les raisins de la colère. (fred)

J’attrape la grosse boîte de beignets sur la baquette arrière de ma voiture et claque la portière d’un coup de hanche. Sifflotant gaiement, et après m’être assurée que mon véhicule était verrouillé, je sautille joyeusement jusqu’à la porte du loft de Fred. Je savais qu’elle était en pleine séance de travail avec ma sœur cadette Joanna et comme j’avais l’impression de ne plus avoir l’occasion de les voir toutes les deux, j’avais profité de fermer la galerie un peu plus tôt pour passer à la boulangerie d’à côté, acheter une tonne de beignets et les amener pour leur offrir une petite pause bien méritée. Dans le même temps, je faisais d’une pierre deux coups et avais alors l’occasion de les voir toutes les deux et de passer un peu de temps en leur compagnie. Forte de ma décision et impatiente à l’idée de voir deux de mes personnes préférées au monde, je toque vivement à la porte. « Livraison de beignets pour les grandes travailleuses ! je lâche à tue-tête en souriant et me dandinant d’un pied sur l’autre. » Je me retiens très fort de ne pas continuer à toquer jusque qu’on m’ouvre enfin.

Quand la porte laisse entrevoir le visage comme un soleil de ma meilleure amie Fred, je lève la boîte juste à hauteur de ses yeux et répète, riant à moitié : « Des beignets ? On dit toujours après l’effort, le réconfort ! » Je continue de rire avant de claquer un baiser sur la joue de Fred. « J’espère que je ne tombe pas trop mal, je me suis dit que Jo et toi auriez bien besoin d’une pause dans le travail, lâché-je tout en pénétrant dans le loft. Et quoi de mieux que des pâtisseries pour ça ? » Mais alors que mon regard balaye la pièce, je ne vois nulle part ma jeune sœur. Fronçant les sourcils, je me retourne vers mon amie. « Jo n’était pas censée travailler avec toi, aujourd’hui ? Je pensais la trouver là… » Je me sens un peu déçue. Surtout inquiète. Ou bien je m’étais trompée et étais tombée un jour où Fred était simplement de repos. Mais plutôt que de m’appesantir sur les sentiments négatifs qui envahissent ma poitrine, je retrouve mon sourire et continue avec joie : « Tant pis pour elle, ça nous fera plus de beignets pour toutes seules ! » Je rigole à nouveau, ma bonne humeur retrouvée.

c'est le moment détente. entièrement, complètement. détente. journée off au boulot, journée off pour les révisions de joanna, tout est parfait. après avoir pris un bain autant reposant que revigorant, je me sèche, mets de la crème dans mes cheveux et les tresse. le désavantage d'avoir les cheveux comme les miens c'est le temps d'entretien qu'il faut pour qu'ils soient disciplinés. on s'en rend pas compte, mais faut du temps. et des journées de repos. donc les tresses en attendant que le produit pénètre c'est parfait. ce que je n'avais pas prévu en revanche c'est qu'on vienne me déranger. j'enfile rapidement un jean et un tee shirt à l'effigie d'un groupe de rock quelconque avant d'entendre à la porte une voix. " livraison de beignets pour les grandes travailleuses ! " okay donc je ne suis pas forcément à prendre soin de mon apparence ou quoi mais pour le coup qu'elle me voit comme ça ça m'fait bizarre. winnie bien évidemment. même si depuis le temps elle m'a vu dans toutes les positions possibles et inimaginable au fil des années. enfin bref, elle est là. " euh ? " et j'comprends pas trop d'ailleurs. et mon air étonné se voit au moment où j'ouvre la porte. " des beignets ? on dit toujours après l’effort, le réconfort ! " donc la dessus je suis d'accord. j'accepte aussi le baiser sur la joue qu'elle m'offre. " j’espère que je ne tombe pas trop mal, je me suis dit que jo et toi auriez bien besoin d’une pause dans le travail. et quoi de mieux que des pâtisseries pour ça ? " je suis tellement crevée et déboussolée que j'ai du mal à comprendre ce qu'elle dit. j'ai juste entendu pâtisseries et beignets et ça ça me plait. sauf qu'elle est beaucoup trop rapide pour moi, parlant de nouveau. " jo n’était pas censée travailler avec toi, aujourd’hui ? je pensais la trouver là… " je tourne la tête de gauche à droite. " non c'est... " " tant pis pour elle, ça nous fera plus de beignets pour toutes seules ! " comment fait elle pour être toujours autant.... elle. ça pourrait me fatiguer si ça ne m'amusait pas. " bon alors bonjour winnie, oui je vais bien et toi ? non jo n'est pas là c'est journée off pour toutes les deux par contre j'ai bien envie de beignets. " je croise les bras et la regarde d'un sourire amusé avant de lever les yeux au ciel. " t'es pas croyable... et j'ai faim. "

