i'm not sorry (nicola)

Les pieds nus dans la neige, elle sait qu’elle ne va pas tenir longtemps, mais la sensation de ses orteils qui s’engourdissent lui donne la sensation d’être plus vivante que jamais. Elle rit, sautille avant de s’enfoncer dans une couche de neige un peu plus conséquente. Elle entend son père au loin qui l’appelle, c’est l’heure du déjeuner. Elle récupère alors la main qui lui est offerte, un large sourire étirant ses lèvres enfantines. Quatorze ans et toujours cet air mutin, jovial, comme si rien ne pouvait l’atteindre, rien ne pouvait briser ses rêves d’enfant, qu’elle a toujours poursuivi depuis qu’elle est en âge d’en avoir conscience. Jordan l’attire à lui et plaque un baiser sur son front. « Tu vas attraper la mort ! » Il a toujours été très protecteur avec elle. Tous les deux se connaissent depuis le bac à sable, et même si c’est plutôt elle qui avait tendance à le défendre dans la cour de récré, tous les deux se sont toujours soutenus. ‘A la vie à la mort’, c’est ce qu’ils répétaient. « Tant mieux, comme ça tu seras débarrassé de moi ! » Voilà qu’elle ricane, sautillant dans la neige au travers de la forêt, bien décidée à faire durer cette course poursuite jusqu’à chez elle, avant de réchauffer ses pieds endoloris au coin du feu. La vie à Casper n’a jamais été déplaisante, même si Nicky aurait largement préféré partager cette grande maison avec un petit frère ou une petite soeur. Heureusement il y avait Jordan, qui passait le plus clair de son temps chez les Woods. « Ça fait presque une heure qu’on t’attend ! Tu es gelée ! » « Mais non regarde, j’avais un manteau et des gants ! » Mais pas de chaussures ni de chaussettes. La gamine avait depuis toujours la sale manie de vivre, été comme hiver, les pieds à l’air libre, préférant de loin sentir chaque texture sous ses pieds, et surtout la nature qu’elle aimait tant. « On a quelque chose à te dire. » L’air grave de ses parents, de l’autre côté de la table à laquelle elle vient de s’installer, n’annonce rien de très gai. « Je sais, j’ai compris le message, j’aurai pas de petit frère ou de petite soeur, c’est trop tard maintenant. » Elle croque avec appétit dans un morceau du pain qui sort tout juste du four, ne s’attendant pas à l’enclume qui allait lui tomber sur la tête. « On va divorcer. Enfin on divorce. C’est en cours. » Madame Woods redeviendra Madame Willoughby d’ici peu. Les grands yeux bleus de la gamine alterne de l’un à l’autre de ses parents. « On va aller vivre en Angleterre. » annonce alors la mère de famille. Une deuxième enclume, qui n’a pas le poids de la première tellement la jeune adolescente se trouve assaillie par les informations qui brisent son coeur davantage. Il va falloir dire au revoir à Casper. A Jordan. A sa vie d’ici.

