no surprises • rusha

Je me réveille seule dans le lit ce matin. Ruben est parti travailler depuis un moment, et moi je me traîne. Il faut dire que j’ai le sommeil lourd ces jours-ci. Ou plutôt c’est que la nuit je ne dors pas beaucoup. J’en suis presque à ma dix-neuvième semaine de grossesse et le petit être qui vit en moi ne trouve rien d’autre à faire la nuit que de me mitrailler de coup de pieds. Mais je ne m’en plains pas. Au contraire, je savoure chacun de ses coups de pied avec plaisir. Je les attends même, je m’inquiète quand il n’en donne pas. Oui je dis “il”. On ne sait pas encore si c’est un garçon ou une fille, on a le rendez-vous demain. Et je sais que Ruben n’aime pas que je présume du sexe de notre enfant, même si je sais que ça l’amuse. Mais une mère ça sait ces choses là. Enfin, moi je sais que j’attends un mini-Ruben et que cet enfant sera merveilleux.

C’est l’après-midi quand je me réveilles. Comme à mon habitude j’envoie des messages à Ruben. Des choses inutiles pour la plupart. Puis je vais vers le frigo parce qu’être enceinte bon sang que ça donne faim ! Je fais que ça. Manger. Tout le temps. Et n’importe quoi. Mais il n’y a rien qui m’intéresse dans le frigo. Alors je décide qu’il est temps d’aller faire les courses. C’est le moins que je puisse faire, au lieu de traîner toute la journée dans notre appartement ! Je prends mon sac, les clés de la voiture et quelques minutes je suis sur la route à me demander si j’ai bien fermé la porte d’entrée ou non. Tant pis, je suis déjà partie. Le feu passe au vert et je met mon clignotant pour aller vers le fast-food du coin, le supermarché attendra. Mais je ne vois pas la voiture qui a grillé son feu et qui me fonce dessus.

Douleur. J’ai tellement mal. Je ne sais même pas où tellement j’ai l’impression d’avoir mal partout. Et puis où je suis ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Et puis je reconnais l’hôpital où je travaille depuis… combien d’années déjà ? Je vois Ruben. Je crie son nom, je veux qu’il soit près de moi, qu’il me tienne la main. Mais non, je reste seule dans ma douleur. “Le bébé… Est-ce que le bébé va bien ?” Mais déjà un médecin me met un masque, il m’endort. Je lutte, je lutte de toutes mes forces. Mais le sédatif est plus fort. Et puis tout devient noir.

J’appuie sur envoyer et souris. Comme à chacune de mes gardes, Aly m’envoie des sms et moi je lui réponds pendant les pauses. Mais c’est l’heure de reprendre. Ma tasse de café dans l’évier de la salle de repos, je renfile ma blouse et me dirige vers la salle de mon premier patient. C’est juste une visite de contrôle, ce qui me plait le plus. “ Salut bonhomme, comment tu vas aujourd’hui ? ” Cabe a quatre ans, il est ici pour une leucémie. C’est pas le plus drôle dans mon travail, mais Cabe réagit bien à la chimio alors il y a un espoir. Il me raconte sa journée, me dit qu’il a vu passer le clown de l’hôpital. Je souris et écoute son récit alors que mon bipeur se met en route. “ Excuse moi gamin, il faut que j’y aille mais je reviens vite. ” Les urgences qui m’appellent, c’est jamais bon signe. Je me dépêche et rejoins l’entrée. “ Qu’est ce qu’il… ALY ! ” Je la vois, ma femme, étendue sur un brancard avec beaucoup trop de sang pour que ce soit normal. “ Qu’est ce qu’il s’est passé ? ” Je me précipite vers les ambulanciers et surtout vers Aly qui sombre dans le sommeil. On l’emmène, on me dit de rester là, je ne comprends rien à ce qu’il passe. L’ambulancier qui l’a amené tente de m’expliquer la situation, un accident de voiture.

