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Je n'ai pas envie de la forcer à rentrer, je n'ai pas envie de gâcher ce moment. « Ok, une nuit, je prends. » Ces retrouvailles avaient mal commencées et j'en étais la principale responsable. Tous ces mensonges autour de ma relation avec Sacha n'auraient jamais dû exister. Qu'est-ce que cela nous a apporté en réalité ? Rien. C'est quelque chose qui a été trop loin, quelque chose que j'aurais dû arrêter lorsque ma relation avec Lou a commencé à changer. Elle me l'a reproché, en quelques sortes, et cela m'a fait réaliser que je devais agir. Quitter le jeune homme, ce n'était pas un crève coeur, le plus dur, c'était de répondre aux questions après. Au lycée, mais aussi auprès de mes parents qui n'ont pas réellement compris ce qu'il se passait. Pour eux, il reste beaucoup de mystères. Des mystères qui seront sûrement levés dans les semaines ou les mois à venir. Les choses avec Lou changent, elles s'accélèrent et comme nous vivons sous le même toit, je sais au plus profond de moi que ce sera compliqué de le cacher longtemps. « Surtout avec toi c'est vrai. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je la dévore complètement des yeux. Finalement, ne pas la pousser à rentrer ce soir, c'est aussi m'accorder un peu plus de temps avec elle. Un peu plus de temps loin des questions qui nous rattraperons bien assez vite. Comme elle n'a rien prévu, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter un peu concernant la nuit à venir. À l'abri ici, nous ne risquons pas de finir mouillées si la pluie se lève, mais il reste encore le froid à gérer et les courants d'air possibles. « Ça devrait aller, si on se serre un peu. » Se serrer un peu ? À ce que je vois, Lou est forte de propositions. Mais rien qui me dérange. La distance entre nous se réduit une nouvelle fois, de mon initiative cette fois et cela ne semble pas déplaire à la jeune femme qui vient rapidement intensifier les choses. Ses mains viennent prendre place sur mon corps, dans mon dos et au niveau de ma nuque. La main positionnée à cet endroit finit par glisser sur le haut de mon buste, se rapprochant doucement, mais sûrement de ma poitrine. Mon cœur s'emballe, démontrant bien l'effet qu'elle me fait. À ce moment précis, je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais pas si je suis prête à aller plus loin. Je n'ai pas à me poser cette question, pas encore en tout cas, puisque Lou se recule un peu. « Ça va être difficile pour moi de me contenir à la maison ou au lycée si tu m'embrasses comme ça... » Je rigole un peu et viens pincer ma lèvre inférieure entre mes dents. « Je peux toujours essayer de me retenir. Je dis bien essayer. » Ici, c'est compliqué, mais à l'extérieur, ce sera sûrement plus facile. N'ayant pas fait mon coming-out, ça va sûrement m'aider. Cependant, je n'ai pas envie de penser à cela ici. Chaque chose en son temps et pour l'instant, ici, il n'y a que nous. « Viens. » Dis-je, tout en ouvrant les bras pour qu'elle puisse se glisser contre moi. Elle ne devrait pas fuir, après tout, se serrer un peu, c'est son idée à la base. Je remonte légèrement sa veste sur nous et colle ma tête contre la sienne. Froid ou pas, cette nuit va passer vite et je dois en profiter, avant que le retour à la réalité soit fait.

Si j'étais partie ce matin dans l'optique de fuir la maison, maintenant que je suis face à Yumi, les choses sont différentes. Ma rancoeur s'est envolée dès l'instant où mon regard a croisé le sien... ou presque. A croire qu'elle a été convaincante. Ou peut-être que c'est moi qui ai été faible, c'est possible aussi. C'est peut-être tout simplement un mélange des deux. Dans tous les cas, le fait qu'elle ait décidé de mettre un terme à sa fausse histoire avec Sacha a quand même penché dans la balance. C'est sans doute un détail pour elle, mais pour moi, c'est déjà beaucoup. C'est un premier pas en avant dans notre relation. Enfin, relation est un bien grand mot. Mais on ne peut pas nier qu'il se passe un truc entre nous. Après les mots échangés et les aveux, je profite de ce moment pour venir m'emparer de ses lèvres. Un baiser que j'ai envie de lui offrir depuis tout à l'heure, et en réalité depuis bien trop longtemps maintenant. Depuis le Nouvel An pour être exact. Ce baiser est encore meilleur que les précédents. Il est plus intense, plus passionné surtout. A ce rythme-là, je ne vais plus réussir à m'en passer. Si bien que lorsque Yumi s'éloigne, je ressens déjà comme un manque. « Si tu tiens vraiment à dormir dans cet endroit magnifique, je peux trouver une excuse auprès de mes parents. Mais juste une nuit. » Un large sourire s'extirpe alors de mes lèvres. « Ok, une nuit, je prends. » Ce n'est pas l'endroit qui me fait vouloir rester là, mais bien de pouvoir passer du temps juste avec elle. Une nuit hors de la maison de ses parents. « Je pourrais leur dire que je t’ai retrouvé chez une amie et qu’on va rester là-bas pour la soirée. » Je hoche simplement de la tête pour acquiescer. « Ils peuvent comprendre que parfois, tu as besoin d’un peu de temps pour toi. Du temps avec moi. » Je hausse les épaules avant d'ajouter le plus naturellement du monde. « Surtout avec toi c'est vrai. » Il va falloir qu'on soit prudentes, que ce soit à la maison ou au lycée d'ailleurs. Les Lane sont ma famille d'accueil et ça complique forcément un peu les choses. « Tu penses vraiment que cette veste suffira pour nous deux ? Les nuits peuvent être froides. » Ça, c'est un détail. Le temps est quand même plutôt clément toute l'année ici, on a de la chance. « Ça devrait aller, si on se serre un peu. » Et si jamais elle a froid, j'ai bien une idée à lui proposer pour la réchauffer, mais j'ai peur que ça soit un peu tôt pour elle. Alors je me contente de sourire, un sourire qui en dit suffisamment long quand même. Cette fois c'est elle qui vient m'embrasser. L'intensité de ce baiser monte encore d'un cran, alors que je joins rapidement ma langue à la sienne. Je la sens différente, comme si les confidences que j'ai pu lui faire juste avant lui avaient fait une sorte de déclic. Comme si elle avait plus confiance en elle, en moi aussi. Mes mains deviennent rapidement plus baladeuses au fur et à mesure de nos baisers, l'une venant se frayer un chemin dans son dos, alors que l'autre se glisse dans sa nuque avant de descendre sur le haut de son buste, à la limite de son haut. Mais c'est inconscient, et je ne pense pas forcément à ce que ces gestes peuvent impliquer pour elle. Lorsque je m'en rends compte, je reprends un peu mes distances, essayant de reprendre mon souffle par la même occasion. Je n'ai pas envie de la brusquer ou de mal faire les choses. « Ça va être difficile pour moi de me contenir à la maison ou au lycée si tu m'embrasses comme ça... » Ou de me contenir là maintenant, tout court. La tâche s’avérera sans doute plus difficile pour moi que pour elle d'ailleurs... je n'ai jamais été le genre de fille à savoir me contenir de toute façon.

