What a plot twist you were. » Noah & Einar.

Le papier glacé grinça légèrement sous l’assaut de ses doigts, alors qu’il l’épinglait à l’un des murs de son bureau. En fond sonore, sa radio grésillait toujours, crachant parfois les voix déformées de ses collègues reportant un crime, une localisation, un corps.
Il esquissa un pas vers l’arrière pour prendre physiquement du recul –parce qu’en dépit de tous ses efforts, il semblait incapable d’en prendre mentalement face à l’affaire qui s’étalait en annotations, post-its colorés et photographies sous ses yeux. Photos de victimes, de scènes de crime, s’intercalaient avec celles de lieux, de potentiels suspects ; des notes gribouillées à la va-vite s’emmêlaient avec des rapports estampillés LAPD qui reportaient arrestations, casiers judiciaires, dépositions. Et au sein de cette anarchie d’informations, les liens se déliaient, se dessinaient péniblement, s’achevaient en dead end.
Sentant la frustration et la fatigue poindre dangereusement dans sa poitrine, tomber sur son esprit comme une chape de plomb –une prison-, Einar s’affala sur sa chaise à roulettes inconfortable et laissa échapper un soupir résigné. Sans les ressources de la police, il lui semblait chaque jour plus difficile d’avancer, plus compliqué de creuser entre des pistes qui lui paraissaient si maigres, si fragiles sans se compromettre dans l’illégalité. En dépit de son obsession pour cette affaire, du sentiment indélébile et intense qui se saisissait aux tripes constamment en lui hurlant qu’il ne pouvait abandonner (elle lui avait déjà tant coûté, il ne manquerait plus que tous ces sacrifices aient été vains), il ne pouvait se résoudre à franchir des limites qu’il regretterait d’avoir bafouées ensuite. Flirter avec les frontières de la légalité, il pouvait le faire –cela ne lui posait pas de problèmes habituellement, même quand il portait encore le badge officiellement.
Mais briser sciemment la loi pour parvenir à ses fins –sans aucune certitude de résultats-, cela lui semblait encore inenvisageable.
Et quelque part, cela le rassurait un peu.
Il avait déjà bien trop abîmé la loi dans l’exercice de ses fonctions –et cela lui avait coûté cher. Très cher.

Le son étouffé de coups contre sa porte d’entrée résonnèrent, lui parvenant avec difficulté. Il se redressa, jeta un coup d’œil par réflexe à son portable pour aviser l’heure –il était tard, mais la nuit était encore jeune- et il n’attendait personne à vrai dire. Piqué par un mélange de curiosité et d’agacement (il aurait préféré ne pas être dérangé, quand bien même il n’était pas à proprement dit occupé), il fit taire sa radio et prit soin de fermer la porte de la pièce pour éviter tout œil un peu trop inquisiteur d’y pénétrer avant de traverser son salon et d’ouvrir la porte de sa maison.
La lumière un peu grésillante de son porche sculpta la silhouette de Noah sous ses yeux surpris.
Cela faisait un bon moment qu’ils ne s’étaient pas vus –à vrai dire, depuis sa suspension, Einar s’était contenté de quelques échanges de messages, mais n’avait plus conduit jusque chez l’autre homme pour entreprendre de le trainer dehors et l’encourager à poser un pied en dehors de sa zone de confort. Un sourire malgré tout sincère étira ses lèvres un peu gercées alors qu’il gratifiait son ami d’une étreinte amicale sur le bras.
« Hey Noah, ça fait un bail. Vas-y, rentre. » l’invita-t-il sans détour en s’effaçant pour le laisser pénétrer sa demeure, la voix chaleureuse mais un peu rocailleuse –il n’avait pas parlé de la journée.
Ses prunelles détaillèrent un instant sa tenue avant de revenir à son visage aux traits si ouverts et honnêtes (si séduisants, aussi).
« Je te propose quelque chose à boire ? offrit-il aussitôt, comme s’ils s’étaient quittés la veille. Qu’est-ce qui t’amène ? »
Il resta sur place, curieux d’entendre la réponse avant d’accéder à l’éventuelle requête de l’autre homme.
Généralement, c’était lui qui venait briser la petite bulle de confort de son ami.