everything will be alright - JAÏLEM#2

elle avait pris du retard, ce soir. elle avait pris son temps, seule dans la salle de danse. seule avec ses démons, avec la même musique qui résonnait dans ses oreilles depuis plusieurs heures. elle répétait, sans penser à rien d’autre. ou plutôt si, toujours à la même chose, toujours à ce qui l’empêchait de se concentrer totalement. elle pensait à ce visage, à ces visages. à celui qu’elle ne pouvait plus voir en peinture. à celui dont elle ne pouvait plus se passer. elle pensait à ces mots qu’elle ne voulait plus entendre, et à ceux qui lui faisaient tout oublier. elle pensait à ces mains qui lui faisaient mal, et à celles qui lui faisaient du bien. deux opposés, deux sentiments qui lui donnaient la hargne, cette même hargne qu’elle mettait dans ses mouvements, dans ses pas. et elle était dans son monde, Jaïla. si bien qu’elle n’avait pas remarqué que le soleil s’était couché depuis trop longtemps.
et c’est en jetant enfin un coup d’oeil sur son téléphone après avoir pris une douche, qu’elle remarqua l’heure tardive. une pointe d’angoisse lui prit, tandis qu’elle se dirigeait vers les douches, en tentant d’appeler sa sœur. c’était un millier d’idées plus effrayantes les unes que les autres qui lui traversaient l’esprit. parce que celle-ci ne répondait pas et cela ne lui ressemblait pas. parce qu’elle pouvait être n’importe où, Sihem, et c’était ce que sa sœur espérait. qu’elle soit n’importe où, sauf chez elles. n’importe où, pourvu qu’il ne lui arrive rien de mal. mais comment pouvait-elle en être sûre, si elle ne répondait pas à ses appels… bien plus qu’à l’habituel, cette fois, Sihem occupait ses pensées. les souvenirs de cette soirée, où elle avait dépassé la limite avec elle. où ce geste, bien que déplacé de sa part, avait pourtant laissé planer de nouveaux sentiments qu’elle souhaitait oublier. était-ce pour cette raison que sa sœur l’ignorait, maintenant?

en arrivant enfin devant chez elle, le pas rapide et l’angoisse à son maximum, des voix résonnaient à travers la porte d’entrée et c’était la panique. sans même réfléchir, elle entra, jeta son sac à travers la pièce et courut dans le salon. ce qu’elle redoutait depuis le début était en train de se produire. alors que son sang se figeait, alors qu’il lui fallut une seconde seulement pour réaliser ce qui se passait sous ses yeux, son père avait eu le temps d’abaisser une nouvelle fois sa main sur son visage. sur ce visage qu’elle avait si longtemps réussi à épargner, avant ce soir… le bruit de la claque résonnant dans la pièce lui donna suffisamment de courage pour se jeter sur l’homme, lui attraper son haut et le tirer en arrière. l’éloigner de sa moitié, c’était tout ce qui lui importait à l’instant. et si sa pitié pour son géniteur lui donnait la force de le supporter jusqu’à maintenant, sa haine, bien plus profonde, venait de lui ouvrir les yeux sur le monstre qu’il était véritablement. et cette colère, indescriptible, pour ce père qui n’a jamais été capable de tenir ce rôle, pour cet homme, égoïste, qui ne pensait qu’à sa propre peine. Jaïla s’était mise entre eux, un bras protégeant sa sœur, une main voulant tenir le monstre à l’écart. tu m’avais promis de ne jamais la toucher ! des promesses en l’air, des promesses qu’elle avait gardé secrètes. violentes, douloureuses. et il avait osé lever la main sur elle, juste une fois. il avait osé briser son engagement, de ne jamais s’en prendre à la plus jeune. et Jaïla haïssait cet homme autant qu’elle se haïssait. parce qu’elle avait fait l’erreur de laisser Sihem seule quelques heures de trop. parce qu’elle avait oublié, pour la première fois de sa vie. un oubli fatal. son rôle de grande sœur. et putain, elle s’en voulait.
