Hidden place | Tara

Alexis pédalait dans les ruelles, franchissant sans difficulté un grillage avant de poursuivre sa route. Ces derniers temps la police était de plus en plus présente dans le quartier. Ils devaient certainement avoir compris qu’elle agissait principalement dans les environs. Elle allait devoir faire attention et s’arrêter un temps pour laisser le bruit retomber.
En attendant, elle devait trouver un moyen de disparaître, sans quoi elle finirait en prison. Autant dire qu’elle préférait ne pas imaginer ce que les filles en penseraient, sans parler de son frère.
Regardant partout autour d’elle, elle repéra l’échelle d’un escalier de secours. Elle était un peu trop haute pour elle, elle allait devoir trouver un truc. Heureusement, elle était versée dans l’art de la fuite. Prenant de l’élan, elle roula jusqu’au container pour monter dessus, faisant un nouveau bond vers l’échelle qu’elle attrapa in extremis. Un sourire aux lèvres, elle monta assez pour pouvoir attraper son vélo et le caler sur son épaule, grimpant ensuite sur le palier. Bien, ici elle devrait être tranquille. En plus il y avait une fenêtre ouverte, elle pourrait peut-être se cacher quelques heures avec de la chance.

Discrètement, elle grimpa encore un peu avant d’arriver au premier étage de l’immeuble. Elle laissa son vélo contre le mur, espérant que personne ne le remarquerait, et se glissa à l’intérieur de l’appartement. Tout était calme autour d’elle à première vue, alors que ses pas se faisaient discrets. Où est-ce qu’elle était ? On aurait dit une chambre, ou peut-être un bureau. Ou les deux.
La lumière du bureau était allumée et Alexis jura intérieurement. Le propriétaire des lieux devait encore être debout et allait peut-être revenir d’une seconde à l’autre. Elle devait se cacher jusqu’à ce que la voie soit libre. Entendant quelqu’un revenir, elle fit la première chose qui lui passa par la tête et se glissa sous le lit en silence.

Bientôt elle vit des pieds revenir dans son champ de vision alors que le sang battait contre ses tempes et que ses mains devenaient légèrement moites. Bonne nouvelle, c’était des pieds de femme. Au moins tout ça risquait moins de mal finir. La personne sembla s’installer de nouveau à son bureau et Alexis attendit, jusqu’à ce qu’un léger coup de vent ne vienne balayer la poussière sous son nez.
Atchi.
Bon. Pour la discrétion on repassera.
Alexis roula de dessous le lit et se redressa, levant les mains en signe de paix pour indiquer qu’elle ne lui voulait aucun mal. Puis elle reconnu le visage de la femme. Oh.
« Tara ! »
Depuis la dernière fois, elle était repassée une fois au café, en coup de vent pour prendre un chocolat et ne pas se faire oublier. Maintenant elle souhaitait que la brune l’ait oublié, parce qu’au moins comme ça elle ne connaîtrait pas son identité, ce qui rendrait la fuite beaucoup plus facile. Mais pour le coup, elle était bloquée.

Elle n’arrivait pas à dormir, encore, et avait abandonné l’idée d’essayer. Elle s’était alors préparée un thé et avait lancé un long regard en direction de la machine à écrire pour s’y installer dans un soupir. Il y avait un tas de feuilles déjà posé à sa droite ainsi qu’une belle réserve de pages vierge à sa gauche. On lui avait déjà demandé mainte et mainte fois la raison de cette drôle habitude, pourquoi ne pas écrire sur un ordinateur, pourquoi fuir ainsi la technologie ? Parce que ça brisait le charme de l’écriture et qu’elle avait rêvé d’être en possession d’une machine à écrire depuis qu’elle était gamine. Celle qui se tenait devant elle avait été le dernier cadeau de son père avant que ce dernier se fît poignarder par un irlandais extrémiste.

Ses doigts se mirent à taper la suite de l’histoire sur laquelle elle planchait depuis un an maintenant. Sa cousine n’avait même pas eu le droit d’y jeter un œil, personne n’aurait cette chance, elle voulait que le récit fût parfait avant que quiconque ne pût poser son regard dessus. D’un geste automatique, elle ramena le marqueur à la ligne et continua son écriture, buvant une gorgée de thé de temps en temps pour ordonner sa réflexion. Le rituel dura une bonne heure avant que Tara ne ressentît l’appel de mère nature qui la conduisit aux toilettes. Elle détacha ses cheveux sur le chemin du retour et retira ses pantoufles, elle avait trop chaud malgré son t-shirt trop grand et son shorty qu’on voyait à peine. La pièce était incroyablement bien chauffée.

