Paternité surprise (Reagson)

Tu ne pensais pas le voir là, accouder à ton bar, cet homme qui t'a rendu mère. Tu as bugué un temps. T'étais pas vraiment sûre et certaine que ce soit lui. Au début du moins. Pourtant, il correspondait en tous points au mec de tes souvenirs, en un peu plus vieux évidemment. Il n'a fallu qu'il parle pour que tu sois convaincue de son identité. Il était impossible pour toi de lui parler réellement d'Amelia. Pas ce soir, pas maintenant. Tu as toujours élevé Amy seule. Même si ta mère t'a parfois aidé, tu restais sa maman, tu restais présente. Alors le croiser ici, ça t'a retourné le cerveau. Dans ta hâte, tu as quand même pris ses coordonnées. Lui, il n'a pas du te remettre vraiment. Après tout, votre histoire n'a duré qu'une nuit. Nuit durant laquelle vous étiez tous les deux très alcoolisés. D'autant plus qu'en six ans, il a dû en voir d'autres des nanas.

Tu es restée bien une semaine avec son numéro de téléphone sans trop savoir quoi en faire. En demandant conseil, tu as remarqué que personne n'avait le même avis sur la question. Certains ne trouvait pas du tout l'idée bonne de lui avouer sa paternité. D'autres que c'était la moindre des choses à faire. Et toi dans tout ça, tu ne t'en retrouvais que plus perdue. C'est ta mère et ses sages paroles qui ont réussi à débloquer la situation. Tu pouvais effectivement lui dire la vérité sans pour autant l'inclure dans la vie d'Amelia. Tu as toujours trouvé ça regrettable que ta fille n'ai pas de père, pas avec elle en tout cas. Toi qui a trop souffert du manque de présence de ton géniteur, tu t'étais toujours promise que rien de tel n'arriverait à tes enfants. Promesse qui n'a manifestement pas était tenue.

Tu as alors décidé de l'inviter à boire un verre dans un café du centre ville pendant que ta petite est à l'école. Tu mentirais si tu disais que tu n'étais pas nerveuse. Ne connaissant pas le bonhomme, tu as préféré choisir un endroit neutre. On sait jamais qu'il soit violent. T'as moyennement envie de te faire punir pour des bêtises que vous avez faites à deux. Et encore, parler de bêtises n'est pas vraiment à ton goût puisque pour toi, l'arrivée d'Amelia est un véritable cadeau. C'est assise en terrasse, que tu l'attends sagement. Lunette de soleil, cigarette et café, t'as probablement l'air du princesse à paillette. D'une nana qui cherche à faire des rencontres. C'est tellement peu le cas. Mais c'est pas grave parce qu'après tout, tu n'es là que pour annoncer à un homme qu'il est père depuis six ans déjà.

Le stress te sert la poitrine. Persuadée que la nicotine peu t'aider d'une quelconque manière, tu enchaînes les cigarettes. Dans le cendrier, deux sont déjà écrasées. Pourtant, la posture est fière. L'expression de ton visage est impassible. Tu dégages une certaine assurance en toute circonstance. Parce que faire semblant c'est un peu ton quotidien, parce que t'es habituée à jouer un rôle, à ne pas montrer que t'es triste ou que t'es mal. Tout te cri d'abandonner la mission. De juste partir avant qu'il n'arrive. Que c'est finalement pas une si bonne idée que ça. Mais ton corps ne bouge pas. Il refuse. Comme s'il était sa propre conscience. Comme s'il savait tout mieux que toi.

Et de toute façon c'est déjà trop tard. Tu peux voir l'homme s'approcher de toi. Il fait des gestes, sourit à des gens sans pour autant s'arrêter de marcher jusqu'à son objectif. Toi. Rapidement, il arrive à ta hauteur et après avoir tiré la chaise en face de toi, prend place à la petite table du café. « Salut. » Dis-tu en souriant à ton tour. Son sourire d'ailleurs, tu as envie de le lui faire ravaler. Rien de méchant mais t'es pas là pour te faire draguer. Parce que c'est probablement à cause de ce sourire qu'il y a six ans tu t'es retrouvée dans son lit. Sauf que lui il en sait rien. Comment pourrait-il ne serait-ce que concevoir cette idée ? « Monsieur est gentleman à ce que je vois. »

