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Cela avait toujours été son truc. Chulhei aimait les gosses fêtes. En Corée, malgré son âge, il s'était souvent retrouvé embrigadé dans de grandes soirées un peu folle. Soit chez des amis, soit à l'extérieur. Mais il se sentait bien dans cette atmosphère encombrante, chaude et humide. Il s'amusait, ce délectant de toutes ses sensations que la vie quotidienne ne pouvait lui procurer. Quoi que maintenant, le contact doux de la peau de Ren sur la sienne lui faisait voir plus de couleurs que l'alcool ne l'avait fait. Pourtant, le coréen s'était de nouveau retrouvé dans ce night club qu'il fréquentait avec ses camarades de cours. C'était un peu un rituel, comme pour se rapprocher les un des autres. Malgré tous ses mois à leur côté, ils avaient besoin de se retrouver, seulement eux, et pas durant les cours. Une bande d'idiots en somme. Ce même night club où il avait rencontré un mec dont le nom actuel ne lui revenait pas. Ça commençait par un « D ». Mais sans plus. Attendez… Il y avait une double sonorité de cette consonne. Enfin, bref. Jae Won n'était pas venu, Kang-Dae n'était pas intéressé par ces soirées et or de question d'amener le Yamazaki dans ce genre d'endroit. Alors le Yun se retrouvait en tant que seul coréen dans ce petit groupe hétéroclite. Heureusement que sa sociabilité battait des records.

Un, deux, trois verres. Peut-être un peu plus. Il ne s'en souvenait pas vraiment, alors que la musique lui déchirait les oreilles. Il s'était mis à déblatérer des paroles sans queue ni tête, ne sachant même plus s'il parlait anglais ou coréen. Ses amis avaient ri, l'avaient poussé sur la piste de danse pour qu'il se taise. Ce qui avait marché. La danse, c'est une passion. C'est son échappatoire. C'est aussi son cran de sûreté. Parce que sans ça, il serait tombé bien bas. Alors qu'il se défoulait comme l'hyperactif qu'il est, on lui chuchota à l'oreille. Il ne comprit rien, regardant, un peu interloqué, la jeune femme qui tentait de communiquer avec lui. Si elle croyait réellement qu'avec toutes ses basses qui résonnaient dans sa tête, elle pourrait lui faire par de ses pensées, elle allait rapidement déchanter. En temps normal, Chul n'écoutait pas grand-chose. Mais alors là, son attention était attirée par trop de choses, pour réellement se concentrer sur une personne qui ne l'intéressait même pas. Il lui fit un petit signe de main avant de s'éloigner, titubant entre les corps qui remuaient sans aucune logique. Ou alors, elle lui échappait totalement, cette logique. Il retrouva ses amis, tous plus ou moins à l'horizontale sur le sofa qu'ils ont adopté. Il se posa dessus, cherchant des yeux son verre abandonné quelque part. Ils ne font aucun problème, ils rigolent juste un peu fort et se bousculent. Mais rien de bien méchant. Enfin, c'est ce que perçoit Chul au travers de sa vision légèrement détériorée. Rien de bien terrible.

Soudain, il se releva, faisant chuter le garçon qui s'était avachis contre lui. Le coréen s'excusa rapidement dans sa langue avant de mettre sa veste qu'il avait récupérée au passage. De l'air. Il lui fallait de l'air frais. De quoi s'oxygéner. Il traversa la foule. Kamil lui tapota l'épaule alors qu'il passait à son niveau, près du bar. Kamil, c'est le SAM du groupe comme on dit. Il ne boit jamais lorsqu'ils sortent ainsi. Il se dope au jus d'oranges ou aux cocktails non-alcoolisés. Lorsque Chulhei lui avait demandé pourquoi, un jour qu'ils rentraient tous les deux, il lui avait simplement dit : « si je buvais, qui vous ramènerez ? ». Tout le reste du trajet, le Yun avait médité sur la question. Le métis était quelqu'un de confiance. Alors ce petit coup sur l'épaule était là pour lui dire deux choses. De l'une, il le surveillait. De l'autre, il était là s'il avait besoin d'aide. Ce à quoi le coréen répondit par son habituel sourire avant de lever les deux pouces en l'air. Il n'y a aucun problème !

La porte s'ouvrit devant lui et enfin, le vent lui ébouriffa les cheveux. Il sourit, encore, fermant un instant les yeux pour profiter de cette sensation de fraîcheur. Le contact entre le froid extérieur de la nuit de Los Angeles et son corps brûlant le fit frissonner. Un frisson assez puissant pour qu'il replie les bras autour de lui-même. Et il éternua. Soit quelqu'un parlait de lui, soit il avait attrapé froid. Une odeur de cigarette vint titiller ses narines devenues sensibles. Une silhouette mélancolique non-loin de lui, la tête tournée vers le ciel fumait. Chulhei fronça le nez. Pas que l'odeur le dérangeait particulièrement. À vrai dire, il s'en fichait bien. Mais ce fut plutôt le visage de l'individu qui l'attira à ce dernier. Il l'avait déjà vu. Mais où ? Là était la question. Un peu trop embrouillé, il se mit à parler.