Tara prit place une nouvelle fois dans son bureau et était prête à reprendre sa rédaction quand un détail attira son attention toute particulière. Elle était sûre que sa fenêtre n’avait pas été aussi grandement ouverte, un éternuement la fit sursauter et sa main se saisit automatiquement de sa tasse vide, prête à la balancer à la figure de la personne qui n’avait rien à faire là. Elle esquissa un pas en arrière en voyant une silhouette s’extirper hors du lit et balaya la pièce du regard à la recherche de son téléphone portable, mais ce dernier semblait être parti en vacances. Parfait, elle pouvait oublier l’idée d’appeler la police.

Son nom fut crié et elle eut le réflexe de balancer la tasse qui s’écrasa contre le mur pour former une pluie de débris. Merde. Elle s’accorda un bref délai de réflexion afin de reconnaître la personne et sentit son sang se figer dans ses veines. « Alexis ?! » Certes elle l’avait vu deux fois dans sa vie, mais la blonde possédait un visage qu’on n’oubliait pas de sitôt. « Mais qu’est-ce que tu fous sous mon lit ?! » Sa voix était montée dans les aigus, de quoi étonner le monde elle qui était d’ordinaire si grave.

Bon, visiblement sa venue n’était pas exactement la bienvenue. Alexis eut l’heureux réflexe de se baisser quand Tara lança la tasse dans sa direction, l’esquivant de justesse. La blonde n’aurait jamais pensé que la libraire savait lancer aussi bien, mais apparemment si, donc elle n’était pas certaine que garder ses distances soient une bonne idée. Ceci dit se rapprocher non plus. La plus ou moins bonne nouvelle toutefois, c’était qu’elle l’avait reconnue. Malheureusement elle n’exclama pas son nom dans un contexte qui plaisait vraiment à Alexis.
Elle fit un sourire peu convainquant à la brune avant de lui répondre, observant les sorties qu’il y avait dans la pièce. S’échapper par la porte ne servirait à rien, en plus la fenêtre était encore ouverte. Mais si elle s’enfuyait maintenant, elle devrait certainement changer d’état pour commencer une nouvelle fille. Quelque chose que la jeune femme n’avait pas vraiment envie de faire.
« Moi-même. Et concernant ce que je fais ici euh… »

Qu’allait-elle dire ? Elle pouvait mentir, dire qu’elle se faisait poursuivre par un chien ou quelque chose du genre, dire qu’elle voulait le prochain tome d’Artémis Fowl, ou quelque chose comme ça et passer pour une folle ou/et une stalkeuse. Ou elle pouvait dire la vérité. Une perspective qui ne l’enchantait guère, autant être honnête.
« Je fais partie d’un groupe de super-héros dont le but est la prévention des dangers de laisser sa fenêtre ouverte ? » tenta-t-elle malgré tout.
Au vu de la réaction de Tara, elle ne la croyait pas du tout. Comme c’était étonnant.
Bon alors quoi ? la vérité ? Elle ne pouvait pas faire ça, Tara allait complètement appeler la police pour la dénoncer. Et en soi elle n’aurait pas tort, voler c’était mal. Mais ce n’était pas comme si Alexis volait les pauvres ou qu’elle prenait plus que ce dont elle avait besoin. En plus en général elle finissait par redonner la moitié de ses butins à d’autres personnes.
Bizarrement elle doutait que ces arguments fassent mouche auprès la brune.
Alors la vérité. Au moins une partie.

« J’étais en train de me faire courser par la police, j’ai vu une fenêtre ouverte et… je suis entrée. Je ne pensais pas trouver quelqu’un réveillé aussi tard. » Ce n’était pas vraiment une excuse. « Je comptais juste attendre quelques heures le temps de me faire oublier et repartir. » Elle passa une main dans ses cheveux, prenant un air gêné en détournant le regard. « Du coup… Tu veux bien m’offrir l’asile s’il te plaît ? » Elle ne tenta pas de sourire charmeur cette fois-ci. Il faut dire, la draguer n’aiderait pas vraiment à plaider sa cause.
Elle releva malgré tout le visage vers Tara pour voir sa réaction et pouvoir s’enfuir au besoin.

