You are more than just a heartbeat in a world that forgets to love. » DAMEN & EINAR

Le bout d’une nouvelle cigarette s’embrase contre ses lèvres.
S’appuyant un peu plus confortablement contre le petit parapet non loin de l’entrée du commissariat, il s’autorise une nouvelle bouffée alors qu’il salue d’un signe quelques collègues qui quittent l’endroit en groupe, visiblement pris dans une conversation à base d’affaire conclue et de verres pour fêter cela. Cela lui rappelle étrangement ses années aux stups, nostalgie qui s’attarde au creux de sa poitrine et se noie dans les ombres de son cœur lorsqu’il aperçoit la silhouette de Damen se faufiler entre les portes de leur lieu de travail. La nuit l’accueille dans ses bras frais, mais loin d’être glacés (l’avantage de vivre dans une ville Californienne). Einar se redresse spontanément et lui adresse un signe pour capturer son regard qui le cherche comme ils se sont promis de se retrouver ici afin de profiter du plus de temps possible une fois ensemble.
Son cœur s’agite alors que l’autre homme se rapproche, et qu’il retrouve l’aisance et la douceur de sa proximité, les éclats familiers et rassurants de son regard bleuté.  Un sourire brodé d’affection et d’une joie sincère embrasse les lèvres de l’Islandais. Le bonheur des retrouvailles le happe avec un absolu étourdissant ; le policier l’agrippe et le retient tout contre ses côtes morcelées, tout simplement heureux de retrouver celui qui fut son partenaire, mais était et reste avant tout un ami proche, une âme à laquelle il s’est si étroitement attaché.
« Hey, le salue-t-il doucement. Je t’ai presque attendu. » le taquine-t-il, espièglerie pétillante de complicité sur ses traits.
L’une de ses mains se pose contre l’épaule de Damen, dans un geste amical, chaleureux (mais réprimé, en public), et il lui désigne la rue avant d’écraser sa clope dans un cendrier pour l’y abandonner.
C’est une boutade ; à vrai dire, Einar l’aurait attendu durant des heures si nécessaires (et s’il l’avait pu, il lui aurait donné un coup de main avant cela).
« J’me suis dit qu’on pourrait honorer nos vieilles habitudes de grand-pères et se montrer casaniers. » lui indique-t-il en évoquant à mi-mots le bar/diner où ils ont achevé tant de leurs nuits de garde lorsqu’ils étaient partenaires.
Le visage de l’autre homme trahit une fatigue pesante –un épuisement moral que l’Islandais connait intimement, qui nait dans les longues heures enchainées et les affaires qui s’accumulent sans forcément trouver de conclusions. Certain que malgré tout son ancien partenaire tient fermement la barre et garde la tête hors de l’eau (cela a toujours été sa force : savoir quoi réprimer et quoi expier pour pouvoir conserver son équilibre et ne jamais flancher irrémédiablement), Einar ne peut contenir l’inquiétude légère qui le tourmente néanmoins.
Il ne cessera jamais de s’inquiéter pour lui ; ils ont trop partagé, durant de si nombreuses années, pour que son cœur parvienne seulement à ne pas se laisser emporter dès qu’il attrape une once de mal-être chez le blond.
« Comment vas-tu ? »
Question qui témoigne d’un intérêt sincère, tandis qu’ils procèdent tranquillement vers le petit établissement qu’ils connaissent si bien et apprécient tant. Les vitrines et devantures des quelques commerces et bars qu’ils croisent commencent à afficher leurs décorations de Noël, dans cette atmosphère particulière, presque euphorisante, qui précède les fêtes de fin d’année.
Einar ne préfère pas mentionner Armenio tout de suite, conscient des difficultés que les deux hommes éprouvent à s’accorder réellement au-delà du travail qu’ils accomplissent ensemble. Damen lui en parlera s’il le désire ou en ressent le besoin. Face à cette situation qu’il n’est pas certain de comprendre en profondeur car il lui manque de nombreuses clés, l’Islandais se sent impuissant.
Deux excellents policiers pourtant bien loin d’avoir des caractères incompatibles –il les connait tous les deux, il le sait- qui pourtant se trouvent dans l’impasse lorsqu’il s’agit de s’entendre.

Sous sa peau fourmillent les centaines d’étreintes qu’ils ont partagées avant celle-ci.
