me voyais pas partager cette excursion avec quelqu’un d’autre qu’elle de toute manière. Et c’est pas à Nicky que j’aurai proposé ça, se retrouver trois jours à dormir ensemble dans un van, c’est pas quelque chose qu’elle aurait apprécié. J’ignore si Jazz appréciera cela dit, vu la nuit qu’on a passée et dont personne ne se souvient, il est clair que c’est un peu bizarre entre nous depuis ça. Mais c’est ma meilleure amie, et j’ai autant envie que besoin de retrouver notre complicité. Alors je me dis que trois jours juste nous deux, ça ne peut pas nous faire de mal. La voilà qui entre, surprise de me voir là, je m’étire et lui demande comment elle va. « Ouais ça va. Un peu crevée. La routine quoi. Et toi ? » Je vois bien qu’elle est crevée, j’espère qu’elle va accepter, ce sera pas forcément trop du repos à proprement parler, mais une évasion, ça fait du bien au moral. « Ça va, c’est les vacances à la fac, j’ai corrigé toutes mes copies alors j’ai quelques jours de répit. » J’y vais doucement, je la ménage. « Dis moi il était là le van quand t’es arrivé ? J’espère que c’est pas une nouvelle lubie du fils des voisins. » Je souris un peu, elle voit tout, et a aussi un avis sur tout. Ou presque. « Nan. Il était pas là quand j’suis arrivé. Puisque c’est moi qui suis arrivé avec. » Je vois son regard changer, elle semble me demander ce qui me passe par la tête. La ‘nouvelle lubie’ du fils des voisins semble aussi s’appliquer à moi. « J’ai gagné à une loterie. Location d’un van, essence et bouffe pour quelques jours, de quoi faire un petit tour sur la côte. J’me suis dit que y’avait personne d’autre que toi qui voudrait m’accompagner dans ce délire. » Je pose une main sur le dossier du canapé et saute par dessus ce dernier pour rejoindre Jazz à l’entrée de la cuisine. Je lui pique sa pomme, croque dedans, et lui remets dans la main. « Allez, dis oui, on a toujours dit qu’on ferait un road trip. Ok c’est que quelques jours, mais ça peut te faire que du bien, te changer les idées et tout… » Mode chat potté enclenché. « Dis oui…. dis oui dis oui dis oui… » Je la chatouille un peu, parce que j’ai besoin d’entendre son rire, d’être sûr que nous n’avons rien perdu de notre complicité, et que tout ce truc bizarre qui s’est passé n’est rien qu’à cause du rhum qui nous a rendus fous.

Ce n’est pas rare trouver mon meilleur ami en rentrant chez moi, mais ça reste toujours une surprise à chaque fois et d’autant plus aujourd’hui du fait de ce qu’il s’est passé il y a quelques temps. Je suis à la fois contente de le voir mais un peu gênée, je ne sais pas si j’ai vraiment digéré l’issue de notre soirée trop arrosée. En fait je suis complètement dans le flou vis à vis de ce dérapage qui n’en peut-être même pas été un. Clairement ma fatigue ne m’encourage pas à la réflexion, mais je crois que c’est d’ailleurs pour ça que je bosse autant… pour m’occuper l’esprit et penser le moins possible à ma tristesse et mes conneries. Leah me connaît bien, il le voit que je suis crevée, je n’avais même pas besoin de le lui dire. Lui est en vacance, à jour de ses corrections, je lève les yeux faussement blasée « J’avais oublié que tu glandais rien de ta vie. » je le taquine, il le sait très bien que je respecte son boulot dans lequel il excelle. La manière dont je l’interroge sur la présence de ce van devant chez moi en est une preuve supplémentaire de ma fatigue. Je suis bien moins tolérante quand j’ai douze heure de boulot dans les pattes. Je mets quelques secondes à assimiler ce que mon meilleur ami m’annonce. Le van, c’est lui. J’arque un sourcil un peu dépassée par la nature de l’information… il a décidé de se transformer en hippie subitement ? Il fait sa crise des presque trente-cinq ans ? Pas besoin de mots, on se comprend et Leah m’explique la situation. Il a gagné quelques jours de road trip avec ce van à la loterie et c’est moi qu’il a choisit pour l’accompagner. Devant ma mine dubitative alors que je grignote ma pomme, il quitte le canapé pour venir me faire son numéro afin de me convaincre. Je le connais par cœur, j’ai juste à lire dans son regard son petit air déterminé cumulé à une attitude de petit con qui me taxe ma pomme ! Mon seul repas depuis un bail, heureusement qu’il me la rend aussitôt, je l’aurai mordu sinon.
