Tout était arrivé si vite. Si j'avais pas filmé la scène, j'aurais pas vu ce qui s'était passé. Liam m'avait demandé de l'accompagner, pendant qu'elle faisait ce qu'elle appelait du parkour. Je savais pas ce que c'était jusqu'à ce qu'elle m'explique. Un sport où tu courais partout, sautais sur des toits, des trottoirs, où tu t'accrochais à des rebords. Ca me paraissait tellement idiot, mais bon je m'étais déjà engagé. Alors j'ai pris mon téléphone et j'suis parti la filmer, comme elle le voulait. Au début, ça se passait bien. Elle sautait partout, courait et je la suivais en marchant, me foutant d'elle quand elle se loupait. Mais voilà. Est venu le moment où elle s'est beaucoup trop loupée. Je l'ai vue retomber d'un coup. Liam ? Pas de réponse. Je m'approchais lentement en souriant. J'étais sûr qu'elle allait se relever et me faire bouh ! j't'ai eu !. Mais mon sourire est parti avec les secondes. Liam ! J'me suis mis à courir auprès d'elle, lâchant le téléphone d'un coup. Elle avait perdu connaissance et semblait mal en point. J'arrêtais pas de l'appeler, je lui ai même tapé sur l'épaule, à un moment. Mais ça ne changeait rien, elle se réveillait pas. Je suis parti chercher le téléphone. J'ai appelé le premier numéro qui me venait en tête. Adam. Avec ce qui se passait en ce moment, même s'il ne connaissait pas la vérité, j'essayais de l'éviter un peu. Mais là, c'était grave. C'était Liam. Je l'ai appelé, lui ai expliqué ce qu'il s'était passé, où on était. Et quelques minutes, ou était-ce des heures, aucune idée, Liam était transportée à l'hôpital. Et moi, j'étais là, à l'attendre comme un con. Attendre de savoir ce qu'il se passait, si c'était grave ou non, si... C'était une torture, j'ai rien vu venir.
C'est arrivé. C'est finalement arrivé. Pourtant, elle prend ses précautions. Liam. Elle ne va pas n'importe où. Elle maîtrise son sujet. Elle maîtrise ce sport. Elle le pratique souvent. Surtout lorsqu'elle part jouer la paparazzi. Elle parvient là où d'autres ne le peuvent point. Elle saute, et grimpe, elle escalade et passe partout, afin d'avoir les meilleurs angles. C'est pour ça qu'elle gagne bien son pain dans ce domaine là aussi. Parce qu'elle a deux atouts. Sa ténacité, et son talent. Le parkour se range dans ces deux atouts là. Elle est agile. Elle est entraînée. Elle est en forme. Elle est prudente. Elle ne prend pas les chemins les plus risqués, et quitte à passer d'un immeuble à un autre, hors de question de faire de grandes figures qui poseraient problème. Non. Elle est efficace. Rapide. Mais pas assez. Apparemment.
Pour ça qu'elle a demandé à son frère de la filmer. Elle s'entraîne dans un parc. Avec le décor, les murets, les murs, les petites maisons, les stands, et les attractions, elle a de quoi. Son but est de savoir anticiper. De savoir agir. Réagir. Lorsqu'elle fonce vers le mur, elle doit apprendre à plus rapidement chercher son appui. Mais surtout, à trouver le bon pour s'élancer dans les airs et escalader de plus en plus haut.
Sauf que. Sauf que ça a mal tourné. Sauf que lorsqu'elle est parvenu en haut, elle a manqué sa prise. Pourquoi ? Parce que sa chaussure a glissé. Ses baskets blanches à semelles noires, adhérentes. Et ça lui a causé un claquage, d'abord. Sa jambe, dans son short moulant noir. Puis son dos s'est mal tordu. Dans son t-shirt blanc ample. Puis sa main à ripé. Et elle a glissé. Elle est tombée. Mais avec la vitesse, et le fait que tout ça est arrivé en moins d'une seconde, elle est très mal tombée. Sa tête a cogné le mur assez violemment, sa jambe a rencontré la pierre plus bas, alors que son bras s'est mal tordu, et son annulaire et pouce gauche se sont retrouvés écrasés par sa propre main. Pas beau. A voir. Pas cool. A ressentir. La douleur a été à la fois forte, et sourde. Muette. Aveugle. Pourquoi ? Parce que la peur a tout effacé. L'espace d'un instant. Elle était en hauteur. Vraiment haut. Puis c'est sa tête. Cognée trop fort. Du sang s'en échappe. Et ça l'assomme. Elle ne bouge plus. Elle ne bouge plus. Elle n'est plus là. Inconsciente. Son corps est là, mal en point, amoché, mais elle est perdue dans son inconscient.