Je ne lui demanderai plus de rester loin de moi, mais nous allons tout de même devoir adapter notre relation à notre mode de vie. Nous vivons sous le même toit et mes parents s'occupent d'elle, ce qui fait de Lou ma sœur d'accueil. En quelques sortes. Alors sans parler de ma sexualité refoulée, il y a là un autre problème. Mais celui-ci n'est pas insurmontable. Elle va finir par partir, le lycée terminé ou peu de temps après, alors tout pourra simplement rentrer dans l'ordre. Si bien sûr, nous arrivons à tenir jusque là. D'après ce qu'elle me dit et les sentiments que j'éprouve à son égard, il n'y a pas de raison pour que ça ne fonctionne pas. « C'est con, l'idée de passer la nuit à la belle étoile avec toi me paraissait plutôt intéressante. » Je ne peux m'empêcher de sourire à l'entendre dire cela. Avec une simple veste pour deux ? Elle souhaite que l'on attrape un rhume je crois. Doucement, elle rapproche son visage du mien et glisse l'une de ses mains sur ma joue. « Est-ce que tu penses que c'est suffisant en accord avec notre rythme si je m'autorise à faire ce que j'ai envie de faire depuis tout à l'heure ? » Ma respiration s'accélère lorsque je sens son souffle contre mon visage. La dernière fois que nous nous sommes embrassées, c'était au Nouvel An. Depuis, je n'ai fait que rêver ce moment. Autant dire que cela en dit beaucoup sur l'envie que j'ai qu'elle aille jusqu'au bout. Avant même que je ne hoche la tête pour lui donner l'autorisation d'aller jusqu'au bout, la jeune femme vient sceller ses lèvres contre les miennes. Je n’ai plus peur maintenant. Mes mains glissent jusque dans son cou et au niveau de sa nuque. Je prends part au baiser qu’elle a initié, comme si ma vie en dépendait. Après un certain temps, je m’éloigne de quelques centimètres seulement. Je colle alors mon front contre le sien et reprends doucement mon souffle. « Si tu tiens vraiment à dormir dans cet endroit magnifique, je peux trouver une excuse auprès de mes parents. Mais juste une nuit. » Au départ, je venais avec l’optique de la faire revenir ce soir. Mais finalement, je crois que je ne suis pas contre l’idée de pouvoir passer un peu de temps avec elle, juste elle, sans avoir à penser aux autres. « Je pourrais leur dire que je t’ai retrouvé chez une amie et qu’on va rester là-bas pour la soirée. » La savoir en sécurité devrait leur suffire, ils ne poseront pas beaucoup de questions. Ils font partie des parents cool, ceux qui essayent de l’être au moins. Ils prônent la confiance et l’espace pour que l’on puisse grandir et s’épanouir librement. « Ils peuvent comprendre que parfois, tu as besoin d’un peu de temps pour toi. » Surtout Lou, surtout avec tout ce qu’elle a vécu. « Du temps avec moi. » Bon ça, on gardera ça pour nous. Mon regard se plante dans le sien et un sourire se dessine naturellement sur mes lèvres. Du bout des doigts, je viens jouer avec l’une de ses mèches de cheveux. « Tu penses vraiment que cette veste suffira pour nous deux ? Les nuits peuvent être froides. » Faibles températures, basse luminosité ou même présence de quelqu’un à côté de nous, je ne sais pas si je m’en rendrais compte, bien trop obnubilée par Lou. Poussée par mes envies, je réduis la distance entre nous, à mon tour, et l’embrasse passionnément, libérée du poids sur mes épaules que je pouvais avoir lors de nos précédentes soirées.

