bury a friend. (deborah #2)

Un message envoyé, bien à l’abri de ton écran. C’est tout ce qu’il t’a fallu pour convaincre Deborah de venir travailler sur le festival. Dans le fond, t’as un peu culpabilisé à l’idée qu’Ariel ne serait jamais là pour l’accueillir dans le village des bénévoles. Mais tu sais aussi que c’est le moment de tout lui avouer et tu n’as pas trouvé de meilleure façon de faire. Trop timide pour t’adresser correctement aux autres en temps normal, cette fois c’est encore pire pour toi. Parce que c’est Deborah. Parce que tu sais que ce que tu as à lui annoncer ne va pas lui plaire. Tu as juste pris le temps de lui communiquer l’emplacement de ta tente avant de fermer la page du forum sur lequel vous partagez ensemble depuis des mois, sans qu’elle sache réellement qui se trouve derrière les traits d’Ariel. Il y a de fortes chances que ce soit la dernière fois que tu y passais et quelque part, ça te provoque un pincement au cœur, parce que tu as tout de même commencé à t’attacher à tous tes personnages. Êtres vagabonds faisant partie de toi. De simples écrits couchés sur un clavier, qui avaient fini par compter pour toi comme autant de membres de ta famille. T’essayes de ne pas trop y penser alors que, quelques jours plus tard, tu te retrouves à monter ta tente sur l’emplacement qui t’as été attribué. Tu plantes les piquets mais ne peux empêcher ton regard de vagabonder et de passer au-dessus de ton épaule toutes les trente secondes, afin de guetter son arrivée. C’est la première fois de ta vie que tu participes à Coachella et tu n’arrives même pas à te focaliser là-dessus, car tout ce qui compte, c’est Deborah. T’es en train de planter le dernier piquet dans le sol lorsqu’enfin elle se dessine à l’horizon. La masse dans la main, le genou posé sur le sol, tu la regardes avancer avec un air béat. Dans son esprit, tu te maudis, t’insultes d’abruti et tentes de te motiver à bouger. Mais pourtant tu restes là, les bras ballants et l’air débile alors qu’elle s’approche suffisamment de toi pour reconnaître tes traits. « Hey, Deborah ! T’es bénévole aussi ? » Surprise feinte et air toujours aussi stupide. Ça se voit que tu caches quelque chose et t’en as conscience, mais t’as jamais été très bon comédien. « C’est quand même dingue qu’on se croise toujours sur nos lieux de travail. » Tu t’obliges à te taire, à fermer la bouche alors que tu te mords la langue. Il serait peut-être temps que t’arrêtes de te noyer dans tes mensonges, ça ne te ferait vraiment pas de mal.

t'es excitée comme une puce. totalement impatiente d'y être. dans le bus tu bouges, tu t'agites. un véritable désagrément pour tes voisins mais tu t'en fiches. aujourd'hui tu vas la voir. depuis le temps que vous discutiez, c'est juste magique. tu n'as qu'un emplacement de tente, rien de plus. mais c'est déjà beaucoup. plus qu'à quelques kilomètres. c'est rien... c'est rien du tout. ariel elle a fini par prendre une place dans ta vie et pas qu'une petite. jusqu'à en venir même à éprouver des sentiments auxquels tu ne t'attendais pas. pas parce que c'est une fille, ça n'a rien à voir ça. tu as déjà eu des relations avec des filles ou de garçons. c'est plus parce que... tu ne l'as jamais vu. c'est qu'un flirt par écrans interposés. et encore, peut être que tu t'es engagée sur cette pente sans trop savoir si c'est réel ou non. faut que tu t'enlèves ça de la tête. juste tu vas la voir, c'est le principal. les minutes passent trop lentement mais elles passent. et te voilà enfin à l'entrée. tu ne sais pas à quoi elle ressemble. vous ne vous vous êtes jamais échangé vos photos ou quoique ce soit. mystère absolu. totalement absolu. et ça t'excites beaucoup. tu récupères ton sac et te diriges vers l'espace pour les bénévoles. le seul moyen pour toi de venir à ce genre de festival. et t'y voilà. t'arrives auprès de l'organisateur enfin un de ses subalternes et il te donne ton emplacement, les informations de base, tout ce qu'il y a à savoir. et te voilà en route. tu décides de t'installer avant de chercher ariel, parce qu'arriver avec tout ton bordel te fera passer pour une folle... donc non, tu veux pas lui faire peur. alors tu te diriges vers l'endroit indiqué. enfin, tu pensais le faire. parce qu'en chemin, tu le vois. t'as hésité quelques secondes avant d'aller vers lui mais bon, la hache de guerre a été enterrée non ? " hey. " simple mot lâché, tu tâtes un peu le terrain. " hey, deborah ! t’es bénévole aussi ? " donc il l'est également. ça te fait sourire. " c'est quand même dingue qu’on se croise toujours sur nos lieux de travail. " y'a quelque chose d'étrange chez lui mais tu ne sais pas quoi. et ton esprit est toujours occupé par ariel. " bah écoute faut croire ! c'est plutôt cool qu'on se retrouve ici. t'es arrivé depuis longtemps ? " banalités échangées. pour le moment tu n'as pas réalisé, tu n'as pas remarqué à quel emplacement il était.

La respiration qui s’accélère, le cœur qui s’emballe. Symptômes du sentiment amoureux, peut-être. Mais dans le cas présent, c’est plutôt la culpabilité qui le ronge. Mal dévorant qui lui encombre l’esprit, le pousse à agir de façon quelque peu étrange. Heureusement, Deborah ne semble pas s’en formaliser. Sans doute parce que le gamin n’a jamais été un modèle de normalité. Il tente de cacher sa gêne derrière un sourire, de ne pas se laisser abattre par le secret qui ne va pas tarder à être dévoilé. Elle ne semble pas encore avoir fait le rapprochement mais Vlad n’est pas prêt. Pas encore. Il ne veut pas lui dire les choses clairement, préfère qu’elle comprenne d’elle-même. Sans doute parce qu’il s’agit de l’option la plus simple. Il se contente de s’appuyer sur des banalités, de fuir le cœur du problème. « Bah écoute faut croire ! C'est plutôt cool qu'on se retrouve ici. T'es arrivé depuis longtemps ? » Elle entre dans le jeu, ne semble pas comprendre. Pas encore. Pourtant Vladimir ne va pas pouvoir tourner autour du pot trop longtemps. Cette fois, il se l’est promis, il faut que la jeune femme soit au courant. « Hm, pas tant que ça. Enfin, j’ai juste eu le temps de monter ma tente. » Il explique ça avec un geste vers l’habitat de toile. Peut-être la meilleure amorce qui soit pour amener les choses vers le sujet le plus important. Le secret qui devait bien finir par tomber. « Tu… Tu devais retrouver quelqu’un ? » Demande susurrée du bout des lèvres, comme si les mots risquent de lui brûler la langue, d’embraser son palais. Le mensonge est un poison. Mais contrairement à ce que tout le monde semble penser, il ne ronge pas les veines que de la personne trompée. Pourtant, Vladimir sait que la culpabilité est un moindre mal face à la trahison que Deborah ne va pas tarder à ressentir. « C’est assez grand ici. Heureusement, la zone a été quadrillée méthodiquement pour qu’on puisse se repérer. Par exemple, ici, on est dans la rangée quinze. » Cette fois il ne pourra pas faire mieux pour la mettre sur la voie. Il ne s’en sent pas capable.

