des maux au cœur (leomy #1)

Sourire, manger, sourire, boire, sourire, faire la bise, sourire, se faire prendre en photo, sourire, dire que tout va bien. Sourire. Encore. Si je peux être plus naturelle quand je suis avec l’équipe de tournage, ce n’est pas le cas pour ce genre de soirée. Y’a du monde, un ou deux photographes triés sur le volet avec leurs journalistes. Parce que oui, même si c’est une fête de noël pour les membres de l’équipe, pour nous, il faut le médiatiser. Je ne comprendrai jamais tout ça. Enfin c’est pas comme si c’était nouveau, j’ai appris à faire avec. Je suis même devenue très douée pour sourire et faire penser que tout va bien. Quand je revois les photos de cette même soirée lors de la première saison de la série, on dirait une nana constipée qui est à deux doigts de partir en larmes. Le temps passe vite oui. Mais c'est toujours le même refrain. Un petit speech de la part du producteur, quelques photos. Le buffet qui est bien garni bien sur. Puis vient le moment des photos de l'année de tournage. On me place à côté de Leo, pour pas changer. Parce qu'il faut nous prendre en photo ensemble pendant qu'on regarde des photos de nous... ensemble. Y'a un côté étrange à tout ça. Mais encore une fois, on montre les dents et on sourit. Les photos défilent, je garde le sourire, jusqu'au moment où à l'écran, Sinead et Noreen s'embrassent. Donc Leo et moi. Et ces sifflements et applaudissements parce que c'était le point phare de la dernière saison. Sous la table, j'agrippe les doigts de Leo, tout en gardant ce visage impassible. " J'sais pas quoi en penser. " Discrètement, je lui glisse ça à l'oreille, toujours consciente que les regars sont tournés vers nous. " On est plutôt pas mal non ? " J'sais pas si je cherche à la rendre mal à l'aise ou si je veux vraiment son avis. Peut être un peu des deux.

Lorsque j’ai commencé le théâtre, c’était surtout pour sortir de cet espèce de manque de confiance en moi, cette pudeur, cette retenue constante. J’ai toujours été un peu timide, peur du regard des autres, et le théâtre m’a libérée de certains poids. Je n’en reste pas moins réservée, bien plus que l’est Romy par exemple. Mais j’ai trouvé ma place dans cette équipe, ce tournage qui dure déjà depuis plusieurs années. J’aime l’ambiance, la complicité avec les techniciens, et ce qui nous lie, Romy et moi. Je ne suis pas décidée à mettre de mots dessus, c’est pourtant que j’ai réussi à faire avec Echo, mais face à elle, en sa présence, j’ai le sentiment de ne plus réussir à rien, et encore moins à faire marcher mon cerveau comme il le devrait. Je repousse le moment où on devra s’asseoir, parce que je sais que ma place est à côté de celle de Romy. Je ne leur ai pas fait l’affront de venir accompagnée d’Echo, même si j’aurai pu si j’avais voulu. Une fois assise près de ma partenaire à l’écran, j’essaie de faire semblant comme j’ai pris l’habitude de faire. Sourire, ne pas montrer mon trouble à chaque fois que je suis près d’elle au risque de briser ma couverture. Les photos défilent sur le grand écran, et nous on est juste à la continuer de sourire. Sauf que quand vient la photo où nos personnages s’embrassent pour la première fois, je sens la main de Romy se saisir de la mienne sous la table, je me raidis immédiatement. « J'sais pas quoi en penser. On est plutôt pas mal non ? » Elle joue avec mes nerfs, je déteste quand elle fait ça. Je tente de garder ce sourire de façade en lui répondant, ne voulant pas être trop froide. « C’est ce que les fans diraient oui. » Je sais que ça lui plait, après tout, elle s’est battue pour ça, pour que nos personnages se rapprochent, s’embrassent, pour que la relation ambigüe attire une communauté différente. J’étais pas pour moi, parce que j’avais peur, mais j’ai pas eu trop le choix, et puis vu l’engouement… Je retire ma main de celle de Romy pour la reposer sur la table, là où elle ne viendra - je l’espère - pas la chercher. Je suis toujours pas à l’aise avec sa manière d’être, j’ai l’impression qu’elle fait tout pour que ça se sache, et je veux surtout pas que ce soit le cas. Nouvelle photo, cette fois de Romy qui avait été plongée dans un espèce de gel verdâtre un peu comme Cruella sans les 101 dalmatiens. Et là, je me marre comme une enfant. Je dois être un peu schizophrène sur les bords. Je donne un coup de coude à ma partenaire en riant. « Tu faisais moins la maligne quand ta douche après a duré 3 heures ! »