C'est un moment à marquer dans les annales. Parce que c'est la première fois que je m'autorise à baisser ma garde. A cet instant, c'est la véritable Lou qui parle. Elle parle avec son cœur, avec ses tripes, laissant volontairement de côté sa foutue carapace. Et c'est sans doute la première fois que ça arrive depuis la mort de mes parents. Pourtant je déteste cette sensation de me sentir comme vulnérable, sans protection. Mais j'ai besoin aussi d'avancer et de lui dire les choses. D'être totalement transparente et honnête avec elle sur ce que je ressens. Peut-être que je finirais par le regretter plus tard, mais je prends le risque. De toute façon c'est trop tard pour faire machine arrière maintenant. On verra bien où toute cette histoire nous mènera. En tout cas je ne supportais déjà pas la situation actuelle telle qu'elle était. Donc ça ne pourra sans doute pas être pire. Yumi aussi a fait un pas vers moi en venant me retrouver ici. En faisant tout pour me retenir. « Je ne compte pas le faire. » Nous avons d'ailleurs déjà essayé de s'éviter et de s'éloigner l'une de l'autre, et ça n'a pas fonctionné. A voir où nous en sommes aujourd'hui, c'était même le pire des fiascos. Un bel échec. « Mais comme nous sommes toutes les deux novices dans tout ça, nous pourrions peut-être aller à notre rythme ? Rien que toutes les deux pour l'instant. » Je ne sais pas réellement ce que tout ça représente pour nous, ce qu'on est vraiment l'une pour l'autre, mais nous semblons être sur la même longueur d'onde et c'est déjà une bonne chose. Advienne que pourra comme on dit. « Et tu pourrais rentrer aussi ? Tu n'as plus à me fuir maintenant. » C'est vrai. Mais est-ce que ça sera vraiment plus simple de cohabiter sous le même toit en essayant de cacher notre rapprochement ? Ça devrait être jouable. « Bon.. ça demandera sûrement un peu d'organisation, mais rien d'impossible. » Je hoche un peu la tête pour aller dans son sens. « C'est con, l'idée de passer la nuit à la belle étoile avec toi me paraissait plutôt intéressante. » Je ris un peu tout en la lâchant pas du regard. Bon théoriquement ce n'est pas directement à la belle étoiles= mais c'est un peu tout comme. Je rapproche finalement mon visage du sien, ma main se glissant sur sa joue. « Est-ce que tu penses que c'est suffisamment en accord avec notre rythme si je m'autorise à faire ce que j'ai envie de faire depuis tout à l'heure ? » Mon regard vient loucher sur sa bouche alors que nous sommes presque suffisamment proches pour qu'elle puisse sentir la douceur de mon souffle. Ce n'est pas une vraie question en soit, je n'attends pas vraiment de réponse de sa part. D'ailleurs, je viens rapidement déposer mes lèvres sur les siennes sans lui laisser le temps de réagir. Je pense pas qu'elle aurait refusé, et puis, au pire, elle peut toujours me repousser. Mais en tout cas ce n'est pas moi qui compte le faire. Je mets rapidement plus d'intensité dans notre baiser, alors que mon coeur est presque déjà sur le point d'imploser. C'est fou à quel point elle arrive à me faire autant d'effet. Avant elle, je n'ai jamais ressenti autant d'émotions dans un seul et même baiser. C'est donc ça d'avoir des papillons dans le ventre ?

Le mensonge n’apporte rien de bon. Je l’ai bien compris en prétendant ne rien n’éprouver pour elle pour justifier cette demande de nous tenir éloignée l’une de l’autre. Mais aujourd’hui, il n’est plus question de cela. Dans cette gare désaffectée, je me dois d’être honnête avec elle. Au sujet de mon histoire avec Sacha, puis avec ce que je peux ressentir à ce sujet. « Et maintenant ? » Maintenant ? Je ne peux même pas répondre à cette question, je n’ai aucune réponse qui va bien. Ce que nous sommes aujourd’hui ? Je l’ignore. Ce que nous pourrions être dans le futur ? La réponse est la même. « A chaque fois que tu es là, j'ai envie d'être proche de toi. » Lou même ses doigts aux miens. Je reste un peu surprise par ce geste, même si finalement, j’avais tout fait pour que cela arrive, en rapprochant ma main de la sienne. « C'est pas de ma faute si je ne fais que penser à tes lèvres... » En parlant d’elles, un sourire s’y dessine à l’entendre dire cela. « Ce que je ressens pour toi Yumi, je ne l'ai jamais ressenti pour personne d'autre. » Mais qu’a-t-on fait à Lou Hemingway ? La briseuse de cœurs, celle qui ne s’attache jamais. Aujourd’hui, je l’ai visiblement prise dans mon piège. Mais je n’en sors pas indemne non plus : ce qu’elle dit là, je le ressens aussi. Ces sentiments, cette nouveauté et le mélange des deux crée une certaine appréhension. L’inquiétude de ne pas savoir quoi faire, l’inquiétude de finir blessée. C’est dingue de penser à cela déjà, mais l’inconnu fait toujours un peu peur et c’est facile d’imaginer le pire. « Tu peux plus me demander de faire comme si de rien n'était... j'en suis incapable. » Là encore, un sourire se dessine sur mes lèvres. C'est vrai que c'était sûrement un peu bête de lui demander cela, mais sur le coup, c'était la seule solution que je voyais. « Je ne compte pas le faire. » Depuis plusieurs semaines maintenant, la jeune femme est dans ma tête, dès que je me réveille, lorsque je me couche et parfois même, dans mes rêves. Vouloir la fuir encore, c'est simplement vouloir me faire du mal. « Mais comme nous sommes toutes les deux novices dans tout ça, nous pourrions peut-être aller à notre rythme ? » J'ignore encore ce que ça veut dire, ce qu'il faut faire. Est-ce qu'on doit passer par la case rendez-vous ? Ou est-ce que d'une certaine manière, avec ce qu'on a dit, on peut considérer qu'on se lance dans quelque chose ? « Rien que toutes les deux pour l'instant. » Je suis sûrement suffisamment douée pour faire planter les choses seule, inutile en plus de rajouter la pression extérieure. En réalité, si ça venait à se savoir au lycée, ça ne me dérangerait pas tant que ça, c'est surtout l'étape de mes parents qui m'effraie le plus. « Et tu pourrais rentrer aussi ? Tu n'as plus à me fuir maintenant. » Peut-être pas ce soir, elle a l'air décidée à rester ici. Mais peut-être d'ici demain et au moins le temps qu'elle termine le lycée et qu'elle trouve autre chose qu'une veste pour se tenir à l'abri. « Bon.. ça demandera sûrement un peu d'organisation, mais rien d'impossible. » S'éviter est une chose, mais vivre sous le même toit et cacher un certain rapprochement s'en est une autre.

