L'explorateur | Dakota

Enfin elle se décidait à rejoindre la nouvelle colocation, pas qu’elle n’avait pas envie mais son départ quelque peu précipité n’avait pas dû être au goût de la petite famille. De plus, elle avait en travers de la gorge l’échec cuisant des recherches sur ses parents biologiques et la trahison de celle qu’elle avait pensé amoureuse. Son regard parcourait les bâtiments qui défilaient le long de la route et son index tapait sa cuisse au rythme de la musique afro-américaine du chauffeur, elle avait demandé à Oscar de la conduire. Elle réajusta une tresse qui traînait devant son visage et s’enfonça un peu plus dans son siège dans un soupir.

La patience n’était pas son fort surtout quand il s’agissait de revoir ses amies et colocataires puis elle pensait à la tonne d’affaires qui l’attendait dans le coffre. Bordel elle aurait dû se muscler en conséquence. Elle rabattit son bonnet sur ses yeux en faisant la moue, c’était clairement pas Oscar qui allait l’aider, déjà qu’elle avait galéré à le faire monter dans la voiture. Son plus grand souhait était de voir un ascenseur une fois à l’intérieur de l’immeuble. Au pire des cas, les filles retrouveront son cadavre dans les escaliers. Quelle charmante idée elle avait là, plus conne mort on trouvait pas. “On est arrivés la moche.” Elle grogna et se pencha en avant pour lui frapper l’arrière du crâne et s’extirpa de la voiture en s’étirant comme un chat. Elle avait hâte de rentrer, vraiment, tout le monde lui avait manqué et elle se demandait surtout à quoi ressembler les nouvelles têtes.

Les sacs furent balancés sur le sol et l’un d’eux fut un bruit inquiétant. “Mais t’es con! Mes souvenirs!” Elle bondit pour vérifier que tout allait bien. “Roh ça va, y’a quoi de spécial à Hawaï?” Il se prit un coup de pied bien placé, on plaisantait pas avec ses origines non mais oh. Elle ramassa les sacs, les cala sur ses frêles épaules puis tourna la tête vers Oscar. “Tu fais quoi de celui-là?” Son regard se posa sur le nom écrit au feutre sur le carton puis sur les traits interrogateurs de l’afro-américain. “Brule-le.” Elle n’avait même pas envie de récupérer ses affaires, il avait traîné chez son ex c’était déjà un crime. “Allez je t’appelle pour te payer un verre, histoire de te remercier!” Il y avait un putain d’ascenseur, sa vie était sauvée! Elle poussa un cri de joie et lança ses affaires à l’intérieur puis fixa les boutons. “Putain on est à quel étage?” Ses mains fouillèrent les poches arrières de son jean pour trouver son téléphone. La langue tirée, elle consultait les messages récents. Ah là, trouvé. Elle appuya sur le bouton et retira son bonnet.

Qui allait lui ouvrir? Bonne question. Avec un peu de chance, Avalon ou Dakota, ou encore mieux sa petite-amie mais vu l’heure cette dernière devait être partie traquer des célébrités. Les portes s’ouvrirent et Ohana poussa ses affaires dans le couloir puis fit face à -miraculeusement- la bonne porte. Elle toqua trois fois et afficha un sourire radieux, clairement heureuse d’être de retour à la maison. On lui ouvrit. “He…” Et on lui claqua la porte au nez. Ah d’accord. A ce point? Elle fixa la porte en penchant la tête sur le côté, une moue sur la gueule. “EH DAKOTA OUVRE MOI!” cria-t-elle se foutant bien de ses voisins, elle n’était jamais amie avec eux de toute manière. “S’IL TE PLAIT JE TE FERAI DES PANCAKES ET…” Elle tourna sept fois sa langue dans sa bouche. “DEUX NOUVEAUX TATOUAGES!” Donc des histoires à raconter non? La porte à sa gauche s’ouvrit et une tête énervée la regarda. Elle lui rendit un geste de la main cordial.

Ca devient de plus en plus difficile de bosser à l'agence. Je sais que y'a une raison. Je sais qu'elle est rousse et qu'elle se marie dans genre deux mois mais je ne l'avouerai jamais. Plus la date approche, plus organiser son mariage est contraignant. Puis de toute façon à quoi bon me prendre la tête. Elle va se marier. Donc trop y penser c'est du temps de perdu. Du temps que je ne passe pas à avancer sur d'autres mariages, sur ma musique, sur mes amis. Déjà que la musique est un peu entre parenthèse en ce moment, ça ne m'aide pas. Moins le temps de travailler, de préparer mes compo', mes mix. J'aime toujours autant ça, bien évidemment mais quand la tête est occupée, c'est compliqué. Il faut que je me reprenne. Je ne me suis jamais laissée autant emmerdée par une nana et c'est con que ça commence aujourd'hui. Surtout lorsque c'est une situation désespérée et foutue d'avance.