Un signe à la serveuse et un verre de Chardonnay commandé plus tard, tu reprends la parole. Tendant ton paquet de Malboro tu te permets de lui offrir une cigarette s'il le désire. « Si t'en veux une, sers-toi. » Ce n'est qu'une ruse plus ou moins habile pour te faire gagner un peu de temps. Pour organiser tes pensées et surtout tes futurs dires. Après quelques secondes à détailler chaque traits de son visage tu te lances maladroitement. « On s'connait je crois non ? C'est pas avec toi que j'ai déjà couché à la soirée de ... Ashley ? Ashlynn ? J'me rappelle plus de son nom. » La question est à peine posée que tu la regrettes déjà. Elle est si maladroite, si peu discrète. Mais y avait-il seulement un moyen de dire ça d'une façon plus détournée ? Plus poétique ? T'es même pas trop sûre. « J'étais blonde avant si ça peut t'aider. 'Fin j't'avoue que j'raconte peut-être des conneries vu comme j'avais bu. » Le rire qui suit est forcée un peu mais encore une fois, tu n'es pas mauvaise pour faire semblant. En espérant que ça te sauve.

Il semblerait que tu lui ais rafraîchi la mémoire. C'est pas plus mal dans un sens. Au moins, il ne pourra pas se défiler et feindre l'oubli ou le mensonge. Pourtant, qu'il daigne te croire ça n'est pas tellement important au final. T'es là par politesse. Parce que si t'étais dans son cas t'aimerais bien savoir. Et puis vaut mieux que ce soit toi qui le lui dise plutôt qu'un quelconque test dans vingt ans quand Amelia se serra lassée des secrets. Ta position est délicate actuellement. Tu te dois de faire ce qui est le mieux pour ton enfant et pour toi. Pour autant, tu n'es pas sûre qu'il se souvienne de ton prénom. « J'suis Reagan au fait. J'me dis que si je me souvenais pas de ton nom, ça devait être la même chose pour toi. » Avoues-tu, après avoir craché la fumée de ta cigarette.

Les sourcils s'arquent en entendant ses âneries. Il fera moins le fier dans quelques minutes quand il saura. Un sourire légèrement taquin se dessine aux commissures de tes lèvres. « Une fois m'a amplement suffi. » Tes mots n'ont pas prétention à le vexer. Peut-être à seulement le faire redescendre un peu. « Mais merci de la proposition je suppose. » Est-ce qu'il arrive vraiment à draguer des gens en parlant de ses autres conquêtes ? C'est une technique comme une autre certes mais jamais une que tu as utilisée et qui ne semble pas nécessairement efficace sur toi curieusement.

Vos verres arrivent enfin. Sentir l'alcool couler le long de ta gorge ne sera pas de refus. Après avoir trinquer avec ton interlocuteur, tu savoures la gorgée. Elle te donne du courage. Anxieuse, tu finis par lui tendre ton téléphone sur lequel est affiché une photo d'Amelia. « Bon alors... euh.. Alors elle c'est Amelia. » Tes yeux sont baissés, tes mains se triturent l'une et l'autre. C'est comme si t'avais honte de le lui dire. Pourtant t'as pas honte d'avoir ta gosse, bien loin de là. Elle est ta petite merveille. « C'est ma fille, elle a 6 ans. » Ton regard se relève timidement à son visage pour entrevoir ses réactions, pour voir s'il comprend. T'oses rien ajouter de plus. Parce que t'es déjà mal, au fond du trou. Tu bois ton alcool dans l'espoir qu'il te calme.

Tes yeux roulent. Tu as du mal à le croire. Mais soit. Tu n'es pas là pour ça de toute façon. Tu n'as pas le temps de débattre si oui ou non il se souvenait vraiment de ton prénom. Ça ne t’intéresse pas de toute façon. D'un autre côté, ça te permet de le tester un peu. De ce qu'il raconte, il t'a tout l'air d'un coureur de jupon. Tu as peu parlé avec lui pour le moment et pourtant tu arrives déjà à le cerner. Du moins tu en as l'impression. Sait-on jamais, si un jour il choisi de faire partie de la vie d'Amy, tu dois être sûre qu'il ne soit as un énième détraqué.

Il est gêné quand tu lui montres la photo de la petite. Toi aussi. Ça se comprend. Ce qui t'agace néanmoins c'est qu'il ne comprenne pas les sous-entendus et les non-dits. Ouais mais voilà, tu ne peux pas demander à quelqu'un de lire entre les lignes de tes propos. Tu ne peux empêcher un soupire d'exaspération. « Grayson. Amelia est ta fille. » Dis-tu, coupant alors son rire fier. La bombe est lâchée. C'est dit. Et tu ne te sens pas plus soulagée que cela finalement. Parce que tu ne sais pas comment il va réagir. Alors tu te sens obligée de rajouter quelques trucs, de meubler un peu le silence qui suit. « Ne va pas te faire d'idées. Je ne te demande pas d'être présent pour elle. Je ne te demande pas d'argent non plus. Je m'en sors très bien toute seule. J’estimais simplement que tu méritais de le savoir. » Après tout, c'est pas rien d'avoir un gamin du jours au lendemain. Tu soupires, à nouveau, avant de terminer ton verre. Silence gênant le retour. Une interrogation de moins avec laquelle tu auras à vivre. C'est déjà ça.