Est-ce que ça change quelque chose que la supercherie soit terminé ? Peut-être un peu oui. Même si je ne sais pas exactement ce que ça signifie à ses yeux. J'ai besoin d'en savoir plus. Balancer l'information comme ça de but en blanc n'est pas suffisant. D'où les questions qui finissent rapidement par franchir mes lèvres. Est-ce que c'est elle qui est à l'origine de cette rupture ? C'est la première chose importante à connaitre. Et apparemment oui, elle me le confirme. Au plus profond de moi-même, je suis contente. Mais je me demande si c'est réellement lié à moi ou si ça ne l'est pas du tout. Avec elle et depuis le début, je ne sais pas vraiment sur quel pied danser. C'est un peu : "un pas en avant, trois pas en arrière". Et je n'ai pas très envie de me faire des films ou quoi que ce soit d'autre. « Tu sais très bien ce qui a changé. » Est-ce que nous sommes sur la même longueur d'onde ? « Tu sais, ce qui t’empêche de tenir notre accord. Ce qui te fait préférer une nuit dans la rue plutôt qu’au chaud dans un appartement. » Ce qui m'a fait prendre cette décision est un ensemble de choses. Un trop plein de tout aussi. Parce que c'est difficile de devoir l'ignorer alors que je vis sous le même toit qu'elle. Difficile d'enfouir mes sentiments au plus profond de moi-même. Ces mêmes sentiments qui sont justement en train de tambouriner contre ma poitrine à cet instant même. « On ne s’est rien promis, je sais. Mais pour une raison qui m’échappe, j’avais l’impression de faire de la merde avec toi, que cette histoire, aussi fausse soit-elle, mettait de la distance entre nous. » C'est vrai, j'ai eu cette même impression aussi. Et pourtant, cette distance, c'est aussi ce que nous avions convenu ensemble. Il fallait qu'on s'éloigne l'une de l'autre, pour notre bien. Je sens sa main se rapprocher de la mienne jusqu'à ce que le contact ait lieu. Je n'ai pas envie de la repousser, j'en ai pas la force. Et je profite même de ce moment pour partager ma veste-couverture avec elle l'installant un peu aussi sur ses jambes. « Et maintenant ? » Je ne parle pas de ce soir, maintenant. Mais de ce qui passera après. Parce que j'ai l'impression qu'on en revient toujours au même point. Comme les fois où nous nous sommes embrassées avant de balayer ces instants d'un revers de la main. Je ne suis pas certaine que les choses puissent changer. Et en même temps, j'ai bien envie de recommencer. C'est un putain de cercle vicieux. « A chaque fois que tu es là, j'ai envie d'être proche de toi. » Mes doigts viennent alors se lier aux siens. « C'est pas de ma faute si je ne fais que penser à tes lèvres... » Ça me coûte de m'ouvrir à elle, de laisser parler mon coeur, mais je crois que j'en ai besoin aussi. Comme s'il ne me restait que cette option-là. « Ce que je ressens pour toi Yumi, je ne l'ai jamais ressenti pour personne d'autre. » C'est la première fois que je prends le risque de me mettre à nu face à quelqu'un. Mais ça ne pouvait qu'être avec elle. Que pour elle. « Tu peux plus me demander de faire comme si de rien n'était... j'en suis incapable. » C'est pour ça que j'ai voulu fuir. C'est sans doute lâche de ma part, mais c'est aussi le seul moyen que j'ai trouvé pour me protéger.

Lorsque Lou évoque la comédie et mon talent pour ça, je ne peux m’empêcher de répliquer. Si ça semble naturel chez moi, ça ne l’est pas et doucement, ça commence à me ronger de l’intérieur. « Parce que tu crois que quelque chose cloche chez moi ? » Je ne peux m’empêcher de soupirer un peu. Je ne voulais pas qu’elle le prenne personnellement, mais bien sûr, mes propos pouvaient facilement être mal interprétés. « C’est ce que certaines personnes peuvent penser. » Et malheureusement, j’ai bien souvent cru que je vivais à travers le regard de ces personnes. Qui ? Je l’ignore. Car même si je n’ai pas fait mon coming out auprès de mes parents, je doute qu’ils réagissent mal. Ils savent pour Lou et pourtant, ils l’ont tout de même acceptée sous notre toit. C’est vrai que pour une famille d’accueil, ce serait un comble d’être sélective sur le genre, les origines ou les orientations sexuelles. Après mon petit discours sur la personne que je suis, sur les difficultés que je peux avoir pour parler des personnes qui m’attirent à mes proches, j’évoque la fin de mon histoire avec Sacha. Enfin.. histoire est un bien grand mot puisque c’était de la comédie depuis le début et Lou le sait très bien maintenant. « "Je suis désolée", c'est bien ce qu'on dit dans ce genre de cas ? » Sûrement. Officiellement, je n’ai jamais été confronté à une telle épreuve. Dans les mots de Lou, je ressens bien qu’elle n’est pas si désolée que ça, mais est-ce vraiment surprenant ? Avec tout ce qu’il a pu se passer entre nous, les différents baisers et les discussions que l’on a pu avoir après eux, elle ne voyait pas d’un bon œil toute cette histoire. « C'est toi qui a rompu ? » D’un simple hochement de tête, je lui donne une réponse. « Et pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui a changé ? » La réponse à cette question sonne comme une évidence chez moi, alors je suis un peu étonnée de l’entendre me la poser. « Tu sais très bien ce qui a changé. » Malgré ces quelques mots, j’ai l’impression que Lou ne s’en contentera pas, qu’elle ne me laissera pas m’en sortir aussi facilement : sans le dire clairement. « Tu sais, ce qui t’empêche de tenir notre accord. Ce qui te fait préférer une nuit dans la rue plutôt qu’au chaud dans un appartement. » Elle tout simplement. Mentir était devenu trop compliqué, pour moi, mais aussi par rapport à elle. Dans les couloirs du lycée, les autres élèves continuaient de parler de Sacha et moi comme du couple parfait et j’avais l’impression de balayer si facilement ce qu’il s’était passé entre nous. « On ne s’est rien promis, je sais. Mais pour une raison qui m’échappe, j’avais l’impression de faire de la merde avec toi, que cette histoire, aussi fausse soit-elle, mettait de la distance entre nous. » Depuis que j’ai commencé à parler, je ne l’ai pas regardé, j’ai gardé mes distances. Sûrement parce que c’était plus simple comme ça. Mais là, prise d’un certain courage, ma main se rapproche légèrement de la sienne.