Le bip bip du moniteur m’assourdit. Quatre heures sur la table et là voilà en salle de réveil, moi qui attend que ses yeux s’ouvrent enfin. Sa main dans les miennes, je reste figé sur son rythme cardiaque régulier. Pourtant, il risque de devenir archaïque à son réveil. Lorsque je le lui aurai annoncé. Mais pour le moment, je veux juste qu’elle se réveille. Accoudé sur le lit, je sens ses doigts qui bougent au contact des miens. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis posté là. Et ça y est, elle ouvre enfin les yeux. Les miens sont rougies par les larmes qui se sont écoulées. “ Bonjour mon coeur. ”

Je suis toujours dans le noir mais j’entends des bips réguliers pas loin de moi. Peu à peu je retrouve mes sens les uns après les autres. Ma main. Quelqu’un l’a prise entre les siennes. Ruben. Oui, ce sont ses mains. J’essaie de serrer mes doigts autour des siens. Je ne sais pas si ça a marché. Puis le noir commence à se dissiper doucement. Je commence à voir de la lumière. Trop de lumière. Mes yeux papillonnent puis ma vision enfin se clarifie. Je trouve les yeux de Ruben. Ses yeux sont rouges, il a pleuré. J’essaie de réfléchir mais je ne me rappelle pas ce qu’il s’est passé. “ Qu’est-ce que…” J’essaie d’articuler mais j’ai la gorge sèche. L’après-coup de l’intubation ? Merde, j’ai été opérée? Je n’arrive pas à me souvenir. “Ruben ?” Je me tourne vers lui pour avoir des réponses, mais j’ai l’impression que son visage se décompose, je ne comprends pas ce qu’il se passe.

Elle s’éveille, elle me regarde et semble totalement perdue. Je lui souris, je tente de la rassurer, mais j’ai du mal. La nouvelle me trotte encore en tête. Et je pense qu’elle ne pourra jamais en sortir. “ Chut, ne tente pas de parler. ” J’attrape le verre posé sur la tablette et le remplis d’eau avant de le lui tendre. Je me redresse et l’aide à s’asseoir pour boire à l’aide de la paille. “ Tu ne te souviens pas de ce qu’il s’est passé ? ” Elle semble vraiment ne pas comprendre ce qu’elle fait là. Elle ne semble vraiment pas savoir pourquoi elle est allongée dans ce lit. “ Doucement. ” Qu’elle prenne son temps pour boire, sa gorge a été irritée par l’intubation. Elle le sait pourtant, on le dit assez souvent à nos patients. Mais lorsqu’on se retrouve dans cette situation, tous les conseils deviennent flous. “ Tu as eu un accident de voiture. ” C’est déjà un début, c’est une explication. Ce n’est pas tout, mais je préfère qu’elle assimile déjà cette donnée. Je me place sur le lit, la décale un peu et passe mon bras autour de ses épaules.

Je suis complètement perdue. Je suis en plein brouillard et je n’arrive pas à réfléchir. Mais j’ai mal à la gorge et je suis visiblement à l’hôpital. Je devine que j’ai été opérée mais je n’ai aucune idée de pourquoi, c’est encore un mystère. Ruben essaie de me rassurer, il me donne un verre d’eau. J’ai du mal à boire mais je me force. J’essaie de me souvenir mais impossible. Je secoue simplement la tête quand il me pose la question, toujours occupée à boire. Puis je lui tends le verre, à moitié bu, qu’il repose sur la table avant de me révéler la raison de ma présence. Un accident ? Et puis soudain, dans un flash ça me revient. Je revois la voiture foncer sur moi. Un connard qui grille un feu rouge. Et puis de la douleur. Du sang. Mon pouls s’accélère. Ruben essaie de me rassurer, il m’entoure de ses bras et je dois reconnaître que ça fait du bien, ça aide. Mais je n’arrive pas à me concentrer sur lui. Mes doigts viennent se poser sur mon ventre qui commençait tout juste à s’arrondir avec la grossesse. Cette fois mon cœur commence à avoir des ratés, je sens la panique arriver. “Le bébé va bien ?” Je demande alors doucement. Je m’écarte légèrement pour voir Ruben. Pour voir son visage. Et je commence vraiment à m’inquiéter. Mes bras se resserrent autour de mon ventre, comme pour essayer de le protéger. “Comment va le bébé ?” Cette fois mon ton trahit une pointe d’hystérie. Je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie.