« Hé ! l'interpella-t-il en coréen. Tu sais que regarder les nuages avec cet air de poète perdu ne rendra pas les étoiles plus brillantes ! On les voit même pas ! »

Il tourna aussi la tête vers le ciel noir. La pollution lumineuse, plus le fait qu'ils se trouvaient en ville – tout était lié, bien évidemment, mais son cerveau coupait les bouts dans le mauvais sens – rendait la vision des astres impossibles. Seule la Lune, triomphante de gloire, était visible. Sans même s'en rendre compte, il s'était rapproché de l'inconnu. Son regard retomba sur lui alors qu'il lui répondait. Ah ! Donc, il n'avait rien entendu. Très bien. Pas de problème ! De toute façon, Chulhei le savait lui-même, le nombre de bêtises qu'il pouvait sortir à la minute était formidable. Alors que cet homme ne l'eût pas entendu ne l'affecta pas vraiment. Le début des paroles que l'autre prononça, Chul ne le comprit pas. Jusqu'à que ce que sa langue natale déborde sur celle de son, désormais, colocataire de trottoir. Il lui sourit, hochant la tête.

« Ouais ! Yun Chulhei ! Enchanté ! »

Sa vieille habitude de mettre son nom de famille en premier ne l'interpella même pas. Lorsque ses neurones, déjà peu connectés dans la vie quotidienne, étaient endommagés par des perturbateurs extérieurs, il ne fallait pas lui demander les coutumes étranges de ce pays anglophone. Soudain, ses yeux se plissèrent. Il approcha son visage de celui de l'inconnu. Qui ne lui sembla tout d'un coup, plus si inconnu. Des flashs de pensées, souvenirs un peu éparpillés durant les heures sombres de ses nuits, lui revinrent. Ses pupilles s'illuminèrent alors qu'il arrivait à remettre un pseudo-nom sur cette tête. Il s'écarta alors de lui, laissant l'espace personnel de son vis-à-vis reprendre le dessus. Chul et les contactes physiques, c'était une histoire d'amour qu'il savait garder pour lui. Même s'il mourait toujours d'envie de faire des câlins à tout le monde. Enfin, surtout une personne. Qui devait, d'ailleurs, faire une insomnie quelque part dans son appartement, à ressasser ses idées noires ou à peindre. Bref ! Là n'est pas la question !

« Je te reconnais ! s'exclama-t-il en le pointant du doigt, toute trace de politesse envolée. T'es le barman canon ! »

Plus qu'un nom, c'était une profession qu'il avait réussie à placer sur ce regard en amande. Jolis yeux d'ailleurs. Durant quelques secondes, il se félicita intérieurement de cette prouesse d'observation. Et puis son esprit reparti dans les limbes de ses pensées. Comme par exemple, d'une manière toute bête et aléatoire, il se rappela que, très récemment, il avait appris que les pingouins avaient des genoux.

C’est connu. Les pays asiatiques sont souvent vu armés d’une culture de la politesse imparable. Ce qui est vrai. Pour 99,9% de la population. Chulhei échappait déjà cette règle lorsqu’il était plus jeune. Il était le 0,1% restant. Mais on ne lui en tenait jamais beaucoup rigueur. « Quoi ? Ce petit excité ne s’est pas penché pour te saluer mais  à préféré te sourire ? Hé bien, profite de ce sourire au lieu de te plaindre. » Sa mère le répétait souvent aux autres femmes qui accompagnaient leurs enfants à la garderie. Une belle jeune qui osait approuver ce manque certain de bon comportement ? Quel honte ! Si on rajoutait à cela qu’elle était maman célibataire. A croire qu’elle manquait à tous ces principes. Pourtant, Chulhei fut un enfant heureux, épanouis dans sa vie de bambin actif. Ce même bébé qui se retrouvait maintenant sur le trottoir d’une ville lumineuse, un brin éméché, et tentant de faire la discussion avec un autre garçon, qui lui, fume. Qui l’aurait cru ? Tout le monde. Chulhei est intenable.

La réaction du barman le fit rire un peu plus. Il semblait gêné. Au vu de ses toussotements et du rouge qui s’étalaient sur ses joues, il n’y avait même pas à débattre. Ce petit commentaire avait eu son effet. Un amusement certains encore dans les pupilles, le Yun garda son sourire lorsque l’autre tenta de se reprendre, le réprimandant sur son comportement. Cela l’amusa d’autant plus. Chul ne se vexait pas facilement et ce petit remontage de bretelle était plus une manière de se recomposer un masque de confiance au blond décoloré face à lui. Alors, il haussa les épaules pour seules réponse. Insolent en plus de cela. Qu’allons-nous faire de lui ? Pas grand-chose… Son bras retomba le long de son corps après la légère tape qu’il reçut, ses yeux détaillant la silhouette de sa rencontre de la soirée. Il adoptait une position décontracté, sa cigarette se consumant doucement entre ses doigts. L’odeur de nicotine était rapidement balayée par le vent frais de la nuit. Pourtant, cela n’échappait pas vraiment aux narines du danseur. Il n’était pas dérangé. Il ne se permettrait jamais de commenter sur quelque chose qu’il n’a pas testé. Une logique bien à lui.