Si on en est là aujourd'hui, c'est un peu de sa faute. Parce que c'est elle qui m'a embrassé la première fois. Peut-être que si elle ne l'avait pas fait, nous pourrions plus facilement cohabiter ensemble. J'en viens presque à regretter l'époque où nous nous détestions. C'était plus simple à gérer. Mais maintenant, c'est différent. J'ai des sentiments pour elle, et même si c'est nouveau pour moi et que je suis la première à en avoir peur, je suis incapable de faire semblant comme elle peut si bien le faire. Je crois que c'est encore pire pour moi de l'ignorer et de faire comme si de rien n'était. Pour elle, ça a l'air super simple. Son histoire avec Sacha en est la preuve. Elle arrive très facilement à jouer la comédie et mentir à tout le monde. Rien que d'en reparler, ça m'énerve. C'est cette boule dans le creux de mon ventre qui parle, cette pointe de jalousie qui m'était encore inconnue jusqu'à ce que je sois confrontée à leur couple. Même si maintenant je sais que ce n'est pas réel entre eux, la jalousie est quand même toujours là. Parce qu'ils s'affichent ensemble, qu'ils s'embrassent devant les autres, et que moi, je reste là, comme une conne. Alors si, c'est vrai. « Je n’ai aucun talent. C’est juste qu’avec le temps, tout cela est devenu moi. Je mens depuis que j’ai compris que quelque chose n’allait pas chez moi, que je n’étais pas comme toutes les autres filles. » Encore une fois, nous sommes complètement différentes l'une de l'autre. Je n'arrive pas à comprendre comment de sa propre bouche elle peut dire des choses pareilles. C'est grave d'en arriver à penser ça quand même. Je ne peux m'empêcher de secouer la tête de droite à gauche, résignée. « Parce que tu crois que quelque chose cloche chez moi ? » C'est complètement absurde. C'est pas parce que j'aime les filles depuis toujours - ou presque - que je ne suis pas comme les autres. Il n'y a rien qui cloche chez moi, ni chez elle d'ailleurs. Il serait temps qu'elle le comprenne au lieu de tenter de se pourrir la vie toute seule. « Je n’ai jamais eu de vraie relation, j’ai toujours eu peur de ce que les gens pourraient penser de moi. Les gens, mais ma famille aussi. Inventer cette histoire avec Sacha, c’était plus simple. » Oui, j'avais plus ou moins déjà compris l'idée. Mais ce que je lui reproche finalement, c'est pas d'avoir inventé cette histoire de couple avec Sacha à la base. C'est le fait qu'elle puisse continuer cette fausse relation même après ce qu'il s'est passé entre nous au Nouvel An. Je pensais que ça changerait un peu les choses... « Mais c’est terminé maintenant, on a officiellement rompu. » Ah. Enfin. Ça me fait plaisir de le savoir, même si je n'ai pas forcément envie de lui montrer. « "Je suis désolée", c'est bien ce qu'on dit dans ce genre de cas ? » Bon, ça, ce n'était pas forcément nécessaire mais c'est plus fort que moi. Qu'est-ce qu'elle veut que je lui dise d'autre en même temps ? Et pourtant, une question me brûle un peu les lèvres. « C'est toi qui a rompu ? » Ou qui a décidé d'arrêter la supercherie plutôt. « Et pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui a changé ? » Pourquoi après tout ce temps ? C'est pas comme si quelque chose avait vraiment changé depuis la dernière fois... Je crois que j'ai besoin de comprendre.