Je suis dans un tel état d’épuisement que j’hésite. Enfin ça c’est ce que je veux me faire croire, parce que la vraie raison c’est à cause de ce qu’il s’est passé – ou pas entre nous. Et si c’était bizarre ? Encore plus que ça ne l’est ? Si on faisait une autre connerie ? Mais ce fourbe individu qui me sert de meilleur ami sort les armes lourdes. Regard attendrissant, attitude de grand gamin… Putain mais je résiste comment à ça ? Il ose même utiliser les chatouilles et je ne peux m’empêcher de me mettre à rire tout en me tortillant pour essayer de me soustraire à ses assauts « Ça suffit… arrêtes. » il obtempère et je reprends mon souffle, pointant mon doigt dans sa direction « Chatouilles interdites alors ! » dis-je avec la ferme intention qu’il respecte cette règle. « C’est déloyal. » ajouté-je avant de finir ma pomme et d’en jeter le trognon. Je soupire « Bon et bien on dirait que j’ai un sac à faire. » je souris à Leah, de toute façon déjà conquise par cette nouvelle folie de sa part. Je m’éclipse pour préparer mes affaires et réapparait une trentaine de minute plus tard avec juste un sac. C’est un bien un road trip, non ? On voyage léger ! « Je vous suis, capitaine. » je hausse les épaules « Bon ce truc n’a rien d’un bateau, mais t’as compris l’idée. ». Nous sortons, je verrouille ma porte et me dirige vers ce fameux van dont j’observe l’aménagement avec intérêt avant de monter à bord « C’est plutôt sympa. » j’avais un légère appréhension, mais c’est même vraiment cool. « En voiture Simone ! C’est toi qui conduis, c’est moi qui klaxonne. » chantonné-je en montant à bord.

Jazz trouve le moyen de me taquiner au moment où je parle de mes vacances. Evidemment, c’est pas elle qui en demandera en pleine conscience, des vacances Pourtant elle en aurait besoin, et elle attend jusqu’on la force à les prendre j’imagine. Elle a toujours été comme ça, bourreau de travail, et ça s’est empiré depuis qu’elle a perdu sa soeur aînée. Je comprends, elle a besoin de tenir son esprit occupé, j’imagine que je ressentirai la même chose à sa place, si je devais perdre mon frère ou une de mes soeurs. Je n’ose même pas y penser, j’en ai froid dans le dos. J’avoue finalement que le van m’appartient pour quelques jours, et je veux qu’elle vienne avec moi, pour se changer les idées. Elle semble dubitative et j’enclenche sans tarder le mode chatouilles, ce qui la fait flancher dans la seconde qui suit. « Chatouilles interdites alors ! C’est déloyal. » Je lui offre un large sourire qui me connaît bien. « C’est oui ? » Je le vois dans ses yeux. Elle capitule, et en l’instant je me sens comme le plus heureux des hommes. « Bon et bien on dirait que j’ai un sac à faire. » Je trépigne comme un gosse. C’est un vieux rêve idiot qui se réalise, et j’avais envie de partager ça avec personne d’autre qu’elle. Juste elle et moi pendant plusieurs jours, et tant pis si y’a un truc un peu bizarre qui plane depuis la dernière nuit passée ensemble à faire on-ne-sait-quoi. Peut-être que ce sera l’occasion d’en parler, savoir si elle elle se souvient de quelque chose ou pas. Elle revient assez vite avec un sac, assez petit, et m’en voilà étonné. Quoi que, pas tant que ça, je sais qu’au fond d’elle sommeille une aventurière en herbe. « Je vous suis, capitaine. Bon ce truc n’a rien d’un bateau, mais t’as compris l’idée. » Je ris un peu et lui tend mon bras pour qu’elle s’en empare. « Y’a pas de capitaine, t’as ton permis aussi, tu auras ta part de conduite, ne crois pas que tu vas te la couler douce ! » en réalité, j’aimerai qu’elle puisse se reposer. Alors même si il est évident qu’elle pourra conduire autant qu’elle en aura envie, j’essaierai de faire en sorte qu’elle ne se fatigue pas plus que ce n’est déjà le cas. Une fois en bas, je laisse ma meilleure amie faire le tour de notre caravane de fortune pour quelques jours. Ils ont aménagé ça bien, c’est presque cosy. « En voiture Simone ! C’est toi qui conduis, c’est moi qui klaxonne. » finit-elle par chantonner, me faisant rire. J’ai l’impression de la retrouver un peu. C’est exactement ce que je voulais, retrouver un peu l’étincelle de son regard, son humour, un peu de légèreté qu’elle a perdue depuis qu’elle a perdu sa soeur. Je grimpe derrière le volant et nous voilà partis vers le sud de la Californie. Pas de carte, juste l’instinct. Nouvelle règle, je choisis un coup une direction, et l’autre coup c’est à elle de la choisir. On est partis pour se perdre, et au pire des cas on aura les GPS de nos téléphones pour nous retrouver. C’est déroutant. « Ah au fait j’tai pas dit, j’me suis connecté sur ton compte Chart, j’ai vu pas mal de messages, dont deux vraiment cool, du coup j’ai discuté avec deux gars en me faisant passer pour toi, j’espère que ça te dérange pas ? » Evidemment c’est faux, mais je veux voir sa tête…

Sourire aux lèvres je pointe mon meilleur ami du doigt « J’ai exactement l’intention de me la couler douce mon p’tit pote ! » répliqué-je quand il m’affirme que je vais avoir ma part de conduite. Bien sûr que je prendrais le volant, parce que ça fait partie du jeu et que conduire un van c’est un peu un truc à faire une fois dans sa vie. Mais j’ai toujours aimé contredire Leah et cette fois ne fait pas exception. Ça fait une vingtaine de minutes que je suis chez moi et me voilà déjà repartie, pour un road trip cette fois. Y’a bien qu’avec Mister O’Malley qu’un truc comme ça peut arriver, c’est un mec aussi surprenant qu’il est attentionné… Oui je sais, un peu le mec parfait en quelque sorte et qui a t’il choisit pour l’accompagner ? Moi. Je reconnais ma chance, depuis toutes ces années d’amitié et aujourd’hui encore, cela malgré notre moment d’égarement d’il y a quelques semaines. J’ignore si on en parlera, le sujet viendra peut-être, mais pour l’instant c’est surtout l’impatience qui me gagne, parce que je suis lancée ça y est et ce en dépit de ma fatigue. Leah démarre, l’aventure commence ! On se met d’accord pour décider de la direction à prendre à tour de rôle et en fonctionnant totalement au feeling. C’est notre truc ça, se donner des petites règles à la con pour rythmer nos moments passés ensemble. On a tous les deux trente ans passé, mais on est resté des grands gamins.