Lorsqu'elle émerge, elle est ailleurs. Dans une sorte de civière, de lit d'hôpital. Elle a mal à la tête, elle a mal au bras et à la main, elle a mal à la jambe. Elle a un bandage sur sa tête. Elle a eu des radios. En attendant les résultats, elle voit Liu, près d'elle. Elle lui demande : Qu'est-ce qu'il s'est passé ? mais elle comprend. Et c'est pas fini. Parce que vu son état, elle va devoir passer du temps au bloc. Papa et papa. Faut... Les prévenir. Et... Morgan... Camden... Louis... Elle aime pas faire souffrir d'inquiétude sa famille. Elle sourit à Liu. Et Chloe. Mon téléphone. Liu l'a. Il a aussi le code, Liam le lui dit. Parce qu'elle veut prévenir Chloe. Même si c'est pas la famille. Et... Nienna. Et Nienna. Et d'autres. Mais elle referme les yeux. Elle fait bien. C'est éprouvant. Et puis l'infirmière dit que le médecin arrive. Avec les radios. Il sait ce qu'il fait. Il sait ce qu'il fait. Tout ira bien.
Je faisais les cent pas dans le couloir. A attendre de savoir ce qu'il se passait. A attendre de savoir ce qu'elle avait. J'aurais pas dû accepter de la filmer. Elle l'aurait pas fait, on serait pas là. Ca commence à me gaver, toutes ces histoires. Adam, Fireflies, Liam, j'en peux plus. Encore un truc de ce genre et je craque. J'explose. J'espère juste pas le croiser. Ce serait le pire, je pense. Pitié, bosse pas aujourd'hui. Le téléphone de ma soeur est dans ma poche. Et elle, elle est quelque part dans cet hôpital trop grand, qui pue le désinfectant et la maladie, plein de vieux qui meurent et de jeunes qui hurlent leur douleur. Un idiot dans son costume de docteur, acheté 3 dollars sur Amazon, vient me voir. Vous attendez pour la fille qui vient d'arriver ? Liam King ? Je hochais la tête doucement. Ca me paraissait tellement irréel. Du moment où elle était tombée jusqu'à il y a quelques minutes, quand je leur donnais son nom pour qu'ils remplissent je sais pas trop quoi, derrière leur ordinateurs. Suivez-moi. Je l'aurais presque poussé, pour qu'il aille plus vite et me montre ma soeur. Je tenais plus en place. Mais au moins, elle allait bien, pas vrai ? Elle s'est réveillée pas longtemps après mon arrivée das sa chambre. Ca fait bizarre, de la voir enroulée dans des bandages, dans un décor soixante fois trop blanc. Elle commence directement à me poser des questions. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? J'ai pas le temps de faire une phrase dans ma tête qu'elle enchaîne, s'affole dans tous les sens. Elle me dit qu'il faut absolument que j'envoie des messages à la famille, prévenir tout le monde. Les papas, Morgan, Camden, Louison... Une fille qui s'appelle Chloe et que j'connais absolument pas et... Nienna ? Son nom me dit un truc, mais je sais plus d'où. Tant pis, j'irais fouiller dans le téléphone de Liam. Calme toi un peu, tu veux ? Je vais prévenir tout le monde, t'en fais pas... Je soupire. Un dernier regard vers elle et je sors. Dehors, il fait plus frais, l'air sens meilleur mais je le pollue un peu plus en m'allumant une clope. Je prends le téléphone de Liam et commence à envoyer tous les messages qu'elle voulait. C'est long, c'est chiant et je regrette de pas connaître assez bien son téléphone pour envoyer un message groupé. Une fois cette tâche finie, je reste devant l'hôpital. Je retournerais pas dedans. Trop de stress. Pour Liam, peur de croiser Adam, puis j'aime pas les hôpitaux, quoi ! J'me frotte le bras, j'me ronge les ongles. Bonjour, le stress, ça va ? Installe toi à mes côtés, y a de la place.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La journée n’avait pas trop mal commencé, aux urgences de l’hôpital de Los Angeles. Un vieillard qui s’était foulé la cheville en allant au supermarché et qui avait loupé la marche, une élongation du poignet par une secrétaire un peu trop intense et – le plus amusant pour la fin – un bout de verre enfoncé dans le pied d’un ivrogne qui avait voulu danser au milieu de débris de bouteilles de bières. A présent pour Adam c’était la pause café, avec cet idiot de Byron, son collègue du service vasculaire. Un type de 35 ans, hautain, qui sentait toujours le tabac froid et qui parlait constamment de son chien Fitzgerald, nommé ainsi en référence au célèbre écrivain américain. Etait-ce un nom pour un clébard, Fitzgerald ? Pourquoi ne l’avait-il pas appelé Hemingway, pendant qu’il y était ? Quel crétin.
