Acte I - Holy shit! I screwed up

Ça fait déjà plusieurs semaines que je me suis inscrite dans cette salle de boxe. J'ai essayé ce sport sur un coup de tête, et je l'ai tout de suite adopté. Faut dire que ça me permet d'évacuer toute la pression que je peux ressentir au quotidien. Mes nombreuses frustrations aussi. Et c'est justement ça le plus important. Depuis que je vis sous le même toit que Jihane, je suis plus tendue que jamais. Je crois que sa présence dans ma vie me rend vulnérable, et je déteste cette sensation. J'ai besoin de toujours pouvoir garder le contrôle. Ma séance de boxe de la soirée m'a fait du bien, et c'est le coeur un peu plus léger que je prends le chemin du retour. Mais en voulant sortir du quartier Crenshaw, je suis témoin d'un accident. Un piéton vient de se faire renverser par une voiture ayant pris la fuite. Je me précipite vers la jeune femme qui gît inconsciente sur le sol. Mon premier réflexe est évidemment d'appeler les secours, qui ne tardèrent pas à arriver sur les lieux. C'est la première des choses à faire dans un accident. Et c'est ce que le jeune homme en question aurait dû faire au lieu de prendre la fuite aussi lâchement. Heureusement que j'ai eu le temps de filmer sa plaque. A priori le pronostic vital de la victime n'est pas engagé. Et ça c'est un énorme soulagement. Les pompiers prennent mes coordonnées pour que les autorités puissent me recontacter plus tard afin de m'auditionner. Mais en attendant je peux disposer. Et c'est ce que je fais avant de m'arrêter en voyant la voiture de l'accident arrêtée sur le parking d'un bar à quelques kilomètres de là. C'est une blague franchement ? Le mec vient de percuter une femme et faire un délit de fuite, et il se pointe dans un bar dan le plus grand des calmes ? Mon sang ne fait qu'un tour, et je décide d'aller le confronter. Par chance il n'y a personne à cette heure-là et je ne peux pas me tromper. « Tiens, tiens. » Je prends place sur le tabouret à ses côtés, me commandant un cocktail. « Ça va, tout va bien pour toi ? » Je le fusille du regard d'un air provocateur. Ça me rend dingue de voir qu'il est là dans ce bar comme si de rien n'était. « T'as pas l'impression d'avoir oublié quelque chose ? » Comme appeler les secours peut-être ?

Je suis complètement révoltée de voir qu'un être humain peut être capable de faire une chose pareille. Un accident, ça peut arriver à tout le monde... mais de partir comme un voleur sans appeler les secours, ça, c'est autre chose. Non assistance à une personne en danger, c'est comme ça que ça s'appelle non ? Si j'avais envie de rentrer chez moi au plus vite avant, maintenant je ne suis plus pressée. Au contraire même. Je compte bien remettre ce connard les pieds sur terre. Il va assumer ses actes, c'est moi qui vous le dit. Je le confronte direct sans tourner autour du pot. Ça ne sert à rien de faire semblant, je me contre fous d'employer les bonnes manières. Il ne le mérite pas. « Peut mieux faire... Sale journée... » Sale journée ? Ouais, un peu ouais. Enfin surtout pour la jeune victime... pas pour lui. Lui, il va bien justement. Il n'est pas sur un brancard direction l'hôpital. Loin de là même puisqu'il est en train de siroter son verre d'alcool tranquillement assis sur ce tabouret de bar. Non mais je rêve. « Non je pense pas ! Et j'ai pour habitude de donner les pourboires quand je me casse... Maintenant si ça peut pas attendre, je dois avoir un billet de 10 dollars dans la poche... Sinon je vois pas de quoi tu parles ! J'aimerai bien finir mon verre en paix... » Non mais il se fout de ma gueule ou quoi ? Il me prend pour qui ? Je crois qu'avec moi, il est mal tombé. « T'es sérieux là ? » Mon regard est toujours aussi foudroyant. Si je n'avais pas frappé sur un pushing-ball toute la soirée, je crois que je serai capable de lui en foutre une. Ça me révolte de le voir se croire tout permis après l'horreur qu'il vient de commettre. Mais merde, grandis un peu garçon. « Garde plutôt tes 10 dollars pour réparer ta voiture, tu vas en avoir besoin. » Et pour les assurances, les frais médicaux de la victime... tout ça quoi. « Ça serait con de laisser des preuves sur ton passage quand même. » Si là il ne voit pas de quoi je parle, je ne comprends pas. Qu'il ouvre les yeux, ou sinon je vais lui montrer un p'tit quelque chose pour lui faire retrouver la mémoire. Mais il ne va pas s'en sortir comme ça.