Chaque phrase commençant par “Ah au fait“ de la part de mon meilleur ami, je m’en méfie ! Et j’ai raison de le faire le plus souvent. C’est une nouvelle fois le cas, alors qu’il m’avoue tout naturellement avoir été sur mon compte The Chart, en plus de m’y avoir inscrit dans mon dos, et discuter avec deux mecs en se faisant passer pour moi. j’écarquille les yeux, tournant la tête dans sa direction « Tu as quoi ? ». Il est vraiment pas possible ce type ! « Mais… t’as pas fait ça ? Je suis sûre que c’est des boulets en plus ! J’espère au moins que tu leur as pas donné mon numéro ou pire mon adresse. Parce que si c’est le cas, j’te jure que si y’en a pas un qui est venue me tuer je t’étripe d’abord ! » je lève les yeux et soupire « Je vais pas taper la discut’ à tes petites jeunettes photoshopées moi ! » conclue-je avec un air réprobateur. « D’ailleurs tu l’as revu ta playmate là ? » quitte à être sur le sujet appli de rencontre je peux bien faire la curieuse. Vu ce qu’il vient de m’avouer il me doit des réponses. Je le vois qui hésite, je le connais je sais très bien ce que ça veut dire « Oh allez fait pas ta mijaurée. Vous avez eu un nouveau rencard ? Vous avez… ? » bon ça je suis pas sûre de vouloir le savoir, enfin si, même si ça va m’emmerder s’il confirme. C’est stupide, je sais.

Je choisis de jouer avec ses nerfs, comme j’en ai pris l’habitude depuis trois jolies décennies. C’est toujours un vrai plaisir, et je sais que c’est la même chose pour elle, même si elle ne l’avoue pas. Je souris comme un idiot en lui disant ça, de voir qu’elle plonge avant de se demander si c’est vrai ou pas. J’y peux rien c’est plus fort que moi. « Mais… t’as pas fait ça ? Je suis sûre que c’est des boulets en plus ! J’espère au moins que tu leur as pas donné mon numéro ou pire mon adresse. Parce que si c’est le cas, j’te jure que si y’en a pas un qui est venue me tuer je t’étripe d’abord ! » Je continue de rire comme un gamin, elle me fait trop rire à être crédule comme ça avec moi. Je sais pas si elle l’est avec tout le monde, je crois pas, mais le fait qu’elle entre dans mes conneries, ça me plait beaucoup, et j’en joue. « Personne est venu te voir avec un couteau et un sourire de sérial killer ? Bon bah voilà, c’est que je les ai bien choisis c’est tout ! » Et je continue dans ma connerie, c’est ça le pire. Mais cette fois, Jazz trouve la parade parfaite. « Je vais pas taper la discut’ à tes petites jeunettes photoshopées moi ! D’ailleurs tu l’as revu ta playmate là ? » « Eh ! ne sois pas désobligeante ! » Je sais qu’elle le fait juste pour m’emmerder, parce qu’elle est pas du genre à cracher sur les femmes en général, pas trop du genre à juger non plus, dans le cas contraire, je ne pourrai pas être aussi proche d’elle, vu mon côté féministe. Je joue au con qui comprend pas qu’on me prenne pour un gay parfois, mais je sais très bien pourquoi. Et pourtant, les femmes sont bel et bien les seules qui m’attirent. « Oh allez fait pas ta mijaurée. Vous avez eu un nouveau rencard ? Vous avez… ? » Elle me sonde, elle essaie de savoir, et moi j’ai juste pas spécialement envie de parler de cette soirée foirée autant que foireuse. « Non ! On a pas… » Je joue au même jeu qu’elle dans ma suspension. « C’est pas faute d’avoir essayé. » J’avais pas envie d’en parler, j’ai toujours pas envie, et je sais même pas pourquoi je lui dis. Peut-être parce que c’est ma meilleure amie ? « C’était bien parti, Nicky était pas à la maison, j’ai ramené Terri chez moi, et puis rien. » Là encore, je la sens pendue à mes lèvres. Je tourne la tête pour voir sa tête qui attend la suite. « Rien ! Y’a pas de suite ! J’ai pas… » Putain ça me fait mal de l’avouer, je me blesse moi même dans mon ego de mâle. « Aussi jolie soit-elle, ça a pas suffit. Comme quoi, ça veut rien dire. » Ouais, ce qui veut dire quelque chose surtout, c’est que j’ai un peu trop pensé à Jazz et à cette nuit super bizarre, et que ça m’a flingué toute libido. Super. « Bon on change de sujet là ? » Oui j’me sens con, comme un gosse surdoué qui ramène une note pourrie à la maison. Bidon.