Je suis rentrée tard, cherchant à me changer les idées, cherchant à laisser l'alcool noyer tranquillement ces pensées néfastes. Du coup ce matin, je ne suis pas franchement très fraîche. Déjà que je ne suis pas du genre lève tôt, y'a des jours comme ça où c'est plus compliqué. Heureusement que je suis toute seule à l'appart'. Tous en cours ou au taf', je suis tranquille. Ca a du bon de se taper ma boss, j'ai plus de jours de libertés. Enfin c'est surtout que là, ce sur quoi j'ai à travailler, je peux le faire depuis n'importe quel ordinateur. Après un café je m'y mettrais. Je crois. Ou ce soir peut être. J'en sais rien. Le travail sera fait quoiqu'il arrive.

Le café dans la main, je le sirote en roulant un joint. Bah quoi, c'est pas parce que je dois travailler que je ne peux pas me détendre. Mais pas le temps de l'allumer que quelqu'un se présente à la porte. Si c'en est un qui a oublié ses clés je l'étripe. Ou presque. J'ouvre et me retrouve face à la dernière personne que je pensais voir ici aujourd'hui. " He… " J'la laisse même pas finir sa phrase que je referme la porte aussi sec. Non mais oh... Je sais qu'elle habite elle aussi ici mais bon. Le temps de la digestion je suppose. " EH DAKOTA OUVRE MOI! " Sans qu'elle ne me voit je tourne la tête de gauche à droite. Non non non. " S’IL TE PLAIT JE TE FERAI DES PANCAKES ET… DEUX NOUVEAUX TATOUAGES! " Rah merde elle fait chier elle. J'inspire, expire. J'attends quelques secondes encore avant d'ouvrir la porte, juste un peu. " Tu les fais maintenant les pancakes ? Genre tout de suite ? " M'en fous qu'elle vienne d'arriver, qu'elle ne soit même pas installée. C'est la seule condition pour que j'ouvre entièrement la porte et la laisse rentrer ... et bien chez elle.

Elle n’aurait peut-être pas dû rentrer. C’était une question qui tournait en boucle dans sa boîte crânienne fatiguée. Elle aurait peut-être dû continuer son apprentissage de pêcheuse auprès des jeunes du village et devenir une jolie hawaïenne qui faisait rêver chanteurs et autres artistes. Oui mais non. Elle n’était même pas sûre que Dakota allait lui ouvrir la porte et ne savait donc pas quoi faire. Attendre contre la porte qu’une fille rentre ou aller crécher dans un hôtel en pleurant recroquevillée sur son lit en mangeant de la glace ?

Et puis quoi encore ? On parlait d’Ohana Brown, la plus belle casse-couilles de cette ville. Elle était prête à défoncer la porte à coups de pieds, quitte à se casser un orteil quand la voix étouffée de son père castor lui répondit. Ah c’était pas trop tôt. Ses mains se posèrent à plat sur le bois lisse tout comme son front. Elle était fatiguée, souhaitait dormir et se reposer, rien de plus simple.

Cuisiner maintenant ? Elle ne savait même plus tenir une poêle correctement, c’était risqué mais faisable. A moins qu’elle n’arrive à capturer Dakota sur son épaule, la balancer dans une chambre au hasard et l’enfermer pour aller dormir ? C’était faisable également mais ce n’était pas une garce Ohana.

« Marché conclu, maintenant ouvre parce que le voisin arrête pas de me fixer depuis dix minutes ! » Elle avait le don pour se foutre les autres à dos en ce moment. L’hawaïenne avait un peu de mal à comprendre la rancœur des filles envers elle, certes le départ avait été précipité, mais jamais elle n’avait caché la raison de son départ. Dakota, plus spécialement, savait qu’elle était orpheline et que sa grand-mère lui avait toujours promis de l’emmener sur l’île dont elle puisait les origines.