elle a eu la décence de ne pas venir accompagnée de l'autre... hum... mec. son mec visiblement. au moins il n'est pas là, je n'ai pas à supporter leurs attouchements physiques et autres échanges de salive. brrr. rien que d'y penser j'en ai des frissons. en attendant elle est là, sans lui. c'est le principal. les photos défilent, celle tant attendue arrive enfin à l'écran. j'attrape sa main, je ne peux m'empêcher de lui faire une réflexion qui peut paraître anodine quand on ne sait pas ce qu'il se passe réellement. comme je l'avais prédit, ça la met mal à l'aise, je peux le sentir. " c’est ce que les fans diraient oui. " elle est évasive mais je n'en attendais pas moins d'elle. jusqu'à n'être qu'à peine surprise lorsqu'elle retire sa main de la mienne. ça ne me fait pas plaisir mais bon, je m'y suis faite avec le temps. enfin pas vraiment. j'ai l'habitude on va dire. parce que ce n'est pas comme si ça me plaisait ainsi comme situation. je croise mes bras sur la table et me penche en avant, continuant d'observer les souvenirs qui défilent à l'écran. j'entends son rire qui se joint à ceux des autres spectateurs du jour lorsqu'à l'écran, on me voit recouverte de vert. je me souviens de cette scène et c'était pas la plus facile. je glissais avec les talons. je glissais tellement que j'ai du retirer mes chaussures pour pouvoir marcher et les plans ont été filmés en conséquence. faut savoir s'adapter. " tu faisais moins la maligne quand ta douche après a duré 3 heures ! " je tourne ma tête vers elle, tenant là quand même l'occasion rêvée, cette perche tendue. " enlever tout ça n'a pas été très long... " en vérité c'était tellement gélatineux qu'avec de l'eau chaude ça fondait. digne du magicien d'oz. " ... vu que je n'étais pas seule... mais ça nous a laissé plus de temps pour autre chose. " c'est fou ce que j'aime l'emmerder. elle n'y était pas, elle ne peut pas savoir ce qu'il s'est passé. à l'écran ça défile toujours. des rires, des sons compatissants, ou d'autres sons pour commenter ce qui s'affiche. la lumière se rallume, l'heure de passer au buffet. quelques photos à prendre avec l'ensemble du staff, que les acteurs, avec telle ou telle personne. c'est un ballet bien organisé. jusqu'à ce que les journalistes et personnes extérieures au tournage finissent par partir. il ne restait plus que nous pour profiter du buffet, de la soirée. comme une famille. je me glisse à côté de la brune et récupère un verre de punch. " t'as pas amené ton chien de garde ? " je crois que ce n'est vraiment plus à prouver que je n'aime pas echo.