Park Yu Jin. Eugene. Chulhei plissa des yeux, fronçant son nez par la même occasion. Alors… Il allait devoir faire la distinction entre deux choses. Yu, première partie de son prénom. Jin, deuxième partie. Eugene, version américaine. Park, nom de famille. Information assimilée. Ensuite, choix. Le brun porta l’une de ses mains à son menton, ce n’était pas à réfléchir sur l’appellation qu’il lui allait donner. « Barman canon » était ce qu’il lui semblait le plus proche de ce visage. Mais il fallait trancher. Et bien sûr, il ne pouvait pas laisser cela au hasard. Comment les gens l’appelaient en général ? Eugene sans doute. C’était le plus proche simple pour les habitants de la ville des anges. Alors, bien sûr, il élimina cette option. Yu… Ou Jin… Yu. Jin. Yu. Jin. Une idée fleurie dans son esprit avant même qu’il n’arrive à comprendre qu’il réfléchissait à cette idée. Tout sourire, il s’exclama :

« Très bien ! Alors va pour Yu Jin ! »

Aucune des options proposées n’était celle-là. Alors Chul avait littéralement voté à l’unanimité dans sa tête pour cela. Oui, il avait un petit conseil de lui-même qui prenait les décisions de sa vie. Parfois. Lorsqu’ils se réveillaient à temps pour pouvoir débattre, argumenter, peser le pour et le contre pour finalement voter. Et bien sûr, tout cela devait se passer avant que Chulhei ne fasse l’action. Réfléchir avant d’agir ? Un concept bien étrange. Evidemment, ses lèvres sont toujours aussi étirées, ses fossettes apparentes. Elles ont fait craquer beaucoup de monde, ses deux petites crevasses sur ses joues. Et il n’en est pas peu fier. Ce sourire est une marque de fabrique de la famille Yun. Sa mère l’a, sa petite sœur aussi. Sa désagréable tante, son abominable grand-père. C’est toujours un plaisir de se rappeler qu’ils partagent aussi cet ADN. Enfin tout ça pour arriver au fait que maintenant, qu’il le veuille ou non, Eugene s’appellera Yu Jin pour Chulhei.

Yu Jin se racla la gorge avant de reprendre, dérivant le sujet sur ses amis. Parlait-il de Jae Won et de Kang-Dae ? Il était quasiment sûr que n’avoir jamais ramené Ren ici. Ce n’était pas le style du japonais, lui qui détestait les grandes fêtes à sensation comme celle-ci. Déjà que le simple anniversaire de Chul avait faillit terminer en bataille de « qui embrassera le plus de monde en une soirée » entre les deux autres coréens et en « ne me quitte pas » avec Ren. Là, ils l’auraient perdu en deux secondes et Ren aurait fait une crise de nerfs, les ramenant chez eux en les tirants par les oreilles. Bref, Yu Jin devait avoir fait allusion aux deux autres danseurs.

« Ah ! Eux ? Jae avait pas envie de venir et Kang le suit la plupart du temps, donc bon ! expliqua-t-il. Je finis alone ! »

Un nouveau rire lui échappa. Il n’était pas vraiment « alone ». Ses amis du cours de danses lui tenaient bien compagnie. Et puis, Kamil était toujours la compagnie qu’il lui fallait pour ce soir à vrai dire. Partenaires de soirée dès le début. Nouveaux camarades de cours. Aide non-négociable pour sa sociabilité débordante. Quoi que, maintenant, il se trouvait à discuter tranquillement avec Yu, ce qui représentait aussi une bonne compagnie. Il l’aimait déjà bien, même si moins de trente minutes, c’était écoulé entre le moment où Chul l’avait abordé et celui où il parlait tranquillement de ses potes. Potes, qu’il espérait, n’ont pas profité de son absence pour franchir la barrière sacrée du canapé interdit à toutes liaisons charnelles. Il faisait confiance à son meilleur ami, colocataire et partiellement professeur d’anglais pour avoir respecter cette règle. Sinon, il ne donnait pas cher de son kigurumi pikachu. Son attention se reporta alors sur le barman. L’alcool ne l’aidait pas vraiment à tenir le fils de cette conversation. Même s’il arrivait encore à déterminer à peu près un sens à tout ce méli-mélo qu’interpréter son cerveau. Puis il demanda, tout innocent :

« Ça fait longtemps que tu bosses ici ? Et dis-moi, tu parles super bien coréen ! Ça fait du bien d’entendre sa langue natale ici ! »

Il était heureux de parler ainsi avec lui, comme ça. En espérant que la nuit continue encore un peu pour eux deux. Le temps que Chulhei en profite encore un peu.