J’aime beaucoup la tête que fait Fred lorsqu’elle m’aperçoit sur le pas de sa porte. Elle a ce petit air perdu, avec ses sourcils haussés et ses pupilles dilatées. Elle a un air de chaton et j’ai presque envie de passer ma main dans ses cheveux pour lui dire que tout va bien se passer. Mais Fred s’est fait des tresses et elle est super jolie comme ça alors je ne veux pas la décoiffer. Elle a dû mettre un temps fou pour discipliner ses mèches bouclées. Moi, je les aime bien quand elles volent un peu partout, quand elles sont en désordre et qu’elles n’en font qu’à leur tête. Je ne me lasserai jamais de l’observer sous toute la couture, parce que Fred est très belle. Et parce que je suis admirative de tout ce que fait, tout ce que représente la jeune femme. Je me sens privilégiée de l’avoir dans ma vie. Je ne peux alors m’empêcher de rire face à sa trogne, le regard tendre. Je sais que je suis très difficile à gérer, Vincent me le répète souvent surtout lorsque je suis comme une pile électrique – mais Fred, elle, ne s’en est jamais plaint. « Tu as l’air d’un poisson hors de l’eau, ma surprise fait son petit effet, ris-je de bon cœur, fière de mon coup. »

Pourtant, il manque ma sœur et je m’en inquiète un instant. Fred m’apprend alors que c’était leur journée de repos à toutes les deux et je me sens un peu bête de ne pas avoir vérifié ça avant. J’ai débarqué comme ça, sans m’annoncer alors que ma meilleure amie avait peut-être envie de rester tranquille, sans avoir la tornade que je suis entre les pattes. Mais son sourire chaleureux et son air amusé me prouve rapidement le contraire alors je hausse les épaules et tend les beignets. « Alors mangeons des beignets ! je m’exclame, pleine de joie. Moi aussi j’ai faim ! » J’avais tout le temps faim, en réalité. Je pouvais manger à n’importe quelle heure de la journée et de la nuit. Je pouvais même me lever, alors que la lune est encore haute dans le ciel, et de me préparer un repas complet juste parce que mon ventre m’avait réveillée. « Et puis, je ne dis jamais non à un petit moment seule avec toi, ma Fred, je souris, m’empêchant avec difficulté de venir la serrer encore et encore dans mes bras. Alors, comment ça se passe avec Jo ? Elle n’est pas une élève trop difficile ? Vous arrivez à bien travailler toutes les deux ? je demande avec curiosité et intérêt. Je ne te remercierai jamais assez de ce que tu fais pour elle, c’est vraiment adorable de ta part. » Je viens prendre sa main pour la serrer dans la mienne en signe de reconnaissance. « Pas que ça m’étonne, tu es adorable tout court alors… » Et je ris une nouvelle fois, l’esprit léger.