Je ne suis pas idiote, je sais que quelques mots ne suffiront pas à la faire changer d'avis. Mais je ne baisse pas les bras, j'ai encore toutes mes chances pour y parvenir avant qu'il ne soit trop tard. Je prends place à ses côtés et l'interroge sur ce qu'elle a prévu. Je suis peut-être à côté de la place, peut-être qu'elle a vraiment une issue de secours, quelque chose qui ne l'obligera pas à dormir ici pour plusieurs nuits. « J'en sais rien. » Bingo. Mais ce n'est pas vraiment surprenant au final. « Mais on s'en fout, c'est pas la question. » Je ne peux m'empêcher de froncer légèrement les sourcils en entendant ses propos. C'est dingue que ce soit à moi de m'inquiéter comme ça, c'est pourtant elle qui a prévu de dormir dans la rue. « Ça sera toujours mieux que la situation actuelle. » Peu importe ce qui me passe par la tête à ce moment précis, je sais que je dois garder cela pour moi : j'ai seulement envie de la contredire et je sais que cela ne va pas lui plaire. Or, si je veux qu'elle m'écoute et qu'elle retrouve la raison, je dois aller dans son sens, la caresser dans le sens du poil comme on dit. « C'est peut-être facile pour toi de faire comme si de rien n'était... J'avais presque oublié à quel point tu étais douée pour jouer la comédie, faire semblant, tout ça. En vrai, c'est cool, je suis sûre que tu pourrais faire carrière dans le cinéma si tu continues sur ta lancée. » À l'entendre, j'ai la vie facile. La réalité, c'est que nous sommes juste différentes et que nous n'abordons pas les choses de la même manière. « Ce n'est pas vrai. » La comédie, même si d'après elle je la joue bien, je la fais à contre cœur. Ce n’est pas que Sacha me répugne, loin de là, mais ce n’est pas la relation que j’imaginais pour mes années lycée. « Mais on a pas tous la chance d'avoir le même talent que toi. » Je balance la tête de gauche à droite, un peu dépitée de l’entendre dire cela. « Je n’ai aucun talent. C’est juste qu’avec le temps, tout cela est devenu moi. » Je ne fais plus qu’une avec mes mensonges et cela devient de plus en plus difficile de m’en sortir. « Je mens depuis que j’ai compris que quelque chose n’allait pas chez moi, que je n’étais pas comme toutes les autres filles. » Pour elle, c’est sûrement bête. Lou s’assume depuis toujours, depuis que je la connais au moins. Les gens la connaissent ainsi, ils n’ont pas le deuil de ce qu’elle était avant à faire. « Je n’ai jamais eu de vraie relation, j’ai toujours eu peur de ce que les gens pourraient penser de moi. Les gens, mais ma famille aussi. » Mes parents l’ignorent encore, il n’y a que ma sœur qui le sait et uniquement parce que c’est chez elle que je me suis rendue après avoir embrassé Lou pour la première fois. J’ai paniqué et je devais en parler à quelqu’un. « Inventer cette histoire avec Sacha, c’était plus simple. Mais c’est terminé maintenant, on a officiellement rompu. » C’est encore récent, alors les bruits de couloir ne sont peut-être pas remontés jusqu’à ses oreilles, mais on a décidé de mettre un terme à notre petite comédie.

Je n'accueille pas Yumi de la meilleure des manières. Je suis froide, ou du moins j'essaye de l'être. Parce que c'est mieux pour moi de rester distante. Ce n'est pas le moment de lui montrer un quelconque signe de faiblesse. Pourtant, au plus profond de moi-même, je suis contente qu'elle soit venue me chercher. Il n'y a qu'elle qui pouvait me trouver dans ce lieu abandonné, et ça représente forcément quelque chose pour moi. Elle tient à moi, je tiens à elle, mais les choses ne sont malheureusement pas aussi simples. C'est bien ça le problème. Si elle ne veut pas partir sans moi, ok, mais qu'elle soit prête à en assumer les conséquences aussi. De toute façon je ne peux pas vraiment l'empêcher de rester ici. De ce côté-là, elle est peut-être aussi têtue que moi... ouais ça promet. « Tu vas être obligée de partager avec moi celle que tu avais prévu pour toi. » Ma veste n'est pas extensible, et ça risque d'être compliqué. Ou alors il va falloir qu'elle se colle dangereusement à moi... et on sait toutes les deux ce qui risque d'arriver dans ce cas-là. La proximité entre nous n'est pas vraiment un gage de réussite. A chaque fois que ça a été le cas, nous n'avons pas su, ni l'une ni l'autre, résister à la tentation. Mais qui sait, c'est peut-être une technique volontaire de sa part pour essayer à me faire flancher ? Si elle croit que ça sera aussi simple, elle se trompe. Ou pas. « Si tu ne comptes pas rentrer, c’est quoi ton plan ? Pour ce soir et pour après. » Mon plan ? Je n'ai pas de plan. Je suis partie avec mes affaires plus ou moins sur un coup de tête. Ok, carrément sur un coup de tête même. « J'en sais rien. » Je secoue un peu la tête avant d'ajouter. « Mais on s'en fout, c'est pas la question. » Je sais que ce n'est pas une réponse acceptable mais ça n'a pas d'importance. On a déjà eu cette discussion la dernière fois. Et je reste campée sur mes positions : il serait sans doute mieux pour tout le monde que je parte. « Ça sera toujours mieux que la situation actuelle. » Tout est relatif, puisque dormir ici ou ailleurs sera loin d'être le grand luxe pour moi. Mais chez les Lane, ce n'est plus possible. Je n'arrive plus à faire semblant. « C'est peut-être facile pour toi de faire comme si de rien n'était... » Que je souffle à peine d'entre mes lèvres tout en fuyant son regard. « J'avais presque oublié à quel point tu étais douée pour jouer la comédie, faire semblant, tout ça. En vrai, c'est cool, je suis sûre que tu pourrais faire carrière dans le cinéma si tu continues sur ta lancée. » Je tape ironiquement dans mes mains pour l’applaudir, en faisant évidemment référence à son histoire avec Sacha. Mais il n'y a pas que ça non plus. Il y aussi le fait qu'elle arrive si facilement à m'ignorer... contrairement à moi. C'est elle-même qui avait dit que prendre nos distances ne devait pas être si compliqué. Bah voyons. « Mais on a pas tous la chance d'avoir le même talent que toi. » En tout cas, moi, je ne l'ai pas.

