C'est le moment de se jeter à l'eau [ft. Maggie]

J'ai rendez-vous avec mon frère aujourd'hui. Jaime est ce frère, l'ex patineur de talent qui s'est blessé et qui a dû abandonner la compétition comme il m'a abandonné il y a des années aussi. Après ma jumelle, mon jeune frère... Vous imaginez un peu l'état dans lequel ils m'ont laissé ces deux là? A la maison, l'ambiance était tendue comme jamais, les parents n'en avaient qu'après moi et me mettaient une pression de tarée. Bref, j'ai eu de la chance lorsque j'ai eu l'occasion de quitter le foyer. Et voilà qu'il y a quelque jours, après un retour fracassant de ma jumelle, lui aussi décide de réapparaître et de faire son come-back dans ma vie. J'en ai connu des amies qui voyaient des membres de la famille perdus ou des amis faire un retour discret mais surtout intéressé... Et j'espère que lui ne fera pas parti de ces gens. Bref, une fois apprêtée je sors de chez moi, hèle un taxi et me rends à l'adresse du pub qu'il m'a communiqué.

Il ne me faut pas plus d'un petit quart d'heure pour y arriver et je sors discrètement, lunette de soleil, chapeau vissé sur la tête pour éviter d'être reconnue. Je n'aime pas jouer ma diva, mais venir dans les quartiers trop populaires m'attirait rapidement une foule de fans autour de moi. Si je dois rencontrer Jaime tranquillement, mieux vaux éviter ce genre de débordement. Je pousse la porte de l'établissement et rapidement mon regard se pose sur lui. Malgré mon accoutrement il me reconnait sans mal. Je m'avance vers lui qui s'est levé pour m'accueillir comme un gentleman. Il a le mérite de me faire sourire déjà, ça commence bien. Je salue les employé d'un geste de la main en ôtant mon chapeau puis mes lunettes et les murmures démarrent instantanément. Je pourrais presque en rire si mon esprit n'était pas concentré sur mon frère maintenant. Proche de lui je lui dis : « Mais je t'en prie. C'est normal. Tu es mon frère après tout. Je ne pouvais pas te laissé seul... moi. » Dis-je avec un sourire entendu. Puis je m'assoie et attends qu'il en fasse de même. Il va falloir qu'il digère mes propos pleins de sous entendus, mais j'imagine qu'il y est préparé.

La serveuse arrive assez rapidement et je n'ai même pas eu le temps de consulter la carte. Alors voyant Jaime commander un truc par défaut, je préfère prendre un thé latté histoire de pas trop faire durer le suspens. Il doit avoir envie de parler et nous ne sommes pas là que pour le plaisir. Enfin pour ma part. Je lui ai déjà envoyé une première pique, il l'a prend plutôt bien et j'en serais presque déçue. A vrai dire, je n'espérais pas l'énerver outre mesure, mais qu'il ressente au moins un peu ce que j'ai pu recevoir dans les dents, dans le ventre, les coups qu'ils m'ont mis tout les deux lorsqu'ils sont partis. Parce que lui comme Effy m'avaient abandonnés. Ouais ils ont déserté le navire alors qu'il prenait l'eau. Et qui a dû rester pour écoper l'eau? Moi. Heureusement d'ailleurs parce que je ne sais pas comment les parents auraient survécus si on les avait laissé sans nouvelles. Bref...
Le thé arrive et je remercie la demoiselle en lui donnant un billet qui couvrirait largement nos dépenses. C'est le signe qui veut dire : "merci mais ne nous embête plus maintenant". Et je pense qu'elle l'a bien compris.

Je laisse glisser le compliment de mon frère sans le faire plus remarquer que ça. Disons que je reste indifférente à son enthousiasme tendu et stressé. Puis il enchaîne me disant qu'il comprend pourquoi je lui en veux, il dit même qu'à ma place il aurait ressenti la même chose. Et c'est là que je sens la colère commencer à bouillir. Comment peut-il prétendre savoir ce que j'ai pu ressentir? Il n'était plus là pour le voir, pour ressentir cette douleur. Alors qu'Effy, ma moitié, mon amour, ma sœur, mon cœur, la moitié de mon âme m'avait quitté il a fait de même alors qu'il savait l'état dans lequel son départ m'avait laissé. Il n'a pensé qu'à lui dans cette histoire. A lui et à son petit confort. Je continue d'écouter sagement et poliment sans broncher, sans rien dire et sans rien exprimer. Et finalement il en arrive à m'avouer qu'il est en réalité homosexuel et que c'est ce qui l'a poussé à quitter la maison. Je reste interloquée un instant. Collée dans le fond de mon fauteuil comme si la gravité venait de me plaquer là. J'ouvre la bouche mais rien ne sort. Pas un son. Je suis là bouche bée devant mon jeune frère qui me fait la plus grande révélation de sa vie sans doute et je n'arrive même pas à lui répondre. Alors je secoue la tête comme pour retrouver mes esprits et cette fois je lui dis en avançant sur le bord de mon siège. Je chuchote presque comme si les gens autour faisaient attention à notre conversation : « Mais qu'est-ce que tu me racontes là? Tu veux dire que tu es parti pour la même raison qu'Effy? »