et celui qui leur faisait face ce soir n’était pas leur père. habité par une haine, une peine, qu’elle ne connaissait pas aussi puissante, dans ce regard qui l’avait longtemps effrayée. mais ce soir, plus que jamais, elle avait peur. peur pour elle, peur pour sa sœur, qu’elle continuait de pousser derrière elle pour la protéger. qu’elle continuait de faire reculer, pour espérer gagner quelques précieuses secondes.
et sa peur l’empêchait de venger sa soeur, pour ce qu’il avait osé faire. elle était seulement capable de se tenir face à lui, muette, sans même savoir ce qui les attendait.
et une main, lourde, venant attraper son col, pour la tirer en avant. force à laquelle jaïla ne su faire face. force qu’elle avait pourtant l’habitude de côtoyer presque tous les jours. un cri étouffé entre ses lèvres, alors qu’elle se faisait secouer comme une vulgaire poupée de chiffon, alors qu’elle tentait de se débattre.
corps fragile, entre les mains de cet ours affamé de violence. pourvu que sihem n’ait pas l’idée de s’interposer à son tour. c’était son rôle, d’accuser les coups à sa place. c’était son rôle, de protéger sa moitié, peu importe la douleur, peu importe le prix.
corps fragile, poussé contre un meuble, écrasé contre un mur. et mains frêles, se frayant un chemin entre l’enclume et la plume, pour espérer épargner quelques os.
âme brisée, les insultes comme seule armes, hurlées au monstre. les larmes comme seule expression, contre cette douleur.
dans un ultime courage, une de ses mains tremblantes réussit à attraper un objet lourd sur le meuble, qu’elle vint abattre sur le crâne de son père, accompagné d’un cri de haine, puissant...



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Elle l’attendait. Elle l’attendait toujours, se demandait pourquoi elle ne venait pas. Elle l’attendait, voyait les aiguilles de l’horloge défiler, alors qu’elle était assise à la table du salon, qu’elle attendait. Attendait quelqu’un, attendait sa sœur. Mais même le paternel pouvait faire l’affaire, bien qu’il ne lui adressait jamais la parole. Elle n’aimait pas être seule, elle n’aimait pas se sentir isolée. Alors quand la porte s’ouvrit, il y eut une lueur dans son regard. bien vite atténuée lorsqu’elle croisa le regard de son père. bonsoir, papa. qu’elle lâcha. « papa ». c’était tellement rare de l’entendre prononcer ce mot, ce mot qui n’avait plus aucun poids depuis bien longtemps. Ce mot oublié, parce que son père ne lui parlait pas, parce que son père ne la voyait pas. Ce mot qui sonnait faux, semblait mensonge entre ses lèvres. Un mot qui vint la frapper d’une force, quand elle vit l’effet que cela faisait sur son père, cette expression qu’elle ne lui connaissait pas. p… ça va ? elle s’inquiétait. Elle s’inquiétait, car même s’il était majoritairement absent de sa vie, il restait son paternel. Elle ne voulait pas le voir mal, elle ne voulait pas lui faire de la peine, ou rester les bras croisés s’il avait une réaction bien trop mauvaise. Alors elle se leva, se précipité vers lui, innocente, naïve, insouciante. Ne se doutant pas que ce serait sa plus grande erreur. Jusqu’à ce bruit. Ce choc qui vint la prendre avec une puissance étonnante, qui vint la détruire, au plus profond de son âme, son cœur brisé en un instant. Un coup, sa joue rouge, et la fureur découverte d’un paternel furieux. p… papa ? elle ne comprenait pas, elle reculait instinctivement, touchant sa joue avec ses doigts fins, et tremblants, alors que l’ours venait crier, hurler de ne jamais l’appeler ainsi. Alors que ce père qu’elle avait toujours vu comme effondré par la perte de maman devenait un monstre bien plus horrible que tous ses