Tes sourcils sont froncés. Sur le visage, tu as un air grave. Il n'y croit pas, à ton histoire. Ça se voit. Il a rigolé un instant avant de reprendre son sérieux. Tu ne trouves pas ça drôle toi. Attrapant ton paquet de cigarette, tu en allumes une énième. La quatrième depuis que tu es arrivée sur cette terrasse. Ton genoux gauche tremble, un tic nerveux. C'est le stress, c'est la colère face à sa réponse, c'est la honte et la gêne, contenu dans un seul geste, dans une bouffée de nicotine. Alors que tu brûles à l'intérieur, que t'as juste envie de te barrer après l'avoir insulter pour sa bêtise profonde, tu restes le cul vissée sur ta chaise. Si ton expression est grave tu n'en restes pas moins courtoise. « S'il y a bien une chose avec laquelle je ne plaisante pas, c'est bien Amelia. Et si je n'étais pas sûre et certaine que tu sois son géniteur - puisqu'à bien y réfléchir c'est tout ce que tu es - je ne serais pas venue te le dire. J'ai autre chose à faire de mes journées que de m'adonner à de stupides blagues. » Repoussant son chéquier du bout des doigts, tu soupires. Tu regrettes de l'avoir recontacté. Tu regrettes d'être là. Ce qui est fait est fait mais tu aurais aimé que ça se passe différemment. « Je te l'ai déjà dit. Je ne veux rien de toi. Ni argent, ni implication quelconque dans la vie de ma fille. Je ne te demande pas de lui offrir des cadeaux pour Noël ou son anniversaire. Ni d'être là pour sa remise de diplôme quand elle sera grande. Tout ce qui m'importe c'est d'être transparente avec toi. Si on s'était recroisé plus tôt, tu l'aurais su plus tôt. T'aurais très bien pu jamais l'savoir aussi. Et rassure toi, je ne compte pas parler de toi, divulguer ton identité, à ma gamine. » De toute façon, tu es trop protectrice et possessive avec ta petite. Maman ours, tu la protèges de tout et de rien surtout. Tu l'as élevée seule et tu continueras ainsi. Tu as déjà su lui montrer ce qu'était une femme battante et ce n'est pas prêt de s'arrêter. Et pour dire la vérité, qu'il daigne te croire ou non, ça n'a pas vraiment d'importance à tes yeux. Au moins il sait.

Tu as peur Reagan, c'est vrai. Un homme en colère, c'est effrayant. Lui il l'est en tout cas. Tes émotions se bousculent. Elles s'entrechoquent en un vacarme assourdissant dans ton coeur. Les larmes au bord des yeux, tu les chasses du revers de la main. Tu n'es pas faible et il hors de question que cette idée ne puisse ne serait-ce que lui effleurer l'esprit. « Comment peux-tu parler de comédie quand je te parle d'elle ? Je sais que tu ne te souvenais pas de moi. Je sais que tu ne te souviens probablement toujours pas. Je m'en fiche. C'est pas de moi dont il s'agit vraiment. J'ai pas été la seule à la faire Amelia. J'ai pas cherché à te retrouver plus tôt c'est vrai. C'était con de ma part. J'en suis consciente. Mais j'avais dix-neuf ans putain. J'étais une gosse ! Et surtout j'étais toute seule. Tu peux pas imaginer à quel point c'était effrayant. 'Fin ce que je veux dire c'est que, imagine, ce que tu ressens là, toute ta colère, cette impression que, d'un coup, tu contrôles plus rien, je connais ça par cœur. Je l'ai vécu pendant de long mois. J'te dis pas ça pour que tu me prennes en pitié. Je cherche pas à jouer la meuf victime et fragile comme t'aime à le penser. Mais tu dois bien comprendre une chose. Je n'avais à peine que ton visage pour te retrouver. Tu aurais préféré que je ne te dise jamais rien ? Que je fasse semblant toute ma vie ? Que ce soit Amy qui vienne un jour frapper à ta porte pour casser la vie de famille que tu auras construit en t'annonçant que t'es son père ? » Étonnamment, plus ton monologue avançait et plus ta voix s'était faite douce, calme. Tu ne peux pas imaginer être à sa place vraiment parce que tu ne l'es pas et c'est un fait. T'aurais pu faire mieux, avoir plus de tact c'est clair.