•••

Son coeur se répare doucement, d’avoir tout quitté sans en avoir fait le choix, d’avoir suivi sa mère jusqu’à Canterbury où elles ont emménagé toutes les deux. La ville. La ville et son brouhaha permanent, et les angoisses de la gamine qui apparaissent. La nature lui manque, Casper lui manque, Jordan lui manque. Ils ont beau s’appeler de temps en temps, rien n’est plus pareil. A l’école, Nicola n’est plus la même, elle a du mal à s’intégrer à tous ces enfants qui semblent si parfaits, mais qui ne semblent même pas connaître la vraie vie. Madame Willoughby travaille beaucoup, entre Londres et Paris, toujours à cent à l’heure. Si elle a quitté Mr Woods, c’était pour vivre son rêve, celui d’être styliste, et vivre enfin sa passion. Elle avait attendu si longtemps de pouvoir réaliser son rêve. Et ça, Nicky ne peut pas lui en vouloir. Elle ne se sent juste plus du tout à sa place ici. Les années passent, son père se remarie, Nicola apprend à vivre en ville, s’intéresse aux monuments à défaut de pouvoir profiter de la nature comme elle le voudrait. C’est à Paris qu’elle commence des études d’architecture, fascinée par l’histoire que peuvent raconter toutes ces pierres. Mais la nature lui manque, elle ne termine pas sa deuxième année, et choisis le sud de la France pour acheter sa première maison, crédit sur vingt ans. La vie suit son cours, elle s’épanouit à nouveau au contact de cette forêt dans laquelle elle travaille en tant que garde forestière, au plus près de cette nature qu’elle aime tant.
Et un matin, un appel de son père la réveille très tôt. Elle a du mal à ouvrir les yeux, il fait encore nuit dehors. « Chérie ! Tu voulais avoir une petite soeur, elle est là ! » Elle cligne des yeux une fois, puis deux, fronce les sourcils et cherche à comprendre. Elle savait son père heureux en couple, mais loin d’imaginer qu’il puisse à nouveau vouloir fonder une famille. Il lui enverra les photos par courrier. Elle est la bienvenue pour la rencontrer. Une petite soeur. Lorsqu’on a presque vingt ans.
Quelques jours de congé, et un billet pour l’Amérique. Bordeaux-Paris. Paris-New York. New York-Casper. Il y a bien longtemps que Nicky n’avait plus mis les pieds dans la ville qui l’avait vue naître, dans cette maison que son père avait gardée pour poursuivre sa vie. Son autre vie. Sans sa première femme. Sans sa première fille. La première rencontre avec cette petite crevette semble comme une évidence. « Elle s’appelle Niamh. » lui annonce son père, les yeux embrumés par l’émotion. « Les mêmes premières lettres que toi. » Une évidence. La petite main de Niamh se referme autour de l’index de Nicola, cette dernière laissant échapper une larme, battue par l’émotion qu’elle tentait de contenir.  

•••

« Je savais pas, que tu avais une fille. » La voix dans son dos la force à se retourner. Son regard se pose sur ce visage, autrefois familier. Niamh trônant fièrement dans les bras de sa soeur aînée, cette dernière ne semble plus savoir aligner trois mots. Elle ouvre la bouche, bien décidée à dire quelque chose, mais l’émotion l’en empêche. Jordan lui sourit, presque un peu triste de se rendre compte que sa meilleure amie d’enfance a poursuivi sa vie sans lui, sans même qu’il ne soit au courant qu’elle est devenue mère. Nicola secoue la tête. « C’est ma petite soeur. Niamh. » Sa princesse, la prunelle de ses yeux. Depuis la naissance de sa petite soeur, Nicky vient aussi souvent qu’elle peut pour profiter de cette nouvelle famille, mais c’est la première fois qu’elle tombe nez à nez avec Jordan. Et ça lui fait tout drôle. Les traits du jeune homme s’étirent dans un sourire, presque rassuré. Il ne passe pas par quatre chemins et propose à Nicky de se retrouver le soir même pour boire un verre et se raconter leurs vies d’aujourd’hui. Le rendez-vous est pris, et la jeune femme se sent aussi anxieuse qu’impatiente. Le soir venu, la complicité renaît, les souvenirs, les taquineries aussi. « Ne me dis pas que tu enlèves encore tes chaussures, même au resto ..? » Le jeune homme se penche sous la table, admirant les pieds nus de sa meilleure amie d’enfance, avant de lâcher un rire amusé. Et de la complicité au flirt, Nicky et Jordan ont terminé la nuit dans le même lit. Comme si la vie les avait remis sur le même chemin, pour cette raison. Mais la vie n’est pas une suite de moments toujours faciles ou heureux… « Je compte pas revenir habiter ici, Jordan. Ma vie est en France maintenant, j’ai fait un crédit sur vingt ans, j’ai un boulot stable, je compte pas tout lâcher comme ça. » lui avoue-t-elle alors qu’il vient de poser devant son corps seulement couvert par un édredon, un plateau contenant un petit déjeuner de roi. « Je viens d’avoir un poste à Los Angeles. » Encore une évidence. Une évidence que leur histoire n’avait peut-être finalement pas d’avenir. Depuis leurs retrouvailles, Nicky avait fait plusieurs aller-retour pour venir voir Niamh, et Jordan. Mais les choses allaient encore changer. Il fallait mettre un terme à tout ça. « Tu sais que tu pourras venir me voir. » « Toi aussi. » Partager sa vie entre la France, Casper, et Los Angeles, elle n’y pensait même pas.