Je déteste la manière qu’a Romy d’outrepasser nos ‘règles’. Enfin, je sais que ce sont les miennes, que je tente de lui imposer depuis le début, mais elle ne veut pas s’y plier. Elle a tendance à me faire croire qu’elle fera des efforts, mais elle me pousse sans cesse dans mes retranchements et c’est de plus en plus difficile à dire. Sans ajouter au fait de ma prise de conscience la concernant, mais bien sûr elle n’est pas au courant. Seul Echo l’est. Le monde à l’envers. Je retire ma main de l’étreinte de Romy, furtivement en faisant bien attention à ce que personne n’ait pu remarquer ce geste qui me semble totalement déplacé. Les photos s’enchaînent et je cherche à me détendre, riant sur un souvenir qui me revient en voyant la photo du tournage. « Enlever tout ça n'a pas été très long… vu que je n'étais pas seule... mais ça nous a laissé plus de temps pour autre chose. » Mon rire devient un peu jaune, heureusement que je suis actrice et que je peux facilement faire semblant que ce qu’elle dit m’amuse et non me blesse. Mais elle le fait exprès, et elle me connaît assez pour savoir qu’elle a bien réussi son coup. Si elle voulait piquer là où ça fait mal, c’est réussi. Foutue jalousie. Et je n’ai même pas la droit de la laisser voir le jour comme j’en aurai envie. Si on avait été seules, j’aurai confronté Romy, mais nous ne sommes pas seules, et j’ai sa réflexion en travers de la gorge pour le restant de la soirée. Je ne lui adresse plus la parole, fais en sorte de rester souriante mais surtout je fais en sorte de ne pas me retrouver trop longtemps à côté d’elle. Je vogue à droite à gauche, et quand la soirée se termine enfin, j’ai l’impression que je vais pouvoir souffler. Mais c’est sans compter la brunette qui n’a pas terminé de me faire chier, de toute évidence. « T’as pas amené ton chien de garde ? » Je serre les mâchoires, me sers mon verre comme prévu avant de tourner les yeux vers elle, ayant laissé un temps d’attente avant de répondre, ou plutôt de trouver quoi répondre pour la piquer autant qu’elle sait le faire. Je ne suis pas aussi douée qu’elle à ce jeu là, mais je m’améliore, je crois. « Il a dit qu’il m’attend nu dans mon lit. Pour ça que je vais pas tarder ! » Je fais tinter mon verre contre le sien, lui adresse un sourire exagéré et m’éloigne, espérant qu’elle ne va pas chercher à me rattraper. Ou alors peut-être que si, peut-être que j’ai envie et besoin qu’elle me fasse une crise de jalousie pour comprendre qu’elle tient à moi ? Je sais plus ce que je veux, je suis totalement paumée.

notre relation est totalement... malsaine. pourtant au départ c'était si simple. on bossait ensemble, on couchait occasionnellement ensemble, tout était simple. puis y'a cet ensemble qui a totalement foiré. le simple est devenu compliqué. extrêmement compliqué. quand y'a de la jalousie qui se met en travers de tout ça, ouais ça fout le bordel. et je n'ai aucun mal à avouer que je suis jalouse à en crever. enfin je me l'avoue à moi. parce que c'est facile dans ma tête. par contre le lui dire... enfin j'ai tenté de lui faire comprendre bien sur. mais de toute façon elle ne veut pas qu'on se montre en public alors ça règle le soucis. on est... rien en fait. deux collègues qui se lancent des piques et s'amusent à se foutre mal à l'aise c'est tout. ça fait d'ailleurs un moment qu'on a pas... enfin... depuis qu'elle est en couple quoi. j'peux au moins respecter ça même si je n'y crois pas. puis je lui balance pour la douche et je la vois se transformer petit à petit. je la connais. elle ne peut pas me le cacher. j'ai l'impression d'avoir été trop loin lorsqu'elle se met à m'éviter. peut être que oui... mais bon j'en ai marre moi. tant pis j'tente une approche, j'fais en sorte qu'elle me parle même si le sujet ne me plait pas des masses. pour qu'elle ouvre la bouche au moins. " il a dit qu’il m’attend nu dans mon lit. pour ça que je vais pas tarder ! " touché. je ne sais pas si je la crois ou non mais... en attendant ça fait mal. nos verres qui s'entrechoquent et ce sourire qui m'agace pour le coup. avant qu'elle ne s'échappe à nouveau. mon corps devient plus ou moins incontrôlable et je m'avance vers elle, lui agrippant le bras. je m'approche d'elle et place ma bouche à côté de son oreille pour qu'elle seule m'entende. " donc c'est ça hein ? j'étais genre ton petit amusement sur les plateaux, bien pratique en m'ayant sous la main et maintenant tu t'éclates avec ton semblant de mec ? sérieux il est aussi gay que toi. finalement vous faites bien la paire. aussi pathétique l'un que l'autre. " avant qu'elle ne s'en charge et se détache de mon étreinte, c'est moi qui la lâche. " bonne soirée et bonne baise. " définitivement, j'en ai marre.