Personne n’est venu pour me trucider chez moi, c’est un fait, mais de là à dire que Leah à fait le bon choix en parlant à des types sur The Chart il y a quand même de la marge. Ça le fait beaucoup rire, je lui laisse savourer ce plaisir mais pas bien longtemps. Il le sait, j’ai de la répartie et je ne manque pas de m’en servir, il le mérite ce sale gosse ! Je retourne la situation à mon avantage en évoquant cette jeune femme qu’il a rencontrer via l’appli de rencontre, ils s’étaient vus elle avait des envies plutôt claires et mon meilleur ami s’était défilé. C’est un gentleman, je ne peux que lui reconnaître d’être très respectueux de la gente féminine d’ailleurs il s’offusque de la manière peu flatteuse avec laquelle j’évoque sa conquête. Je souris, satisfaite de voir qu’il la défend parce que c’est un premier indice. Monsieur minaude, je l’encourage à lâcher le morceau… à ma façon. Je veux des détails et s’ils sont croustillants c’est encore mieux ! Je le sens prêt à se mettre à table mais le soufflet retombe assez vite, ils ne s’est rien passé entre eux. Ma mine déçue ne s’attarde pas longtemps. Comment ça c’est pas faute d’avoir essayé ? Là il a toute mon attention, je ne le lâche pas des yeux « T’en a trop dit ou pas assez. Je vote pour pas assez. » il sait qu’il n’a aucune chance, ça durera tout le week-end s’il faut mais j’aurais le fin mot de l’histoire. Mon meilleur ami abdique directement, se lançant dans une brève explication. Sa coloc était absente, il a donc ramené la demoiselle chez lui et rien. Quoi rien ? Non pas rien, il peut pas me laisser comme ça. Je continue à le fixer, curieuse de savoir où ça a foiré. Je comprends assez rapidement à la manière dont Leah réagit, il n’a pas… « Comment ça ? » il ne me faut pas plus d’une fraction de seconde pour finalement comprendre « Oh. » lâché-je en agitant ma main en laissant pendouiller mon index « Je vois. » je suis à la fois désolée, compatissante mais aussi un tout petit peu amusée, surtout en imaginant miss photoshop dans cette situation à vrai dire. « Bah elle était peut-être trop jolie justement. Tu t’es foutu la pression. » ça pourrait être une explication, les hommes et leur fierté/égo dès qu’il s’agit de sexe. « Et elle a r… » il me coupe, voulant changer de sujet, ce que je peux comprendre. « Ouaip ! » lâché-je avec enthousiasme « Mais juste pour que tu le sache ça peut arriver même aux meilleurs. Et puis je peux t’avoir des petites pilules bleues facilement. » dis-je l’air de rien en le regardant du coin de l’œil. Bon ok c’est un sujet sensible je lève les mains en signe de paix « Promis, on en parle plus. » c’est pas plus mal de parler d’autre chose même si cette petite discussion me fait un peu penser à notre soirée trop alcoolisé et surtout à notre réveil étrange. Vu ce qu’il vient d’avouer, c’est probable qu’on ai rien fait s’il a des petits soucis d’ordre érectile. « Alors ces types à qui tu parles en te faisant parler pour moi, tu leur a dit quoi comme grosses conneries ? » en revenir à la taquinerie initiale me semble être une bonne option pour remettre Leah dans l’ambiance.