Adam souffla dans son café brûlant, hochant doucement la tête en écoutant Byron lui parlait du nouveau tour qu’il avait appris à son Fitzou chéri, lorsque son téléphone sonna. Le jeune médecin sorti l’appareil de sa poche et eu un haussement de sourcil en voyant le nom de Liu inscrit sur l’écran. Son ami ne l’appelait jamais lorsqu’il était en service, généralement. En vérité, il ne l’appelait pas des masses, ces temps-ci. Bon, ils vivaient ensemble, ils pouvaient toujours se laisser des mots sur la table de la cuisine lorsqu’ils avaient besoin de quelque chose, mais Adam avait le sentiment que, ces derniers jours, son colocataire et meilleur ami l’évitait soigneusement. Il décrocha donc, en ayant le sentiment que quelque chose d’étrange se tramait. Il n’eu pas le temps de poser la moindre question que la voix angoissée de Liu résonna à l’autre bout du fil. Liam. Parkour. Accident. Urgence.
Le chirurgien ne prit pas le temps de réfléchir, et répondit succinctement qu’il envoyait une ambulance. Il raccrocha, le regard soudainement sévère et quitta la salle de pause sans un regard pour Byron, qui le regarda partir avec sa tête de merlan frit. Il avait un bloc opératoire à préparer, et des infirmières à briefer pour des radios. Pas de temps à perdre. Par chance, l’accident n’avait pas eu lieu très loin, et grâce à la réactivité du service, l’ambulance démarra sans attendre. Une dizaine de minutes plus tard, Adam avait trouvé un anesthésiste prêt à l’assister et plusieurs infirmiers sur le coup, en train de mettre en place les appareils. La blessée était arrivée sur le brancard et avait été prise en charge pour les premiers soins. Elle avait heureusement reprit connaissance, sa vie n’était visiblement plus menacée. Les radios confirmèrent cette conclusion assez rapidement, au grand soulagement d’Adam.
Fractures multiples au bras droit et à la jambe, légère commotion cérébrale. Aucun caillot ne s’était formé dans le crâne, ce qui était très rassurant. Pour les fractures, l’opération allait être nécessaire. Rien de spécialement complexe ou infaisable, mais assez long et minutieux. Plusieurs heures au bloc, avec anesthésie générale. Heureusement, tout était prêt. Adam prit donc une grande bouffée d’air et quitta la salle des radios pour se diriger vers la chambre de la jeune fille. Ce n’était pas n’importe qui, c’était Liam. Liam King. La sœur de Liu. Il l’avait déjà rencontré à quelques reprises, et s’il ne la connaissait pas spécialement, il se sentait responsable d’elle en cet instant. En se dirigeant vers la pièce, le médecin vit Liu quitter précipitamment l’hôpital, un téléphone à la main. Son cœur se serra douloureusement. Pourquoi fuyait-il ainsi ? Il voulu le rattraper, lui demander s’il allait bien, le serrer dans ses bras… Mais il ne fit rien. Il n’était pas le meilleur ami aujourd’hui, il était le chirurgien.