Elle était complètement perplexe et regrettait déjà le fait qu’elle n’avait pas de petit-ami dans son lit à sacrifier. Elle l’aurait sans hésiter envoyer comme un boulet de canon sur la blonde pour la chasser, mais malheureusement elle était célibataire et n’avait aucune chance de la faire bouger d’un pouce. Certes son sport qu’était la « danse sur rideau » lui avait offert une fine musculature suffisamment discrète pour surprendre les personnes, mais quand même. Tara attendait alors la raison de l’intrusion de la blonde dans son appartement et priait pour qu’il ne s’agît pas d’une stalkeuse professionnelle qui allait l’enlever pour ensuite l’enfermer dans son musée des horreurs. Ne jamais regarder Black mirror avant de dormir, jamais.

Un premier sourcil décolla vers son front rapidement suivi du deuxième quand la ligue de super-héros des fenêtres ouvertes fut abordée et elle vérifia s’il n’y avait pas par hasard une seconde tasse sur son bureau, cette fois-ci elle ne la raterait pas. Hélas, le bureau n’avait plus que cette merveilleuse machine à écrire qu’elle n’utiliserait comme arme pour rien au monde. « Alexis, réponds sérieusement ou j’appelle les flics. » Tara était une fille patiente, mais elle n’aimait pas être prise pour une gourde, surtout quand on entrait par effraction chez elle au beau milieu de la nuit.

Se faire courser par la police, hm. Elle se rappelait de son comportement lors de leur première rencontre et crut réussir à faire un lien entre Alexis qui sortait le vélo de la poubelle et l’officier qui était venu lui poser quelques questions. Elle croisa un peu plus les bras contre sa poitrine et pinça les lèvres. Tara n’aimait pas désobéir à la loi et n’était pas une grande fan de Robin des Bois, Alexis n’était donc pas tombée sur la bonne samaritaine du coin. « Clairement tu vas… » On tambourina contre sa porte et Tara fit un bond sur place. Merde. C’était Maddison, elle avait oublié qu’elle dormait dans le salon. « Tara, t’es somnambule ou tu t’envoies en l’air avec toi-même ? »

Sous la panique, elle saisit Alexis pour le col et l’entraîna vers son armoire. « Fous-toi là-dedans ! » Elle referma brusquement les portes et offrit un sourire des plus innocents à sa cousine qui venait de pointer le bout de son nez pour vérifier que tout allait pour le mieux. Une fois satisfaite de voir Tara pure et innocente elle fila sans rien demander de plus. Tara garda ses deux mains posées sur l’armoire et inspira un grand coup, réfléchissant à ce qu’elle pouvait bien faire de cette voleuse au sourire d’ange.

Au moins Tara n’aurait pas besoin d’appeler les flics, elle aurait juste à crier dans la rue qu’Alexis était là et ils se ramèneraient dans les dix secondes qui suivaient. Un fait qu’elle finissait par partager, malgré le bon sens qui lui disait que ce n’était pas la meilleure idée qu’elle avait eu jusqu’à présent. La preuve, Tara était sur le point de la mettre à la porte. Fort heureusement, elle fut interrompue par une voix en provenance de derrière la porte, après qu’on ait tambouriné contre, un geste qui fit légèrement sursauter la blonde qui dû se forcer pour ne pas se mettre immédiatement sur la défensive.
Alexis fronça les sourcils : la voix ressemblait à celle de l’autre vendeuse à qui elle avait déjà vaguement pu parler. Elle fut surprise de sentir la brune l’agripper par le col pour la jeter dans l’armoire. Elle se sentit pendant une seconde comme l’amant qu’on cachait dans les films, quand le mari rentrait, et se demanda quel était le lien exactement entre les deux femmes. Dans ses souvenirs, tara lui avait dit ne pas s’intéresser à la gente féminine. Hm. Elle lui aurait menti ? Non, elle semblait sincère…
Elle pourrait peut-être lui poser la question. Quand elle ne serait plus dans le placard.

