Le cantique des Taupes ♚ Dinah

Dans la sorgue de l’histoire, du temps, se dispute constamment un jeu de dupes. Des dualités qui s’affrontent perpétuellement, labélisée sous le titre d’entités justes ou démoniaques. On enseignait aux gamins dès le plus jeune âge, à travers les interactions sociales, les personnages de bandes dessinées ou les shows télévisés, cette vision manichéenne de la vie. Education commune au peuple, mais pas exhaustive. Surtout pas dans ces recoins européens, où l’on introduisait les jeunes pousses à orienter la croissance de leurs tiges vers les sombres manivelles de l’époque. Le vice y avait contaminé l’atmosphère, se rependant tel de la moisissure, avec rapidité, efficacité, pugnacité.

Dans cet univers, le mal des religieux, portait le nom de business. Les passions s’épanouissaient sans complexe, ni barrières morales, rougeoyant plus vivement que mille soleils noirs. Les sévices, les heurts, étaient infligées avec régularité dans une rigueur dérangeante et morbide. C’était dans ce lac de crimes et de sang qu’étaient plongés les Ackerman et les Vladislava, depuis des poignées de générations déjà. Et par truchement, les Al-Din qui venaient de rejoindre ce cercle vicieux par les épousailles du père de Dinah et sa mère, membre honorable de la communauté anglaise.

Pourtant, l’enfant avait dû apprendre. Très tôt, que sa survie dépendrait principalement de ses propres habilités. Le soutient des Ackerman était indéfectible, constant, certes. Mais dans nulle mesure absolue. C’est-à-dire, ils interviendraient pour la secourir tant que l’action n’allait pas à contre-sens de leurs objectifs. Il était hors de question de s’handicaper pour la fille d’une reniée, déchue de ses privilèges et fonctions d’antan sous l’envoutement de son propre égoïsme et de ses utopies.

Les intérêts comptent. Les liens du sang sont sacrés.

Le pouvoir,
la vision,
suprêmes.

Cette perception des Ackerman avait été transmise à Dinah par sa génitrice, lui conseillant de garder cette pensée à l’esprit lors de chacune de leurs demandes ou interactions. Et l’attitude froide des dirigeants ne l’avaient pas encouragé à penser autrement.

Ce mois-ci, après des années de silence radio, ils l’avaient chargé d’espionner la fille d’un clan concurrent. En ce sens, l’Al-Din avait absorbé tout le courage que ses cellules étaient capables de lui procurer, et s’en était paré comme une armure. Elle ne prenait pas cette mission à la légère, l’enjeu était trop important pour le faire. Elle se plaignait, rechignait, et ça l’énervait beaucoup de s’être fait attribuer cette mission mais elle ne la saboterait pas pour autant. Surtout pas lorsque la moindre erreur pourrait lui coûter la vie.  La Vladislava, n’était pas n’importe qui. Même si elle ne disposait pas d’une variété d’informations sur sa cible, son nom de famille suffisait à faire retourner plus d’un brave dans son lit.    
Jusqu’ici sa collecte d’informations ne s’était pas révélée aussi fructueuse qu’elle l’aurait espéré, la blonde agissait comme l’étudiante la plus commune du monde. Balançant entre études, amies, et soirées, routine saupoudrée de quelques échanges ou rencontres suspectes parfois.  

Aujourd’hui, la Russe avait opté pour prendre une suite dans un hôtel de luxe, probablement dans l’optique d’une rencontre avait pensé l’Al-Din. Nichée au premier étage dans la zone du staff, elle cachait sous leur uniforme obligatoire une combinaison moulante et une ou deux lames, dans l’optique où elle rencontrerait des complications. Son attention momentanément attachée vers un vieux couple qui s’entraidaient à descendre les marches des escaliers, quelle ne fut sa surprise en remarquant sa cible, se tenant juste derrière elle, un sourire aux  lèvres.

Son faciès, si expressif à l’accoutumée, avait viré vers une expression de pure stoïcité. Les traits crispés qu’elle laissa entrevoir dans une courte grimace furent révélateurs, malgré elle, de son état de contrariété. Ou plus exactement, de son état de terreur. Double faute, car elle mettrait sa main à couper que la blonde avait déjà remarqué ce signe révélateur.

Un terrible fossé séparait le rivage des experts tels que les Vladislava, de celui des personnes comme l’Al-Din. Certes, elle avait appris très jeune à se défendre, des cours alliés de techniques de combat et d’espionnage. Mais ses connaissances n’étaient en rien comparable à l’entrainement, la pression que subissait les enfants issus du gratin de la hiérarchie. Et il était limpide pour Dinah, que la Russe ne devait pas y faire exception. Se retrouver face à une Vladislava, dont la terrible réputation précédait le nom, lui arrachait toute son assurance et sa réactivité. A la place des murmures de sa conscience, elle n’entendait que le tambourinement de son propre cœur qui lui vrillait les tempes.  

Vite. Vite. Vite.

Reprends-toi.

Il fallait réagir vite.

MAINTENANT.

Si la blonde l’avait découverte, cela signifiait qu’elle en savait sûrement énormément à son sujet. Elle avait foiré, l’Al-Din. Grandement. Et l’échec avait un goût amer. L’adrénaline du moment, l’empêchait de notifier la rage qui lui grossissait au ventre face à sa faiblesse, car il fallait qu’elle agisse et le plus convenablement possible. Qui sait si elle n’avait pas prévu de la tuer dans les secondes qui suivent ? Chercherait-elle a obtenir des informations ?
Saisir l’enveloppe ou la décliner ? Avouer ou tromper ? Non. Tromper ne servirait à rien, face au fait accomplit et elle n’était pas sûre que son vis-à-vis apprécierait de la voir se jouer d’elle. Attaquer ? Viser les yeux ? Non, le pourcentage de réussite qu’avait la Russe de prendre le dessus lors d’un combat lui semblait trop grand. Et si son talent pour la tromperie égalait ses facultés de combat, elle n’aurait là aucune chance. Sourire ou s’incliner ? Non, la femme considérait sûrement le second choix comme un acte de faiblesse. La regarder dans les yeux ou les détourner ? Puis pourquoi venir à elle ? En plein lieu public de surcroit ? Elle ne comprenait pas.

« Bien. » articula l’Al-Din en acceptant la lettre. Ses mains s’avancèrent mécaniquement pour la saisir, repoussant le tremblement de ses fines phalanges, dignes rallonges de son mental effrayé. Ses iris cendrées s’étaient glacées. Il fallait qu’elle garde son calme, qu’elle ait la tête claire pour d’éventuelles négociations. Ne pas se perdre dans les supputations. Ne pas envisager que l’enveloppe soit recouverte d’un poison auquel la Russe aurait été elle-même immunisée en charge de revanche. « Comment avez-vous l’intention de traiter mon cas ? »

Le toucher du papier, fit monter en elle un souvenir qui provoqua une étincelle au sein de ses facultés cognitives. « Cette lettre n’est pas de moi. » cette fois-ci. ne préféra-t-elle pas ajouter. Effectivement, l’Al-Din avait déjà usé de cette technique pour observer la Russe. Mais cette fois-ci, le micro n’était pas de son ressort, elle avait procédé en incluant le dispositif d’écoute dans le fond de la poubelle.  « Il semble que nous avons un troisième parti. » laissa-t-elle entendre dans un chuchot.

codage par LaxBilly.