Ghost from the past [Alix&Caleb]

J'ai l'impression que depuis quelques temps ma vie est en train de prendre un tournant. Un tournant plutôt positif. Je recommence légèrement à reprendre ma vie en main, à me relancer dans le grand bain. J'ai de nouveau une vie sociale. Bon, si on peut dire que rencontrer une amie de ma soeur, et retrouver un ex co-détenu est une vie sociale. Mais c'est déjà ça après tout. Au moins je ne me contente plus uniquement d'aller à mon boulot de réceptionniste et de rentrer chez moi pour regarder la télévision en sous-vêtements. De temps en temps je sors. De temps en temps je rencontre de nouvelles personnes. Mais on ne peut pas dire que je suis encore hyper à l'aise avec ma toute nouvelle vie. Je suis toujours un paumé. Un ancien détenu qui, une fois libéré, est complètement paumé. On ne se rends pas compte à quel point c'est dur d'être lancé dans la vie d'adulte comme ça. Quel que soit l'âge qu'on ait. Quand on est privé de sa liberté pendant des années et que d'un coup d'un seul on retrouve tout son libre arbitre, c'est pas évident. C'est ce qui m'arrive. Je suis dans une situation étrange et difficile, une situation dont je ne peux parler à personne. Ma soeur ne peut pas comprendre. Zach pourrait. Mais je viens à peine de le retrouver, je suis pas certain que ce soit très judicieux de parler prison alors qu'on est dehors maintenant, je voudrais pas lui rappeler une période de sa vie qu'il voudrait probablement oublier. Alors je me tais. Je devrais probablement voir un psy. Peut-être que ça, ça pourrait m'aider ?

En tout cas, il est hors de question que je reste prostré chez moi. Sinon je vais devenir complètement dingue. Alors même si je n'ai pas particulièrement de projet en tête, ni personne à aller voir, je décide de sortir. Je vais aller faire des courses. Au moins ça me fera sortir. En plus j'ai des pop-tarts à gouter. En six ans, beaucoup de nouveaux parfums sont apparus et j'ai bien l'intention de tous les tester ! Alors je sors. Je me dirige vers l'ascenseur, un peu distrait, je fais à peine attention à l'autre personne qui se trouve à l'intérieur. J'appuie sur le bouton du rez-de-chaussée et alors que les portes se referment, le type me salue. C'est drôle, j'ai l'impression de connaître sa voix. Bon en fait ça doit être normal, s'il est là c'est que ça doit être un de mes voisins, j'ai déjà du le voir plusieurs fois. « Sal- » je commence en me retournant vers lui. Mais je me coupe dans ma phrase. Au moment où mes yeux se posent sur son visage je le reconnais, et c'est comme si l'ascenseur répliquait les battements de mon coeur. Mon coeur s'arrête le temps d'un instant, sous le choc. L'ascenseur s'arrête aussi. On a eu plusieurs pannes ces derniers mois, je croyais qu'il avait été réparé. J'ai dû me tromper. Mais de toute façon je ne pense pas à ça, je ne pense qu'à ce visage face à moi. « Jonathan ? Nate ? » je demande incrédule. « Mais... qu-... j'arrive pas à y croire ! » Je ne sais pas comment me sentir. Je ne l'ai pas vu depuis si longtemps ! Je suis à la fois heureux et à la fois... perplexe. Beaucoup de temps a passé depuis notre dernière rencontre. Beaucoup de choses ont eu le temps de changer. « Je... mais qu'est-ce que tu fais ici ? Est-ce... » Je n'arrête pas de bafouiller, je suis encore sous le choc. Et je me sens stupide pour ce que je m'apprête à lui demander. « Est-ce que t'es venu ici pour me voir ? » Oui, c'était définitivement stupide de poser cette question, mais tant pis, ce qui est fait est fait.

