tell me it's a fucking nightmare ☽ jody #1

Une journée comme les autres. Il est dix-huit heures quand je commence mon service au planet. Le moral n'est pas au beau fixe mais il n'est pas au plus mal non plus. Pour une fois. Disons que je me laisse un peu porter par le vent aujourd'hui. Après tous les évènements vécus, un peu de répit ne peut pas faire de mal. J'ai besoin de faire une pause. Un break dans ce rythme infernal. La patronne réunit toute l'équipe derrière le comptoir pour le briefing quotidien habituel. Un petit rituel que Loan s'efforce de suivre à chaque début de service. Un moyen comme un autre de renforcer la communication au sein de l'équipe et les liens professionnels entre tous. Et honnêtement, sa méthode n'est plus vraiment à prouver. Au planet, nous avons la chance de travailler dans une ambiance agréable et chaleureuse. Ce qui joue énormément dans la réputation du bar, c'est certain. « Ce soir, on accueille une nouvelle serveuse. Il va me falloir quelqu'un pour s'occuper de sa formation la première semaine. Des volontaires ? » Je lève la main directement, un peu sur un coup de tête. Pour le coup, je ne réfléchis pas vraiment avant de me porter volontaire. Tant que je peux faire quelque chose pour m'occuper l'esprit, je prends. Peu importe ce que c'est. Peu importe qui c'est. Ça m'est complètement égal. « Parfait, Johan. Merci. » J'ai besoin de changer d'air, de m'aérer la tête.  « Ah bah justement, elle arrive. » Mon regard se tourne instinctivement vers la porte du bar. Mon coeur s'arrête net lorsque je croise son regard. Alors que je sens une énorme boule s'installer dans le creux de mon ventre. Merde, c'est pas possible. Je reste conne, plantée là, sans bouger. Comme si mon cerveau avait enclenché le mode pause. Je suis revenue des années en arrière. A l'époque du lycée. Loan lui fait un petit signe de la main et la jeune femme approche. « Andy, bienvenue dans l'équipe. » Elle lui serre la main pour la saluer. « Je te présente Johan, c'est elle qui va s'occuper de toi. » Je baisse la tête pour fuir son regard, une grimace figée au coin de mes lèvres. Mon coeur se serre violemment dans ma poitrine. La patronne finit par nous laisse seules s'éclipsant rapidement dans son bureau. Je ne peux plus faire machine arrière maintenant, c'est trop tard. Mais je reste figée, sans trop savoir comment réagir. Malgré les années, retomber sur mon premier amour ne me laisse définitivement pas de marbre. Ça fait toujours aussi mal. « Andy. » Soufflais-je entre mes lèvres, dans un murmure, pour briser le silence. Comme pour m'assurer que c'est bien elle. Que ce n'est pas un rêve. Mais elle n'a pas réellement changé. Son visage fin et frêle à la fois est toujours là. « Je... » En réalité, je ne sais pas quoi dire. Je n'ai pas les mots. « Qu'est-ce que tu fais là ? » C'est tout ce qui arrive à sortir de mes lèvres. Rien d'autre. Une journée définitivement pas comme les autres.

Le passé n'est jamais loin. Il est toujours là, près de nous, guettant le moindre faux mouvement. L'opportunité de débouler dans nos vies, comme ça, du jour au lendemain. Se prendre le passé en pleine figure. Violemment. C'est exactement ce qui vient de me tomber dessus. J'ai longtemps imaginé ce moment. Pendant de longues années. Pouvoir la retrouver, la confronter. Obtenir les explications méritées. Et finalement, quand ça arrive vraiment, on ne peut rien contrôler. C'est un flot de sentiments contradictoires qui bouillonnent à l'intérieur. La colère, la haine. Le chagrin, la douleur. Mais également un brin de bonheur. C'est plus fort que moi. Tiraillée par des émotions paradoxales et intenses. Complètement bouleversée. « J’ai eu un poste dans ce bar. Je ne savais pas que tu y travaillais. » La moue perplexe, je fuis de nouveau son regard. C'est encore trop dur de la regarder dans les yeux. « Maintenant tu sais. » Je suis froide, glaciale. En même temps, il ne fallait pas s'attendre à ce que je lui saute au cou. Comme si de rien n'était. Malgré les années, je n'ai rien oublié. Le mal est toujours là. Ancré au plus profond de mon être. Quelque chose que je ne pourrais jamais oublier. Andy a été ma seule histoire. Ma plus belle histoire. Et ma plus grosse déception. Le chagrin d'amour que personne ne devrait connaitre. « Tu es là pour travailler, moi aussi. On va se contenter de ça pour le moment. » Ne pas tout mélanger. Même si je meurs d'envie de lui demander des explications. POURQUOI ? Juste pourquoi ? Des questions qui sont restées trop longtemps sans réponse. Théoriquement, ce n'est pas à moi de faire le premier pas vers elle. C'est