Ce n’était pas pour autant qu’elle irait poser la question à la brune, elle allait faire comme d’habitude : Faire comme si de rien n’était et laissait la vie faire son boulot. Aussi simple que bonjour. Dakota lui ouvrir finalement la porte et elle s’empressa d’entrer, donnant des coups de pieds dans ses sacs pour les faire entrer également. « Merci. » Souplement, elle esquiva sa silhouette et rejoignit immédiatement la cuisine. Y’avait des pancakes à faire après tout. « Y’a un cadeau pour toi dans le sac à dos, le paquet rose. » lâcha-t-elle en ouvrant le frigo.

faut qu'elle sorte de ma tête. j'en ai marre de penser à elle. parce qu'elle me hante. ophélie c'est pire qu'un mauvais virus. elle est entrée dans ma tête et elle n'en sort pas. surtout que j'ai essayé. je pense que je ne cherche pas assez. ou que je ne trouve pas quelqu'un à sa hauteur. pourtant... je n'ai jamais rien fait avec elle. je ne l'ai même jamais embrassée. c'est un comble bordel. elle est juste... elle. c'est la première fois que je discute avec une fille depuis si longtemps sans jamais avoir conclu. c'est improbable.

heureusement qu'il reste des amis. comme celle derrière la porte. " marché conclu, maintenant ouvre parce que le voisin arrête pas de me fixer depuis dix minutes ! " je rigole. doucement pour ne pas qu'elle m'entende. je me fiche du voisin et en fait ça m'amuse un peu de savoir qu'il la fixe ainsi. je l'aime pas. il nous aime pas. comme ça tout va bien non ? un parfait équilibre. j'accepte donc d'ouvrir la porte et l'observe se débattre avec ses affaires pour les faire rentrer dans l'appartement. j'ai envie qu'elle soit là, bien sur que oui. mais je lui en veux. d'être partie oui mais surtout de n'avoir donné aucunes nouvelles. à part un colis mais ce n'est pas des nouvelles. j'm'en fiche. même si je suis quand même contente. bref, je préfère attendre un peu. elle m'a remercié mais j'ai pas fait grand chose. enfin si, j'ai ouvert la porte. une véritable héroïne à n'en pas douter.

elle passe devant moi et se dirige vers la cuisine. dans un sens je suis soulagée. parce que ça veut dire qu'elle tient sa promesse. je souris et ferme la porte. " y’a un cadeau pour toi dans le sac à dos, le paquet rose. " oh cadeau. comme un interrupteur je me mets en quête de ce sac pour trouver le cadeau. je sors un paquet et lui montre pour m'assurer qu'il s'agit bien du cadeau pour moi. je me dis que peut être elle en a ramené pour les autres. " c'est ça ? " une fois que j'ai son accord je m'assois sur le sol et déballe le tout. un gâteau et ... je n'ai aucune idée de ce que c'est que le reste. " qu'est ce que c'est ? " je crois que j'ai besoin d'un mode d'emploi.

Elle fixait les placards avec intensité comme si elle pouvait voir à travers. Bordel, elle était bonne pour devoir trouver ses marques. Elle avait pris des semaines à connaitre l’emplacement des couverts dans l’ancien appartement, bon c’était juste un contre-temps rien de très grave. Chaque placard fut fouillé pour récupérer les ingrédients et Ohana mit la main à la patte pendant que Dakota déballait ses cadeaux. « Le gâteau est de la part des gamins dont je m’occupais là-bas. Tu peux en manger, c’est pas empoisonné j’ai vérifié. » Elle alluma la plaque et posa la poêle dessus, attendant que cette dernière chauffe suffisamment pour y faire couler la pâte. Elle s’appuya sur le plan de travail et observa père castor découvrir la tenue dans un sourire amusé. « C’est une tenue traditionnelle, tu sais la jupe et tout le bordel. Je te rassure y’a pas le collier de fleurs. »

Elle commença les pancakes, sortit une assiette et attrapa la spatule. Elle se demandait si Dakota allait l’essayer tout de suite ou si elle allait attendre qu’Avalon découvre la même tenue. Elle ricana intérieurement en les imaginant dedans. Ca ne pouvait qu’être drôle, elle prendrait soin de filmer discrètement la scène. Les deux premiers pancakes furent posés dans l’assiette, l’odeur légèrement vanillée se répandit dans la pièce, de quoi lui ouvrir aussi l’appétit. « Et sinon tu racontes quoi toi ? Ils sont sympas les nouveaux colocs ? » Elle ne les avait pas encore vu, des petites inconnus au bataillon qu’elle avait hâte de rencontrer, voire même de traumatiser. Vingt-neuf ans et encore l’optique d’emmerder son monde, il était génial le caractère d’Ohana quand même.