Il entra donc dans la chambre et s’approcha du lit de la demoiselle, armé de son sourire le plus rassurant.
- Mademoiselle Liam King ? Je suis le docteur Adam Boyld. Comment vous sentez-vous ? Les résultats de vos radios sont très encourageants, aucune commotion grave, de simples fractures. Nous allons cependant devoir opérer, les atèles ne suffiront pas, en raison du nombres de fractures. Il fit une courte pause pour lui laisser digérer l’information. Tout va très bien se passer, mais nous allons devoir vous endormir un moment. Lorsque vous vous réveillerez, vous serez un peu perdu mais n’ayez aucune inquiétude, nous serons là.
Encore une fois il se tu, ne voulant pas l’accabler. Une infirmière venait de la perfuser, il allait être temps d’aller au bloc. Plus ils attendaient, plus les os se mettaient dans une mauvaise position. Adam fit un signe à ses confrères, puis regarda de nouveau la jeune fille.
- Nous allons devoir commencer sans tarder. Vous vous sentez prête ?
Il avait techniquement besoin de son accord oral pour procéder à l’opération, comme elle était majeure et consciente.
C'est effrayant. Douloureux. Abominable. Liam n'aime pas. Personne n'aime les hôpitaux. Personne n'aime y être. Sauf pour le travail. Et encore. Maispour Liam, c'est pire. Elle se rappelle le drame. L'accident. ELle avait eu un plâtre, passée par un hôpital, juste après avoir appris que sa famille ne reviendrait jamais. Alors elle a peur. Elle sombre. Doucement. Elle a dit à Liu ce qu'il devait faire. ELle peut se reposer. S'abandonner. Laisser la douleur l'emmener dans un autre monde. Celui des rêves et des cauchemars. Si possible. Mais non. Un inconnu entre. Un médecin. Elle le voit. Sa blouse blanche. Et sa présence. Bien entendu. Adam Boyld. Tiens ? N'est-ce pas... le colocataire de son frère ? Ou alors elle se trompe ? Elle est presque sûre qu'elle a déjà entendu son nom. Son nom complet. Il lui demande comment elle se sent. Comment dire ? Elle a l'impression d'être passée sous un camion. Heureusemet, ce n'est point le cas. mais elle a mal. Elle n'ose pas bouger. De peur d'aggraver son cas. Elle est forte. Courageuse. Elle a tellemet peur. Mais elle ne panique pas. Elle souffle. Lentement. Lutte contre la fatigue. Contre le besoin de dormir. Elle fait tous les efforts du monde. Vraiment. Puis elle maintient le regard du chirurgien. Les paupières presque closes. Mais pas vraiment. Je... mal... fatiguée... J'ai l'impression de m'être écrasée. Elle s'est écrasée. Littéralement.
Il continue. De parler. Adam. Docteur Boyld. Il lui révèle que ses radios sont encourageantes, qu'il y a besoin d'opérer, mais que ça ira. Mais Liam n'écoute plus. Elle a les yeux écarquillés, et elle tremble. Opérée ? Mais... mais... Mais et si... Et si elle ne se réveillait pas ? ELle a peur. Vraiment. L'opération est nécessaire ? Bon... je... je suppose queje n'ai pas le choix. Ou qu'elle a le choix. Si on considère qu'elle a le choix de rester mal en point. Mais ce qui l'iquiète. C'est vraiment l'anesthésie. Il peut se passer tellement de choses. Pendant quelle dormira. mais elle n'a pas le choix. C'est nécessaire. Vraiment. Alors elle écoute le médecin. La pauvre. Si seulement elle n'avait pas voulu s'entraîner...
Oui... je... allez y. Aïe. ELle sent l'aiguille. La perfusion. ELle serre la main valide. Elle veut une main dans la sienne. Pas n'importe laquelle. ELle veut Chloe. Elle veut Papa. Elle veut Papa et papa. Elle veut ceux qu'elle aime. ELle veut vraiment Chloe d'ailleurs. Elle ferme les yeux. Et imagine son doux visage. Pour échapper à la peur. A l'angoisse. Pour ne pas paniquer. Ne pas crier. Ne pas se laisser dominer pas sa peur. Ellesent alors qu'on la déplace. Elle jette un oeil discret, voit les couloirs de l'hôpital. Dire que son frère y étudie. Morgan. C'est dingue. Elle ne supporte déjà pas d'être entre ces murs. Et son petit ("petit") frère s'y jette de son plein gré, chaque jour. Et il envisage de devenir un grand médecin. Wow. Wow. Liam ne peut pas. Elle ferme les yeux.
ELle se concentre. Sur chaque bonne chose dans sa vie. Elle se concentre. Se concentre. Son papa bilogique. Sa maman biologique. Son frère biologique. Avant l'accident. Puis ses Papas. Camden. Morgan. Liu... Nienna. Chloe. L'amour. Qui sonne à sa porte. Avec qui elle va en soirée. Avec qui elle passe du temps. Ces temps ci, elle s'en rend compte. La blonde occupe ses pensées. Tous les jours. Tout le temps. Si seulemet elle était là. Elle la veutprès d'elle. Elle la veut près d'elle...
Soudain, elle est au bloc. Elle se fait anesthésiée. Elle n'a pas eu le temps d'avoir peur finalement. Elle pensait. Elle revivait chaque merveilleux souvenir. Dans sa tête. C'est mieux ainsi, non ? ELle n'a pas eu peur, du coup; Elle a pu surmonter. SUrmonter cette délicate et douloureuse épreuve. Vivement que ce soit fini. Elle a besoin de parler à Chloe. D'être avec Chloe. De la voir. Surtout maintenant.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L’inquiétude et la souffrance de la jeune fille se lisait sur ses traits, malgré tous ses efforts pour les dissimuler. Adam tâchait de rester neutre, mais il compatissait furieusement. Sans doute parce qu’il avait face à lui la sœur de Liu, et qu’il venait de se jurer de ne rien laisser au hasard. Il mènerait cette opération d’une main de maître, pour elle, pour Liu. Elle parvint à lui répondre, ce qui était une bonne chose. Elle n’avait pas perdu connaissance trop longtemps, mais il fallait rester attentif.
- L'opération est nécessaire ? Bon... je... je suppose que je n'ai pas le choix.
Le médecin resta impassible. Elle avait le choix, mais son choix impliquerait de ne plus pouvoir marcher sans boiter. Son corps lui appartenait cependant, elle était libre de refuser l’opération. Il n’était pas de son droit de lui imposer une quelconque décision ou de l’influencer. Liam était jeune, mais elle était majeure.
- Oui... je... allez y.
Adam soupira discrètement, soulagé. Il fit un signe aux infirmiers, et aussitôt le lit se mit en branle, direction le bloc. Le chirurgien en tête du cortège, il laissait son cerveau réfléchir à toute allure. Il avait eu le temps de demander la préparation de la salle, tout le matériel était à portée de main, il avait les radios avec lui, tout se passerait bien. Il n’y avait aucune raison que ça se passe mal. Il avait pratiqué cette opération plusieurs fois auparavant, il savait exactement ce qui devait être fait. Il arriva dans le bloc et laissa son équipe l’installer. L’anesthésiste s’approcha de la demoiselle, et plaça le masque sur sa bouche. Quelques secondes plus tard, les yeux de Liam se perdirent dans le vide et elle s’endormit. Adam était toujours surpris par la rapidité de la chose. Il y avait des choses auxquelles on ne s’habitait jamais.
Il attrapa son masque, enfila ses gants, et respira doucement. C’était le moment de commencer. Il pensa à Liu, qui attendait probablement dehors en fumant sa cigarette, et en appelant leurs parents. Pourquoi n’était-il pas venu lui parler ? Ce n’était pas le moment de penser à cela. Il fronça les sourcils, et se tourna vers Liam, le scalpel à la main. Quiconque l’aurait vu ainsi ne l’aurait probablement pas reconnu. Il n’était plus le gentil et doux Adam, souriant et prêt à aider. Il était le chirurgien, concentré sur sa tâche, donnant des ordres à son équipe d’une voix ferme et sèche. Il s’approcha de la jambe de la jeune fille, et débuta l’opération, son esprit entièrement focalisé sur ce qu’il avait à faire. Les battements de son cœur résonnaient dans ses tempes, comme à chaque fois qu’il devait faire quelque chose d’aussi délicat. Il avait cependant confiance en ses mains, ses plus précieux outils.
Plus de trois heures plus tard, Adam terminait de refermer la jambe de Liam, de nombreuses gouttes de sueur sur son front, mais soulagé. Tout s’était passé sans accroc. Il retira son masque et ses gants en lâchant un soupir, et fit un signe positif à son équipe. Ils avaient tous fait du bon travail.
- Très bien, ramenons là dans la chambre, elle ne va pas tarder à se réveiller. Lança-t-il en tapant dans ses mains. Je sais que ce n’est pas dans les usages, mais je vais rester avec elle jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux. C’est la sœur de mon coloc, je veux m’assurer personnellement que tout va bien.
Il accompagna donc l’infirmière qui ramena le lit, et attendit, assis sur une chaise, à côté de la demoiselle. Il attendait qu’elle soit en état de parler pour faire revenir Liu, il voulait d’abord s’entretenir seul avec elle, pour faire les dernières vérifications. Quelques minutes plus tard seulement, elle sembla frémir et il vit ses yeux papillonner. Adam se relever et s’approcha du lit, prenant la parole d’une voix rassurante :
- Mademoiselle King ? Liam ? L’opération est terminée, et elle s’est très bien passée. Est-ce que tout va bien ? Vous m’entendez clairement ? Vous ne ressentez pas de douleurs particulières ?
L’anesthésie faisant encore effet, elle ne devait probablement pas sentir grand-chose. Lorsque cette dernière cesserait d’agir cependant, il faudrait qu’elle prenne de bons anti-douleur, car sa jambe resterait sensible encore durant les prochains jours. Mais il lui expliquerait tout cela plus tard.
- Vous avez été très courageuse, ajouta-t-il en souriant avec bienveillance. La famille King est décidément pleine de personnes tout à fait incroyables.
Il savait qu’il était déconseillé de mélanger le privé avec son travail, mais au vu de la situation, il pouvait bien se permettre un petit écart.
A quoi pense-t-on, lorsque l’anesthésie fait son effet ? Lorsque l’on est plongée dans un inconscient, et que notre corps ne répond plus, ne sent plus rien, permettant multiples opérations ? A quoi rêve-t-on ? Y a-t-il vraiment un rêve ? Une pensée ? Une idée ? Pour Liam, elle en a l’impression. Elle a l’impression d’avoir revu cette soirée avec Chloé. Elle a l’impression d’avoir revu son arrivée dans la famille King. Elle a l’impression d’avoir revu sa famille biologique. Pour Liam, les évènements du passé les plus importants occupent l’esprit. Ce n’est pas un rêve, selon elle. Ce sont des souvenirs. Mais bon. Ils agissent tels les rêves dans un bon sommeil. Ils s’oublient. Disparaissent. Pas exactement. Mais elle ne se souviendra pas. Qu’elle a pensé à cela. Bien entendu, les souvenirs restent dans sa tête, dans sa mémoire, et dans son cœur. Mais l’idée générale est qu’elle se réveillera, sans savoir ce qu’il s’est passé entre ses neurones. Est-ce une plaie ? Y a-t-il une raison à ce phénomène ? Elle n’en sait rien. Mais elle aimerait savoir. Elle aimerait se souvenir. De chacun de ses rêves. De ces moments imaginaires dans lesquels sa famille biologique est là, dans lesquels sa famille adoptive sourit, dans lesquels ses proches interagissent avec elle. Elle aimerait tellement…
