you're not alone anymore (yahana 1)

Voilà quelques semaines que Jalis, Naël et moi avons atterri sur les terres américaines. Mon ‘époux’ ne parle pas très bien anglais, voire pas du tout, alors que cette langue m’est si familière puisqu’elle est celle que je parle depuis ma naissance. J’essaie de lui apprendre quelques mots, quelques notions de base. Pour le moment, je me sens incapable de lui avouer que tout ça n’a été qu’une mascarade. Six ans de mensonge, six ans à lui cacher qui j’étais, à garder en moi l’amour que je portais - et que je porte encore - pour une autre personne. Une femme en plus de ça. J’ignore la manière dont il pourrait le prendre, je ne crains pas qu’il devienne violent, ni même qu’il tente de m’empêcher de voir notre fils. Je crains surtout de lui faire mal, je sais pourtant que je finirai par n’avoir plus le choix. Aujourd’hui, je profite d’un rendez-vous au tribunal pour laisser Naël avec son père, et je file droit en ville pour rejoindre le Planet, où j’ai cru comprendre qu’Oxhana passait un peu de temps. Je n’ai plus mis les pieds ici depuis si longtemps… J’ai passé quelques semaines à observer ma femme, la première fois que j’ai reposé les yeux sur elle, mon coeur a explosé dans ma poitrine, et je n’ai pas été capable de sortir de ma cachette. Je me suis contentée de l’observer, essayer de voir si elle était heureuse. Elle donnait l’impression de l’être, mais je la connais assez bien pour savoir que ce n’est pas réellement le cas. Ou en tout cas, je la connaissais. Peut-être qu’elle a trouvé quelqu’un, qu’elle est heureuse et épanouie. Cette simple idée me vrille les entrailles, je dois en avoir le coeur net. Je m’installe à une table, un peu en retrait et la serveuse vient me demander ce que je veux boire. Un thé, ce sera très bien. Les minutes défilent, les heures aussi d’ailleurs, je ne pouvais pas espérer qu’elle vienne ici juste au moment où j’y suis. Et en fait si. La voilà qui entre dans le bar et instinctivement je baisse la tête, même si je suis trop loin pour qu’elle fasse attention à moi. Mon coeur bat à une vitesse folle, jusqu’à m’en faire mal. Je ne sais même pas si je vais avoir le courage de faire quoi que ce soit, paralysée par la peur. Elle s’installe, elle n’est pas seule, je ne sais pas quoi faire. Machinalement, ma main vient tripoter l’alliance autour de mon cou, quand je me rends compte que l’autre est encore à mon doigt. Je m’empresse de la retirer, même s’il reste une marque, tant pis. Un soupir pour me donner confiance, enfin comme je peux, et je me lève, le pas mal assuré, m’approchant doucement de la table autour de laquelle elle est assise. La personne avec qui elle était s’est éclipsée un instant et je profite de ce temps de latence pour m’approcher encore, les mains moites et tremblantes. Je n’ai pas besoin de parler, elle relève les yeux vers moi et je suis sur le point de m’effondrer tant j’ai rêvé de cet instant depuis si longtemps..

le jours passent et ne se ressemblent pas. pas le moins du monde. mais ça me plait alors je ne vais pas m'en plaindre. ce matin je me suis occupée de mon bouquin, c'est toujours difficile au moment des détails. surtout lorsqu'il y a déjà douze tomes de sortis. je ne peux pas écrire la même chose, je dois faire en sorte de me renouveler. et même s'il s'agit de livres pour enfants, je ne peux pas faire les choses à la légère. puis ça fait quelques temps de toute façon que je me tiens occupée alors c'est devenu une habitude. si je ne fais rien je m'ennuie. je n'ai plus l'impression d'avoir une seule seconde de répit ni de détente réelle. d'ailleurs cet après-midi je vois mon éditrice. c'est pour ça que ce matin j'ai travaillé sur le livre, pas le choix, j'ai une dead line à tenir. même si je suis souvent en avance. et bien oui, j'ai du temps à combler alors... on se retrouve devant le planet, parce qu'on aime bien l'endroit toutes les deux, ça nous sort des bureaux et puis je suis plus en confiance lorsqu'il y a de l'animation autour de moi. elle le sait bien évidemment et c'est pour ça que c'est elle qui m'a proposé l'endroit. douze livres bientôt treize, ça peut créer des habitudes à force. " salut salut ! " de bonne humeur, ce sourire posé sur mes lèvres qui m'accompagne depuis longtemps. même quand ça ne va pas, le sourire est là. pour ne pas qu'on me pose de questions la plupart du temps, pour me persuader que tout va bien pour le reste. on se tutoie, on est presque devenues amies. elle sait tout de ma vie, peut être même plus que n'importe qui. du moins elle en sait plus que ma famille ça c'est certain. à l'inverse je ne connais pas grand chose d'elle, très secrète, ça fait plusieurs années que je tente de percer sa carapace. j'y arrive de plus en plus mais ça n'est pas encore parfait. c'est presque devenu un jeu entre nous. dès que j'ai terminé un chapitre ou un livre, j'en sais plus. comme une carotte. en plus du salaire mais c'est beaucoup moins amusant. on s'installe, on commande deux cafés et la rouquine s'échappe. un appel urgent pour ne pas changer. c'est qu'elle est occupée, je ne suis pas la seule cliente qu'elle a, je dois donc accepter de la partager. une silhouette s'approche de moi et pensant qu'il s'agit de la serveuse, je ne relève pas de suite le regard. non, ce dernier est sur le téléphone que je tiens dans mes mains, jusqu'à ce que je tique quand même. ça fait long juste pour un café. distraitement je jette un coup d'oeil. " oui ? " ce genre de coup d'oeil comme dans les dessins animés, qu'on lance à la volée puis qu'on réalise que ce qu'on a vu est quelque peu étrange et qu'on revient dessus. bah voilà. je lève les yeux, les repose sur mon téléphone avant de remonter mon regard sur ce visage sans trop comprendre ce qu'il se passe. j'ai la bouche grande ouverte, j'entends à peine le son de mon téléphone qui s'écrase sur la table à cause du coeur qui s'est mis à palpiter bien plus fort, notamment dans mes oreilles. " mina ? " deux syllabes qui peine à sortir de ma gorge, à peine audibles alors que les larmes roulent sur mes joues. joie, tristesse, surprise, angoisse, peur, j'en sais rien, je n'ai aucune idée de leur signification. tout ce que je sais c'est que là, à côté de moi il y a ma femme. je finis par me lever dans une lenteur sans nom, sans la quitter du regard de peur qu'elle disparaisse de nouveau. mon bras se déplie pour atteindre son visage, sa peau que je sens sous mes doigts. quelques secondes encore avant que je tombe dans ses bras et ne serre son corps contre le mien. j'ai un milliard de questions qui me traversent l'esprit et je n'ai aucune idée de par où commencer. " t'es vivante... " ça, c'est une certitude maintenant que son odeur me chatouille les narines. quelques notes qui ont changé mais je la retrouve bien malgré tout.

Mes mains sont moites, elles tremblent. Je serre les poings légèrement et détends mes doigts en espérant que le tremblement finisse par s’arrêter. En vain. J’arrive à son niveau, je suis incapable de parler, de dire ou faire quoi que ce soit. Mon regard s’attarde sur quelques détails, la longueur de ses cheveux, la délicatesse de ses doigts qui pianotent sur ce téléphone duquel elle ne lève pas encore les yeux. Et puis finalement si, elle relève le regard, une fraction de seconde, juste assez pour sentir mes jambes cotonneuses. Il lui faut un léger temps de latence avant de prendre conscience, et relever à nouveau les yeux sur moi. Mon regard est voilé par l’émotion, la peur, l’angoisse de l’inconnu, et le plaisir intense de la revoir enfin. J’ai rêvé de ce moment si longtemps. « mina ? » Jamais je n’aurai cru pouvoir entendre à nouveau ces quatre petites lettres aux sonorités infiniment douces. La seule qui m’ait jamais appelée comme ça, la seule qui en ait eu le droit. Je tente un sourire, mais voyant les larmes perler sur ses joues, je sens les miennes qui menacent de couler. Je n’ai plus pleuré depuis le jour de mon départ, le jour où je lui ai dit au-revoir, la peur au ventre qu’il s’agisse d’un adieu. Mais je suis là, et la main qu’elle pose sur ma joue me fait fermer les yeux plus longuement, donnant la permission à mes larmes de s’échapper finalement. Et enfin, enfin son corps se presse contre le mien, mes bras l’entourent d’une infinie tendresse, retrouvant tout l’amour qui m’avait toujours animé pour elle. « t'es vivante… » Je souris, mon nez enfouis dans se cheveux qui ont toujours la même odeur. Je me serre un peu plus contre elle, prenant une grande inspiration pour m’imprégner de son odeur, de sa présence. « Je suis de retour… je suis là. » Peut-être pas tout à fait comme elle le voudrait, il y a encore des choses à régler, mais mon amour n’a pas changé, il est toujours aussi puissant, je m’en rends compte à présent. J’ai peur d’apprendre qu’elle a rencontré quelqu’un, je ne pourrai même pas lui en vouloir. Comment pourrais-je ? Je m’éloigne juste assez pour la regarder, je passe ma main sur sa joue tendrement, décalant les mèches de ses cheveux qui ont collé sur ses joues avec les larmes. « T’es encore plus belle qu’avant, je pensais pas que ce serait possible… » Je souris plus largement, sentant mon coeur battre si fort dans ma poitrine, une sensation que j’avais presque oubliée…