Je le lui dis, je lui annonce qu’elle a eu un accident. Je resserre mon emprise sur elle et je sens qu’elle se perd dans ses pensées. Visiblement elle se souvient de son accident, j’entends les bip s’accélérer. Et ce n’est pas fini. Non, ce n’est définitivement pas fini. “ Tu n’as rien, juste quelques contusions et une entorse bénigne à la cheville, tu seras vite sur pieds. ” Voilà pour elle, mais je sais qu’elle ne va pas s’arrêter à son état. Qu’une autre question va arriver. Et là voilà. Elle me la pose et je reste comme un con. Je ne dis rien et la serre un peu plus alors qu’elle se retourne vers moi. Elle serre son ventre et le mien se retourne totalement. J’ai la gorge sèche, la tête qui tourne et sa question arrive comme une gifle en pleine tête. Je ne sais pas si elle a compris mais les bips s’accélèrent, mon coeur s’emballe aussi et je manque d’oxygène. “ Il… ” Comment lui annoncer ça. Comment le lui dire. La nouvelle est encore fraîche dans ma tête et pourtant, j’ai l’impression de ruminer cette information depuis 10 ans. “ Il n’a pas survécu… Tu as fait une fausse couche. ” Je me prépare à sa réaction, j’ai les larmes qui reprennent et je la serre contre moi. “ Je suis désolé Aly, tellement désolé… ”

Rien qu’à son regard, à la façon qu’il a de me regarder et de resserrer son emprise autour de moi. Rien qu’à ça je devine qu’il y a quelque chose qui cloche. Je crois savoir ce qu’il va dire. J’espère de tout mon coeur me tromper. Mais ses yeux me disent déjà ces mots que ses lèvres n’arrivent pas encore à prononcer. Mais aussi horrible que ça puisse paraître j’ai besoin de l’entendre. Je me crispe, comme si je me préparais à être frappée de plein fouet. Et ça ne trompe pas. Il m’annonce la nouvelle. Et j’ai le souffle coupé. Il me serre contre lui et je n’arrive pas à respirer. Je sens comme une pression, un coup de poignard. J’ai l’impression qu’on vient de m’arracher le coeur. Je m’écroule contre lui et puis quand enfin j’arrive à prendre une grande respiration c’est pour ensuite expulser ce cri déchirant plein de douleur. Mais ça ne me soulage pas, comme ça le pourrait ? Et au fond je sais que c’est injuste pour lui mais je me débat entre ses bras, je ne veux pas qu’il me touche. “Lâche moi ! Laisse moi ! Laisse moi !” Je hurle, ou j’essaie. Mes cris sont étouffés par mes sanglots. Puis j'arrête de me débattre, j’en ai pas la force de toute façon, et je m’écroule dans ses bras, en larmes.