Je le confronte très vite, mettant le doigt sur l'état de sa voiture et sur les preuves qui en ressortent. S'il pense qu'il peut s'en sortir en toute discrétion, je crois qu'il se fout le doigt dans l’œil. Son pare choc avant est enfoncé, et les débris laissés sur le lieu de l'accident ne laissent présager aucun doute possible. « Je ne vois pas de quoi tu parles... » Mais il continue de nier malgré l'évidence, et ça me rend complètement hystérique. « Bah voyons. » Répliquais-je instinctivement en levant les yeux au ciel. C'est sur que c'est plus facile pour lui d'agir comme si de rien n'était. Mais ça ne va pas se passer comme ça. « C'est bon ça me saoule... Je me casse... Va emmerder quelqu'un d'autre avec tes conneries ou fais toi soigner.. » Il pense vraiment qu'il va pouvoir partir comme ça ? Une fois, mais pas deux. Pas avec moi. Alors qu'il remet sa veste, je m'interpose devant lui, les bras croisés sur la poitrine. « C'est une manie chez toi de prendre la fuite ? Ou c'est simplement parce que t'es pas foutu d'avoir des couilles pour assumer ? » Je laisse échapper un petit rire narquois d'entre mes lèvres. « Bizarrement j'opterai plutôt pour la deuxième option. » Que j'ajoute en baissant volontairement mon regard en direction de son entre jambe. Et finalement je décide rapidement d'abattre ma carte "joker". Je lui tends l'écran de mon téléphone portable sous le nez, activant la fameuse vidéo de sa voiture filmée à son insu tout à l'heure. Je lui laisse quelques instants pour qu'il comprenne bien de quoi il s'agit, avant de reporter mon attention sur lui, le téléphone toujours ancré dans la main. « Lâche et égoïste, ça fait pas vraiment un beau tableau quand même... » Je parle de la vidéo, de lui surtout, et de l'image qui va découler de toute cette histoire. Des conséquences aussi sans aucun doute. Parce qu'il y en aura forcément. Ce genre de délit est sévèrement puni par la loi. « Mais j'imagine que les autorités vont l'adorer. » Un large sourire s'affiche sur mes lèvres quand je vois que le jeune homme n'en mène pas large. Beaucoup d'assurance quand il s'agit de jouer aux kaïds, mais après y'a plus personne hein ?

C’est son comportement qui m’incite à le pousser dans ses retranchements comme je suis justement en train de faire. S’il pense que je vais le laisser s’en tirer comme ça, c’est qu’il ne me connait pas encore. Il va très vite comprendre à qui il a affaire. Il n’avait qu’à pas tenter de faire comme si de rien n’était aussi, et je n’aurais peut-être même pas eu envie de sortir cette vidéo. Comme quoi il est toujours mieux d’assumer ses actes. Maintenant au pied du mur, le jeune homme n’a pas vraiment d’autres choix que de passer aux aveux. Il soupire avant de me guider à l’extérieur du bar. A croire qu’il n’est plus aussi serein que tout à l’heure bizarrement. Ça me fait doucement rigoler quand même. « Ce n’est pas de ma faute… Je voulais pas… Je regardais mon téléphone pour entrer l’adresse de chez moi et je ne l’ai pas vu… » Encore heureux que l’accident ne soit pas volontaire, il manquerait plus que ça. Même si de toute évidence son premier réflexe est d’essayer de se dédouaner. « Mais va pas voir les flics… Je suis en train de tourner dans un film… J’ai pas envie que ça plombe ma carrière qui vient à peine de commencer… » Je lève instinctivement les yeux au ciel. A croire que tout ce qui l’importe là, tout de suite, c’est sa petite personne. Non mais dites-moi que je rêve. Et la victime dans tout ça alors ? Elle n’a rien demandé à personne, et sera peut-être condamnée à avoir des séquelles de l’accident toute sa vie. Mais lui préfère se regarder le nombril et penser à sa pseudo carrière. « Y’a vraiment que ça qui t’intéresse ? » Plus les secondes défilent, et plus son comportement m’exaspère. Même si je ne m’attendais pas forcément à mieux de sa part, un élan d’humanité ne lui aurait pas fait de mal. Ça lui coûte quoi franchement d’avouer qu’il a pu merder ? « On peut surement s’arranger… J’ai de l’argent… Dis-moi ce que tu veux… » Là, cette fois c’est la goutte de trop. « Non mais j’hallucine ! » Il est vraiment en train d’aggraver son cas le garçon. Encore faut-il qu’il en soit conscient. « J’en ai rien à foutre de ton argent. On parle pas d’un vulgaire objet là, mais d’un être humain bordel. » Comme si l’argent pouvait arranger tous les problèmes. Non mais dans quel monde il vit celui-là ? « Tu t’arrangeras directement avec les flics, moi, c’est plus mon problème. » Je suis sûre qu’ils trouveront ma vidéo très intéressante...

