seasickness (dani #3)

Je me sens seule. Je me sens seule à la maison. Je me sens seule dans ce grand lit. Je me sens seule le matin au petit-déjeuner, les yeux plongés dans ma tasse de café. Je me sens seule le soir quand le silence referme sur moi ses griffes acérées. Je me sens seule sur ce paquebot. Je me sens seule alors même qu’elle est là, juste à côté de moi. Parce que je sais que tout ça n’est qu’une parenthèse. Je sais que cette croisière n’est qu’une pause sur le chemin tortueux et recouvert de pierres. Reste en moi cette petite voix qui me rappelle que Nieves finira par repartir, par s’installer à nouveau au Planet et que je retrouverai la maison encore une fois emplie de son absence insupportable. Et je sais que mon épouse a raison lorsqu’elle dit que nous ne pouvons pas. Nous ne pouvons pas faire comme si notre vie était en train de s’effondrer. Nous ne pouvons pas faire comme si notre mariage n’était pas en train de s’effriter. Petit à petit, les fondations de notre couple tremblaient, devenaient instables et menaçaient de tout faire s’écrouler. Alors peut-être qu’on pourrait juste faire l’amour et reprendre notre route. Peut-être qu’on pourrait juste faire l’amour et repartir chacune dans une direction différente, à défaut d’avancer ensemble. Mais qu’est-ce que ça nous apporterait ? Qu’est-ce que ça changerait ? Rien. Rien, à part créer une nouvelle douleur ; rien, à part taillader une nouvelle cicatrice sur mon cœur. Je laisse échapper un léger soupir, mes bras se resserrant autour de Nieves. « C’est déjà dur… rétorqué-je faiblement, mentalement épuisée. » Je sais qu’au fond je ne sortirais pas indemne de cette salle de bains si je retrouvais notre intimité charnelle. Je sais qu’au fond il n’y a que la douleur et les regrets qui m’attendent à la fin. « Est-ce que je peux au moins te frotter le dos ? je demande finalement, à défaut de trouver mieux. Quitte à être là, autant servir à quelque chose. » Je n’ai plus vraiment la force de faire semblant ou de me persuader que tout va s’arranger. J’ai le cœur qui saigne et l’âme qui pleure. Je voudrais juste tout recommencer et ne pas commettre les mêmes erreurs. « Tu dois être contente de revoir la famille. Ça fait bien longtemps qu’on n’a pas eu l’occasion de se retrouver avec eux. » Et je devais bien avouer que la seule idée de m’asseoir à table entourée des Garcia avait quelque chose de très angoissant pour moi. Ils ne savaient pas, pour Nieves et moi. Ils n’étaient au courant de rien concernant notre situation pour le moins compliquée. Je n’étais pas prête à répondre à leurs questions indiscrètes ou à m’extasier devant eux et parler de mon quotidien ô combien parfait.

