Meet me where the end begins. » Nina.

Sa peau respire encore les embruns lorsque Einar commence à s’activer derrière les fourneaux. Un coup d’œil sur l’horloge murale lui indique qu’il n’est clairement pas en avance sur son planning, et que s’il veut avoir fini le plus gros de la préparation du repas avant qu’Armenio ne débarque, il a plutôt intérêt à accélérer la cadence. Il ne veut pas empiéter sur le début de leur soirée en tête-à-tête en passant son temps en cuisine –même s’il adore cela (et surtout cuisiner pour ses proches), ce serait perdre de précieuses minutes en la compagnie de son ancien partenaire.
Des moments qui sont devenus plus rares, depuis qu’Einar a repris le chemin du commissariat, enchainé à son bureau et enseveli sous des tâches diverses qui le tiennent résolument à l’écart du terrain. Lui qui pensait (naïvement, il s’en rend compte à présent) que son retour leur permettrait de retrouver un certain équilibre, et d’altérer le cercle vicieux d’inquiétudes partagées au sein duquel ils se retrouvaient prisonniers, a vite constaté à quelles désillusions il avait confié ces quelques maigres espoirs.
Ce repas, il se souvient le lui avoir promis il y a des mois déjà –parfois il lui semble qu’hier encore, il se pensait condamné à ne jamais revoir son badge et retrouver le poids de ses responsabilités.
Mais le temps a coulé, depuis son retour.
Et rien a changé.
Pour sa situation.
Mais pas pour celle d’Armenio, et de Damen.

Son efficacité empressée parvient à lui faire gagner de précieuses minutes sur l’heure d’arrivée du brun ; elle résulte en une coupure le long de son index, à laquelle il survivra sans problème alors qu’il s’enfonce dans sa douche pour faire disparaitre les derniers souffles de l’eau salée contre son épiderme, le cœur apaisé, et l’âme plus tranquille. C’est toujours la même histoire lorsque les vagues l’embrassent et qu’il s’évade dans l’immensité de l’océan, il en oublie systématiquement la course du temps, qui lui, n’attend personne.
Il y noie tout.
La frustration qui le hante et cisaille continuellement ses nerfs, la peur de ne jamais pouvoir prouver à ses supérieurs qu’il est apte à regagner le terrain, servir et protéger comme il en a fait le serment en acceptant l’uniforme (lui-même, parfois, se met à douter, et comme il peut haïr ces incertitudes qui le gangrènent, ces mois de rien qui ont remis bien trop de choses en question).
Les écueils persistant entre ses deux anciens partenaires, qui forment dorénavant une paire peut-être efficace d’un point de vue professionnel, mais totalement dysfonctionnelle sur le plan humain ; le poids que cela ajoute sur leurs épaules, les ténèbres inquiétantes et trop familières qu’il surprend parfois dans les iris d’Armenio, la résignation fatiguée et excédée qui écrase le moral de Damen.  
Les souvenirs des étreintes au creux desquelles il se perd pour mieux effacer tout le reste.
Les tumultes de la mer prennent et dévorent tout.

Ses cheveux gouttent encore sur ses épaules lorsque quelques coups résonnent contre sa porte. Un sourire irrépressible se faufile contre ses lèvres, allège ses traits, alors qu’il boutonne les derniers boutons de sa chemise claire en rejoignant l’entrée. Son aspect classieux est rompu par le jean bien plus décontracté qu’il porte, fidèle à ses habitudes.
Retrouver le visage marqué par l’épuisement mais si familier et amical d’Armenio fait fleurir des myriades d’émotions chaleureuses au creux de sa poitrine.
« Tu rentres plus comme si t’étais chez toi ? » l’accueille-t-il d’un sourire en coin, taquin et franc.
Il s’efface dans l’embrasure de la porte pour le laisser entrer et avec lui, amener l’air un peu plus frais de la nuit qui tombe déjà trop vite sur la cité des anges.
Sa main se pose quelques instants sur l’épaule de l’autre homme, sincère et bienveillante, remplace une étreinte bien plus franche et une proximité qu’il sait compliquée pour son ancien partenaire. Il le laisse évoluer au sein de cette maison comme s’il s’agissait de la sienne ; Armenio a toujours été le bienvenu entre ces murs qu’il doit connaître par cœur à présent.
« T’as eu le temps de repasser par ton appart’ ou tu viens direct du boulot ? Qu’est-ce que je te sers ? » l’invite-t-il en se dirigeant vers le salon.
Le retrouver n’a plus la même saveur un peu amère, aujourd’hui.
Quelque part, cela soulage et rassure Einar qu’ils n’aient pas perdu cela, après que ses conneries aient failli leur tant coûter.