Ne pas se voir avec une femme et des enfants? Mais ce n'est pas une raison pour quitter le foyer et m'avoir laisser une nouvelle fois avec les parents et leurs regards inquisiteurs! Parce que ce que ne savent pas les déserteurs, c'est que comme Effy lorsque Jaime est parti, c'est moi qui prenais pour eux et leur absence après. Hm? La pression? Les reproches? Les sous-entendus? Ben c'était juste pour moi tout après! Et si nos parents étaient déjà durs avec nous tous à l'époque, je vous laisse imaginez comment ils ont pu devenir lorsqu'ils ont vu leurs enfants les quitter...

Je me rassois dans le fond de la chaise pour me mettre à mon aise. Je ne vais pas dire que je suis surprise, mais que Jaime s'intéresse aux hommes n'est pas la chose qui me gêne le plus. Et il le met en avant comme système de défense alors que clairement, je ne lui en veux pas pour ça. Ce qui me gêne reste l'abandon. Ces abandons enchaînés que ni lui ni elle ne semblent pouvoir appréhender à leur juste niveau. Je veux dire merde quoi! Ils ne se sont pas rendus compte dans leurs petites têtes d'égoïstes qu'ils me laissaient seules après leur départ?! Je me mords la lèvre pour ne pas hurler sur mon frère en cet instant. Mais c'est plus fort que moi, je dois lui répondre : « Jaime, que tu préfères la queue n'a foncièrement aucune importance pour moi. Nan, ce qui me gêne c'est que lorsque tu es parti, tu ne t'es pas retourné un instant et tu ne t'es pas dit que tu laissais ta sœur déjà abandonnée par sa jumelle derrière! C'est ça qui me fait mal Jaime, bordel! » Dis-je en haussant le ton et en martelant la table du poing. Je tape sur le bois de la table plutôt que de frapper le joli visage de mon frangin. Je me fais mal d'ailleurs. Mais je n'en dirais rien, je ne suis pas là pour qu'il me plaigne. Je souffle un grand coup, bruyamment et ouvertement pour finalement lui dire : « Et sinon, tu es heureux au moins? Qu'est-ce qui te ramène à LA.? » Si seulement je savais...

Je suis tellement emplie de rage que je ne prête plus attention aux petits gestes des gens. Je suis tellement partie du principe que mon frère était parti pour les mêmes raisons qu'Effy que je fais l'amalgame et que je n'assimile plus ce qu'il peut bien être en train de me raconter. Il a beau s'excuser à mainte reprises, il s'écrase devant ma réaction sans doute disproportionnée et moi je continue à l'invectiver. Mais je n'arrive pas à voir les chose autrement. Pour moi, l'abandon de mes frères et sœurs est réel, terrible et c'est un véritable traumatisme qui aujourd'hui continue de me faire du mal. Mais pourtant, je fonds alors qu'il me dit que je lui manque. Lui aussi il me manque qu'est-ce qu'il s'imagine? C'est bien pour ça que je lui en veux autant! Parce que le temps n'arrange pas toujours les séparations, parfois il les aggrave. J'esquisse un sourire que je masque immédiatement. Je sais qu'il la vu, mais je ne dois pas non plus baisser ma garde si vite. J'attrape la tasse de mon thé et bois une petite gorgée en prenant garde de ne pas me brûler la bouche. Lorsque je repose la coupe, je lui dis : « Et donc frangin... Tu viens faire quoi par ici? Pourquoi avoir attendu toutes ces années pour reprendre contact? Tu sais que... Toi aussi... Tuuu... 'fin tu vois quoi... » Je ne suis pas prête encore. Alors que je voudrais lui dire qu'il m'a manqué, que ces années passées loin de lui ont été difficiles et que de le revoir me met le cœur en joie n'est pas encore une option envisageable. Je me suis endurcie avec les années. Je n'étais pas la plus facile à vivre à l'époque, j'ai toujours la plus dure des jumelles, et aujourd'hui cela se vérifie à nouveau.