Ma meilleure amie me pose des questions sur cette fille dont on avait parlé, ou du moins qui avait effleuré une conversation il y a quelques temps. Oui je l’ai revue, mais je ne suis pas fier de terminer l’histoire. En même temps, si je ne le dis pas à ma meilleure amie, personne ne sera jamais au courant. Ça semble logique. Alors un peu penaud je lui fais comprendre du mieux que je peux, que la soirée ne s’est pas terminée comme il l’aurait fallu, ou comme on s’y attendait en tout cas. Au moins une chose est sûre, je ne la reverrai jamais. Jazz fait un signe avec sa main pour dire quelle a compris, et mon ego de mâle n’apprécie pas des masses. Je soupire en levant les yeux au ciel, un peu excédé. « Bah elle était peut-être trop jolie justement. Tu t’es foutu la pression. » « P’t’être. » Je n’ai pas envie de rester sur cette conversation, ça m’angoisse assez d’avoir eu ma première ‘panne’ à à peine plus de trente ans. Alors je fais en sorte de changer de sujet. Elle sait maintenant, pas besoin de tergiverser. J’espère juste qu’elle ne me chambrera pas trop sur le sujet parce que je risque de vraiment mal le prendre. « Mais juste pour que tu le sache ça peut arriver même aux meilleurs. Et puis je peux t’avoir des petites pilules bleues facilement. » Je tourne la tête vers elle pour lui adresser un regard noir très exagéré. Mais elle comprend vite que je n’ai pas du tout envie de continuer sur ce sujet et heureusement elle capitule. Merci. « Alors ces types à qui tu parles en te faisant parler pour moi, tu leur a dit quoi comme grosses conneries ? » Je me détends doucement et me mets même un peu à rire. « Mais tu te doutes bien que j’ai pas fait une chose pareille quand même ! Je veux ton bonheur, et c’est pas en discutant à ta place avec des mecs que tu vas le trouver. » Je secoue la tête en souriant et la regarde un instant. « Je sais que t’es désespérée mais quand même, j’ai du respect pour toi. » Oh eh hein, chacun son moment de faiblesse, elle se foutait de ma gueule, je peux bien le faire aussi. « Tu sais quoi, on devrait faire un genre de pacte. Si à 40 ans on a toujours pas trouvé la bonne personne, on se marie et on adopte. » Je ris bêtement, parce que cette idée est totalement nulle, mais c’est drôle quand même. « Tu nous imagines ? Le tableau de famille tellement bancal putain ! » Je soupire un peu et repense un instant à Nell. Je lui en ai même pas parlé, parce que tout est arrivé en même temps, le décès de sa soeur, et puis notre nuit bizarre, j’ai juste pas eu le courage de lui parler de ça, et maintenant je culpabilise, surtout parce que Nicky est au courant, et même pas Jazz. « Faut que j’te dise un truc. » Je sais même pas comment lui annoncer ça, et si j’ai du tact en général, dans ce genre de moment, il a l’air de se barrer à l’autre bout de la planète de con. « Je… suis papa. »

Cette histoire de panne contrarie beaucoup Leah. Je n’enfonce pas plus le clou après ma petite plaisanterie sur les pilules bleues que je peux éventuellement lui fournir. La plupart du temps ce genre de problème c’est surtout dans la tête que ça se passe, et connaissant mon meilleur ami c’est sans aucun doute le cas pour lui. Si le sujet a un peu plombé l’ambiance, c’est assez facile d’y remédier en revenant sur ses précédentes révélations. J’essaie d’en savoir plus sur ces types à qui il prétend avoir discuter en mon nom et ce petit con avoue qu’il m’a juste fait marcher. Moi bien évidemment j’ai couru tout droit en tombant dans le panneau. Ah ça il peut rire ouais ! Pourquoi je suis si crédule avec lui ? Pourtant j’ai l’habitude de ses conneries. « Oui, enfin tu m’as inscrit là dessus à mon insu alors un peu plus un peu moins… » je me défends comme je peux d’avoir gobé si facilement sa plaisanterie. Il me regarde avec son sourire niais, celui de monsieur fausse compassion, pour me balancer que je ne suis pas désespérée à ce point. « Je ne suis pas désespérée du tout, nuance ! » mon boulot me prend beaucoup de temps, avoir quelqu’un dans ma vie relèverait de l’exploit niveau organisation et puis de toute façon je ne trouve que rarement des hommes qui me plaisent. Leah prend plaisir à se foutre gentiment de moi, si ça peut lui faire oublier sa panne je peux endurer quelques minutes de plus. Finalement il propose un deal que l’on pourrait passer tous les deux, de ceux qu’on voit parfois dans les films ou les deux meilleurs amis se promettent de se marier arriver à 40 piges parce qu’ils ne veulent pas finir seuls. Je ris avec lui « Tu regardes trop de films à la con toi. » il enchaine, soulignant à quel point ça serait stupide. Une famille bancale. On est en train de blaguer alors y’a pas de raison que je ressente ce léger pincement dans ma poitrine. Il le pense vraiment que nous deux ça serait si risible ? « Pire que ça ! Ce serait du grand n’importe quoi ! » répliqué-je pour surenchérir cherchant surtout à m’en convaincre moi.
Petit moment de flottement après cette séquence plaisanterie sur le futur. Leah rompt le silence sur un ton solennel, affirmant qu’il doit me dire un truc. Ok, c’est quoi sa nouvelle connerie ? Et là il se surpasse réellement parce que cet aveu invraisemblable je ne l’avais pas vu venir. Bon pour la blague il a pas franchement bien joué le coup, niveau timing il aurait pas dû enchainer tout de suite. C’est un peu trop rapide après l’histoire des conversations sur The Chart pour que je crois une nouvelle fois à ses bêtises. J’éclate de rire « Oui bien sûr. Et moi je suis nominée aux Oscars. » je lève les yeux « Ok j’ai été assez crédule pour croire que tu te faisais passer sur moi sur l’application, mais là c’est quand même super gros comme vanne ! » je lui tape gentiment sur l’épaule « Tu m’as prise pour la plus grosse naïve qui existe ou quoi ? » le pire c’est qu’il reste sérieux cet imbécile « C’est bon Leah arrête de te mordre les joues pour pas rire. Ta blague a foiré. ». Lorsque je le regarde un peu plus longtemps pour l’inciter à arrêter ses conneries je suis prise d’un doute. Il reste impassible. Quoi, c’est une vraie nouvelle ? « Leah ? » mon sourire se dissipe « C’est bien une blague, n’est-ce pas ? ». Il a bien dit qu’il est papa, j’ai pas rêvé ? « Ok. T’es… Tu m’expliques ? Tu le sais depuis quand ? » oui parce que là je crains d’être perdue.