” c’est déjà dur… “ je le sais tellement. j’ai l’estomac en vrac, le coeur qui se serre et la mâchoire qui se crispe. discrètement je hoche la tête. à peine perceptible, je ne sais pas si elle l’a remarqué. mais je pense qu’elle a conscience que ça l’est pour moi aussi. je crois. on n’est plus très en phase ces derniers temps et c’est le plus compliqué à gérer. mais on ne doit pas, on ne peut pas. et c’est putain de dur. ” est-ce que je peux au moins te frotter le dos ? quitte à être là, autant servir à quelque chose. “ je suis à deux doigts de refuser. à deux doigts de lui dire que ce n’est pas une bonne idée. et pourtant sentir encore ses mains sur mon corps, ce serait juste une parenthèse très agréable. ” tu peux. “ que je finis par lâcher en tentant de planquer au plus profond de moi cette douleur que j’ai. j’ai pas envie qu’elle s’éloigne. j’ai pas envie qu’elle me lâche. et ce qui devait arriver, arriva. lorsqu’elle décolle son buste de mon dos pour commencer ce qu’elle voulait faire, je ressens juste un grand vide. un courant d’air frais, très désagréable m’enveloppe. ” tu dois être contente de revoir la famille. ça fait bien longtemps qu’on n’a pas eu l’occasion de se retrouver avec eux. “ je soupire. en demi teinte. ” j’en sais rien. enfin oui, je suis très contente de les revoir. mais… “ je me retourne doucement pour lui faire face et ancrer mon regard dans le sien. ” on va devoir faire semblant. leur dire que tout va bien entre nous. “ ça a été compliqué pour que certains acceptent mon mariage avec dani alors leur dire que maintenant on n’est plus ensemble, ça va jeter un froid que je ne suis pas prête à supporter. ” on va devoir leur mentir. et faire comme si tout allait bien. “ je me répète encore un peu, appui sur les mots, cherche vraiment à ce qu’elle le comprenne. même si je lui ai déjà dit. même si on le sait toutes les deux qu’on va devoir jouer cette mascarade depuis qu’on a embarqué sur ce bateau. ” je vais avoir besoin de toi dani… “ demande déguisée, presque suppliante. je ne peux pas affronter ça seule. je ne peux pas soutenir leurs regards à tous si elle n’est pas là auprès de moi. comme elle l’a été lorsqu’on est allées les voir pour leur annoncer notre mariage. cette présence rassurante qu’elle a toujours été. cette présence que j’ai décidé d’éloigner de ma vie depuis maintenant de nombreux mois.

Je me sentais un peu égoïste. Je n’étais finalement pas la seule à souffrir, à redouter ces retrouvailles avec la famille. Nieves la première devait avoir peur de ce que ce déjeuner avec les siens allait apporter. Il avait déjà été si difficile de leur faire accepter notre couple, notre mariage – comment pouvait-on leur annoncer que tout ça n’était plus ? J’ai empoigné la fleur de douche, les mouvements lents, et le gel douche au parfum Monoï pour commencer à lui frotter doucement le dos. C’était bien loin de tout ce que j’avais désiré, c’était bien loin de tout ce que j’avais imaginé – mais c’était sûrement mieux que rien. J’en étais venue à me contenter des miettes que l’on me lançait parce que j’étais persuadée que c’était là tout ce que j’aurais. Tout ce que je méritais. Coupée dans mon élan, je stoppe mes gestes tandis que Nieves se retourne pour me faire face. La brûlure de son regard m’atteint jusqu’au plus profond de mon âme et je déglutis doucement. Si l’eau tombant sur mes épaules n’avait pas été si chaude, je crois que je me serais mise à trembler. Faire semblant. Bien sûr que l’on allait devoir faire semblant devant la famille Garcia. Faire semblant que notre couple allait bien, faire semblant que notre amour était toujours aussi parfait. Faire semblant que notre vie était toujours aussi formidable et belle comme au premier jour. J’acquiesce lentement, incapable de parler. Je savais tout ça – mais la vérité derrière était autrement plus douloureuse. Je n’avais pas besoin de faire semblant d’aimer mon épouse. Ça ne serait pas faire semblant, ça serait juste avoir à nouveau tout ce que mon cœur réclamait. Dans un sourire tendre, je tente de rassurer la brune alors que je la vois perdre pieds sous mes yeux. « Tu sais bien que tu peux compter sur moi, soufflé-je doucement, mes doigts se posant doucement sur sa joue. Toujours. » Je pose mon front contre le sien, les doigts glissés sur sa nuque. « Ils ne se douteront de rien, c’est promis. Tu ne seras pas seule, je serai là à chaque instant. Et si tu sens que tu as besoin d’aide, tu as juste à me faire signe. » Ma paume caresse doucement la peau. « On peut convenir d’un mot de passe. Rutabaga. Tu dis rutabaga et moi, je change de sujet de conversation, je continue en riant légèrement. On fait comme ça ? » Mon épouse devait se sentir épaulée dans cette journée qui s’annonçait difficile pour nous deux. Faire face à sa famille et devoir jouer la comédie – ce n’était pas quelque chose dont elle serait fière. Alors si je pouvais m’approprier un peu de sa culpabilité, de son angoisse, ce serait une petite victoire pour moi. Après tout, nous nous étions mariées pour le meilleur et pour le pire. Nous affrontions aujourd’hui le pire.