cauchemars, alors qu’il lui criait qu’elle était une meurtrière, qu’elle n’avait pas le droit de vivre, qu’elle n’avait pas le droit de le regarder, qu’elle n’avait pas le droit de lui parler, encore moins de l’appeler ainsi. Il n’était pas son père, elle n’était qu’un monstre. Des sentiments qui étaient toujours présents en elle, puisqu’elle se voyait aussi ainsi. Mais là, il y avait les coups, des larmes, des suppliques. Elle sentait son ventre touché, elle sentait sa tête secouée, elle sentait le pied de son père contre ses jambes, faiblissait, et s’écroulait. Elle avait mal, elle pleurait, des sanglots qu’elle ne comprenait pas, face à des cris qui venaient la détruire moralement. Et il l’attrapa, poing sur son col, dégoût sur le visage masculin, alors qu’un autre coup venait se porter à son visage, avant d’entendre les pas de sa sœur, avant de voir cette dernière la défendre, tirer ce père qu’elle ne connaissait plus, qu’elle ne connaissait pas. Jaïla, pour la sauver, alors qu’elle gémissait, douloureusement j… jaïla… a… atte… elle ne savait pas quoi faire, elle se relevait difficilement, elle reculait doucement, elle avait peur. Elle avait très peur, tandis que sa sœur lança une phrase qui vint la choquer encore plus. une promesse ? de ne jamais la toucher ? elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas, mais n’avait rien d’idiote, et ses pensées focalisées sur le sweatshirt de sa sœur vinrent lui donner une peur bleue. était-elle frappée ainsi, chaque jour ? chaque fois ? depuis combien de temps ? elle avait l’impression de se réveiller d’un cauchemar. Ou plutôt, d’être dans un véritable cauchemar, qui venait la prendre, et lui donner cette envie de vomir. était-ce vrai ? elle n’avait pas vu que jaïla subissait de tels coups ? ou cette phrase signifiait-elle autre chose ? elle espérait grandement que la signification soit toute autre, parce qu’elle avait honte, et mal. Elle s’en voulait, elle ne comprenait pas. Ses yeux étaient noyés de larmes, alors que ce paternel en furie attrapait sa sœur. jaïla ! et elle voulait l’aider. elle accourait, incapable de laisser la seule personne de sa vie qui lui donnait envie de survivre, se faire malmener. Alors elle tenta de le retenir, tout ça juste pour être repoussée violemment contre le sol. Et elle voyait, elle regardait, impuissante, cet ours en colère s’en prendre à la personne qui comptait le plus pour elle. arrête ! « papa », arrête !! elle faisait exprès de l’appeler ainsi, et cela marcha. Un regard de feu qui se retrouva dans les yeux du père, tandis qu’il se retournait. Et jaïla qui profitait de l’occasion pour l’assommer. jaïla ! elle se précipita vers elle, alors que le colosse tombait. Et elle se faufila dans ses bras, la serra contre elle. jaïla… qu’est-ce qu’il se passe ? elle fermait les yeux, sanglotait contre sa sœur. Elle avait l’impression d’être dans une spirale infernale, elle avait le sentiment que ce cauchemar était une réalité qu’elle ne pouvait pas supporter. Elle avait peur. Elle avait peur, de cet homme qu’elle pensait connaître, au moins assez. Et pourtant, il était là. étendu sur le sol. Du sang au niveau de son crâne, qui glissait le long du carrelage.
Et un regard.
Un regard traumatisé vers ce monstre, tout en demandant pourquoi il… et qu’est-ce que tu as voulu dire ? avec la prom… elle se stoppa net. tu… tu crois que c’est grave ? elle était en larmes, le corps amoché, des vérité découvertes, et l’impression d’être un monstre, et pourtant. Pourtant, elle voyait cet homme couché sur le sol, et elle s’inquiétait quand même pour lui.
Peut-être était-ce là une façon de se faire pardonner ?
D’avoir tué sa mère…