je me fous un peu d’elle, mais c’est de bonne guerre. Il y a certaines fois où elle est tellement crédule que je peux lui faire croire à peu près n’importe quoi. Et cette fois c’est le cas. Mais je sais que la plupart du temps, ça la fait rire, et puis ce n’est pas méchant venant de moi, simplement taquin. Ça a toujours été comme ça entre nous. « Oui, enfin tu m’as inscrit là dessus à mon insu alors un peu plus un peu moins… » Je ris, parce que d’un côté elle a pas tort, mais je ne ferai rien qui pourrait lui causer du tort justement, rien qui ne la mettrait en danger surtout. Je lui propose un genre de pacte à la con, ce genre qu’on entend dans les films ou dans les séries. D’ailleurs, elle ne manque pas de me faire remarquer que je regarde trop de films, ce qui me fait rire. Elle a raison. Faut que j’arrête. « Pire que ça ! Ce serait du grand n’importe quoi ! » Je lève les yeux au ciel, elle est pas drôle. Ok. Ce serait un peu n’importe quoi. Et puis peut-être pas au final. Et sans grande transition, je lui avoue quelque chose d’important. Je savais pas comment lui dire, c’est sorti comme ça, j’ai mal préparé mon entrée, c’est une certitude. D’ailleurs, je sens immédiatement qu’elle ne me croit pas. Merde. « Oui bien sûr. Et moi je suis nominée aux Oscars. Ok j’ai été assez crédule pour croire que tu te faisais passer sur moi sur l’application, mais là c’est quand même super gros comme vanne ! » Oui ok, je suis bien d’accord, c’est gros, mais c’est justement ce qui devrait la mettre sur la voie de la vérité. Ok. Ok ok ok je pourrai être du genre à dire ce genre de trucs comme blague, c’est justement ce qui me porte préjudice aujourd’hui. « Tu m’as prise pour la plus grosse naïve qui existe ou quoi ? » Je la regarde, alterne avec la route, mais reste très sérieux. Chose que je ne sais pas faire en général quand je raconte des conneries. Elle va finir par me croire, il faudra bien. « C’est bon Leah arrête de te mordre les joues pour pas rire. Ta blague a foiré. » Je suis vraiment sérieux, et vu le silence, je crois qu’elle est en train de se rendre compte que ça peut être une réalité. Pas juste une nouvelle connerie. « Leah ? C’est bien une blague, n’est-ce pas ? » Je secoue la tête et lui adresse un regard pour le moins sérieux. « C’est pas une blague non, j’t’assure que j’aurai préféré. » Ça a eu un peu le temps de faire son chemin dans ma tête. Un peu seulement. Elle me demande des explications. Je suis aussi là pour ça, sinon j’en aurai pas parlé. « Tu te souviens d’Erin, la fille avec qui j’suis resté presque six mois quand on était au lycée. Châtain, les yeux verts, pas très grande… » Vaguement visiblement. Alors je poursuis. « Elle a disparu du jour au lendemain, plus de nouvelles, j’avais été chez ses parents, ils avaient prétexté un truc à la con. Ben y’a quelques jours, y’a une gamine qui a déboulé chez moi. Une petite métisse, qui m’a montré une photo sur laquelle j’étais, et qui m’a dit que sa mère, c’était Erin. » J’attends quelques secondes, le temps que ça fasse son chemin dans la tête de ma meilleure amie. « Elle s’appelle Nell, elle a 17 ans, elle a été adoptée, et elle vit à L.A. » J’ai encore du mal à croire tout ça, mais je l’ai eue en face des yeux, et la ressemblance ne trompe pas.

C’est gros, très gros, énorme même. Et je parle bien de la nouvelle plaisanterie de Leah, pas d’autre chose que je n’ai pas vu ou dont je ne me souviens de toute façon pas. J’ai connu mon meilleur ami un peu plus doué en matière de vanne, enchainer si vite les conneries c’est beaucoup flagrant pour que je me laisse avoir. Il fait sûrement ça pour ironiser sur ma précédente crédulité, c’est bien son genre d’enfoncer le clou indirectement comme ça ! Il joue la carte du sérieux et malgré mes encouragements à ne pas se donner tant de mal, il n’en démord pas. Je le connais bien, et le regardant plus attentivement je me rends compte qu’il ne blague sans doute pas. Il me le confirme, ça n’a rien d’une plaisanterie même s’il l’aurait souhaité. Il le sait que son timing est tout pourri pour annoncer un truc comme ça ? Heureusement que je suis assise parce que je ne l’avais pas du tout venue venir celle la ! J’ai besoin d’explications et il m’en donne sans que se faire prier. Il évoque Erin, une fille qu’il a fréquenté quand nous étions au lycée, je n’en ai qu’un vague souvenir, sans doute parce que j’ai préféré occulté cette nana qui me piquait mon meilleur ami et plus encore. Quand il parle disparition soudaine, les choses sont plus claires, il avait eu du mal à encaisser son départ et l’absence totale d’explications de la part de cette fille, je l’avais un peu ramassé à la petite cuillère mine de rien. Une gamine s’est pointée chez lui pas plus tard que quelques jours en arrière – avant ou après sa panne ? – annoncée comme étant sa fille. Je reste totalement sans voix, faut le temps que j’analyse tout ça, que je prenne bien conscience des choses et il m’y aide en me dressant son rapide portrait. Nell, dix-sept ans, adoptée qui vit à L.A. « Waw. Dix sept-ans. » j’écarquille les yeux, il est le père d’une ado « Le bon côté des choses c’est que t’as échappé aux couches et autres emmerdements du genre. » dis-je avec humour afin de détendre un peu l’atmosphère « T’as pensé à un test de paternité quand même ? » je veux pas être l’oiseau de mauvais augure mais des types qui se font piégés avec une fausse paternité ça existe. « C’est dingue. » soufflé-je ne sachant pas trop comment appréhender cette nouvelle. Leah, mon meilleur ami, papa… « Et elle veut quoi ? Te connaître ? Ou c’était juste pour que tu saches qu’elle existe ? » je peux comprendre qu’elle ai voulu savoir d’où elle vient, c’est légitime. Mais quelles sont ses motivations ? « C’est un road trip placé sous le signe des révélations ? Je sais pas si je vais avoir le cœur assez accroché ! » plaisanté-je, en le pensant quand même un peu. « Ta famille, tu leur en as parlé ? » ça les concerne aussi un petit peu après tout.