Un instant plus tard, une fois la porte de la chambre refermée, elle entendit les portes grincer sous une légère pression. Elle posa sa main contre la porte à son tour, puis après quelques secondes supplémentaires d’attente frappa contre le bois comme on frappait à une porte d’entrée, bien que plus discrète pour ne pas être entendue de Maddison.
« Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais la police me poursuit. Pourriez-vous m’offrir l’asile s’il vous plaît ? » demanda-t-elle comme si ça allait bien pouvoir changer quelque chose, même si elle le faisait en la vouvoyant de nouveau pour ajouter une demi-pointe d’humour. « Je suis trop jeune et trop jolie pour finir en prison, et je vous sais généreuse. Aussi je peux même rester dormir dans le placard s’il le faut, j’ai déjà connu pire. » Elle marqua une brève pause. « Promis je ne volerai aucun sous-vêtement. »
Et ce fut le commentaire qui lui fit perdre son sérieux puisqu’elle commença à rire un peu, étouffant celui-ci dans sa main. Elle aurait peut-être dû se taire et garder son humour pour elle-même, mais elle était Alexis. Elle savait autant se tenir qu’un ours qu’on essayait de mettre à table. Donc pas beaucoup. Et puis ça cachait les vérités qu’elle avait énoncées. Elle pensait réellement que Tara avait le regard chaleureux et qu’elle semblait généreuse, et elle aurait aimé ne pas la déranger, mais elle n’avait pas eu le choix. Et elle ne volerait bien sûr pas de sous-vêtement.

Tara essayait tant bien que mal de garder son calme, de se dire qu’au pire des cas il devait s’agir d’un rêve et qu’elle ne tarderait pas à se réveiller, mais elle n’était malheureusement pas assez naïve pour croire à de tes miracles malheureusement. Il y avait une voleuse dans son armoire et les flics devaient encore sûrement traîner dans la rue, il suffisait qu’elle fermât à clef le temps d’une minute pour leur crier qu’elle se trouvait là et qu’ils pouvaient la cueillir dans le plus grand des calmes. Ce n’était pas dans sa nature de profiter de la situation de faiblesse d’une personne pour ainsi la mettre derrière les barreaux, mais il fallait dire que c’était bien la première fois qu’elle se trouvait dans ce genre de dilemme cornélien. Les coups contre le bois de son armoire lui firent redresser la tête et chassa les étranges idées qu’elle avait au fond du crâne. Ses mains ne bougèrent pas d’un centimètre mais son regard se fissa contre les portes.

Elle était prête à lui demander de se taire, mais le fit qu’Alexis avouât qu’elle avait déjà dormi dans de pires conditions la fit tiquer. Tout comme le commentaire sur les sous-vêtements. Qu’es-ce… Elle n’allait tout de même pas oser ?! Elle put l’entendre rire de l’autre côté et ses sourcils se froncèrent, vexée de se faire avoir de la sorte avec quelques mots lancés ainsi à la volée. Elle n’avait pas de temps à perdre clairement, elle avait soudainement envie de se réfugier sous ses draps pour oublier l’existence du reste du monde, mais elle n’avait pas le choix à l’instant présent, il fallait s’occuper du cas de la blonde.

Dans un soupir, Tara esquissa quelques pas en arrière pour la libérer et croisa les bras une fois que cette dernière fut sortie. « Tu n’as pas l’impression de te foutre un peu de moi Alexis ? » Elle était énervée parce qu’elle avait apprécié le comportement d’Alexis lors de leur première rencontre, mais là il s’agissait d’une situation qui la mettait hors d’elle et qui lui donnait l’impression d’avoir le dos contre le mur. « L’humour ne marche pas avec moi désolée. » Elle se mit à faire les cent pas avant de soupirer et de sortir un tapis de sol de derrière son armoire pour le balancer sur le sol ainsi qu’un sac de couchage aux couleurs et à l’écusson du camp scout qu’elle avait rejoint durant son enfance en Irlande. « Demain tu pars le plus tôt possible, je n’aime pas mentir aux flics. »

Enfin, la porte du placard s’ouvrit et Alexis cligna des yeux. Une fois, deux fois, trois fois. Ouf, c’était bon, elle y voyait plus clair. Passer du noir total à même un peu de lumière n’était jamais agréable. La voleuse se faufila hors de l’espace réduit et passage une main dans ses cheveux, comme pour vérifier qu’aucun sous-vêtement rebelle ne s’y était perdu.
La surprise se peignit sur le visage d’Alexis. Se foutre d’elle ? Non, bien sûr que non. La jeune femme plaisantait juste, elle n’essayait en aucun cas de se moquer de la belle brune. Elle fit une moue quand Tara lui signala que l’humour ne marchait pas avec elle. Comment ça ? Ca marchait avec tout le monde. Et puis elle était certaine que ça avait déjà marché avec elle dans la boutique.
Bon, d’accord, à ce moment là elle n’était pas une criminelle, mais tout de même…

