Tell me the truth

J’ai eu une journée éreintante au boulot. Disons que ça aurait été moins difficile si mon propre cerveau ne me prenait pas une énergie folle ces derniers temps. Depuis que j’ai rencontré Spencer, j’ai le sentiment de tout remettre en question. Ma vie, mes choix, mes envies les plus profondes. Je ne regrette pas mon choix d’avoir ‘sauvé’ Tamara, d’avoir pu l’aider à rester sur le territoire américain, de participer à lui offrir une vie que je pense convenable, confortable. Pourtant, il me manque quelque chose et j’ai eu l’impression de combler ce manque les deux seules fois où j’étais avec Spencer. La troisième ne compte pas puisqu’elle a fini par apprendre la supercherie. Mon mariage, que j’ai continué de défendre bec et ongle. Il n’est pas question que je me retrouve en prison, que mon fils soit livré à son père. J’adore Elijah c’est mon meilleur ami, mais il n’a pas élevé Ugo et je ne peux imaginer les laisser tous les deux, surtout vu la vie que mène le père de mon fils ces derniers temps.

Tracassée, épuisée, je rentre à la maison assez tard ce soir, comme souvent ces derniers temps. Je culpabilise vis à vis de mon fils, mais aussi de Tamara que je laisse tout faire. C’était un peu le prix à payer pour elle aussi, avoir une vie de femme au foyer, presque même mère au foyer. Mais ça lui laisse aussi le temps de reprendre ses études de droit si elle en ressent l’envie, puisqu’Ugo est à l’école la journée. Je lui en ai laissé l’opportunité, à elle de la saisir si elle en a envie. La maison est calme, je me déchausse, pose mon sac et accroche ma veste dans un long soupir de satisfaction. Ces chaussures neuves m’ont flingué la voute plantaire toute la journée. Je file droit dans la cuisine pour sortir du frigo la bouteille d’eau pétillante et m’en sert un verre lorsque j’entends une voix derrière moi. « Mia, quelque chose ne va pas ? »[/color] Je me tourne alors vers l’auteure de cette voix qui ne peut être autre que celle de ma fausse épouse. Je bois une gorgée de mon verre et lui offre un léger sourire. « Journée fatigante, mais tout va bien. Pourquoi cette question ? » Je penche la tête sur le côté, dubitative quant à sa manière de me poser cette question. Ai-je quelque chose à me reprocher ?

J’ignore ce que compte me reprocher Tamara mais je le sens venir gros comme une maison.Je connais son regard. Je la connais, tout simplement. J’aurai pu me contenter de l’aider, ne pas chercher à la connaître, savoir qui elle était, mais ça a été plus fort que moi. Et aujourd’hui, je sais que quelque chose la tracasse, à cause de moi, à n’en pas douter. « Tu sembles plus stressée qu’à ton habitude depuis un certain moment, je me suis dit que peut être quelque chose n’allait pas ? » Je laisse un très léger soupir s’extirper d’entre mes lèvres, inaudible. Juste pour moi. Et avant que je n’ai le temps de dire quoi que ce soit, Tamara enchérit. « Est-ce que cela a un rapport avec nous ? » Nous ? Pourquoi ce terme me semble à la fois si naturel et si peu réaliste ? Je glisse lentement ma main dans mes cheveux ébène, les rabattant en arrière pour me laisser un temps de réflexion quant à la réponse. « Je… non. Enfin, pas directement. » Je secoue un peu la tête, je m’en veux de devoir lui parler de ça, alors que j’aurai préféré sans doute terrer cette histoire au fond de moi. « C’est juste que… ces derniers temps, j’ai un peu de mal à tout gérer, je sais pas pourquoi. J’ai l’impression d’être scrutée tout le temps, à chaque mouvement que je fais, j’ai peur de tout foutre en l’air… » Et je veux surtout pas tout foutre en l’air, parce qu’il n’y a pas que sa vie ici en jeu, il y a aussi la mienne, et celle d’Ugo. Si quelqu’un apprend que notre mariage n’est qu’une supercherie, je risque la prison, et je ne veux surtout pas qu’Ugo aille vive avec son père. J’adore Elijah mais je ne lui confierai pas la garde exclusive de notre fils, même si je n’ai pas le choix. Je veux l’avoir, ce choix. « J’ai l’impression de me sentir dans une cage. J’adore vivre avec toi, c’est pas le problème, c’est pas toi le problème Tam, c’est juste moi… »

Je sens bien que Tamara se sent mal dans cette situation, parce que je suis différente depuis ma rencontre avec Spencer, et plus encore depuis que j’ai découvert qui elle était, son métier, son dossier… Mais je dois absolument passer à autre chose, pour le bien de tous. Il n’est pas question que je foute tout en l’air, alors que j’ai quasiment tout donné depuis tout ce temps pour protéger la blonde en face de moi. Parfois je me demande ce qu’aurait été ma vie si je lavais laissée repartir dans son pays comme elle aurait dû. Mais je me dis toujours que je n’aurai pas pu me regarder dans un miroir. Au lieu de ça, je me sens enfermée dans une vie que je n’ai choisie qu’à moitié, et ça me semble de plus en plus difficile lorsque je sens les murs se refermer autour de moi. « Parles en moi Mia. Raconte-moi ce qui se passe. Qu’est ce qui t’étouffe autant pour que tu ne veuilles pas le partager. » Une boule se forme dans ma gorge, j’ai d’un côté envie de me livrer à elle, et de l’autre j’ai peur, peur d’être jugée, peur de la blesser, peur encore une fois de ne plus rien contrôler. Elle s’approche, je la laisse faire, glisse même mes doigts le long de son bras tendrement. « Si cela nous concerne, alors il faut que tu m’en parles. Tu ne peux pas garder tout ça pour toi seule. Je ne peux pas te laisser porter seule ce fardeau alors que je suis concernée aussi. » Je peine à la regarder dans les yeux, j’ai peut-être un peu honte aussi. « C’est rien. Je suis épuisée, j’ai des pensées pas très claires en ce moment, mais ça va passer. » Je m’en convaincs comme je peux tout en disant ces paroles à voix haute. Mais je crois que ça ne suffit pas à convaincre Tamara qui ne me lâche pas des yeux. « Et si on pensait à autre chose hein ? » Je glisse cette fois ma main dans son cou, lui offrant un léger sourire, cherchant à changer de sujet, d’atmosphère. Je tente le tout pour le tout, tout ça pour échapper à mes responsabilités. Je m’approche alors d’elle, réduisant la distance entre nos lèvres, et lui offre un baiser, tendre. Je sais que je ne devrais pas, parce que mes pensées sont ailleurs, parce que mes envies sont autres, parce que nous ne sommes pas vraiment un couple. Mais j’ai juste envie de penser à autre chose. Juste un peu.