Mon coeur en sang || Lou

Les doigts dans mon dos étaient aussi légers qu’une plume, une caresse fine et tendre, un courant d’air subtil contre ma peau si sensible à ce toucher qu’elle appelait. Malheureusement ça ne suffit pas à cacher les pensées qui ne cessaient de me revenir en tête, la raison pour laquelle j’étais venue ici en premier lieu. C’était une mélodie entêtante, qui prit le rythme des caresses de Lou. Alors je décidais d’en parler. Je décidais de révéler la raison pour laquelle je me trouvais ici aujourd’hui.
Je sentais le trouble de Lou dans la façon dont ses gestes se stoppèrent, dont son cœur changea de mélodie, plus inquiet soudainement. Je levais les yeux vers elle pour découvrir un visage perplexe et incertain.
Je cherchais dans son regard bleu, dans ses si grands yeux, une réassurance que je peinais à trouver ailleurs. Je déglutis alors que je la voyais réfléchir à ce qu’elle pouvais dire. La façon dont elle prononça mon prénom me brisa le cœur. Je savais parfaitement ce qu’elle allait dire, je savais quel discours elle allait tenir. Et c’était peut-être le mieux.
Celui qu’il fallait que j’entende.

Le baiser contre mon front apporta des larmes jusqu’à mes yeux que je ne laissais pas couler. Dans ma gorge une boule familière se formait comme si elle avait toujours été là, présente, formée de nerfs et de tristesse.
Il vaudrait mieux…
Je le savais bien sûr, j’avais conscience que ce serait mieux de la laisser partir. Ca nous épargnerait des mois de douleur, mais en échange de quoi ? En échange de mois de douleurs. Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Je n’était pas prête à perdre ma mère, mais il le fallait. Je devais grandir. Encore. Je n’avais pas envie. J’avais envie de me blottir dans les bras de ma mère.
Je sentais une larme couler. Elle l’essuya avec toute la tendresse du monde – un monde indifférent plus que cruel, un monde qui tournerait toujours même dans mille ans. Enfin je me réfugiais de nouveau contre elle à la recherche de l’écho de son cœur pour trouver le réconfort dont j’avais besoin.
« Je ne serais jamais soulagée. Je voulais lui parler de toi. