Just guilty pleasure [Jazie]

L’hôtel est luxueux, et le service et la discrétion sont irréprochables, c’est tout ce dont j’ai besoin. Pas que je cherche à cacher mes aventures ponctuelles, simplement, je ne tiens pas à ce que des commérages viennent un jour ou l’autre entacher ma réputation d’homme d’affaires. McKenzie est une femme respectable, il n’y a rien à redire là-dessus, mais sans doute qu’elle non plus n’a pas nécessairement envie que la ville sache qu’elle peut être volage, ou adepte des histoires sans lendemain. Le patriarcat est encore on ne peut plus ancré dans les mentalités, même ici. Alors on prône la discrétion, et on prend le plaisir là où il se trouve. Sans promesses et sans impératifs.
Il arrive de temps à autre que nous nous retrouvions, juste pour une soirée, parce qu’on apprécie la compagnie l’un de l’autre et qu’il n’est question que de ça. Alors je prends le temps de me préparer, dans la suite que j’ai louée, à l’étage du restaurant à l’étage. Il est parmi les meilleurs de la ville, et quand on prend goût à la qualité, il est difficile de se contenter du reste par la suite. Je me coiffe, rapidement, je n’en fais jamais trop. Par contre mes vêtements ne sont jamais laissés au hasard. Une chemise à col, un costume trois pièces, un peu de parfum, et ces clopes sans filtres que je fume à longueur de temps. Celle-ci, je la fume à la fenêtre. Au prix du service, fumer est autorisé, mais je ne tiens pas à ce que l’odeur de la fumée se propage tout de suite dans la chambre.
Je consulte rapidement l’écran de mon iPhone qui m’indique qu’il est l’heure de descendre au bar. Toujours un quart d’heure d’avance, ne jamais faire attendre une jolie femme. J’ai eu une éducation parfaitement orientée sur le fait qu’une femme se respecte, quelle qu’elle soit. Ils n’ignorent pas mes vagabondages mais me savent assez bien élevé pour ne pas outrepasser les limites de l’indécence.
Je commande un scotch au bar. Je bois beaucoup, je le sais, mais je contrôle, c’est tout ce que j’en retiens. Elle ne va pas tarder, elle n’est pas encore en retard. Quand bien même, ça n’est pas une chose à faire remarquer à une femme. D’ailleurs, en parlant du loup… elle vient d’entrer et d’un signe de tête, je lui fais comprendre que j’ai réservé une table. Je m’y dirige, et l’y retrouve. « Bonsoir. » Je me fends d’un baiser sur sa joue. Ce que j’apprécie chez elle, c’est son élégance, et à la fois, son impertinence. Je m’installe face à elle par la suite, et soupire, posant mon paquet de cigarette ainsi que mon briquet sur le côté de la table. « Qu’est-ce-qui te ferait plaisir ? » Le serveur nous apporte les cartes, dans laquelle je me plonge. Même si l’appétit n’a jamais été quelque-chose de proéminent chez moi.

Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes. Ni de rejoindre quelqu'un dans un hôtel, ni même un homme, d’ailleurs. Ces derniers temps, j’ai plutôt fréquenté des femmes, plus jeunes que moi. Jamie est carrément aux antipodes de cette description, mais pour autant, j’aime passer du temps avec lui. C’est quelqu’un d’attirant, pas nécessairement physiquement même s’il a ce charme indéniable, ce n’est pas forcément le genre de mec qui me plait normalement. Mais lui c’est différent, et le mystère qui l’entoure le rend d’autant plus charmant. Et puis, nos soirées me donnent parfois l’impression d’être quelqu’un d’autre, comme si je jouais un jeu de rôle, le temps d’une soirée, d’une nuit. J’oublie tout, tous mes tracas, pour être simplement cette femme que j’aurai sans doute beaucoup aimé être si je m’y autorisais. Un peu plus sophistiquée bien que toujours naturelle, charmeuse et qui admet qu’elle peut plaire. C’est grisant, malgré tout. Jamie me traite comme une femme, une vraie femme et c’est quelque chose qui m’a plu dès notre première soirée passée ensemble. Ce n’est pas quelque chose qui est voué à évoluer, c’est juste comme ça, comme un arrêt sur image, une pause dans nos vies, juste le temps de vivre autre chose, et reprendre le cours de nos existences, chacun de notre côté. J’ai enfilé une jolie robe élégante, et lorsque j’arrive au restaurant de l’hôtel, son regard sur moi me fait me sentir femme à nouveau. « Bonsoir. » Je lui souris et le laisse déposer un baiser sur ma joue alors que nous allons nous installer à une table. « Qu’est-ce-qui te ferait plaisir ? » me demande-t-il alors que je récupère la carte. « Ils font des pizza ici ? » Mutine, je laisse échapper un léger rire en voyant le regard du quadra par dessus la carte qu’il tient entre ses mains. « Je plaisante Jamie. J’ai envie de manger du poisson ce soir. » Je parcours les menus des yeux et termine mon choix sans tarder, reposant mon attention sur le père de famille en face de moi. Tout nous oppose et pourtant. Je me sens quelqu’un d’autre quand je suis avec lui.

Des histoires sans lendemain, c’est tout ce qui me préoccupe aujourd’hui, encore que préoccuper est un bien grand mot. Je rencontre quelques femmes, qui acceptent sans contester le fait que ça ne soit qu’éphémère, je dirais même que ça nous arrange autant l’un que l’autre. L’engagement est une chose que la société aujourd’hui induit comme trop important pour pouvoir le prendre à la légère, et comme il ne devient plus obligatoire aux yeux de tout le monde, on évite de s’y plonger trop vite. Pourtant, l’engagement, je connais. Eden m’en a fait prendre quelques-uns, Maé en est un au quotidien. Je ne regrette rien. Mais j’ai besoin de légèreté du côté sentimental à présent, les affaires me prennent un temps fou et il me faut décompresser. Pour autant, je ne conçois pas nécessairement l’échange sexuel comme une transaction. En tout cas pas ça ne convient pas à mes envies du moment. Je n’ai rien contre les échanges tarifés, sauf que je les trouve sans âmes, mécaniques, et j’aime partager, même quelques heures, avec une personne et une personnalité dont j’ignore tout au début et que je parviens à déceler ensuite. Comme un jeu. Un jeu qui m’amuse autant que l’acte sexuel.
Le but de cette soirée est on ne peut plus clair, mais ça n’exclu pas d’autre formes de plaisir. Des yeux, du goût, de l’intérêt qu’on pourrait porter à une certaine conversation, qui n’est pas censé nous marquer, mais juste être agréable. Les choses sont très claires avec McKenzie, et elle n’a pas plus envie que moi d’une vie à deux, l’un avec l’autre.
Nous obtenons une table et puis une carte, sur lequel le menu est écrit en fines lettres dorées et raffinées, comme le sont tous les plats de ce restaurant. « Ils font des pizza ici ? » Je lève un sourcil et mon regard par-dessus la carte. Un hôtel 5 étoiles et une pizza ? Pourquoi pas, après tout. Son côté mutin et femme-enfant me plaît, je ne peux le nier. Elle n’est pas typiquement mon style de femme mais n’en n’est pas moins belle pour autant.
