and then... life changes (kelley family)

Le visage de Rylee s'était assombri au fur et à mesure que les choses devenaient de plus en plus clair. Elle n'allait pas pouvoir partir de cette chambre morbide, elle n'allait pas pouvoir retrouver son appartement avant un moment. Quelque chose lui tordait l'estomac et plus elle essayait de savoir ce que c'était, plus elle sentait de la panique, du dégoût, de la torpeur. Etre seule chez elle avait été facile à gérer. Elle fermait tout et se sentait parfaitement en sécurité mais là, toute seule, entourée d'étranger, elle n'était pas du tout à l'aise. Pire, elle avait peur n'ayant pas été habituée à ce genre de situation. Pour dire, la pire des maladies que Rylee avait au compteur était la varicelle et il n'y avait pas eu besoin d'hopital pour ça. Et la maternité pour Joy n'était pas un réel hopital d'autant qu'elle n'avait pas eu besoin de rester dans une chambre immaculée toute une nuit. Pourtant, en écoutant ce que disait Casey, sa mère et l'infirmière, elle commençait à réaliser que son baptême était pour maintenant. « C'est n'importe quoi, je vais très bien !.. Je déteste les hôpitaux.. » lâcha t-elle, un peu pour elle-même puisque tous les membres de sa famille connaissait sa phobie. Peu à peu, la chambre se vidait et c'était encore un peu plus désemparée qu'elle se perdait en contradiction. Maman disait qu'elle sera toujours là, Casey aussi tandis qu'elle restait coincer dans ce fichu lit inconfortable. La douleur à son bras devenait un peu plus forte alors quand elle pensait que Joy allait lui prétexter une excuse pour s'eclipser... Après tout, c'est bien le dernier endroit où j'ai envie d'être alors... Pour sa mère et ses petites sœurs, cela devait être pareille : « Je reste avec toi, Rylee. Ne t'en fais pas. » « T'es gentille. Mais je comprendrais si tu as besoin d'aller prendre l'air... » mentit-elle mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Cela était assez clair puisqu'elle serra un peu plus fort la main que sa petite sœur avait glissé dans la sienne, celle qui n'avait pas de plâtre. « Je peux même rester cette nuit, si tu as besoin. Si tu ne peux pas rentrer à la maison, alors c’est la maison qui viendra à toi. » Avec un petit sourire, un peu étranglé par le sentiment d'injustice et par la douleur ressentie, elle lâcha quand même un petit rire : « Je veux pas être une chieuse mais je préférais l'inverse... » Elle prit une profonde respiration et réclama la présence de sa petite sœur, juste un peu plus proche d'elle : « J'aimerai beaucoup aller voir maman... Elle est loin d'ici ? » demanda Rylee, un peu paumée  : « Tu l'as vu ? »

Je fixais la porte, détaillais les nervures du contreplaqué, notais les différentes nuances de couleur. Je restais immobile. Je savais que je voulais voir Maman, mais j’ignorais si celle qui se trouvait derrière la porte y ressemblerait encore, si je pourrais supporter de la voir sans son sourire ou son froncement de sourcil, ou juste… je ne voulais pas voir son visage autrement que comme je m’en souvenais. Je ne voulais pas voir les blessures d’un corps brisé par la ferraille d’une folie toute humaine.
J’avais peur.
Je sentais les larmes qui montaient mais je les jugulais rapidement. Je n’avais pas envie de pleurer dans les couloirs froids de l’hôpital ; un bloc de béton coulé où des vies se disparaissaient comme autant de noyés. J’inspirais profondément pour rassembler mon courage.
Je suivais la ligne qui descendait jusqu’à la poignée de la porte.
La main dans mon dos me fit sursauter, mais quand je voyais qu’il s’agissait de Loan je décidais d’appuyer mon côté contre elle en me rapprochant d’un pas. Mes yeux se remplissaient de larmes qu’une fois encore je m’interdisais. Je parlais alors, d’une voix éraillée, tremblante d’émotions refoulée que je me refusais à ressentir. La peur, le désespoir, la sensation qu’on allait arracher mon cœur à tout instant.
« J’ai peur, mom, » j’avouais finalement. Je pinçais les lèvres, les coins tombant alors que mon menton se plissait, tremblant. « Je ne sais pas… je veux la voir. Je veux. Mais j’ai si peur du reste. »
Ma voix est comme un fantôe de ce qu’elle est d’habitude, je la reconnais à peine. C’est une inconnue qui parle pour moi. Celle qui laissa la crainte prendre le dessus, sent ses entrailles se tordre de douleur, sent une boule se former dans sa gorge, trop grosse pour la contenir. Une larme m’échappe et je m’empresse de l’efface de mon visage. Ce n’est pas le moment pour moi d’être faible. Ce n’est pas le moment pour Joy et pour Rylee. Et pour Loan.
Je pose ma main sur la porte, mes doigts glissent jusqu’à la poignée sans oser l’enclencher pour pousser le panneau de contreplaqué qui me séparait de ma mère.

