(jeano) and then we meet again

Plus moyen de faire marche arrière à présent. Tu étais là, plantée devant la maison de retraite et tu attendais. Si ça avait été ton truc, tu te serais grillée clope sur clope mais tu n’étais pas fumeuse pour un sou. Mais en cet instant, tu regrettais presque de ne pas avoir ce vice-là pour pouvoir évacuer la tension. Car il n’y avait pas un muscle dans ton corps qui ne soit sujet à la tension. La raison en était simple. Ce qui allait se jouer d’un instant à l’autre était primordial, décisif, allait façonner ta vie de manière irréversible.

La personne que tu attendais ici, un peu comme pour un guet-apens, complètement comme pour un guet-apens à vrai dire, c’était ta sœur. Jean. Tu ne l’avais pas vu depuis des années, tu ne l’avais pas vu depuis que l’enterrement de John à vrai dire, et ce que tu avais vu ne t’avait pas plu du tout. Elle était fuyante, négligée, sale… vraiment à des kilomètres de la jeune fille que tu avais connue jusque-là. Qu’avait-il pu lui arriver ? Mais sur le coup, la colère et le chagrin avaient balayé ses questions. Jean était parti sans se retourner. Si tu l’avais ce jour-là, tu n’avais pas entendu le son de sa voix depuis bien plus longtemps, tu n’avais eu aucune nouvelle bien avant le drame de John. Et pour cette souffrance-là, tu lui en voulais énormément.
Mais maintenant, maintenant tu avais besoin de réponses. Maintenant tu voulais savoir. Maintenant tu en avais marre que les gens décident pour toi, tu allais prendre les choses en main. Tu avais découvert que tes parents avaient engagé un détective privé pour la retrouver, bien qu’ils se soient bien gardés de t’en parler, et c’est par ce biais que tu avais pu remonter sa trace jusqu’ici et que tu l’attendais, fébrile.

Tu faisais de ton mieux pour te tenir bien droite, assise sur le petit muret sur le trottoir d’en face. Bien visible, impossible à manquer. Tu faisais de ton mieux pour paraître stoïque et sûre de toi, pour qu’on ne devine pas que tu appréhendais de revoir ta sœur. Et voilà qu’elle sortait du bâtiment. C’est le moment que tu choisis pour te mettre debout. Mais tu ne fais aucun mouvement vers elle. Non, tu attends qu’elle se décide à venir vers toi.

Une journée de plus était arrivée à son terme sans que je ne la vois passer. On dit que le temps passe vite quand on s’amuse. Sauf que j’ai beau adorer ces petits-vieux, leur torcher le derrière, changer leurs draps et faire attention que Bert ait pris ses dix-sept pilules c’est certainement pas une partie de plaisir ! Mais c’est vrai que c’est agréable d’aller travailler et que les gens me sourient, me saluent, me demandent comment je vais, si j’ai un petit-copain, etc etc. C’est un peu comme si j’avais une quinzaine de grands-parents. Et parfois ça me fait prendre conscience que la famille est un concept tout à fait relatif, mais que dans certains cas, c’est pas plus mal, et que peut-être, je dis bien peut-être, ça me manque un peu. En tout cas, une nouvelle journée de boulot terminée. Je salue les petits pensionnaires, du moins ceux qui ne sont pas endormis sur les fauteuils devant une quelconque émission spéciale troisième âge, je prends mes affaires, et je file. J’aime peut-être mon boulot mais j’irais pas y passer ma vie pour autant ! Du moins c’est ce que je me dis avant de la voir à quelques mètres de moi, visiblement en train de m’attendre. Ma soeur. Soudain je me dis que passer deux heures à regarder des chiffres et des lettres avant d’avaler une soupe et un flan pour me coucher à 19h ça semble pas si terrible que ça. Je me fige. Je ne sais pas trop ce que je suis censée faire. Qu’est-ce qu’elle fait là d’abord ? J’ai soudain l’impression que la réalité me rattrape et que jusqu’à présent je vivais dans une petite bulle à l’écart du monde. Mais Juno est bien là, et les fantômes du passé eux aussi vont me rattraper. “Tu ne devrais pas être ici.” Je m’approche doucement d’elle, de quelques pas seulement. Je ne sais pas ce que je suis censée faire. Merde, pourquoi c’est toujours quand ça va plutôt bien que la vie t’envoie une claque en pleine gueule en mode: “et non ma belle, tes ennuis sont pas finis !” Je soupire. “Tu vas bien ?” Après tout, malgré toutes les épreuves, elle reste ma petite soeur