•••

Elle avait hésité. Longtemps. Très longtemps. Peut-être même trop longtemps, mais ça, elle ne pourrait pas le regretter. Il lui avait fallu du courage pour prendre l’avion jusqu’à Los Angeles. Lorsque le taxi s’arrête, elle soupire. Elle appréhende, de toute évidence. Elle a imaginé tant de choses, tant de possibilités, qu’elle en a l’esprit totalement embrouillé. Elle s’était promis de ne jamais emprunter les chemins de facilité, et de toujours s’écouter avant de prendre de grandes décisions. C’est déjà ce qu’elle avait fait, quelques mois plus tôt. Son index presse la sonnette, autant que son coeur semble pressé en l’instant. Il ne faut que quelques secondes pour que la porte ne s’ouvre sur ce visage qu’elle connaissait si bien. Un sourire maladroit étire ses traits. « Hey ! » qu’elle se contente de lâcher alors qu’elle ne sait même pas par où commencer. Jordan ne remarque rien, il se contente de sourire à son tour, avant de s’approcher pour venir prendre Nicky dans ses bras, sans même demander la raison de sa venue. Mais la raison, il la comprend bien vite lorsqu’il se rend compte que leur étreinte n’est pas aussi proche qu’il l’aurait voulu, et pour cause, quelque chose l’empêche de se retrouver si près d’elle, comme avant. Il baisse alors les yeux sur la veste en cuir entre-ouverte de la brunette, pour comprendre. Elle porte la vie, depuis plusieurs mois déjà. Son teint est livide, et elle, elle a simplement peur de sa réaction. Elle a imaginé toutes les situations possibles et imaginables. « Je sais. J’aurai pu appeler. » Un rire nerveux franchit la barrière de ses lèvres alors qu’une main tendre vient caresser son ventre déjà bien arrondi. « Je peux entrer ? » Il bégaye, ne sait plus où il habite. Mais sans attendre il se décale pour laisser la future mère entrer dans cette maison qu’il habite depuis quelques mois. Un silence s’installe, on peut sentir la réflexion sur le visage de Jordan, et l’angoisse sur celui de Nicky. « Bon on va pas rester là à se regarder dans le blanc des yeux. » Un soupire coupe son début de dialogue, avant qu’elle ne reprenne. « Quand j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai pesé les pour et les contre, savoir si je voulais le garder, si je voulais t’en parler, et puis… » C’est alors que Jordan la coupe, cherchant déjà des réponses à ses questions incessantes. « Attends attends. Pourquoi m’en parler, est-ce que… » Les yeux de la brunette s’envolent vers le ciel. « Oui, J. Tu es le père. Enfin le géniteur, enfin ce que tu voudras en fait. Je te demande rien, j’ai choisi seule de le garder, t’es pas obligé de me suivre. » Peut-être un peu trop sèche comparé à ce qu’elle avait répété cent fois devant son miroir, tant pis, c’est sorti. « Et puis j’ai réfléchi, j’ai passé la barre des trente ans, si je voulais des enfants, je pouvais pas attendre encore longtemps. » Elle a réfléchi. Seule. Peut-être un peu égoïstement c’est vrai, mais après tout, il s’agit de son corps, de son choix. Et c’était important qu’elle soit sûre d’elle. De toute manière désormais, il n’y a plus possibilité de faire machine arrière. « Laisse-moi le temps de réfléchir, moi aussi. » Et elle compte bien lui laisser tout le temps qu’il voudra.