Alexis la suivit du regard lorsqu’elle se mit à faire les cent pas, attendant son verdict final. Celui-ci arriva sous la forme d’un tapis de sol et d’un sac de couchage portant l’insigne des scouts, quelque chose qui n’échappa pas à la blonde évidemment. Elle se retint toutefois de faire un commentaire à chaud, au moins jusqu’à ce que Tara lui dise qu’elle devait repartir demain matin.
Elle leva trois doigts devant elle et mit sa main gauche dans son dos, lui offrant un sourire immaculé alors que son dos était bien droit.
« Parole de scout ! »
Bon, d’accord, peu de chances que ça marche mieux que le reste.
« Pardon, d’accord, plus d’humour pour moi ce soir. »
Elle fit une petite moue adorable et s’approcha du sac de couchage qu’elle ouvrit rapidement. Il semblait propre et chaud, dormir ne serait donc pas un problème. Elle se redressa et se tourna vers Tara.
« Merci beaucoup, » lui offrit-elle enfin avec respect.

Alexis retira ensuite promptement son pantalon – un pantalon noir qui lui offrait tout le confort possible pour bouger – et se retrouva en boxer, noir aussi. Elle les glissa dans son sac qu’elle posa à portée et ouvrit complètement le sac de couchage avant de se glisser dessous, sur le tapis de sol. Pas l’arrangement le plus confortable mais mieux que rien.
Elle eut un regard vers le lit de Tara avant de se concentrer sur celle-ci, et sur la machine à écrire.
« Pourquoi tu as ce genre d’antiquité ? Tu ne gagnes pas assez avec la boutique pour te payer un ordinateur ? »
Subtile, Alexis, très subtile.

Tara lui tourna le dos quand elle comprit que la blonde était sur le point de se déshabiller et passa une main dans ses cheveux dans un soupir, son regard se perdait déjà sur la fenêtre qu’elle s’empressa d’aller fermer dans un geste agacé. On ne pouvait plus profiter de la douceur de soirée tranquillement, les fugitifs venaient y passer désormais, parfait merveilleux. Ses lèvres se pincèrent puis elle se dirigea vers la fameuse antiquité pour y retirer la feuille qui y traînait et rangea le tout dans un tiroir qu’elle ferma à clé. Souplement, elle posa son pied sur le bois pour nouer la clé autour de sa cheville. Elle aimait garder ses écrits secrets, c’était son petit plaisir de faire languir les gens sans qu’ils ne puissent mettre la main sur son butin.

« Parce qu’en tant que passionnée, j’aime écrire sur une machine à écrire. » répliqua-t-elle en l’enjambant pour s’asseoir en tailleur sur son propre lit. « Et toi tu gagnes pas assez pour voler les gens ? » ajouta-t-elle avant de s’allonger pour lui tourner le dos dans une moue désapprobatrice. Comment pouvait-elle se permettre de critiquer sa machine et lui parler de revenus alors qu’elle s’amusait à prendre dans la poche des autres ? « La première fois que tu t’es pointée à la librairie, c’était pourquoi ? Pour fuir les flics que t’avais aux fesses ? Elle existe au moins ton amie qui aime les romans d’aventure ? »