Le parfum corsé et familier de Damen est un coup de poing dans les innombrables souvenirs qui sommeillent dans son cœur ; sa présence une caresse tendre et délicate sur les sentiments qui font chavirer son âme. Un cocktail de violence et de douceur, dont les explosions demeurent internes, leur souffle ravageur et rassurant enterré dans les secrets de ses iris aux teintes indéchiffrables, dissimulés au creux des failles qui lézardent son épiderme.
C’est un peu naïf certainement, mais parfois, face à la puissance des ressentis qui s’emparent de sa poitrine et font plonger son myocarde, Einar se demande s’il sera un jour jamais capable de laisser un autre être que son ancien partenaire s’approcher autant de celui qu’il est, d’abandonner à quelqu’un d’autre ce pouvoir que l’autre l’homme peut avoir sur lui. Ses yeux contre les siens sont des refuges ; les notes de ses rires incarnent une ivresse terrible et entêtante. L’essence de l’Islandais brûle en présence de Damen, libre et sauvage, éveillée. Son ancien partenaire le rappelle au meilleur en lui.
Et ce qu’il y a de plus beaux au sein de sa propre personne, cela fait des mois et des mois qu’Einar tente de s’en souvenir, de le faire subsister face aux ravages qu’il a lui-même causés en se perdant sur un chemin qu’il ne pensait jamais emprunter un jour.
« Je savais bien que l’idée plairait à ton côté pantouflard, Thornton. » le charrie-t-il gentiment tandis qu’ils se mettent en marche.
S’il s’en amuse, complice et taquin, Einar chérie néanmoins ces petites habitudes devenues routines qu’ils ont peu à peu construites au cours de leurs années à travailler côte à côte. Petits écrins de réminiscences et de confort, elles  berçaient un quotidien pas toujours aisé à endurer, mais s’érigeaient par moments en brises de réconfort qui leur avaient permis de tenir le rythme.
La nuit les accompagne jusqu’à l’enseigne aux néons usés, encore douce malgré l’approche de l’hiver.
« Il y a des choses qui ne changent pas, hein… » reconnait-il, compréhensif, lorsque son ami mentionne le travail sous lequel il croule.
Les enquêtes qui ne cessent de s’accumuler dans un coin du bureau, alors que les effectifs manquaient déjà pour résoudre celles qui étaient en cours… Einar ne peut que comprendre les mots de l’autre homme, sensible à cette lassitude imprégnée d’impuissance qui affaisse ses intonations, esquissent quelques tensions fatiguées sur son visage.
Les manières exagérées de son ancien partenaire lui arrachent un sourire plus vif –cette capacité à conserver un peu de légèreté en dépit du reste lui a manqué. Il mime un geste sur-joué pour exprimer sa gratitude, avant de pénétrer le petit restaurant. Les saveurs de la nourriture épicée lui chatouillent les sens tandis qu’il repère leur table habituelle –libre- vers laquelle l’autre policier se dirige par réflexe. L’Islandais lui emboite le pas, s’installe confortablement en face de lui, délaissant veste et clopes sur la banquette.
« Ça va mieux, avoue-t-il, honnête, peu enclin à jouer avec la vérité. Je crois que notre supérieure commence à en avoir sérieusement marre de me voir hanter les bureaux ; elle n’a pas encore proposé de reprendre le travail sur le terrain mais ça en prend la direction, je pense. »
Il soupire en s’emparant de la carte du l’établissement –juste pour vérifier que les gérants n’ont pas décidé d’en changer les intitulés.
« Elle m’a demandé d’aller « faire connaissance » avec O’Connor, l’autre jour, poursuit-il, un peu plus léger avant de reprendre son sérieux. Sa partenaire est en congé maladie, je pense qu’elle essaye de voir si ce sera un match avant de nous envoyer ensemble sur le terrain. Il a été transféré un peu avant toi je crois, tu le connais ? »  
Une serveuse d’une vingtaine d’années leur offre deux verres d’eau avant de s’atteler à prendre leurs commandes. Einar ne déroge pas de ses habitudes quant à ce qu’il désire manger, et offre un sourire charmant à la demoiselle lorsqu’elle manque de laisser échapper l’un des menus qu’ils lui rendent tour à tour.
« Ça va mieux, avec Armenio ? »
Ses intentions se font plus concernées.
Cela le préoccupe parce qu’au sein d’une équipe de policiers, il n’est pas juste question de résultats, mais aussi de survie.