•••

Des éclats de rire d’enfant emplissent cette jolie maison familiale de Los Angeles. Nicola court à la suite de son petit garçon à travers le jardin, tous les deux pieds nus, et des petits rugissements sortent de sa bouche de temps en temps, alors que ses doigts recroquevillés font penser à des griffes acérées. « C’est qui, Julie ? » Le sang de Nicky ne fait qu’un tour. Elle se redresse et stoppe sa course, légèrement essoufflée. Gabriel continue de courir et de rire, bien loin d’imaginer la tornade qui va secouer sous peu ses deux parents. « Une amie, pourquoi ? » demande-t-elle a son compagnon et meilleur ami d’enfance. « Une amie qui t’envoie une photo de ses sous-vêtements ? » Nicky ricane, elle essaie de faire passer la pilule. « Oui chéri, c’est ce qu’on fait entre amies, on s’envoie des photos de nos sous-vêtements, et on se parle de nos ébats sexuels avec nos amoureux. Ça te surprend ? » « Non. Ce qui me surprend c’est qu’elle dise qu’elle a hâte que tu lui enlèves avec les dents ! » Trop tard. Le visage de la brune trahit déjà la détresse dans laquelle elle se trouve. « C’est pas… Je… » Elle n’a rien pour se justifier. Les échanges avaient eu beau se faire en français, Jordan n’était pas idiot, il savait se servir d’un site de traduction. « C’est elle que tu es allée voir le mois dernier à Paris ? » Le coeur de Nicola tambourine si fort dans sa poitrine qu’il lui fait mal à l’estomac, et la nausée la secoue déjà. Elle ne voulait pas lui faire de mal, mais elle a tout raté. « Maman ! Papa ! Regardez ce que j’ai trouvé ! » tenant fièrement dans ses mains un joli crapaud aux yeux dorés, le petit garçon, souriant, cherche alors l’attention de ses parents. Nicola tente de ravaler ses larmes, glissant ses doigts dans les cheveux fins de son petit garçon. « Il est très beau mon coeur, et si tu allais le relâcher près du bassin des poissons, hum ? » Il file sans tarder alors que le regard penaud de Nicola se replonge dans celui de son amour de toujours. « Je savais pas. Que tu aimais les femmes. » finit-il par lâcher sur un ton plus calme. « Je… je l’ai découvert récemment. J’avais peur de t’en parler… » « Tu aurais dû. »  « Je sais. » Et maintenant ?

•••

« Tu les enchaînes, hum ? » demande la voix juvénile de Niamh, assise en tailleurs sur le lit de sa soeur aînée. « Tu avais promis de faire aucun commentaire, Niv. » « Je sais oui. Mais c’est plus fort que moi ! » Nicola soupire, les mains glissés dans ses cheveux bruns, elle tourne en rond dans la chambre, faisant les cent pas. « Alors ? Toujours rien ? » « Toujours rien. » La bouche de Niamh se triture alors qu’elle tient le petit morceau de plastique entre ses doigts, attendant le verdict. « Mais je croyais que t’aimais que les femmes maintenant !? » « Niv ! » La jeune femme soupire. « Quoi ? Je cherche à comprendre. » « Oui, j’aime que les femmes, j’étais franchement bourrée. Et puis c’est lui là, il m’a pas lâchée de la soirée… » Elle s’en veut. Pour tout un tas de raisons. Parce qu’elle a succombé au regard doux de Jordan, et parce qu’elle a trompé Julie, accessoirement. Comme si la boucle se devait d’être bouclée. Tromper Jordan avec Julie. Tromper Julie avec Jordan. « Ah. Ça y est. » Nicola s’arrête net, le coeur affolé, les yeux ronds. Le visage de sa jeune soeur parle pour elle. « Positif. » Et voilà que ça recommence. C’est un enfer, un putain d’enfer. « J’pourrai être la marraine cette fois ? » « Niiiiv !!! » La jeune Woods lève les mains en l’air, comme pour dire qu’elle ne voulait pas la guerre. Gabriel aura bientôt huit ans, Nicky approche de la quarantaine, elle vient probablement de foutre en l’air son couple avec Julie, et elle est enceinte. C’est un réel enfer.