Je l’observe rire, et se foutre de moi, elle a de l’humour, c’est une évidence. Et des qualités qu’elle cache, pour quelle raison je n’en sais rien, et ça ne me regarde pas. Mais j’ai presque décelé quelque-chose de particulier quand nous étions ensemble, cette capacité de se réinventer. Si je peux être son accès à une vie imaginaire, pourquoi pas ? « Je plaisante Jamie. J’ai envie de manger du poisson ce soir. » « Du poisson… » Je cherche la carte des poissons, non pas que je souhaite l’influencer ou lui conseiller quoi que ce soit, mais je veille à ce que sa carte soit sans prix, quand la mienne en comporte, tel est l’usage. Et j’ai des principes, l’invitation est pour moi. « Tu as le choix. » Du raffiné, du moins, de l’audacieux ans le mélange des goûts et des basiques. Quant à moi… « Moi aussi, finalement. Je prendrais du filet de turbo. » Reposant la carte. Prendre des décisions n’a jamais été un problème pour moi, d’un naturel déterminé, je ne me suis jamais encombré de savoir s’il fallait que je fasse le bon choix, juste en faire un. Il n’y a que pour ma fille que je me permets de douter de moi-même. « Les cours, comment ça se passe ? » Je sais qu’elle travaille plus ou moins en famille et que ses cours sont sont moyen de substitution, mais en dehors de ça… « Je ne te demande pas si tu as rencontré quelqu’un, puisque tu es là… » Une histoire qui marche, n’encourage pas à aller se perdre dans les draps d’un coup d’un soir, peu importe son statut où le souvenir qu’il laisse. Je crois en l’amour et je pense que quand on l’a trouvé, le reste est occulté.

J’aime voir son petit air déconcerté quand j’arrive à le surprendre. Ce n’est pas un homme qui montre beaucoup ses sentiments ou ressentis. Quand on ne cherche pas à voir un peu plus sous sa carapace, il n’apparaît que comme un homme froid et limite insensible. Au contraire, le mystère qu’il renferme me donne envie d’en savoir plus, comme un livre qu’on effeuille, qu’on découvre au fil des pages, qu’on apprend à apprécier même si le début semblait un peu rude. Je ne réfléchis pas à savoir réellement ce que je fais là. J’aurai pu refuser son invitation, mais je n’avais rien de mieux à faire, et il y a toujours cette petite excitation de réussir à le découvrir encore un petit peu plus. Je le regarde chercher la page des poissons, j’y suis déjà. Ses yeux détaillent les lignes et lorsqu’il relève les yeux vers moi, c’est mon regard qui esquive pour replonger dans la carte. Il fait son choix sans tarder. Le turbo ? C’est vraiment un poisson ça ? Etonnant. Je referme la carte et hoche la tête. « Je sais pas ce que c’est que le turbo, mais je te suis, je suis curieuse de découvrir ça. » La curiosité est un de mes traits de caractère les plus affirmés. C’est ce qui m’a permis de parcourir une grande partie du monde, à la recherche de tout un tas de choses, de moi-même aussi peut-être. Mais je ne me suis pas vraiment trouvée. Pas encore. « Les cours, comment ça se passe ? » demande-t-il sans grande conviction. Enfin c’est l’image qu’il renvoie, et moi ça me fait sourire. « Ça se passe. » On a fait plus constructif comme conversation. Alors je fais le choix de développer un peu. « J’ai pas vraiment le choix, pour le moment je suis là, plus tard je serai ailleurs, j’espère. J’aimerai vraiment repartir sur les routes, je me sens à l’étroit ici. »[/color] Sûrement parce que j’ai ma mère sur le dos, ou parce que les voyages me manquent, je l’ignore. « Je ne te demande pas si tu as rencontré quelqu’un, puisque tu es là… » Mon regard bloqué dans le sien, je sens mon coeur qui s’accélère un instant en pensant à une certaine Zoey. Je ne devrais pas, j’essaie de m’en persuader, mais mon esprit vagabonde, je ne parviens pas à l’en empêcher. « Je… » Quoi répondre à ça ? Oui, j’ai rencontré quelqu’un, une jeune femme qui n’est même pas majeure ? De toute manière, il ne se passe rien avec Zoey. Enfin rien qui ne soit qualifiable. « Non. Personne. » Je me racle un peu la gorge pour faire passer ce léger trouble. « Inutile de te renvoyer la question. » Je ris un peu pour me détendre et penche légèrement la tête sur le côté. « Ta fille va bien ? »