Une clé ? Comme si ça allait empêcher Alexis de voir ce qu’elle voulait. Elle pensa à son nécessaire de crochetage dans la poche de son pantalon mais le raya bien vite de son esprit. Briser la confiance de de Tara n’était pas une bonne idée. En plus elle connaissait son prénom et savait trop bien à quoi elle ressemblait. Donc même si elle l’avait voulu – et elle ne le voulait pas – elle n’aurait pas pu fouiller dans le fameux tiroir qui contenait le manuscrit secret. Et puis pour faire quoi ? Alexis savait à peine lire. Elle n’irait pas bien loin avec.
La blonde fronça un peu les sourcils : elle ne voyait pas le rapport entre le fait de posséder une machine à écrire et le fait d’être passionnée d’écriture. De nombreuses personnes passionnées utilisaient certainement des ordinateurs, elle en était presque certaine. Mais qu’en savait-elle ? Elle n’était pas écrivaine pour sa part. Sa question la fit tiquer. Ne pas gagner assez ? Un simple job comme coursière ne rapportait pas grand-chose, à peine assez pour vivre en général. C’était le cas pour beaucoup de travails malheureusement, raison pour laquelle beaucoup d’américains travaillaient parfois à trois endroits différents.
« Comme beaucoup d’américains, non, » répondit-elle en haussant les épaules.
Et puis c’était sans compter l’argent qu’elle donnait toujours à droite et à gauche à des amis ou simplement des personnes qui semblaient dans le besoin. Il était rare au final qu’elle profite vraiment de ses vols au-delà de ce dont elle avait besoin réellement.
Elle ramena sur le tapis la première fois qu’elles s’étaient croisées et Alexis hésita une seconde. Elle se redressa sur les coudes pour regarder Tara qui lui tournait le dos. Elle admira une seconde la courbe de sa taille accentuée par sa position : elle aurait aimé qu’elle retire ses habits et poser un drap comme on le voyait se souvent dans les films pour immortaliser la courbure si élégante. Mais ce n’était pas possible. Et elle n’allait pas le proposer, même si elle aurait apprécié de découvrir sa peau, comme elle se l’était déjà dit au moment de leur rencontre. Sa drague était peut-être une diversion à ce moment là, mais une diversion honnête.
« C’était à peu près l’idée. Ils sont difficiles à semer parfois. Et non, je n’ai pas d’amie qui aime les romans d’aventure. Je parlais de moi. Même si c’était plus de la spéculation qu’autre chose, je ne lis pas beaucoup en général. »
Avec de la chance Tara aurait oublié les difficultés à lire qu’elle avait évoqué. Bon, sa journée n’était pas vraiment marquée par la chance, donc elle n’espérait pas trop, mais la roue tournait toujours.

Le drap était agréable contre elle, tout comme le matelas confortable, malheureusement pour elle, il lui était impossible de profiter de ce petit coin de paradis depuis qu’une personne s’était introduite chez elle et empiétait sur son espace vital. Ses yeux se fermèrent un instant et sa concentration se déporta sur la rue dont les bruits étouffés lui parvenaient quand même, il s’agissait alors d’une tentative vaine de calmer les battements agacés de son cœur et ses pensées meurtrières. Elle avait toujours été d’un naturel agressif depuis sa naissance et n’avait jamais cherché à le refreiner, sa main ne s’était jamais et ne se lèverait jamais sur ses proches, amis et famille parce qu’elle avait subi ce genre de violences venant de sa mère et elle ne voulait pas le faire connaître aux autres. Mais Alexis jouait avec ses nerfs et l’arrachait à sa zone de confort, de quoi lui priver de ses repères et de ses limites parfaitement dessinées. Il lui était toujours possible de lever le ton pour faire venir Maddison, mais il y avait de forts risques que la situation dérapât.

Un profond soupir secoua la pièce et Tara glissa sur le dos, ses cheveux s’étaient éparpillés sur l’oreiller et taquinait son nez de leurs longues mèches. Elle souffla dessus pour les écarter et se redressa finalement pour regarder Alexis de cet éclat désapprobateur. « Donc tu me mens en quelque sorte depuis le début ? Ca fait aussi parti de ta profession le mensonge ? » Elle croisa les bras et fronça les narines. « Et ne compte pas sur moi pour avoir de la compassion à ton égard. Je me fiche que tu galères à lire ou que tu souhaites apprendre, t’as pas un bon fond Robine des Bois. » Des cris retentirent dans la rue et les sirènes de police gémirent dans le lointain, ceux qui pourchassaient la blonde rebroussaient chemin, les mains vides. Elle pouvait très bien la virer de chez elle mais elle n’avait pas envie de se battre, de l’entendre argumenter pour rester ou même tenter de faire un quelconque commentaire sur sa beauté. Tara préférait l’avoir muette et endormie plutôt qu’éveillée.

« Bref. Dors, je vais pas te virer pendant ton sommeil. » Elle se lui tourna une nouvelle fois le dos et se glissa sous les draps cette fois-ci. Ses yeux se posèrent sur le mur où étaient accrochées plusieurs photos de famille, notamment le visage hilare de son père. Puis lentement les paupières vinrent se fermer et l’obscurité noya son cœur dans un océan de calme et de repos. Elle avait le droit à quelques heures de répit avant de devoir affronter la blonde.