elle qui est partie. « Je vais te montrer quelques trucs, suis-moi. » J'essaye tant bien que mal de rester détachée. Le plus possible. Mais c'est une lutte acharnée contre moi-même. Je balaye le comptoir de gestes par-ci, par-là pour lui montrer où elle peut trouver certaines choses. En réalité, c'est sur le tas qu'elle apprendra. Il n'y a pas grand chose à savoir pour commencer. Après quelques explications rapides, je me dirige finalement vers la réserve. Un lieu important à connaitre. « Là, c'est la réserve. » Andy laisse involontairement la porte se refermer derrière elle nous laissant seules, toutes les deux, dans le noir. J'appuie très vite sur l'interrupteur de la lumière pour éviter un nouveau gêne. La situation est déjà suffisamment étrange comme ça. « Pourquoi, Andy, pourquoi ? » murmurais-je entre mes lèvres, le regard pétillant. Assez fort pour que la jeune femme m'entende. C'est sorti tout seul sans que je puisse rien contrôler. Et puis merde. J'ai besoin de savoir. J'ai le droit de savoir. Là, tout de suite, j'en ai rien à faire du boulot. De tout le reste. Oui, je suis faible. Je n'aurais pas résisté bien longtemps avant de lui poser la question qui brûle mes lèvres. Mais à quoi bon ? C'est maintenant ou jamais. A l'abri des regards et des autres employés.

La tension est palpable. Depuis que mon regard a croisé le sien, il y a comment une atmosphère pesante entre nous. Comme si, d'une seconde à l'autre, tout pouvait basculer. J'essaye tant bien que mal de me focaliser sur le travail pour le moment mais c'est plus compliqué que prévu. Il y a tellement de choses que j'aimerais lui dire. Tellement de réponses que j'aimerais avoir. Elle est partie, envolée. Comme une putain de lâche. Sans rien dire. Juste comme ça. Et même si j'ai beau faire comme si de rien n'était, c'est toujours resté dans un coin de mon coeur. Une boule coincée au fond de la gorge. Difficile à comprendre, difficile à avaler. Anéantissant tous les bons souvenirs sur son passage. Et finalement, je ne peux plus tenir plus longtemps. J'ai besoin de me confronter une bonne fois pour toute à elle. Peut-être que ça me permettra enfin de tourner la page. Définitivement. Andy m'a déjà assez fait souffrir comme ça. Je mérite pas de continuer à être torturée par cette histoire. Les années sont passées et le mal a toujours été là. Jamais oublié. On n'oublie rien, on s'habitue juste à vivre avec. « Je croyais qu’on devait se contenter de travailler ? » La jeune femme sourit, joueuse, et ça me rend dingue. Je bouillonne de l'intérieur. Elle n'est pourtant pas en position de faire du zèle. Je serre violemment les poings à tel point que je sens mes ongles s'enfoncer dans ma peau. Ça fait un mal de chien mais je m'en fous. Je respire un grand coup essayant de contenir toute ma rage prête à exploser. Je suis en colère. En colère qu'elle soit là, de retour dans ma vie. Rien que de me dire que je vais devoir la croiser tous les jours me rend complètement folle. Je ne suis pas certaine de le supporter. « Pourquoi quoi ? Pourquoi suis-je revenu ? Pourquoi suis-je partie ? Les réponses à ces questions, tu les connais déjà, mais tu ne veux pas les accepter tant qu’elles ne sont pas réellement sorties de ma bouche. » Mais merde, putain. « Pour qui tu te prends au juste ? » Les mots se délient de mes lèvres sans rien contrôler. Cette fois, c'en est trop. J'élève le ton sans même en avoir conscience. La jeune femme ne se défilera pas deux fois. Pas cette fois. « Assume, putain. Dis-le, dis-le que t'es qu'une putain de lâche. » Qu'elle arrête de se défiler en passant par des sous-entendus bidons. Qu'elle arrête d'esquiver la question. « Je te demande juste une explication. » Rien de plus. Après tous les moments partagés ensemble, c'est la moindre des choses. Je pense pouvoir le mériter. « Si t'en as déjà eu quelque chose à foutre de ma gueule une pauvre fois dans ta vie. » Est-elle aussi insensible à mon égard ? Merde, alors. On a passé une année entière ensemble. Et plus encore en tant qu'amie. Toutes ses belles paroles, c'était que du vent. Je vois rouge impossible de me calmer. Son comportement me fait sortir de mes gongs. Non, elle ne peut pas s'en tirer comme ça. Je mets la main sur la poignée de la porte comme pour lui bloquer la sortie. Ça peut durer longtemps cette histoire. Mais je ne veux pas sortir de la réserve tant que je n'aurais pas eu les réponses à mes questions. Andy est toujours silencieuse fuyant mon regard. « Mais parle putain, dis quelque chose. » Je suis prête à tout entendre. Même de savoir qu'elle ne m'a - finalement - jamais aimé.