Il propose d’acheter mon silence pour ne pas que cette fameuse vidéo sorte au grand jour. Il a peur des conséquences que cette dernière pourrait avoir sur sa carrière. Forcément ça ne serait pas bon pour son image que sa réputation soit entachée par une affaire judiciaire. Surtout quand celle-ci n’est clairement pas en sa faveur. Et pour le coup, c’est bel et bien le cas. « Sérieux fait pas ça... Dis-moi ce que tu veux... » Il commence à perdre ses nerfs, et même à en devenir violent. A en juger le coup de poing qu’il vient de mettre contre le mur. Un peu plus et il se cassait la main ce con. Ça aussi ça serait dommage quand même. Dans le plâtre, je ne suis plus bien sûre que sa présence sur le tournage soit bien utile. Dans ce milieu, il me semble que le succès est assez éphémère. Et les irremplaçables très vite remplacés comme on dit. Il devrait faire attention quand même. C’est juste un conseil comme ça, à prendre ou à laisser. Après tout, moi je m’en fous. « Dis-moi bordel... Je peux même te faire apparaître dans le film alors parle... » Je hausse instinctivement les épaules par réflexe. « Mais je m’en fous de ton pseudo film de merde. » En réalité peu importe que ce soit un film prometteur, à succès ou que sais-je encore, ça m’est complètement égal. Je ne recherche absolument pas la gloire, ou en tout cas pas comme ça. Et même ses excès de colère du genre ne m’intimideront pas. De toute façon, il n’est pas vraiment en mesure de faire le malin s’il ne veut pas que je balance tout à la police. J’ai un coup d’avance sur lui, et c’est là toute la différence. J’en suis consciente et je m’amuse un peu à en profiter. « Ce que je veux ? » Je me pointe devant lui, l’air joueuse, et pose ma main sans aucune gêne sur son entrejambe. « Que tu portes tes couilles et que t’assumes. » Je fais une légère pression dessus, accompagnant le geste à la parole avant d’ajouter. « Mais apparemment c’est trop te demander. » Je lève une nouvelle fois les yeux au ciel avant de ricaner bêtement pour me foutre de sa gueule. Je suis peut-être en train d’aller trop loin et de me mettre en danger en agissant de la sorte avec lui, mais sur le moment je ne pense pas vraiment à ça. Je réfléchis pas et agis avec toute l’impulsivité qui me caractérise. C'est bien souvent ça qui me fait défaut.