Enfin, le jeu à l'air de sa calmer des deux côtés. L'animosité, toujours présente, s'est atténuée. Et ce n'est pas pour te déplaire. Tu hais les ambiances lourdes et les accès de colère. Jeune femme toujours joviale, tu ne te reconnais définitivement pas dans ton comportement que tu as tenté d'adoucir au cours des dernières minutes. « J'ai jamais dit que je t'empêcherais de la voir non plus. Seulement que je ne demandais ni n'attendais rien de toi. » Tu ponctues en avalant une gorgée du verre que vient de ramener la serveuse à la demande de Grayson.

Si la foule qui vous entoure vous scrute comme le dernier gros drama de twitter, toi tu ne le remarques pas. Et même si s'eut été le cas, tu n'en aurais pas eu grand chose à faire. Mais il faut avouer qu'un peu plus tôt vous vous donniez presque en spectacle. Un endroit bondé est certes un terrain neutre mais pas du tout un terrain discret. Tu soupires encore, Reagan, quand il te parle de son fric. Ça t'exaspère au fond. « J'suis loin d'être pauvre. Amelia a toujours eu ce qu'elle voulait et surtout ce dont elle avait besoin. C'est même pas ça le problème ! On s'en fout du fric au fond ! Comment tu voulais que je te retrouve dans L.A avec pour seul indice une image flou de ton visage ? » Énième taffe tirée sur la cigarette dont tu laisses s'échapper la fumée entre tes lèvres.

Si t'avais un peu plus de cran, tu partirais sans doute. Pour autant, t'es pas sûre que ce soit la meilleure chose à faire. Tout comme pour le fait qu'il souhaite la rencontrer. Tu es dubitative, indécise. Tu ne sais pas. T'as peur surtout qu'il brise le cœur de ta fille comme ton père l'a fait avec ta fratrie et toi. Tu ne supportes déjà pas qu'elle se cogne avec qu'on lui fasse du mal à un tout autre niveau, c'est pire que tout. D'un autre côté, tu ne peux pas vraiment le lui refuser. C'est toi qui viens d'entrer dans sa vie. C'est toi qui viens de tout chambouler. C'est toi qui lui as imposé la paternité. « Comme tu voudras. Tu verras, elle est parfaite. Tellement gentille et intelligente. Jolie aussi. » C'est facilement que tu te laisses emporter quand tu parler d'Amelia. Rien n'est plus beau à tes yeux que son sourire. Rien de plus doux que son rire. Et ça se voit que tu l'aimes plus que tout, ton oeil brille, tu souris bêtement. Dans tout ce pseudo malheur, elle est ton petit trésor.

Si l'atmosphère est toujours pesante, chacun s'est calmé de son côté. Et ce n'est pas pour te déplaire. Le conflit n'a jamais vraiment été ta spécialité. Tu aimerais pouvoir lui dire que t'es désolée pour tout. Mais c'est pas le cas. Bien sûr, tu regrettes la façon dont ça s'est fait, cette discussion plus que maladroite. Tu regrettes de pas l'avoir trouvé plus tôt oui. Cependant, t'excuser reviendrait pour toi à ramener Amelia à l'état d'erreur. Elle n'était pas prévu mais elle n'en a pas moins été désirée et aimée aussi dur qu'eut été la nouvelle à assimiler. Haussement d'épaules, tu soupires. « Je sais pas Grayson. Il faut que je lui en parle avant tu comprends ? Que je la prépare. » Parce qu'elle est encore petite. Surtout parce qu'elle a vécu pendant six ans en pensant qu'elle n'avait pas de père. Aussi parce qu'en six ans tu ne lui en as jamais parlé. Après tout, qu'est-ce que t'aurais pu lui dire à propos de Grayson alors que tu ne le connaissais pas ? Encore aujourd'hui tu ne sais rien de lui. C'est son père oui. Et il peut la voir s'il en a envie bien sûr. Ça te fait même plaisir, dans un sens, qu'il ne la rejette pas totalement. Elle ne mérite pas ça Amy. Pour autant c'est pas simple de se dire qu'on va probablement devoir confier sa gamine à un parfait inconnu. « T'as mon numéro maintenant de toute façon. Tu me diras quand tu es dispo et je m'arrangerais. » Les efforts vont dans les deux sens. Si lui en fait, tu vas devoir en faire toi aussi.