Avec le temps, j'ai fini par douter de notre histoire. Cette année que nous avons vécu ensemble n'était finalement peut-être pas réelle. Pour elle, du moins. « Tu crois que je mentais, durant cette année ? » Je hausse les épaules levant les yeux au ciel. Elle ne peut pas me blâmer de me poser la question. Après ce qu'il s'est passé, c'est légitime de douter de sa sincérité. Dans ma tête, c'est inimaginable de pouvoir quitter la personne qu'on aime de cette façon. De lui briser le coeur aussi violemment comme elle a pu le faire. Alors oui, je me pose la question. Peut-être s'est-elle finalement jouée de moi pendant toute cette année ? J'essaye de trouver quelque chose, une raison. Peu importe laquelle. « Si je devais te dire une chose, c’est que je t’ai aimé, Johan. » Je reste pendue à ses lèvres veillant tout de même à paraître toujours distante, détachée. « C’est pour ça que je suis partie. » Rien de tout ça ne parait logique. « Permets-moi d'en douter... » Murmurais-je d'entre mes lèvres suffisamment fort pour que la jeune femme puisse l'entendre. Sur le moment, je ne sais pas trop quoi en penser. Je ne sais plus si je dois continuer de la croire ou non. Je laisse inconsciemment une barrière entre elle et moi, une sorte de protection invisible mais bel et bien là. Méfiance quand tu nous tiens. Il faudra plus que ça pour que je puisse à nouveau lui accorder ma confiance. C'est comme ça, c'est plus fort que moi. Je ne peux pas effacer la douleur encaissée en un claquement de doigts. « De toute façon c'est trop tard maintenant. » Les années écoulées ne se rattraperont pas. Jamais. Andy a refait sa vie dans les bras d'un autre. Peut-être ne sont-ils plus ensemble à l'heure actuelle, peut-être pas. Mon regard se fixe alors sur la main gauche de la jeune femme où une bague trône fièrement sur son annulaire. A cet instant, je sens mon coeur se serrer dans ma poitrine. J'ai finalement la réponse à ma question. Même si je ne sais pas s'il s'agit toujours du même homme ou si elle a rencontré quelqu'un d'autre. Au final, ça n'a que très peu d'importance. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a cette putain de bague autour du doigt. « Tu as refait ta vie, moi aussi et c'est très bien comme ça. » Beau mensonge. En réalité, moi, contrairement à elle, je n'ai pas réussi à refaire ma vie. A cause d'elle justement. Certes, je suis en couple mais c'est différent. Avec Zelda, c'est tout récent et disons que c'est un peu compliqué. Rien d'aussi sérieux qu'une foutue bague. « Toutes mes félicitations. » Rajoutais-je en désignant sa main gauche d'un petit geste de la tête. Mon ton est sarcastique, c'est plus fort que moi. J'ai besoin d'évacuer d'une manière ou d'une autre la douleur qui me consume de l'intérieur.

J'ai beau tout faire pour rester détachée et distante, en réalité, il n'en est rien. Mon coeur est chamboulé de tous les côtés. Tiraillé de sentiments à la fois contradictoires et intenses. Andy est la seule personne capable de me mettre dans tous mes états. Parce qu'elle est la seule que j'ai réellement aimé. De toutes mes forces, de tout mon être. Elle est la seule à qui j'ai réussi à donner mon coeur. J'aurais pu tout donner pour elle, rien que pour ses beaux yeux. Mais elle est justement celle qui a tout détruit. « déteste moi pour avant, autant que tu voudras. mais essaye de voir pour après... » Plus facile à dire qu'à faire. En réalité, même si je devrais à tout prix la détester pour ce qu'elle m'a fait, une part de moi n'arrive pas à le faire complètement. Quelque chose au fond de mon coeur m'en empêche. Je n'ai jamais réussi à tourner définitivement la page de notre histoire. Ça, c'est une certitude. Les sentiments enfouis à l'intérieur jusqu'à maintenant semblent vouloir refaire surface. Et ils sont tenaces ces cons là. Je suis totalement impuissante. Incapable de garder un semblant de contrôle sur moi-même. C'est impossible. Et à chaque fois que mon regard plonge dans celui de la jeune femme, je me sens perdre pied. C'est comme marcher sur un fil à vingt mètres de hauteur et se sentir à chaque seconde à deux doigts de s'écrouler. « tu as rencontré quelqu’un ? » En tout cas, c'est ce que ma phrase a laissé sous-entendre. Une information plus ou moins véridique. Mais je