Ça ne me ressemble pas, je ne suis pas quelqu’un de provocateur, pas quelqu’un qui pique pour atteindre, normalement. Mais Romy me fait sortir de mes gonds, mes sentiments pour elle me bouleversent plus que je ne voudrais le laisser paraître et ça me fout en l’air de seulement me l’avouer. Alors je riposte à ses provocations, joue le même jeu qu’elle. Elle veut m’atteindre en me rendant jalouse, alors autant que j’en fasse de même. La guerre est déclarée visiblement, et ce n’est pas de gaité de coeur, croyez-moi. Pourtant, c’est semble-t-il mon seul moyen de l’atteindre, de voir peut-être une lueur de jalousie animer son regard pour le moment acerbe. Elle me rattrape, mon coeur s’emballe, elle me fait mal mais la simple sensation de ses doigts refermés autour de mon bras me fait du bien. C’est grotesque. Je la sens s’approcher, mon coeur défaille, et ses lèvres près de mon oreille me font frissonner. « donc c'est ça hein ? j'étais genre ton petit amusement sur les plateaux, bien pratique en m'ayant sous la main et maintenant tu t'éclates avec ton semblant de mec ? sérieux il est aussi gay que toi. finalement vous faites bien la paire. aussi pathétique l'un que l’autre » Ça pique. Elle lâche mon bras et s’éloigne d’un pas alors que mon regard est devenu brumeux de l’entendre me parler aussi mal. Alors on en est venues à se balancer des vacheries pour se blesser, c’est ça ? « bonne soirée et bonne baise. » Putain ce que ça fait mal. « Ça t’a fait du bien ? » ma voix est serrée, mais il n’y a qu’elle qui peut l’entendre. J’attire son attention par cette simple phrase et poursuis une fois son regard ancré dans le mien. « Pourquoi tu es aussi méchante Romy ? Parce que tu assumes qui tu es tu te permets de juger les autres sans réfléchir à ce qu’il y a en dessous ? Je t’ai connue plus bienveillante. Tu me déçois beaucoup. » Outre les mots, il y a surtout ma voix, mon regard qui me trahissent. elle doit bien voir que je suis blessée. J’ai juste l’impression qu’elle s’en fout, et c’est ça le pire. Je bois d’une traite ma flute de champagne - mauvaise idée - et passe près d’elle, lui donnant un léger coup d’épaule au passage, pour sortir de cet étau qui comprime mon coeur.

je veux juste... je sais pas. partir. loin. je suis actrice oui, c'est mon métier. mais dans ma vie privée c'est compliqué. je ne sais pas faire semblant. j'essaye hein, j'ai toujours essayé. parfois ça passe mais bien souvent mes émotions transparaissent sans que je ne le demande. et surtout avec leonie. " ça t’a fait du bien ? " je hausse les épaules. ouais certainement. au fond qu'est ce que ça change... c'est pas comme si elle allait quitter sa loque humaine là et assumer au grand jour ce qu'il y a entre nous. et comme à chaque fois que j'y pense j'ai cette boule dans la gorge qui est là pour me rappeler que définitivement, je ne peux pas mettre de mots sur tout ça. c'est trop compliqué. une relation sérieuse, pour moi ? non... ce n'est pas possible ni envisageable. et parfois quand mon esprit divague, j'imagine plutôt bien la chose avec elle. et quand je réfléchi à tout ça, je me foutrai des baffes. non, en fait, ça ne m'a pas fait du bien. je laisse sortir ma colère mais ça ne m'aide pas. je me retourne néanmoins vers elle et plante mon regard dans le sien. combat de regard engagé. " pourquoi tu es aussi méchante romy ? parce que tu assumes qui tu es tu te permets de juger les autres sans réfléchir à ce qu’il y a en dessous ? je t’ai connue plus bienveillante. tu me déçois beaucoup. " elle est blessée. je le vois. mais j'ai pas l'impression qu'elle voit à quel point tout ça me blesse aussi. alors c'est un rire qui sort de mes lèvres. ce genre de rire jaune là qu'on ne contrôle pas. " désolée de te décevoir alors. mais je ne m'excuserai pas de dire ce que je pense. donc... je crois qu'on a plus rien à se dire. bonnes vacances leonie. " et je pars. rapidement. sans me retourner vers elle parce que je sais que croiser de nouveau son regard me ferait culpabiliser. mais là, j'en ai marre. je n'en peux plus. faut que je m'éloigne. je m'excuse auprès du staff leur disant que je ne me sens pas bien, fais quelques bises par ci par là, souhaite de bonnes fêtes à tout le monde et je m'éclipse pour rejoindre mon lit. là au moins, personne ne viendra m'emmerder. juste mon chat qui vient se lover contre moi avec son oreille abaissée. et comme à chaque fois, je lui raconte ma journée, ce qu'il s'est passé. mon journal intime qui ne révélera jamais mes secrets.