Je viens ici dans un élan de désespoir. Espérant au plus profond de moi qu’elle n’est pas là, qu’elle est sur le chemin du retour de l’appartement que nous partageons et que je vais très vite recevoir un message de mes parents m’indiquant que je peux moi aussi rentrer. Mais non et je ne peux m’empêcher de soupirer en reconnaissant sa silhouette. « Ça se voit pas ? » Bien sûr que ça m’énerve. La voir ici, je le prends comme une attaque personnelle, comme une envie de sa part de ne plus me voir. C’est peut-être un peu tiré par les cheveux : je ne suis pas à sa place, je ne sais pas ce qu’elle peut ressentir. Que ce soit pour ce qui s’est passé entre nous ou pour tout ce qu’elle a dû vivre durant cette dernière année. « Je suis juste venue prendre l'air. » En plus, elle me prend pour une conne. Là, clairement, c’est pousser le bouchon un peu loin. Mais je ne me laisse pas faire et je lui fais bien comprendre que je ne suis pas dupe. Et bien décidée à ne pas la laisser, j’insinue que je ne partirais pas sans elle, dans l’espoir vain qu’elle change d’avis. « Moi ? Rien du tout. Je ne peux peut-être pas t'empêcher de rester là, mais si tu te décides à passer la nuit ici avec moi, tu seras suffisamment grande pour en assumer les conséquences. » Passer la nuit avec elle. C’est bête, mais c’est sur cette phrase que je bloque. Ça en dit long sur mon état d’esprit et sur ce que je peux ressentir pour elle. Cependant, je ne dois pas laisser cela prendre le pas sur mes émotions : ce soir, je dois faire en sorte qu’elle rentre chez nous. « Par contre, je n'ai pas de couverture pour toi. » Passer la nuit ici, dans le froid, sans rien à manger et à boire, ou alors pas grand-chose, ce n’était clairement pas dans mes plans. Mais tant pis, je dois me résoudre. « Tu vas être obligée de partager avec moi celle que tu avais prévu pour toi. » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. Ce n’est sûrement pas ce qu’elle espérait comme réponse, alors peut-être qu’elle changera d’avis. Persuadée que ça n’arrivera pas dans les secondes à venir, je décide de m’installer à côté d’elle. « Si tu ne comptes pas rentrer, c’est quoi ton plan ? » Elle doit bien en avoir un. Quoique.. à force de la côtoyer, je ne serais pas surprise d’apprendre qu’elle a pris des affaires dans un sac et qu’elle est partie sur un coup de tête. Cela expliquerait sa présence ici, elle aurait choisi un autre lieu sinon, quelque chose de plus agréable pour du long terme. « Pour ce soir et pour après. » Ici, c’est temporaire et ça peut suffire pour une nuit, mais elle ne peut pas rester indéfiniment ici, se cacher de la sorte. Même si ce n’est pas pour revenir définitivement à l’appartement, elle doit parler à mes parents, trouver une solution avec eux. Surtout que là, c’est potentiellement leur créer des problèmes. Une adolescente qui fugue, ça ne fait jamais beau dans un dossier de famille d’accueil.

Ma décision de venir ici était une décision impulsive. Et en même temps, c'était la seule option possible à mes yeux. Quoi faire d'autre ? La situation avec Yumi n'a ni queue ni tête. Comme ma présence dans sa famille d'ailleurs. Je ne pourrais jamais cracher sur les Lane et tout ce qu'ils ont fait pour moi depuis le drame, mais je sais bien que ce n'est pas une situation viable sur le long terme. Alors à quoi bon ? Ça a toujours été comme ça avec moi. Je préfère ne pas m'attacher aux gens pour ne pas souffrir. Surtout depuis la mort de mes parents. Je n'ai pas envie de revivre la même souffrance. Cette douleur qui ne cessera de me consumer de l'intérieur. Parce que oui, les cicatrices ne se refermeront pas. Jamais. La douleur sera toujours là au fond de moi. Et c'est exactement ce à quoi je pense lorsque je me retrouve seule ici, confrontée à ce silence. La nuit est tombée et l'ambiance devient étrangement particulière. Je n'ai pas spécialement peur, et pourtant, des bruits de pas derrière moi me font sursauter. Une lumière aveuglante surprend mon regard alors que sa voix ne tarde pas à se faire entendre. « Qu'est-ce que tu fais là ? Je pensais que nous nous étions mises d'accord. » D'accord sur quoi au juste ? Continuer de s'ignorer et faire comme si de rien n'était ? Ouais merci mais non. « Ça se voit pas ? » Je fronce légèrement les sourcils avant d'ajouter pour ma défense. « Je suis juste venue prendre l'air. » Bien sur. Avec mon sac d'affaires et à cette heure là de la soirée. « Ton choix s'est vraiment porté sur ce lieu ? » Et pourquoi pas ? En réalité je ne sais même pas pourquoi c'est ce lieu précisément que j'ai choisi. Peut-être inconsciemment parce que ce lieu nous lie toutes les deux d'une manière ou d'une autre. « Y passer une nuit est bien différent qu'une balade. » Peut-être oui, mais ce n'est pas la question. « Tu viens ? On rentre. » Elle me tend la main mais je ne bronche pas. Même si je suis partie sur un coup de tête, ça ne sera pas si facile que ça de me faire rentrer. « Je ne partirais pas sans toi. Alors si tu es décidée à rester ici, commence déjà à chercher ce que tu diras à mes parents. » Sa tentative de tenter de me faire culpabiliser ne fonctionne pas. « Moi ? Rien du tout. » Bah quoi ? « Je ne peux peut-être pas t'empêcher de rester là, mais si tu te décides à passer la nuit ici avec moi, tu seras suffisamment grande pour en assumer les conséquences. » C'est vrai quoi. « Par contre, je n'ai pas de couverture pour toi. » Couverture est un grand mot, puisque je n'ai rien prévu d'autre pour moi que la veste que je porte déjà sur le dos et celle en plus que j'ai spécialement installé sur mes jambes.