•••

Retour à la case départ. A l’approche de la quarantaine, Nicky se demande si elle n’est pas plus proche de ses dix-sept ans. Comme un flashback, son doigt sur la sonnette, et Jordan qui ouvre, un peu surpris de voir son grand amour sur le pas de sa porte. Cette fois, Nicola entre sans demander la permission. Après tout, elle a vécu ici presque six ans. « A quoi tu pensais hein ? » Il semble un peu perdu, referme la porte derrière elle et enfouit ses mains dans les poches de son jean. « C’était quoi ? Une vengeance ? Histoire de briser mon couple avec elle parce qu’elle avait brisé le notre ? » Jordan arque un sourcil, dubitatif. « Tu étais consentante, de mémoire. » « Ça n’a rien à voir ! » Il sourit. Elle déteste ça. « Encore heureux tiens. » Elle se trahit, et soupire sans plus attendre. « J’ai un cadeau pour toi. » Elle sort de sa poche quatre bâtons en plastique blanc, qu’elle lui colle entre les mains. Quatre tests de grossesse. Tous positifs. « Tu vois, si j’apprends pas de mes erreurs pour certains trucs, y’en a d’autres que j’ai décidé de faire autrement. » C’est maladroit, mais c’est une réalité. Cette fois, elle veut qu’il soit au courant, et qu’ils prennent une décision ensemble, comme les adultes qu’ils sont devenus. Fini de jouer les gamins. Fini de flirter avec les limites. « Je te préviens, Jordan. Si on le garde, ça veut pas dire qu’on se remettra ensemble, ou qu’on recouchera ensemble, ou quoi que ce soit. » Hébété, son regard lâche les tests de grossesse encore entre ses mains, pour le poser sur cette femme qu’il a définitivement toujours aimé. « J’ai compris. C’était une connerie. Tu aimes les femmes, et je suis juste… le père de Gabriel. » Nicola soupire, ses épaules s’affaissent. Elle a mal en entendant ses mots. « Non. Tu es mon meilleur ami, et tu le seras toujours. » Même si c’est un bordel sans nom. Elle l’aimera toujours, qu’importe l’histoire. Il restera toujours son Jordan.

•••

« Allez ! Me laisse pas y aller seule ! » Nicola grimace, elle sait qu’elle ne peut rien contre le regard de chat potté de sa jeune soeur. Elle aura sa peau. « J’ai pas de nounou pour Elio. » « Ma meilleure amie est dispo, elle adore les enfants, elle va adorer Elio, et Elio va l’adorer ! » Nicky marque un temps d’arrêt, le regard plissé. « Eh ! Je suis sa marraine, je le mettrai pas entre de mauvaises mains. Et puis je flippe d’aller à cette soirée, en plus c’est de ta faute ! » D’un côté, Niamh a raison. Si elle a toujours aimé écrire, elle ne s’attendait pas à ce que sa soeur aînée tombe un jour sur son roman, laissé là à l’abandon sur le bureau de son ordinateur portable. Evidemment, Nicky a adoré, et elle n’a pas hésité à l’envoyer à plusieurs maisons d’édition. Et ce soir, c’est la rentrée littéraire. Niamh a donné l’argument ultime. « Ok. Appelle ta meilleure amie pour garder les garçons. » Gabriel n’a plus vraiment l’âge d’avoir une nounou, il détestera probablement sa mère pour une autre raison ce soir. Ça lui passera.
Nicola a enfilé un joli costume anthracite sur une chemise blanche, elle finit de répartir la mousse pour discipliner ses boucles brunes. Niamh affirme au passage que son look ne la fera clairement pas passer pour une hétéro ce soir. Et Nicky en rit.