J'avoue que là, de suite, je suis complètement paumée. Comme si je l'étais déjà pas assez ! Maintenant voilà que Nate surgit devant moi, comme si de rien n'était. C'est plutôt perturbant, faut l'avouer. « Oui Alix. Je suis venu te voir. Je sais que 6 ans c’est long et que beaucoup de choses ont dû changer, mais je voulais te revoir et te parler, parce que j’ai jamais pu oublier ce qu’on a vécu. Comment tu vas depuis tout ce temps ? » Je le regarde comme un idiot, comme si je ne comprenais pas vraiment les mots qu'il venait de prononcer, où comme si j'avais du mal à les intégrer. C'est un peu ça. J'ai du mal à réaliser qu'il est bien devant moi et qu'il me regarde avec une sorte de suffisance dans le regard, qu'il me regarde de façon parfaitement désinvolte. Et ça ne fait que rajouter à l'étrange de la situation. Parce que maintenant, lui aussi me paraît étrange. « Six ans, quatre mois, deux semaines et cinq jours. Pour être exact. » Ouais, je sais, c'était inutile de préciser, mais je sais pas, j'en ai un peu ressenti le besoin. Histoire d'appuyer un peu dessus ? Parce qu'à voir ses réactions, j'avoue être perplexe. Certes, ça fait beaucoup de temps, énormément de temps. Mais vraiment assez pour changer quelqu'un du tout au tout ? A voir Nate, j'en ai bien l'impression. « Je suis libre alors je n'ai pas à me plaindre » je réplique alors avec un petit rire nerveux. C'est ironique quand on sait que je suis enfermé dans un ascenseur avec le professeur que je m'envoyais quand j'avais quinze ans. « Désolé, c'est juste que... je m'attendais pas à te revoir un jour. Je pensais que quand je t'ai vu au tribunal, c'était la dernière fois. Pour être honnête je me disais que tu devais toujours être avec ta femme, peut-être même avec un ou deux gosses. Pas que tu serais encore en train de penser à... ce qu'on a vécu. » J'ai pas envie de dire "nous". Je sais pas pourquoi, c'est juste que ça sonne... faux. Probablement à cause des années qui ont passé. J'aime vraiment pas ce sentiment, j'espère que ça va vite se dissiper. « Foutu ascenseur... » je lance finalement en m'acharnant sur le bouton. « Il a fait ça toute la semaine, ça devrait remarcher d'ici cinq minutes. »

Est-ce qu'il est sérieux là ? Mais qu'est-ce qu'il se passe ? Déjà je tombe sur Nate qui visiblement pense toujours à moi et limite s'est mis à me traquer. Et maintenant il me parle sèchement et est pas loin de blaguer sur mon temps en prison. Non mais c'est quoi ce délire exactement ? J'essaie de faire bonne figure parce que même si je peux avoir une grande gueule et qu'en général je ne me gêne pas pour dire ce que je pense, cette fois j'ai juste envie de faire profil bas. Ah si seulement ce connard de proprio avait vraiment réparé l'ascenseur... Enflure. Et je pourrais même pas lui foutre mon poing dans la gueule quand je le verrais. Enfin, j'suis pas un violent d'habitude, mais pour le coup là je pourrais le devenir. En attendant je garde tout ça bien enfoui en moi et je fais bonne figure ou du moins j'essaie. Je crois que Nate a bien compris mon manège parce qu'il se met à me sortir un baratin comme quoi il est désolé, qu'il a divorcé, qu'il pense à moi mais n'a pas osé venir à la prison. « C'était y a longtemps. » je commente simplement. A vrai dire je sais pas si j'ai vraiment envie de me relancer dans un truc pareil. J'aurais trop l'impression de régresser. Je viens juste de sortir de prison ! C'est certainement pas le moment de retourner en arrière. « Désolé pour ton divorce. » je rajoute en continuant de marteler ce foutu bouton d'ascenseur. Je sais bien que ça ne change rien, mais au moins ça défoule un peu, et puis comme ça j'ai pas l'impression d'être parfaitement, totalement et irrémédiablement inutile. « Au moins je fais quelque chose... » je réplique quand Nate prends la défense de ce pauvre bouton. Bouhou. Pourquoi est-ce que ça m'énerve autant ? Comme si j'étais pas assez paumé il fallait que sa visite surprise vienne en rajouter une couche ! « Il faut que je t’avoue quelque chose. Mais c’est pas facile à dire en fait. Mais c’est important pour moi en tout cas. » reprends t-il soudainement. Je fronce les sourcil. WTF. On est dans une émission de télé-réalité ou quoi ? Non, faut que je me calme. Je soupire et lui fait face, délaissant l'interface de l'ascenseur. « Oh non, t'es tombé enceinte et j'ai un enfant qui a six ans aujourd'hui ? » je m'exclame avec un rire plus nerveux qu'autre chose. Il a tenté l'humour et échoué. Chacun son tour.