Ses larmes commencent à couler également. Je n’étais pas préparé à ça. Je n’étais pas prêt pour ça. Personne ne peut l’être. C’est impossible, impensable. Je la serre contre moi pour me rassurer, pour la rassurer. Je ne peux rien faire d’autre, rien ne peut empêcher cette douleur. Si je la ressens déjà avec autant de force, ça n’est que bien plus dur pour elle. Je ne peux que comprendre à moitié, rien de plus. Son cri me déchire les entrailles et j’essaye de la réconforter en vain. Je ne peux pas, pas maintenant. Elle se débat, elle veut que je la lâche. “ Je ne te laisserai pas. ” Ca c’est dit, je ne m’en irai pas, je ne l’abandonnerai pas. Je serai là pour elle, quoiqu’il arrive. C’est ça le mariage. C’est ça d’aimer quelqu’un. Alors je l’entrave, je l’empêche de me repousser et elle abandonne enfin, certainement à bout de force. “ Calme toi mon coeur… ” Je lui caresse les cheveux, je tente de ravaler mes larmes qui continuent de couler. “ Ça ira, ça va aller, on fera tout pour. ” Oui, on le fera. Mais quand et comment, ça c’est compliqué. Surtout vu tout le reste. Surtout vu l’état de santé d’Aly. Et je ne parle pas de l’accident. Ce n’est que superficiel. Ce n’est rien.

Je ne veux pas l’entendre. Je ne veux pas l’écouter me dire que tout ira bien, qu’on s’en sortira, parce qu’on s’en sort toujours. On s’en sort pas. Je meurs. Notre bébé meurt. Est-ce que tout le monde doit mourir autour de moi ? Je sais c’est idiot de penser ce genre de choses, mais c’est ce que je ressens. Je suis à bout de forces. J’ai lutté. J’ai essayé de vivre une vie normale mais à chaque fois qu’on réussit à se créer un bonheur, on nous l’enlève. Je n’en peux plus. Je me sens si vide. Je me sens démolie. Bien plus que lorsque j’ai appris que j’avais une tumeur inopérable qui me grignotait le cerveau. “Non ça ne va pas aller...” Je réponds simplement d’une voix faiblarde. Je me redresse légèrement, doucement. Je vois les larmes couler sur ses joues et ça me brise encore plus le coeur, comme si c’était possible. J’ai l’impression de mourir de l’intérieur, rien à voir avec la tumeur. Je voudrais lui sourire, le réconforter lui aussi, mais j’en ai pas la force. Au lieu de ça je me remet à pleurer, et je m’en veux. Alors je détourne le regard. J’essaie de lui échapper. C’est idiot je sais mais je ne pense pas rationnellement. Je suis assaillie par les hormones, l’état de choc et les anesthésiques. “Tu comprends pas ! Jamais ça n’ira. Jamais on ira bien ! Notre bébé est MORT !” Voilà que j’étais à nouveau hystérique. Je réalisais petit à petit. Mes doigts crispés sur mon ventre. “Il est mort...” Derrière moi, le moniteur se mit à sonner frénétiquement.

Je ne peux pas lui reprocher d’être négative. De dire que ça n’ira pas. Je suis du genre positif en règle générale, mais lorsque ce genre de choses nous tombe sur le coin de la tronche, c’est difficile de l’être, c’est difficile de le rester. Elle se redresse, me regarde. Je reste là mais je n’arrive plus à sourire. Je tente juste de faire passer tout l’amour que je peux à travers mon regard. Parce que ça ce n’est pas feint, c’est réel. C’est une vérité qui ne changera jamais. Je l’aime. Plus que tout. Elle est calme, elle était calme. Mais c’était le calme avant la tempête. Mon coeur se serre à nouveau lorsqu’elle met le doigt sur l’évidence. Oui, le bébé, notre bébé est mort. Et ça fait mal. Encore une fois. Et comme toutes les fois où on l’entendra. J’aimerai effacer cette réalité, que ce ne soit qu’un affreux cauchemar. Je l’embrasse sur le haut de la tête mais j’entends le moniteur qui s’emballe bien trop. “ Calme toi mon coeur. ” Mais c’est peine perdue. Les bips sont frénétiques et les infirmiers entrent dans la pièce. Elle fait une crise de panique. Je suis impuissant, je ne peux rien faire. On me demande de sortir, je ne veux pas mais je n’ai pas le choix. “ Je reviens ! ” Deux mots criés à Aly alors que la porte se referme sur moi. J’attends que le médecin ressorte et qu’il me dise qu’ils ont dû la mettre sous calmants. J’entre à nouveau et reprends ma place à ses côtés, serre la main de ma femme à moitié endormie et m’endort, la tête posée sur le matelas.