" tu as l’air d’un poisson hors de l’eau, ma surprise fait son petit effet. " c'est le moins que l'on puisse dire. elle m'a surprise en effet. je ne m'attendais pas à la voir débarquer. ma tête en dit long d'ailleurs. pas mon visage mais mes cheveux. je sais que winnie m'a vu dans toutes les situations possibles et inimaginables mais c'est toujours dérangeant quand la personne sur qui on craque depuis presque deux décennies nous voit dans cet état. pas à notre avantage surtout. enfin.. c'est pas grave. j'ai décidé de me désintoxiqué d'elle. j'y arrive. je crois. quand elle n'est pas là. c'est déjà un progrès et je dois être fière de ça. on tente de se consoler et de se rassurer comme on peut. je la laisse entrer et je lui explique un peu la situation. enfin quand elle me laisse en placer une bien sur. elle est arrivée comme un bourrin mais bon, c'est winnie. on s'y fait avec le temps. un poil lunatique mais elle ne fait rien par méchanceté ni par dédain. je suis contente de la voir, quoiqu'il arrive. " alors mangeons des beignets ! moi aussi j’ai faim ! " nous voilà d'accord sur une chose au moins. " parfait ! " donc des beignets. c'est bon les beignets. qui n'aime pas les beignets. " et puis, je ne dis jamais non à un petit moment seule avec toi, ma fred. " je lève les yeux au ciel tout en souriant. je sais qu'elle est sincère mais le dire comme ça ça fait très mélodramatique. enfin j'en sais rien. j'sais plus trop avec elle. " alors, comment ça se passe avec Jo ? elle n’est pas une élève trop difficile ? vous arrivez à bien travailler toutes les deux ? je ne te remercierai jamais assez de ce que tu fais pour elle, c’est vraiment adorable de ta part. " je hausse les épaules. ça va mieux entre nous c'est indéniable. en même temps vu de là où on partait, ce n'était pas bien compliqué faut l'avouer. elle s'approche de moi et m'attrape la main. " pas que ça m’étonne, tu es adorable tout court alors…  " et je sens mon coeur qui s'emballe. elle est... perturbante. et pour moi encore pire. elle ne se rend pas compte de ce qu'elle fait. de ce qu'elle me fait. elle ne s'en ait jamais rendu compte. me détachant d'elle dans un sourire que je tente le plus naturel possible, je me dirige vers la cuisine. " ça se passe bien. on a parfois du mal à être sur la même longueur d'ondes mais bon c'est ça de vivre avec quelqu'un h24. sinon pour le boulot c'est une battante, elle s'accroche vraiment. " ah ça là dessus, elle en veut la jeune lynch, y'a pas à dire. " café, thé, chocolat chaud avec guimauves ? " c'est vrai que les beignets ce n'est pas gras du tout, pourquoi pas rajouter du sucre par dessus.... " et toi comment tu vas au fait ? " que je demande tout en préparant sa boisson et la mienne.

L’idée de passer un peu de temps, seule, avec Fred me rend encore plus joyeuse que je ne l’aurais imaginé. Je crois qu’elle me manquait. Non. J’étais sûre qu’elle me manquait. J’avais l’impression qu’entre ma vie avec Vincent, la galerie et le travail de ma meilleure amie et ces heures à aider ma petite sœur, nous n’avions finalement plus eu de temps juste pour nous deux. Alors j’étais heureuse de pouvoir la retrouver, de pouvoir partager un peu de temps en tête à tête avec ma meilleure amie. J’avais l’impression que ça faisait peut-être cent cinquante ans qu’on ne s’était pas parlé. Et être éloigné de Fred, comme de Flore, laissait comme un trou à l’intérieur de ma poitrine. De mon âme aussi. « Ah je suis contente ! je m’exclame avec enthousiasme, suivant la brunette à la cuisine. Je suis bien contente que ça se passe bien ! Je sais que Jo peut parfois être un peu ronchon mais, en vrai, elle est adorable ! » Je me mets à rire. « Il faut juste gratter un peu la surface. Au fond, elle est comme une guimauve enrobée de chocolat noir. » Je me sens sourire, avec amour et fierté, à la simple mention de ma sœur. Fred ne m’apprenait rien en me disant qu’elle était une battante – je le savais déjà. Mais j’avais le cœur gonflé de vanité à l’entendre tout de même.

« Un chocolat chaud avec des guimauves, je demande, minaudant comme une enfant de cinq ans alors que je prends place sur une chaise. Je peux peut-être t’aider ? » Je me sentirais mal de rester assise sans rien faire, à simplement regarder Fred s’occuper de tout. Et puis, je n’aimais pas rester inactive. J’avais toujours du mal à ne pas bouger, ne pas faire quelque chose de mes mains. Il fallait que mon corps soit en mouvement – tout le temps. Vincent disait que, même en dormant, je bougeais encore beaucoup. « Je vais très bien, réponds-je avec gaieté. La galerie tourne toujours aussi bien et j’ai enfin pu faire connaissance avec l’ami d’une de mes sœurs. Grâce à elle, j’ai fait la rencontre d’un photographe de talent et il a tant voyagé qu’il connaît tous les plus beaux coins du monde ! » Je me sens tellement heureuse d’avoir pu parler avec Henry, de lui avoir fait une place dans ma galerie et de pouvoir travailler étroitement avec lui. Je m’estimais très chanceuse et son travail embellissait les murs de ma petite galerie sans prétention aucune. « Vincent travaille beaucoup mais il est toujours aussi adorable, continué-je toujours avec le sentiment d’être sur un petit nuage. Il faudra que vous veniez, Flore et toi, dîner à la maison un week-end ! Vincent fera des pizzas. » Je ris un peu, avant de braquer plus fermement mon regard sur ma meilleure amie. « Parce que c’est vraiment trop nul que je puisse plus te voir autant, je boude. Tu me manques beaucoup beaucoup, tu le sais ? »