Je vois bien que Jazz ne me croit pas, en même temps, c’est tellement gros comme histoire, je m’en doutais un peu. Mais les secondes qui défilent finissent par être mes alliées, et enfin ma meilleure amie commence à prendre conscience que je ne suis pas cette fois en train de la faire tourner en bourrique. Mon air est plus sérieux qu’il ne l’a jamais été, et elle me connaît assez pour savoir que là, je ne joue pas. Elle accuse le coup. Oui. Dix-sept ans. « Le bon côté des choses c’est que t’as échappé aux couches et autres emmerdements du genre. » Je laisse échapper un petit rire tout en restant concentré sur la route. De ce côté là, elle n’a pas tort. « T’as pensé à un test de paternité quand même ? » Je tourne cette fois la tête pour regarder ma meilleure amie. Non, je ça ne m’a même pas effleuré l’esprit. « Elle me ressemble Jazz. Elle me ressemble vraiment. » Ça ne peut pas être une simple coïncidence, un malentendu ou que sais-je. Cette gamine est ma fille, c’est une certitude. « Et elle veut quoi ? Te connaître ? Ou c’était juste pour que tu saches qu’elle existe ? » Je hausse un peu les épaules, parce que tout ça est encore assez flou. « Pour le moment j’en sais trop rien, c’était juste bizarre. Elle m’a posé des questions sur sa mère, un peu sur moi, j’en ai posé sur elle, sa famille d’adoption… » Je secoue un peu la tête, c’est le flou presque total. « On était aussi déstabilisés l’un que l’autre. Je sais pas ce que ça donnera à l’avenir. » Je garde le regard rivé sur la route, un peu pensif, parce que c’est pas rien dans une vie d’apprendre à mon âge qu’on a une fille adolescente. « Ta famille, tu leur en as parlé ? » Je secoue la tête. Pour le moment il n’y a que Nicky et Jazz au courant, et je ne compte pas dire à la jeune femme près de moi que son amie était au courant avant elle, j’aurai peur qu’elle le prenne mal. « Je crois que j’ai besoin de digérer avant ! » Un soupir s’extirpe de mes lèvres et je tourne à nouveau la tête dans la direction de Jazz, un petit sourire au coin de lèvres, pour tenter de remettre un peu de légèreté dans cette voiture. « Bon ! Ça y est j’ai plus aucun aveu à faire ! Je me sens plus léger. Et toi alors ? Une confession ? Maintenant qu’on est enfermés là dedans pendant trois jours ! » Je ris un peu et lui demande sans un mot la direction à la prochaine intersection, elle me donne son choix et nous continuons la route.