Il n’est pas question que je laisse Casey découvrir sa mère dans cet état, seule. Alors je laisse Rylee en compagnie de sa soeur cadette et me faufile dans le couloir en prétextant quelque chose de plus ou moins vrai, pour me rendre devant la porte de la chambre de Stella où Casey semble avoir du mal à entrer, et heureusement. Je m’approche et lui fais sentir ma présence, accueillant la tête de ma fille sur mon épaule, reposant la mienne par dessus. « J’ai peur, mom. » Je déglutis avec difficulté et souffle quelques mots en guise de réponse. « Je sais chérie. » Je viens déposer un baiser sur le sommet de sa tête, gardant mes lèvres au plus près de sa chevelure, comme pour m’imprégner de son parfum, me rassurer l’espace d’une seconde. « Je ne sais pas… je veux la voir. Je veux. Mais j’ai si peur du reste. » Je viens glisser ma main le long de son dos et m’empare de sa main libre, celle qui ne tient pas la poignée. Je la serre doucement dans la mienne et pose mon regard dans le sien, avec aplomb, et beaucoup d’amour. « Je suis là. Je suis avec toi. On y va ensemble si tu veux. » Un soupir pour prendre une dose de courage et nous entrons ensemble dans la chambre de Stella. Dans tout ce malheur, il y a une petite part de chance finalement. Son visage n’est presque pas amoché, une petite coupure au coin de la lèvre et l’arcade recousue, mais mis à part ça, rien de très impressionnant. Elle donne l’impression de dormir paisiblement, son ventre se soulève sous la respiration artificielle et le bip régulier de son coeur donne la sensation que tout va bien, que tout ira bien. Nous nous approchons du lit et je lâche la main de Casey pour la laisser prendre le temps qu’elle voudra auprès de sa mère. « Tu veux que je te laisse seule avec elle ? » Si elle a besoin de lui parler, seule, je n’ai peut-être pas besoin d’être là, je veux juste qu’elle sache que je ne suis pas loin si elle le désire…

Le prénom de Joy n’avait jamais été aussi éloigné de son état d’esprit. Prise dans une spirale d’angoisse et de frayeur, elle n’était plus que crainte et amertume contre une vie trop fragile. Seul l’espoir que les choses s’améliorent, subsistait. C’était un drôle de mélange, un ensemble qui se déplaçait sur une corde raide, menaçant de basculer dans le précipice qu’il cherchait à traverser. Le visage tendu, la lycéenne observait sa sœur avec le cœur serré. Elle avait du mal à tout saisir tant les choses s’étaient déroulées à toutes vitesses. Les départs précipités de Casey et maman Loan de la pièce ne laissaient rien entrevoir de bon, mais il fallait faire avec, omettre l’angoisse qui lui serrait les tripes. Elle préférait consacrer son énergie à tenter de rassurer Rylee, de lui faire décrocher un sourire, même si celui-ci n’apparaissait que l’espace de quelques secondes. C’était un effort vain, tant sa sœur paraissait tendue. Son aînée avait simplement hâte de rentrer chez elles et Joy ne pouvait que le comprendre. Les chambres de l’hôpital paraissaient aseptisées, dépourvues de toute vie. Elles ne donnaient pas envie de s’éterniser dans ces lieux. « J'aimerai beaucoup aller voir maman... Elle est loin d'ici ? » finit par demander Rylee. Joy redressait le visage dans sa direction, plongeant son regard dans celui de sa sœur. Voulait-elle vraiment aller voir Stella ? La gorge de la plus jeune des sœurs se noua, son regard se fit fuyant. Elle n’avait aucune idée de l’état dans lequel pouvait se trouver sa mère et, à dire vrai, elle avait peur de le découvrir. « Tu l'as vue ? » Joy secouait la tête en signe de négation. « N-non. Je viens d’arriver et on m’a tout de suite accompagnée jusqu’à ta chambre. » Elle pinça les lèvres, se mit à renifler. Elle n’avait pas pris conscience auparavant qu’elle était à deux doigts de fondre en larmes. Pourtant, cela n’avait rien de surprenant, étant donné la situation. « Je ne sais même pas dans quelle chambre elle est ou l’état dans lequel elle se trouve. J’ai-j’ai peur… » finit-elle par admettre en venant essuyer ses yeux humides d’un revers de manche, faute d’un substitut type mouchoir en papier. Elle n’était pas sûre que c’était une bonne idée de tirer Rylee hors de sa chambre. Si cela avait été le cas, Loan et Casey s’en seraient sûrement occupées auparavant et toute la famille se serait retrouvée dans la chambre de Stella. Cependant, ni Rylee ni Joy ne pouvait deviner où se trouvaient Loan et Casey. Peut-être étaient-elles aller voir Stella ? Dans ce cas, la plus jeune des Kelley n’avait pas le droit d’interdire à sa sœur d’en faire de même. « Je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée mais, oui, on devrait aller la voir. » Peut-être que cela pourrait rassurer sa sœur. Du moins, Joy l’espérait, même si elle était effrayée à l’idée de découvrir dans quel état se trouvait sa mère. Elle ne voulait cependant pas que Rylee se fasse mal. « Mais… On n’y va que si tu acceptes que je t’y emmène en fauteuil. Je ne veux pas que tu risques de te faire plus mal. » ajouta-t-elle avant d’approcher le fauteuil à roulettes du lit, afin que sa sœur puisse y prendre place plus facilement.