Wishen (Lou)

« Tu n’as pas besoin de me payer un massage pour me remercier. » maugrée Lou dans un soupir agacé, marchant aux côtés de son amie qui ne cesse de trépigner d’impatience, agrippant son bras à deux doigts de l’arracher sous la fougue. Elle s’est fait avoir en beauté en se rendant au salon de thé, pensant profiter d’une pause bien méritée avant de retourner à la galerie, prête à clôturer son projet pour de bon et prête aussi à fuir le monde. Parce que depuis la dispute avec la mère tigre qu’est Loan et ses sentiments rebelles pour la fille de ladite tigresse autant dire que les gens lui font peur. Tout cela pour dire qu’une fois arrivée au salon, son amie s’est empressée de la tirer par la main pour l’enfermer dans le premier taxi venu et donner son adresse. Un massage à domicile. « Tu as vu le boulot que tu as fait pour moi ? Bien sûr que je dois te remercier ! » D’ordinaire, les photographies de mariage se font en échange d’un gracieux billet mais il faut croire que son amie -la délicate et excentrique Pia- n’aime pas faire dans la simplicité. Témoin du mariage qui a eu lieu la semaine dernière, elle a demandé les services de Lou pour immortaliser la joie des deux jeunes mariés.

« Nous y voilà, ne fuis pas ! » Lou lève les yeux au ciel et croise les bras, embrassant le paysage de son regard blasé. Le jardin est radieux, voir même magnifique avec ce parterre de milles couleurs estivales. Elle regrette de ne pas avoir son appareil avec elle mais n’a pas le temps de se lamenter qu’on la tire déjà à l’intérieur. Pia l’informe que le masseur arrive dans une poignée de minutes et qu’elle peut faire comme chez elle en attendant. L’envie de trouver une fenêtre pour s’échapper traverse son esprit mais elle reste sage et se contente de s’affaler dans le premier siège venu. Elle joue avec ses ongles et tourne brusquement la tête vers la porte quand elle entend sonner. Décidément, les gens sont ponctuels ici.

La française se lève discrètement comme pour disparaître dans une pièce voisine mais Pia est bien plus rapide que ses instincts de survie, lui saisit le poignet et ouvre la porte dans un sourire à éblouir un aveugle. Lou pose son regard sur le masseur et manque de s’étouffer de surprise en le reconnaissant. Le monde est décidément bien trop petit. Et maintenant il a son prénom, fantastique. Elle qui s’est battue pendant une soirée entière à le faire tourner en rond. Il est toujours agréable d’empêcher un bel homme d’obtenir ce qu’il souhaite. Elle ne répond pas à son air réjoui et se contente de protester encore et toujours. Hors de questions qu’elle se fasse masser par lui, hors de questions qu’il profite de sa position pour la taquiner une nouvelle fois.

Il s’en va dans la pièce d’à côté et Lou foudroie son amie du regard. « Je n’y vais pas. » Et c’est comme ça qu’elle se retrouve à devoir rejoindre la salle voisine, bras croisés. Elle a fini par céder, Pia a tendance à être convaincante dès l’instant où elle commence à sortir des menaces. Et un massage est bien moins dangereux que s’occuper de ses trois chiens. « J’espère que tu n’as pas les mains baladeuses. » lâche-t-elle finalement, inspectant les affaires du bel homme pour dénicher son nom avec succès. « Etiam hm ? Original. »

Elle le déstabilise pour une poignée de secondes mais cela lui suffit amplement, elle aime contrôler c’est presque devenu jouissif depuis l’incident dans ce bar lesbien, il y a eu comme un déclic quelques jours plus tard et voilà qu’elle est devenue une véritable mente religieuse. Froide comme la glace, coupante comme le plus aiguisé des couteaux, elle cache cependant un feu ardent au creux de son être que personne ne peut contempler. Elle croise les bras et s’appuie sur le mur pour le regarder, rien ne passe dans l’éclat de ses yeux, elle analyse, elle observe pour parvenir à ses fins. Il reste hors de questions qu’elle s’allonge sur cette table de massage, nue en plus de cela. Non pas que le contact des hommes la répugne mais ce toucher masculin lui manque à tel point qu’une simple caresse sur sa peau dénuée de tissu peut la faire céder, elle ne veut pas prendre de risque, elle ne veut pas perdre cette image de la coureuse de jupons qui hait au plus au point les hommes. « Je le permets. » répond-elle sur le même ton de voix, glissant du mur pour venir embrasser la pièce de son regard. Enceinte, elle arque un sourcil et tourne la tête vers lui, ses cheveux fouettant l’air. « Tu poses sérieusement la question ? » Ses yeux se lèvent au ciel alors qu’elle passe le bout de ses doigts sur la table de massage. « Je ne suis pas enceinte. » Et elle espère ne jamais l’être, elle a une peur presque phobique d’être mère, de porter son enfant dans ses bras, trop de responsabilités et d’angoisses.

Elle cesse de faire les cent pas quand il lui demande de tracer quelques croix sur les parties d’un corps humain croqué sous ses yeux. Un sourcil décolle sur son front et elle se saisit du crayon, le faisant tourner entre ses doigts. Elle n’a mal nulle part et puis elle refuse qu’elle l’approche de toute manière. Il est dangereux pour sa stabilité et même s’il possède une beauté à en faire ses quatre heures, elle résistera à la tentation coûte que coûte. « Ma situation est que je suis forcée d’être ici. » Elle pose le crayon sans rien remplir et se tourne vers lui, balançant son regard par-dessus son épaule pour le foudroyer sur place. Elle ne se pliera pas à ses stupides règles, ce n’est pas une soumise Lou, personne n’a jamais su lui faire ployer le genou, pas même cette fille qu’elle a failli aimer. Mais elle ne dit rien lorsqu’il lui demande de se déshabiller, elle se contente de s’asseoir sur une chaise présente dans la pièce et croise les bras dans un sourire en coin. « Tu sais quoi Etiam ? Je vais te laisser une petite minute pour te déshabiller et t’installer entre les deux draps. N’oublie pas de remplir la feuille. » Elle se lève dans un rire sournois et quitte la pièce, non sans un dernier coup d’œil victorieux dans la direction du masseur.