« Je sais pas ce que c’est que le turbo, mais je te suis, je suis curieuse de découvrir ça. » J’arque un sourire, le côté mutin et innocent de Kenzie m’a toujours fait sourire. Nous ne sommes pas amants d’un soir depuis très longtemps mais juste assez pour savoir quelques petites choses l’un sur l’autre, même si personnellement j’en sais beaucoup plus qu’elle n’en saura jamais sur moi. « Le turbo est un poisson noble, et difficile à cuisiner. D’où le fait que tu ne puisses le trouver que dans des établissements hauts de gamme. » Ce qui demande un savoir-faire, un apprentissage qui se respecte. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui travaillent de leurs mains, ce qui nécessite un talent particulier, et de la patience pour acquérir la technique. « Ça se passe. J’ai pas vraiment le choix, pour le moment je suis là, plus tard je serai ailleurs, j’espère. J’aimerai vraiment repartir sur les routes, je me sens à l’étroit ici. » « Alors à quoi bon engager des frais dans des études ? On en apprend bien plus sur la route… » Selon moi. Je n’ai pas fait de grandes études, ce que je voulais faire, moi, c’était ce qui me plaisait, et entreprendre. Aucune école pour m’apprendre comment le faire comme je le voulais. Alors l’esprit libre, j’ai préféré commencer tout seul, tomber, me planter et recommencer.
Je fais la conversation, même si au fond, ses réponses ont de l’intérêt pour moi. Cette situation n’est pas durable pour nous deux, c’est juste une parenthèse, pourquoi se la refuser ? « Je… Non. Personne. » Je lève encore une fois le regard vers elle, regard avec lequel elle joue, en permanence, elle le cache et y reviens. C’est son côté presque enfantin qui m’a aussi séduit, un jour où je lui ai proposé cordialement cet échange de bon procédé. « Et ce personne sait que non ? » Parler le sous-entendu, le demi-mot, est une seconde nature pour moi. La perspicacité est un peu la clé de mes affaires, si je ne savais pas qui m’entoure, et qui je croise, j’aurais dû mal à appréhender les changements et m’y adapter en conséquence, juste sur le bon timing. Ça fait partie de ma vie autant que de mon job. Et c’est comme ça que je fonctionne. Une longueur d’avance. « Inutile de te renvoyer la question. » « Non, je crois en la fidélité. » Et m’accorde le plaisir de quelques soirées interdites ou simplement pour le plaisir. Après tout, quel mal fais-je ? Aucun, à personne. Plutôt même du bien, à en croire les avis de chacune. Libre à Kenzie de refuser mes invitations, je ne m’en offusquerais même pas, je lui souhaite plutôt de trouver la bonne chaussure à son pied. Mais tant que ça n’est pas le cas, elle s’autorise le droit d’être libre, et je trouve ça plutôt novateur. Intéressant. Courageux même.
« Ta fille va bien ? » Le sujet de ma fille… je pourrais en parler durant des heures mais je reconnais que sur ce coup-là… « Elle a 14 ans, donc elle se fait d’un rien un tout. Et s’est entichée de sa prof de sport, de ce que j’en sais… donc elle a le cœur brisé. Mais ça va aller. Elle a un bon papa et des copines. Généralement c’est un truc qui suffit à soigner une petite rancœur. » Je commande du vin, le goûte et tends le verre à Kenzie pour qu’elle donne son avis. « Il te plaît ? » Après avoir obtenu son avis, je signale qu’on prendra la bouteille. « Tu repartirais où si tu en avais la possibilité ? » Mettons, là, tout de suite. Arrêtons de vivre dans la réalité, prenons le temps de rêver cette soirée. Jouer un rôle. On se fout de qui on est, on veut juste du bon temps, non ?