Ma mère appelle une nouvelle fois pour que tout le monde vienne à table. Mais rien ne change : la cinquième personne attendue ne se pointe pas. Alors elle se lève et monte à l’étage pour cogner à la chambre de Lou. Tout l’appartement est calme, nous attendons tous de savoir pourquoi la jeune femme se fait attendre ainsi. Cependant, il n’y a aucune réponse et en ouvrant, elle découvre une chambre vide. Cela ne ressemble pas à Lou : généralement, elle est là à cette heure-ci ou alors elle prévient. Alors forcément, ma mère ne peut s’empêcher de s’inquiéter. Elle retourne tout l’appartement et commence à passer des coups de fil. J’essaye de me faire petite. J’ai en tête la dernière discussion que nous avons eu et j’ai peur de ce que Lou a pu faire. Je propose mon aide et quitte rapidement le logement. Je marche dans la ville, réfléchissant à l’endroit où elle peut être. Je passe à son ancienne maison, au lycée, à la piscine et j’envoie plusieurs messages à ses amis et à nos coéquipières, mais rien. Alors que je m’apprête à rentrer, baissant les bras sur le fait de la retrouver, je repense à l’Urbex que nous avons fait ensemble, contre mon gré, mais ce n’est pas la question ici. Je me rends à l'entrée de la gare abandonnée et je récupère mon téléphone pour éclairer mon chemin. Après de longues minutes à arpenter le lieu, je tombe enfin sur elle et je ne peux m'empêcher de soupirer. « Qu'est-ce que tu fais là ? Je pensais que nous nous étions mises d'accord. » Je regarde autour d'elle et je remarque son sac, ainsi que son sandwich. Il n'y a pas douze mille explications possibles. « Ton choix s'est vraiment porté sur ce lieu ? » De toute la ville, il a fallu qu'elle s'installe ici. Comme si finalement, elle voulait que je sois la seule à pouvoir la trouver. « Y passer une nuit est bien différent qu'une balade. » C'est loin d'être un lieu confortable et avec tous les facteurs liés à la nuit, ce n'est clairement pas adapté pour être un foyer. « Tu viens ? On rentre. » Je lui tends ma main. Mais à la voir, elle ne semble pas décidée. Alors je décide de m'asseoir à côté d'elle. « Je ne partirais pas sans toi. Alors si tu es décidée à rester ici, commence déjà à chercher ce que tu diras à mes parents. » Ils se font du souci pour elle, ils s'en feront aussi pour moi. La meilleure décision pour elle serait donc de décider de rentrer.

N'importe où loin d'ici. En ouvrant les yeux ce matin, j'ai comme un arrière goût amer. Ça fait quelques semaines que je ne me sens plus réellement à ma place ici. Cette chambre qui m'accueille depuis quelques mois n'est pas vraiment la mienne. Les Lane ne sont pas véritablement ma famille. Ils sont adorables, je ne peux pas dire le contraire. Et je suis sincèrement reconnaissante pour tout ce qu'ils ont fait pour moi depuis mon arrivée. Mais... je sais pas, c'est comme si je ne me sentais pas vraiment légitime. C'est encore pire depuis les récents évènements avec Yumi. C'est compliqué pour moi de faire comme si de rien n'était. Si de son côté, elle semble ne pas avoir de problème pour y arriver. Pour moi, c'est différent. J'ai peut-être tous les défauts du monde mais finalement, je reste entière. Derrière la carapace que je me suis forgée pour me protéger, il y a un semblant de coeur qui bat. Et ça fait un mal de chien. C'est le coeur lourd que je quitte ce matin l'appartement des Lane, quelques affaires enfouis en vrac dans mon sac. Aujourd'hui ne sera pas une journée habituelle. Les heures au lycée défilent mais j'ai la tête ailleurs. En réalité je ne sais pas réellement où je vais pouvoir aller. Ce n'est pas comme si j'avais pris le temps de tout planifier. Au contraire, je n'ai absolument pas réfléchi. Comme un acte un peu désespéré, une décision prise sur un coup de tête. Et pourtant, j'assume. Je ne compte pas rentrer chez les Lane ce soir. Je prétexte même une fausse douleur à la cuisse quand l'heure de l'entrainement de natation est venue. Ça sera sans doute plus facile pour moi de partir sans avoir à affronter le regard de Yumi en face. A la place, je quitte le lycée pour vagabonder dans les rues de la ville, mon sac sur le dos. Je rentre sans grande conviction dans quelques boutiques juste histoire de m'occuper. Il va falloir que je trouve comment passer le temps. En tout cas, j'ai comme l'impression de me sentir mieux, de me sentir libre. Mais cette sensation est éphémère... jusqu'à ce que la nuit finisse par tomber et que je ne sache plus vraiment où aller. Où vais-je bien pouvoir dormir ? Je repense finalement à l'endroit Urbex où j'avais suivi Yumi la dernière fois. Cette ancienne gare désormais abandonnée. Un lieu atypique mais qui a le mérite d'être calme et désert surtout. Au moins là-bas je serais tranquille et plus ou moins en sécurité. Pour le reste, ça ne sera sans doute pas le grand luxe mais il faudra bien faire avec. Je m'achète de quoi manger sur le chemin avant d'arriver à destination pour me poser sur un ancien banc de la gare. La nuit risque finalement d'être plus longue que prévue... une fois confrontée à la situation réelle, ce n'est plus la même histoire. Faudrait pas que je commence à regretter quand même...