Nate rebondit sur ma vanne, sauf qu'après ça il redevient sérieux et je n'aime pas ça. Qu'est-ce qu'il a à m'annoncer de si terrible ? A cet instant précis. Franchement je suis paumé, on vient tout juste de se revoir après plusieurs années d'absence. Qu'est-ce qu'il peut s'être passé de si terrible ? Qui me concerne en plus ! Ouais, je suis carrément paumé pour le coup. Je fronce les sourcils, parce que j'appréhende. Peu importe ce que c'est, ça va faire mal, ça c'est clair. « Je voulais juste dire que tout ce qu’on a vécu tous les deux ici et dans les environs, c’était pas du bluff. Mes sentiments étaient sincères. » reprends t-il finalement. Ok, alors là je ne comprends vraiment plus rien. C'est quoi cette déclaration spontanée là ? Bordel, mais il se passe quoi là ! « Pourquoi tu me dis ça exactement ? » je demande doucement. Je ne réponds même pas que mes sentiments aussi étaient sincères, même si j'étais jeune et que certains, s'ils avaient su ce qu'il se passait entre nous, n'auraient pas appelé ça de l'amour. Mais ça en était, je le sais, je l'ai ressentis comme ça. Mais c'était il y a si longtemps... Je me demande bien ce qu'il cherche à faire là. Je le regarde prendre un truc dans sa poche et me le tendre. Un badge d'agent fédéral avec écrit « Caleb Dawson ». Je regarde tout ça sans vraiment le comprendre. Parce que de ce que je comprends c'est que Nate ne s'appelle pas Nate mais Caleb Dawson, qu'il n'est pas professeur de littérature mais agent fédéral. Mais tout ça n'est pas possible pas vrai ? En plus ça voudrait dire quoi ? Merde mais... « Je... je suis pas sûr de bien comprendre. Tu peux m'expliquer ce délire ? » je lâche en lui rendant son badge comme si cette chose me brûlait les doigts. « Puis c'est quoi ton problème ? On s'est pas vus depuis plus de six ans et là tu débarques sans prévenir, et me dit pas que t'aurais pas pu venir avant si t'en avais vraiment eu envie parce que je suis sorti depuis six mois ! Merde, on s'est pas vus depuis six ans et tu débarques pour m'annoncer quoi, que t'es flic ? Mais c'est quoi ton putain de problème ? Qu'est-ce que tu me veux exactement ? Pourquoi t'es là ? Pourquoi - tu - es - là ? » Je sais même plus ce que je dis, je tombe des nues. Non mais merde, dans quel délire je me suis embarqué encore ?

Qu'est-ce que je suis censé répondre à ça exactement ? J'en ai aucune foutue idée. J'ai l'impression que mon cerveau est devenu vide d'un seul coup, comme si subitement tout s'était effacé. Comme si j'étais en plein reboot. J'ai vraiment du mal à comprendre ce qu'il se passe là. Enfin je comprends ce qu'il me dit c'est juste que je suis pas certain d'assimiler toutes les informations pour l'instant. En vérité je ne comprends pas ce que ça implique. Et je ne comprends toujours pas pourquoi il est là. Il a beau me dire qu'il pense "beaucoup trop à nous et à ce qu'on pourrait vivre" je n'arrive pas à l'assimiler. « Tu n'as pas le droit de me dire ça. » je lâche simplement. Je ne sais pas comment je fais pour rester calme à ce point. Ou peut-être que c'est juste que je suis encore sous le choc. « Tu te pointes après sept ans d'absence et de silence pour me dire que tu n'es pas celui que je croyais et que tu m... penses à moi. Tu te rends compte à quel point c'est absurde ? Et égoïste ? » je reprends, commençant à hausser un peu le ton. Je crois que je reprends le dessus petit à petit. Mais franchement la seule chose dont j'ai envie là de suite c'est de partir, de sortir de ce foutu ascenseur de malheur. « Je ne sais pas qui tu es, et toi t'as aucune idée de qui je suis, de celui que je suis devenu ! J'ai changé Nate. Pardon, Caleb, si c'est bien ton véritable nom ! » Je crois que je perds un peu pied. Je sais pas si je suis triste, trahi, blessé, en colère ou je ne sais quelle autre émotion. Je suis juste complètement paumé. « J'en ai rien à foutre des risques que t'as pris ou pas, je m'en fous complètement. Tout ce que je veux là, c'est sortir de cet ascenseur et plus jamais te voir. Parce que toi et moi c'est terminé depuis que je me suis fait arrêté. Et c'est certainement pas maintenant que tu viens la queue entre les jambes, après tout ce temps, pour m'avouer que t'es un putain de menteur sociopathe, que je vais te retomber dans les bras ! » Non mais franchement il s'attendait à quoi ? Que je lui saute dans les bras ? Que je trouve ça génial, mignon et romantique ? Parce que non, ça ne l'est certainement pas.