" hm, pas tant que ça. enfin, j’ai juste eu le temps de monter ma tente. " je le regarde, je regarde la tente. en effet elle est montée. en effet elle est installée. c'est déjà ça de pris sur moi. encore faut il que je trouve mon emplacement. j'ai l'impression d'être paumée alors que je sais exactement où je suis. c'est comme si il me manquait des infos capitales. qu'on m'avait ôté sans que je ne sache pourquoi. " tu… tu devais retrouver quelqu’un ? " cette question posée à la volée et que j'attrape comme ça. d'un seul coup. d'un seul. " ouais une amie. " ariel. peut être bien plus qu'une amie à vrai dire. depuis quelques moi je sens qu'il y a quelque chose de... différent. j'crois qu'elle me plait en fait. passer des heures à discuter avec elle de tout et de rien. c'est simple. si simple. " et toi alors ? " on peut venir à coachella seul bien sur mais j'pense que c'est plus sympa en groupe. ou même à deux, comme ce qui est prévu pour moi. je n'ai rien contre le fait de discuter avec vlad mais j'ai quelqu'un à retrouver. au moins ça s'est calmé entre nous. depuis notre dernière conversation. c'est apaisant. c'est même reposant. " c’est assez grand ici. heureusement, la zone a été quadrillée méthodiquement pour qu’on puisse se repérer. par exemple, ici, on est dans la rangée quinze. " je hoche la tête passant un peu au dessus de cette information. pour finalement m'y arrêter en y repensant. rangée quinze. forcément je tique un peu dessus. " c'est marrant c'est la même allée que celle que je dois retrouver. " marrant ou bien totalement aberrant. j'hésite encore. mais il y a quelque chose qui cloche. surtout lorsque je comprends sur quel numéro il s'est posé. "enfin... elle devrait même être à cet emplacement. comment ça se fait ? " un peu d'innocence saupoudrée de naïveté ou peut être juste la volonté de ne pas vouloir comprendre ce qu'il se passe juste sous mes yeux. fort probable également.

Les mots s’échappent de ses lèvres sans que lui-même ne sache exactement ce qu’il est en train de dire. Il comble le vide parce que le silence est insupportable : il l’oblige à écouter ses pensées. Douloureux cocktail puisque, mêlées à l’adrénaline, elles lui font perdre pied. Vlad n’est pas particulièrement fier de lui, sait que son mensonge va laisser des traces indélébiles. Il sait qu’il risque de la perdre et cette simple pensée lui est insupportable. Mais il ne peut pas continuer à faire semblant, parce qu’il y a ces sentiments qui lui rongent l’être, lui grignotent les pensées. Il est tributaire de cet instant qu’il appréhende pourtant plus que tout. Les mots de Deborah glissent sur son être sans qu’il puisse les attraper. Branché sur pilote automatique, il l’oriente vers la découverte mais se sent presque étranger à cet instant qu’il rejette de tout son être. « C'est marrant c'est la même allée que celle que je dois retrouver. » Mots qui semblent apparaître dans le lointain alors que la jeune femme est juste à côté de lui. Vladimir cherche à raccrocher avec la réalité. Il n’est pas trop dur pour lui d’arborer une expression perdue. Il observe du coin de l’œil Deborah qui s’agite, scrute le passage du regard. « Enfin... Elle devrait même être à cet emplacement. Comment ça se fait ? » Tonalité à peine emprunte de suspicion. Vladimir jette un dernier regard en direction de son emplacement, comme pour s’assurer qu’il est en train de faire la meilleure chose possible. Il pourrait encore prétendre s’être trompé d’endroit, faire machine arrière. Mais les rouages sont trop bien huilés et il n’est pas certain d’avoir la force de reprendre la démarche plus tard. Sortant la carte de sa poche, il la tend en direction de Deborah. « C’est… C’est bien mon emplacement. Pour une personne. C’est écrit là. » Joignant le geste à la parole, il lui indique l’endroit stipulant ce fait sur la carte. Il pince un instant les lèvres avant de finalement ranger le morceau de papier. « Tu ne t’es jamais dit qu’elle pouvait… Ne pas être là ? » C’est encore trop vague. Cela ne donne pas assez d’indication à la jeune femme et il s’en rend bien compte. « Ne pas exister ? » ajoute-t-il finalement, alors que son cœur s’emballe et qu’il sent les paumes de ses mains devenir moites. Cette fois, il ne pourra pas faire plus clair. A moins de simplement lui dire qu’il est Ariel.