C'est justement ça le problème avec moi. Je joue avec le feu, repoussant sans cesse les limites du danger. En soit, depuis le début, ce que je fais avec ce jeune homme est dangereux. J'aurais pu tomber sur un psychopathe ou je ne sais quoi d'autre encore... on ne sait jamais à qui on a réellement affaire. Surtout quand les gens sont poussés dans leurs retranchements comme ça. Certains sont prêts à tout pour ne pas sombrer. Et si c'était son cas ? En réalité je ne pense pas du tout à ça sur le moment et continue de jouer à ma petite provocation sans me poser trop de questions. Au lieu de rentrer tranquillement à la maison, voilà que je me retrouve à confronter un homme dans un bar. Et le pire, c'est que c'est plus fort que moi. « Tu fais quoi là ? » Mon geste semble avoir eu l'effet escompté, et pire encore. « D'ailleurs tu devrais serrer un peu plus fort... Ça commence tout juste à me faire de l'effet... » Je le prends au mot, et m'exécute juste pour accentuer encore plus le jeu de la provocation. Pour moi, ça reste quelque chose de gentillet. « Il n'y a qu'à demander. » Mais on ne sait jamais ce que ça peut déclencher... Le mec me plaque alors contre le mur, collant son corps un peu plus contre le mien. « Je crois que je sais ce que tu veux. » Merde, là, ça pue. Je me débats un peu, sans grande réussite puisque l'emprise du jeune homme sur mes mains est suffisamment oppressante. Je crois que le jeu est en train de se retourner contre moi. « Fallait le dire tout de suite. » Il commence à venir embrasser mon cou, ses mains devenant plus baladeuses encore. Et c'est en train de me faire peur. « Tu veux qu'on fasse ça comment ? T'es plutôt plan coquin, plan sauvage ? Romantique ça m'étonnerait beaucoup... Qu'est-ce qui t'excites ? » Bon ok, là, ça va trop loin. J'arrive à me défaire finalement de son emprise, lui assénant un violent coup dans le thorax. Je ne peux pas me laisser faire plus longtemps. « T'es complètement malade putain. » Il me prend pour une pute ou quoi ? « Y'a vraiment un truc qui tourne pas rond chez toi. » J'ose espérer que ce n'était qu'une réponse à ma provocation, rien de plus. Qu'il ne serait pas allé plus loin quand même. « C'est bon, ok, je ne dirais rien. » Je vois son visage commencer à s'adoucir légèrement. « Mais à une seule condition. » Oui, quand même. Il ne va pas s'en sortir sans rien. « Tout cet argent que tu me proposes... c'est à la victime qu'il doit revenir. Je veux que ça soit toi qui paye tous ses soins. » De manière anonyme ou pas, ça m'est égal. Je veux juste qu'il assume la responsabilité de ses actes. Et financièrement parlant, c'est le minimum des choses.

C'est en train de déraper, et la situation semble sur le point de m'échapper. Au point de non retour comme on dit. Mais c'est le risque quand on se permet de trop jouer. Depuis le temps, je crois que je devrais le savoir. Mais non. Je persiste à faire des folies sans me soucier des conséquences. Comme si rien ne me faisait peur. Ça me passe au dessus, jusqu'au jour où les choses deviendront vraiment trop graves. Ok, stop. Je reprends le contrôle, et met fin à cette altercation en lui proposant une solution de repli. Bizarrement, c'est tout ce que le jeune homme voulait. « Euh ok... Pas de soucis pour ça... Ce sera facile à faire... » Je lève inconsciemment les yeux au ciel, fatiguée de son arrogance. « Je te donne ma parole. » Mais les paroles ne suffisent pas. Y'a que les actes qui comptent à mes yeux. « Je m'en fous un peu de ta parole, je veux des preuves. » Ça serait trop facile sinon. « Mais attends... Il y a un truc que je pige pas... Qu'est-ce que tu y gagnes toi ? Tu tiens de l'or entre tes mains et tu demandes juste à ce que je joue les donateurs anonymes ? C'est chelou... » Je hausse un peu les épaules avant de répliquer. « Qu'est-ce que ça peut bien te faire au juste ? » Qu'il se contente d'être sorti d'affaire et qu'il s'en tienne là. Faudrait quand même pas qu'il fasse trop de zèle, s'il ne veut pas que je change d'avis. On sait jamais... « Tu as eu ce que tu voulais, basta. » Et la victime aura les soins qu'elle mérite sans avoir à se battre avec les assurances et tout le bordel. En espérant pour lui que ça ne soit pas trop grave quand même... parce qu'il ne sera jamais totalement à l'abri. Il n'y a peut-être pas que ma vidéo qui peut le trahir... une preuve sur le lieu de l'accident, comme un morceau de sa voiture par exemple. A sa place, je ne me permettrais pas d'être trop serein. « Maintenant, je te souhaite bon courage pour réussir à te regarder dans le miroir après ça. Si jamais tu veux essayer de retrouver un semblant de conscience, ça serait pas du luxe. » Parce que finalement c'est le plus important ? Il devrait quand même ouvrir les yeux sur ce qu'il a fait, parce que c'est loin d'être glorieux. Je fais volte-face et tourne les talons, le laissant tout seul avec ses responsabilités.