décide tout de même de confirmer sa question. Un moyen détourné d'essayer à mon tour de lui faire du mal. Une espèce de vengeance un peu malsaine. C'est bas, petit, mais c'est plus fort que moi. « Oui, j'ai quelqu'un dans ma vie. » Dans mon coeur, c'est encore différent. Je tiens énormément à Zelda, sincèrement. Mais de là à dire que je suis amoureuse, je ne sais pas. C'est encore trop tôt pour le savoir. Mais la jeune femme est importante à mes yeux. Elle est la seule personne à avoir réussi à percer ma carapace et ce n'est pas rien. « toutes mes félicitations ? » Au début, Andy ne comprend pas. Puis son regard rejoint le mien toujours fixé sur la bague qui entoure son doigt. Elle soupire légèrement avant de baisser un peu la tête. « je suis désolée. » Je secoue la tête nerveusement. Désolée de quoi au juste ? Ça n'a aucun sens. Pourquoi s'excuse-t-elle d'en aimer un autre ? « C'est lui ? » La question me brûlait les lèvres depuis tout à l'heure. J'ai besoin de savoir si c'est toujours de lui dont il s'agit. Notre ami commun de l'époque pour qui elle m'a quittée. « Si tu es heureuse, c'est le plus important. » Foutaise. Je ne pense pas un mot de cette phrase toute prête. Je le dis juste par politesse. Après tout, personne ne mérite d'être malheureux dans sa vie. Même si ça me blesse profondément de savoir qu'Andy est heureuse avec un autre que moi.

Le face à face est terriblement difficile à vivre. Je ne m'attendais pas à ce qu'Andy débarque à nouveau dans ma vie... sans que je puisse l'en empêcher. En réalité, mon coeur se surprend à ne pas rester indifférente à son retour. C'est sans doute ça le pire. Sur le coup, je préférerais rien ressentir du tout. Absolument rien. Mais de toute évidence, c'est loin d'être le cas. Ma réaction n'est pas anodine. Étrangement, ça me fait plaisir de lui balancer que j'ai quelqu'un dans ma vie. C'est comme un moyen de protection supplémentaire pour moi. Un moyen de la garder volontairement à distance. Et de la blesser aussi. Bien que ça ne soit jamais aussi fort à côté du mal qu'elle a pu me faire. « Je suis vraiment contente pour toi, tu mérites d’avoir quelqu’un qui t’aime. » Je secoue un peu la tête à la négative, par réflexe. En soit, je ne suis pas certaine de mériter qui que ce soit. Au vue de mon comportement de ces dernières semaines, non, je ne mérite pas. Je fais tout et n'importe quoi au risque de blesser Zelda celle qui partage ma vie depuis quelques mois. Quitte à tout gâcher, autant le faire avec brio. Je me dégoûte moi-même et pourtant, c'est plus fort que moi. Femme blessée et coeur meurtri. Stupide système d'auto destruction à la con impossible à contrôler. La jeune femme confirme dans un souffle l'évidence. Oui, c'est bien lui. Elle est encore avec lui. Et dire que ça aurait pu être moi à sa place, la bague au doigt. Je me pose souvent la question. Si elle n'était pas partie, serions-nous encore ensemble ? Plus amoureuses que jamais ? Secrètement, je me surprends à croire que oui. Notre amour à mes yeux ne semblait avoir aucune limite. Et pourtant... ce n'est pas moi dont il s'agit. « Tu penses que j’ai le droit d’être heureuse ? » Je lève automatiquement les yeux au ciel soupirant légèrement. « Tout le monde a le droit au bonheur. » Même toi. Même elle. Finalement, ça ne sert à rien de souhaiter du malheur aux autres. C'est un peu stupide en soit. Si Andy est heureuse, c'est bien pour elle. Même si cela signifie qu'elle est heureuse avec un autre. C'est comme ça, c'est la vie. Mon coeur ne peut tout de même s'empêcher d'en souffrir. Je ne contrôle pas ces choses là. Ça serait tellement plus facile pourtant... « Et malgré tout ce qui a pu se passer, je suis contente pour toi aussi. » Un nouveau mensonge. En même temps, que suis-je censée lui dire ? Si cette révélation peut me permettre de passer à autre chose, ce n'est pas plus mal. Tourner la page de notre histoire une bonne fois pour toute. « On devrait peut-être retourner en salle... » Changer de sujet, sortir d'ici. Ne plus sentir cette proximité malsaine, horriblement gênante. Je n'ai plus rien à dire. A cet instant, je sens mon coeur comme à l'arrêt. Immobile. Il a besoin de temps pour encaisser les choses. Trop d'émotions contradictoires. Trop de sentiments enfouis à l'intérieur.