Les jours qui ont suivis ont été très difficiles. Les médecins étaient obligés de me sédater. Sans ça je n’arrivais pas à dormir. Puis au bout de deux jours d’observation on m’a fait sortir. Je n’avais que quelques bleus et ma cheville était déjà remise. Ils ne m’ont gardé qu’à cause de la tumeur, au cas où. Mais il était temps de rentrer chez moi. Je n’ai rien dit, je n’ai pas ouvert la bouche une seule fois. Même une fois à l’appartement, je suis restée prostrée dans mon silence. Je n’ai même plus de larmes tellement j’ai pleuré. Hier je suis restée sur le lit toute la journée. Dans le noir. Je n’arrive pas à dormir, ni à manger, je n’ai envie de rien. Et je sais que Ruben ne le supporte pas, de me voir comme ça. J’essaye de faire des efforts mais je peux pas. C’est trop dur. Et puis cet endroit… ces dix-neuf dernières semaines me hantent. C’est ici que j’ai cru être enceinte, c’est ici que j’ai découvert que je l’étais, c’est ici que j’observais mon ventre qui commençait à s'arrondir dans le miroir, c’est dans ce lit que chaque nuit je savourais les coups de pied de mon bébé. Notre bébé. C’est trop dur. Je lève les yeux vers Ruben. Je crois que je ne l’ai plus regardé depuis qu’il m’a annoncé la nouvelle, je n’arrête pas de fuir son regard ces derniers temps. Je ne peux pas l’affronter. Mais cette fois il le faut. Je le regarde donc. “Je vais rentrer chez mes parents. A Winnipeg.” Ma voix est un peu rauque. Je n’ai pas parlé depuis un moment, et les sanglots qui m’ont assaillis sans relâche ont l’air d’avoir resserré ma gorge considérablement. “J’ai déjà envoyé un message à ma mère. Je pars ce soir.”

J'ère, un peu comme un fantôme dans une maison hantée. Sauf que cette maison hantée, c'est mon appartement. Notre appartement. Ils ont accepté qu'elle rentre à la maison, enfin. Deux jours sans elle c'est trop long. Et ce, même si j'ai dormi à l'hôpital le temps qu'elle y était. Il y a quelque chose qui ne va pas, je le sens. Et en même temps, comment ça pourrait être autrement ? On vient de perdre notre bébé. Elle vient de perdre son bébé. Mais elle s'enferme dans ce mutisme qui me tue à petit feu. Elle m'évite et évite mon regard. Même si je tente de l'approcher, elle se renferme sur elle même. Elle ne mange plus, ou presque plus. Elle boit à peine et j'ai du mal à lui faire avaler ses médicaments. Je ne lâcherai pas, il en est hors de question. Je m'approche d'elle, passe ma main dans ses cheveux, comme un geste habituel. Un peu trop habituel d'ailleurs. J'essaye de la faire réagir mais ça ne fonctionne pas plus que les autres fois. Le temps passe et enfin, elle relève le regard vers moi. Mais les mots qu'elle prononce ne sont pas vraiment ceux que je voulais entendre. " Pardon ? " Non, je ne comprends pas ce qu'elle me dit là, c'est pas logique. Et elle continue. " Comment ça tu pars ce soir ? Tu peux pas partir. " Non, elle peut pas.