Lorsqu’enfin elle émerge, tout a changé. Elle se souvient du bloc, avant que l’anesthésiste fasse son travail. Elle se souvient du médecin. Le colocataire de son frère. Elle se souvient des infirmières. Mais une fois réveillée, elle est dans les vapes. Elle regarde autour d’elle, cligne des yeux, gémit doucement. Elle ne peut rien bouger. Ni ses bras, ni ses jambes. Sans doute un effet de ce qu’elle a reçu, de cette anesthésie générale. Bon. Au moins, elle est encore vivante, et réveillée. N’est-ce pas ? Elle regarde tout autour d’elle. Comme lorsqu’elle se réveille d’un long sommeil, il faut du temps à ses mirettes pour s’habituer à la lumière, à la distance, au décor. C’est une chambre. Sa chambre d’hôpital. Logiquement. Elle la déteste déjà. Parce qu’elle signifie la douleur. Elle grimace. Et entend soudain son nom. Son prénom. Le médecin. Adam Boyld. Il est là. Elle gémit, et le regarde. Elle plisse les yeux pour s’assurer qu’elle ne rêve pas, puis l’écoute. L’opération s’est bien passée. Bon. C’est bien. Elle imagine. Elle a peur d’imaginer le contraire. Elle l’écoute encore. Est-ce qu’elle l’entend ? Oui. Est-ce qu’elle a des douleurs particulières ? A part un mal de crâne, non. Faut dire qu’elle ne sent plus vraiment son corps actuellement. Je… Oui j’entends… Et… J’ai mal à la tête. A part ça… Je sens rien… Rien du tout… Mais… Si vous dîtes que tout va bien… Il n’a pas exactement dit cela. Il a dit que l’opération s’était bien passée. Mais bon. On va dire que c’est la même chose. Puis il continue. Courageuse. Courageuse ? Bof. Ce n’est pas elle. Ce n’est pas ce qu’elle pense. Elle n’a pas l’impression d’avoir été courageuse. Parce que le visage de celle qu’elle aime résonnait dans son esprit. Elle a le sentiment que c’est Chloé qui lui a donné le courage. Pas que c’était le sien. Mais elle ne dit rien. Elle écoute. Elle sourit. Il a raison. La famille King est merveilleuse. Ils sont déjà ses propres sauveurs, qui l’ont arrachée des griffes de la mort et de la dépression. C’est grâce à ses papas qu’elle a pu avoir une famille après l’accident. Ses papas qui l’ont vue, qui l’ont adoptée, sans rien demander en retour. Qui ont voulu lui donner de l’amour. Qui ont voulu son bien être. Ses papas… Et ses nouveaux frangins… Camden… Petite sœur adorable… Morgan… Petit… enfin… Pas vraiment petit, ils ont le même âge. Disons juste : Frère attentionné. Qui l’a acceptée bien rapidement. Et Liu. Liu qui n’a pas eu la chance de se souvenir. Ou peut-être que c’est justement une chance. D’être incapable de savoir ce qu’il s’est passé auparavant. Mais Liu… Liu qui a toujours été aimant. A sa façon. Aimant. Liu… Liu qui était là. Qui l’a amenée ici. Qui est absent ? Elle le remarque, mais se dit qu’il n’a pas pu supporter d’attendre dans l’hôpital. Il doit être dehors. Il a sans doute envoyé les messages. Elle espère… Liu… Qui est le colocataire du chirurgien. C’est sûr. Elle ne se trompe pas. Car le médecin connait la famille King. Elle le connait sans aucun doute. Mais les souvenirs sont flous. Elle a dû le voir quelques fois avec son frère. Forcément. Elle gémit. Elle gémit et dit doucement. Vous vivez avec mon frère… n’est-ce pas ? Je… Je suis sûre que je vous connais… Elle se demande. D’ailleurs. Si ils sont vraiment colocataires. Ou s’ils sont amants. Et amoureux. Il est beau gosse le médecin. Et il est beau gosse le frangin. Liu a bien dû avoir de l’appétit pour ce bel homme, non ? Peut-être que son frère est aussi dans les goûts du médecin. Elle sourit. Et elle pose la question, pas du tout gênée. Vous êtes amoureux de mon frère ? Ou c’est juste un coloc ? Son sourire est grand. Parler de ça est plus amusant que parler de son corps qu’elle ne sent pas. Mais… Mais même si elle ne sent rien, elle aimerait avoir sa famille… Avoir Nienna et Chloé… près d’elle. Elle voudrait la main de Chloé dans la sienne, et Camden dans ses bras.
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