« Je peux vous offrir un verre ? » Autant y aller sans détour, elle ne sait pas combien de temps elle restera à cette soirée, et depuis sa séparation avec Julie il y a six ans, Nicola n’a jamais eu que des histoires sans grande importance. Cette femme a attiré son attention, et la brunette est bien placée pour savoir qu’il faut parfois provoquer un peu le destin. « Vous savez que la soirée est open-bar ? »Pragmatique. Si la quadra semblait de prime abord presque un peu renfermée, en réalité il n’en est rien. « Raison de plus ! A quoi bon venir dans ces soirées guindées, pour écouter des discours chiants à mourir, si on doit en plus payer pour son alcool ? » La rouquine laisse éclater un premier rire, sans imaginer qu’il s’agira du premier d’une longue lignée. La discussion s’engage, fluide, agréable, et Nicola jurerait sentir un début de flirt. En tout cas, elle en joue, cherchant à attiser un début de flamme dans les yeux bleus de son interlocutrice. Les heures défilent, l’échange est plus qu’agréable, mais visiblement, la jolie rousse semble bien déterminée à mettre un terme à tout ça, aussi abruptement qu’elle termine d’un trait son verre de vin blanc. « Vous me quittez déjà ? » « Un discours chiant à mourir à prononcer. » Oh, voilà que Nicola apprend le statut de la belle inconnue, qui ne l’est plus tant, depuis qu’elles ont discuté des heures durant. C’est donc la directrice de la maison d’édition. Enfin, l’une de celles représentées ce soir.

Niamh a disparu, envoyant un simple sms à son aînée. ‘Ne rentre pas chez toi avec elle ce soir, je serai avec les petits. Si tu comptes aller chez elle préviens-moi, je peux passer la nuit ici. Bonne soirée !’ Un sourire étire largement les lèvres de la brune, alors que son regard est à nouveau attiré par la rouquine s’étant placée derrière le micro. Lorsqu’elle revient, Nicky n’a pas bougé, comme si elle l’attendait. Peut-être l’attendait-elle. « J’ai été fidèle à ma réputation ? Soporifique ? » Un simple haussement d’épaules trahit la réaction de Nicola, avant qu’elle ne réponde. « Je ne saurais pas vous dire… Je n’ai pas écouté. » Le regard de la brune bifurque sans tarder sur les lèvres de l’éditrice, trahissant son envie soudaine de s’emparer de ses lèvres. « … une bien trop grande distraction. ! » Mais la réaction de la rouquine n’est pas celle qu’aurait attendu Nicky. Elle s’excuse à demi-mot tout en s’échappant, visiblement perturbée par l’attitude de la brunette. Mais loin d’elle l’idée de se faire abandonner de cette manière, elle doit comprendre. Alors sans attendre, ses pas suivent le claquement des talons de l’éditrice, et une fois à sa hauteur, les doigts de Nicky se referment sur le poignet frêle de Jules, la poussant à se retourner, et, sans attendre, elle s’empare de ses lèvres, comme si elle n’avait rêvé que de ça toute la soirée. Bonne ou mauvaise idée, elle n’en avait que faire, elle avait simplement suivi son envie. Comme attendu, la rouquine finit par mettre un terme à l’étreinte, cherchant à comprendre pourquoi. Mais non, Nicola n’est pas là pour avoir un quelconque job, elle n’est restée que pour ça, pour sa main qui glisse déjà dans la nuque de sa rencontre du soir, pour ses yeux qui la dévorent et cette envie foudroyante de la faire sienne, juste une heure, une nuit. Une nuit qui deviendra une semaine, quelques semaines, quelques mois.

Nicola sait. Elle sait que Jules est mariée, qu’elle pourrait encore essayer de mettre un terme à ce qu’elles ont. Elle a tenté tant de fois depuis ce soir là. Sans succès. Nicola sait qu’elle ne devrait pas attendre plus, qu’elle ne devrait pas continuer de s’attacher à Jules comme elle le fait. Et pourtant, rien n’est plus contrôlable depuis bien longtemps…