Si je n'osais pas le regarder dans les yeux depuis plusieurs jours, là j'ai encore plus de mal. Je m'en veux tellement de lui faire ça ! Il est là pour moi, il est tout le temps là pour moi, quoi qu'il se passe il ne m'abandonne jamais. Je sais que ça le fait souffrir et je m'en veux tellement de lui faire ça. J'ai l'impression d'être horrible. Et ce sentiment en plus du reste, non je ne peux pas, je ne supporte pas cette situation. Et Ruben n'a rien à voir avec ma décision, c'est moi. Je n'y arrive pas et je ne veux plus être poids pour lui. "Je ne peux pas rester ici Ruben c'est..." Ma voix est moins rauque mais j'ai toujours du mal à parler, cette fois à cause d'une boule dans ma gorge. Je n'arrive pas à... penser ? Je ne sais plus. "Tu vois bien que j'y arrive pas ! Je suis pas comme toi, j'arrive pas à... aller bien ou faire semblant d'aller bien, je suis pas forte comme tu l'es et... je peux pas continuer à être un poids pour toi." Je n'arrive pas à croire que j'ai sorti autant de mots, j'ai l'impression de ne pas avoir parlé depuis une éternité. Sauf que là je n'ai pas parlé, je suis même allée jusqu'à me lever du canapé et hausser le ton. Enfin, dans mon état rien de très impressionnant mais assez pour que ça se remarque.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Elle peut pas partir. Non ? Elle peut pas. C'est pas possible. Je sais que j'ai l'air con à buguer ainsi mais c'est le cas, je bug. "Je ne peux pas rester ici Ruben c'est..." Je me redresse, je l'observe. Je tente de comprendre où vont ses mots parce qu'ils n'atteignent pas mon cerveau en fait. "Tu vois bien que j'y arrive pas ! Je suis pas comme toi, j'arrive pas à... aller bien ou faire semblant d'aller bien, je suis pas forte comme tu l'es et... je peux pas continuer à être un poids pour toi." Elle s'est redressée, elle s'est levée. Je fais de même et me place face à elle. " Mais tu n'es pas un poids pour moi et tu ne le seras jamais. " Je ne comprends pas pourquoi elle pense ça tout à coup. " On doit affronter ça ensemble Aly. C'est toi et moi. On est mariés, pour le meilleur et pour le pire. " C'est ça non ? La mariage. C'est pour ça qu'on s'est engagés. Je ne comprends pas ce qu'elle cherche à faire. " Je ne veux pas que tu partes. Tu peux pas juste tout quitter comme ça. " Ni me quitter comme ça d'ailleurs. Je ne peux pas vivre sans elle. Je sais déjà qu'on a pas assez de temps tous les deux et elle, elle veut encore nous en ôter. Alors je ne comprends pas. Pourquoi elle veut partir. J'ai mal au crâne et clairement le manque de sommeil des derniers jours ne m'aide pas à me concentrer sur ses paroles. Et sur sa foutue logique.

Il est face à moi à présent et c'est de plus en plus dur de soutenir son regard. Je ne peux pas supporter ça, je ne peux pas supporter ce regard qu'il me jette, plein de détresse et d'incompréhension. J'ai l'impression de lui briser le cœur et d'être horrible mais je n'arrive pas à trouver d'autre solution. "Tu ne comprends pas !" Je m'exclame, luttant contre les larmes que je pensais pourtant avoir épuisées. "Tu sais ce que je vois ici ?" Je pointe notre chambre du doigt. "Je vois l'endroit où... j'ai senti les coups de pieds toutes les nuits. Où je me regardais tous les matins pour voir mon ventre s'arrondir. L'endroit où on aurait mis le berceau..." J'ai du mal à respirer, il faut que je me calme. Je cache mon visage entre mes mains quelques secondes et j'essaie d'inspirer et d'expirer lentement. De me calmer. Mais comment le pourrais-je ? Comment je pourrais être calme, ici ?"Je veux pas te quitter Ruben, je t'aime et ça ne changera jamais. Mais rester ici c'est... trop dur." Cette fois je m'approche de lui, je cherche le contact, je ne veux pas qu'il m'en veuille. Mais je sais bien que c'est inévitable. J'ai l'impression d'être si égoïste !