Ça sent le pâté. Voilà ce que je me dis quand Jaime me dit qu'il veut simplement revenir parce que sa carrière est terminée. Que LA lui manque... Qu'il se sente mal après tout ce temps passé sans me voir... Je ne sais pas, ça sonne pas tout à fait juste. Alors je l'observe, je l'épis, je scrute son visage, ses yeux et les réactions qu'il peut avoir. Si je me fis à la lecture de son langage non verbale, il ne me dit clairement pas toute la vérité. Mais est-ce que je suis prête à le travailler au corps pour qu'il se lâche et qu'il vide son sac? Pas certaine...

Je joue le jeu, pour le moment. Après tout, jouer un rôle est mon quotidien. Je ne pense pas qu'il se rendra compte que je le suspecte de quoi que ce soit. Donc j'attrape à nouveau ma tasse pour la porter à mes lèvres et boire une gorgée de thé. Lorsque je la repose, il me complimente sur la série, m'avoue la suivre et me trouver chouette dans le rôle. Je souris. « Tu verras les épisodes à venir... Y a un twist avec les personnages. J'espère que ça te plaira toujours. » La serveuse repasse pour voir si tout se passe bien et je lui réponds que pour le moment tout était parfait. Puis je reporte mon attention à nouveau sur les mains de mon frère qui se crispent à son tour. Je ne tiens plus en le voyant presque souffrant et je cesse les blablas pour aller à l'essentiel : « Jaime, et si tu étais sincère deux secondes : qu'est ce qui t'arrive? Tu crois que je suis tout à fait stupide? Je vois bien que tu n'es pas dans ton assiette. Même au bout de dix ans tu restes mon petit frère... Parles-moi. »

Il n'en faut pas plus pour m'alarmer. Je le vois déstabilisé, un peu perdu, profondément meurtri et il tente de cacher tout ça sous un masque d'indifférence et des mots rassurants. Raté. Ça ne marche pas avec moi. Je respecte ceci dit sa volonté de m'en faire part plus tard dans un lieu moins bondé. Mais toujours est-il que ce ne doit pas être quelque chose d'aisé à partager et ça m'inquiète davantage. Mon cœur s'accélère, mes paumes mains sont moites autour de ma tasse et retenir les mots qui me viennent sera difficile. Pourtant je dévie la conversation pour meubler le silence qui s'installe à présent. « Et sinon Jaime... Tu as quelqu'un dans ta vie? Racontes moi un peu toutes ces choses que j'ai manqué... Parce que tu m'as manqué... » Ceci n'est nullement un stratagème pour l'amadouer et le faire avouer ce qu'il tient pour secret. Je me rends simplement compte que le pauvre était venu ici pour me confronter et qu'il a dû faire appel à tout son courage pour le faire. Maintenant que nous sommes là, je ne vais pas passer mon après-midi à lui hurler dessus, alors autant tenter de rattraper notre retard et partager sur des choses que nous avons raté tout les deux. C'est après sa réponse que j'enchaîne sur ma situation actuelle. Et allez savoir pourquoi, je décide d'être sincère et de ne pas lui cacher... Enfin... Je détourne légèrement la réalité tout de même. « Pour ma part, si tu as entendu parler d'une histoire avec un fameux model... N'y prête pas attention, ceci n'est qu'une façade. En réalité je... Je me gratte l'arrière du crâne parce que ce que je m'apprête à lui dire n'est pas facile non plus. Jaime, je crois que moi aussi je m'intéresse au même sexe. Classe comme façon de l'exposer. Si je ne suis pas homosexuelle, au moins je pense être bi... Parc'que ces derniers temps tu vois... » Je suis coupée dans mon élan, mon téléphone sonne : c'est Romy. Voir son nom sur mon écran me tire un petit sourire et je décroche brièvement pour lui dire que je la rappellerai dès que je serai disponible. Si Jaime associe ce que j'allais dire, à la voix féminine qui filtre par mon haut-parleur mal réglé et le sourire que cet appel a su étirer sur mon visage... Je pense qu'il aura compris le principal.