il est là, planté là, face à moi. sur cet emplacement qu’elle est censée occupée. il y a comme quelque chose qui cloche. qui n’est pas logique. un bug dans l’équation. ariel devrait être ici, pas lui. pas vladimir. et pourquoi lui en plus. ce n’est pas logique. ou alors c’est une coïncidence que j’ai du mal à comprendre. et ce papier qu’il amène devant mes yeux pour que je l’observe et vois qu’il confirme ce qu’il me dit. ” c’est… c’est bien mon emplacement. pour une personne. c’est écrit là. “ c’est bien ça. c’est noté. son nom, l’emplacement, une personne. tout est là, tout est écrit. c’est juste que ce n’est pas logique. ce n’est pas du tout logique. il ne devrait pas être là. elle devrait être là. ça tourne en boucle dans ma tête. je tente même de me souvenir si c’est bien les indications qu’elle m’avait donné. mais oui. tout est gravé dans ma mémoire. j’étais trop impatiente de la retrouver. je n’aurai pas pu faire une erreur aussi idiote. surtout pour me retrouver face à vlad. c’est complètement con. ” tu ne t’es jamais dit qu’elle pouvait… ne pas être là ? “ perdue dans mes pensées je finis néanmoins pas relever la tête. je le regarde et tente de bien analyser ce qu’il me dit. oui ça c’est sur qu’elle n’est pas là. mais non je ne l’avais jamais imaginé. vu que je pensais qu’elle le serait. c’est quoi cette question idiote enfin. ” ne pas exister ? “ alors là c’est le pompon. je lâche un rire nerveux, parce que pas amusé du tout. c’est juste sorti comme ça. moqueur peut être. ou juste de stress. ” comment ça ne pas exister. bien sur que si elle existe. j’ai pas parlé à un robot depuis tout ce temps quand même. “ c’est stupide ce qu’il me raconte. ou alors c’est qu’il la connaît ? mais non ce ne serait pas normal ça. il n’y a aucune chance. surtout que je lui ai bien souvent parlé de lui et qu’elle n’a jamais relevé ça. elle l’aurait fait non ? non. ou peut être que si ? j’en sais rien je suis paumée là. ” pourquoi tu dis qu’elle pourrait ne pas exister ? qu’est ce que t’en sais ? “ je me doute qu’il ne l’a pas tué et caché les morceaux de son corps dans sa tente. alors j’attends une réponse claire et précise. j’attends qu’il m’explique ce qu’il se passe. réellement.

Il se sentait pris en faute, complètement coincé. Pourtant, c’était lui qui avait créé cette situation en passant par un pseudonyme afin d’entrer en contact avec Deborah. C’était lui également qui lui avait fixé un rendez-vous à Coachella afin de lui apprendre la vérité. Mais alors qu’il se trouvait planté face à elle, Vladimir n’était pas réellement sûr qu’il s’agisse d’une bonne idée. Comment Deborah allait-elle le prendre ? Ne risquait-elle pas de l’incendier au milieu de tout le monde ? De refuser de le revoir ? Tant de questions qui lui vrillaient le crâne, l’empêchaient de parler. Cela le poussait à tourner les choses sous forme d’énigmes, à les suggérer plutôt que de les énoncer clairement. Mais son amie ne comprenait pas où il voulait en venir. Pire, elle semblait agacée par ses propos. « Comment ça ne pas exister. Bien sur que si elle existe. J’ai pas parlé à un robot depuis tout ce temps quand même. » Vlad se mordait l’intérieur de la joue, tout en baissant la tête. Tout ne se passait définitivement pas comme prévu. Et il ne savait pas comment démêler la situation. En tout cas, Deborah semblait à mille lieux d’imaginer ce qui pouvait bien se tramer. « Pourquoi tu dis qu’elle pourrait ne pas exister ? Qu’est ce que t’en sais ? » Cette fois, la question était claire et précise. Le Burton ne pouvait définitivement plus reculer. Alors il prenait son courage à demain et redressait la tête pour planter son regard dans celui de Deborah. Son cœur battait un peu plus vite, l’angoisse le submergeait presque. Et pourtant, il lâchait enfin : « Peut-être parce que c’est moi, Ariel ? » Aucun moyen pour lui de connaître le prénom de l’amie de Deborah. La jeune femme ne lui en avait pas parlé. Et cela n’empêchait pas Vladimir de le connaître. Cela voulait tout dire, non ? « Je sais que ce que je vais te dire va te paraître un peu idiot, mais… Ouais, je me suis fait passer pour quelqu’un d’autre. Pendant un long moment. Juste parce que je voulais garder contact avec toi. » Après l’accident. Après que Deborah soit éloignée du reste des Burton.