J’essaie de voir le bon côté des choses, au moins Leah n’a pas eu à s’occuper de sa fille lorsqu’elle était petite, avec toutes les contraintes que ça représente. Mais peut-être aurait-il aimé le faire ? C’est tellement soudain, je ne crois pas qu’il se soit déjà imaginé père… C’est plutôt compliqué quand on a une vie sentimentale un peu bancale. Meilleure amie oblige je lui demande s’il a quand même pensé à une éventuelle arnaque, même si je ne le formule pas exactement comme ça. Il a l’air convaincu, cette adolescente est sa fille, elle lui ressemble trop pour qu’il en soit autrement. Je hoche la tête, intégrant petit à petit ce nouveau paramètre de la vie de celui que je connais depuis si longtemps. Si ça lui a inévitablement fait un choc, ça m’en fait un à moi aussi croyez le bien ! Il faudra du temps à Leah et à sa fille pour apprendre à se connaître ou non, c’est pas un truc qui se fait en un claquement de doigt ça c’est sûr. Qui d’autre à part moi est au courant de ça ? Apparemment juste moi, en tout cas personne de sa famille c’est donc ce que j’en déduis. « Je comprends. » c’est pareil de mon côté, bien que ça me touche moins. C’est quand même de Leah dont il s’agit… Et si ça changeait un truc entre nous ? Je vois pas pourquoi, mais sait-on jamais. Elle est là ma plus grande crainte, dans chaque changement survenant dans sa vie tout comme dans la mienne. Et que dire de ce dérapage dont nous n’avons toujours pas reparlé ? Ça aussi ça me fait flipper ! Je ris légèrement, il n’a plus rien à avouer « Et bah encore heureux ! » manquerait plus qu’il m’annonce partir pour l’autre bout du monde. Et moi est-ce que j’ai une confession à faire ? Ça fait des années que je lui cache mes sentiments, mais ce n’est clairement pas aujourd’hui que je vais lui dire quoi que ce soit. Ni maintenant ni peut-être même jamais. Je ne peux pas non plus dire que j’ai peut-être couché avec mon meilleur ami mais qu’on se souvient de rien puisqu’il est le concerné. Maintenant qu’il le dit c’est vrai que ce road trip prend presque un tout autre sens. Nous deux dans ce van pendant trois jours, une chose est sûre je ne boirais pas une goutte d’alcool, ou en tout cas certainement pas du rhum. J’ai banni cette boisson à tout jamais de toute façon. « Hum laisse moi réfléchir… » c’est surtout une connerie que je cherche à lui dire, les choses sérieuses étant exclues. Lui faire croire que je suis enceinte ? Non ! Très mauvais timing. « Je vais quitter mon boulot. » lâché-je platement, en attendant avec sérieux la réaction de Leah. Il ne tarde pas à tourner vers moi sa tête de merlan frit totalement pris de cours, c’est trop pour que je ne puisse me retenir d’éclater de rire « Oh la tête ! C’était mythique ! ». En même temps y’a de quoi, le jour où je quitte mon boulot c’est que le monde ne tournera plus rond. Je mets fin à mon fou rire et hausse les épaules « J’ai pas de confession à faire Leah pour la bonne raison que justement je passe tout mon temps ou presque au boulot. » et là-bas j’évite toutes les histoires à la Grey’s Anatomy. « Tout ce qu’il reste c’est des conneries, et t’es déjà au courant. » bon bah je voulais pas aborder le sujet mais on dirait qu’indirectement c’est chose faite.

L’info est lâchée. J’aurai voulu qu’elle soit la première au courant, mais les circonstances ont fait que ce n’est pas le cas. Je sais qu’elle ne m’en voudrait pas d’en avoir d’abord parlé avec Nicky, parce je vis avec elle et qu’elle a été témoin de mon trouble après le passage de l’ouragan qui a quelque peu bouleversé mon quotidien. Et puis Jazz avait bien autre chose à penser avec la perte de sa soeur. Aujourd’hui c’est différent, on est tous les deux et c’est propice à la discussion. Au moins, je me sens plus léger de lui avoir dit ce qui me pesait sur les épaules depuis quelques jours. Je finis par lui dire que je n’ai plus rien à confier, et Jazz a l’air soulagée, ce qui me fait rire. En même temps, je crois que j’ai gagné le gros lot avec cette annonce. Je lui demande quand même si elle a quelque chose à déclarer, dans le doute. « Je vais quitter mon boulot. » Je fronce les sourcils et tourne la tête vers elle. Non. C’est même pas possible. Et puis face à son sérieux - faut dire que c’est pas la meilleure menteuse que je connais - j’ouvre les yeux, un peu choqué d’imaginer qu’elle puisse faire une chose pareille. Mais rapidement elle se met à rire, et entendre ce son mélodieux à mes oreilles me fait rire à mon tour. Elle se foutait de moi. « Oh la tête ! C’était mythique ! » Je hoche la tête. « Fous-toi de ma gueule, la tienne tout à l’heure était pire je t’assure ! » Nous rions un petit moment avant que Jazz ne finisse par reprendre la parole. « J’ai pas de confession à faire Leah pour la bonne raison que justement je passe tout mon temps ou presque au boulot. Tout ce qu’il reste c’est des conneries, et t’es déjà au courant. » Je hoche la tête pour la première partie de sa phrase, mais reste un peu en suspens pour la deuxième. Je plisse un peu les yeux, alterne mon regard entre la route et son visage. « Des conneries… et je suis au courant… » Je suis juste en train de réfléchir à voix haute, ça tourne vite dans ma tête, jusqu’à l’illumination. « Oh ! » Voilà. C’est un peu tout ce que ça méritait. « Oui. Ça. Ce genre de connerie. Ouais. » Ça se sent là que je suis un peu mal à l’aise et que je voudrais juste disparaître ? Je lâche un rire un peu idiot - le même que l’aurait fait un putain d’ado en pleine puberté qui parlerait de cul avec son meilleur pote - et mets à mon tour les pieds dans le plat. « J’t’avoue que le rhum a eu raison de moi ce soir là, et c’est carrément super flou. Voir même le trou noir en fait. » C’est ma meilleure amie, faut bien que je sois sincère. « Si il faut j’ai pas été plus efficace qu’avec Terri cela dit… » Ça c’était plutôt une réflexion pour moi. « Je sais même pas si on a… vraiment… enfin… tu vois quoi. » Je tourne la tête vers Jazz, en espérant y lire quelque chose qui me donnerait une info à ce sujet. Mais j’ai du mal à la décrypter bizarrement.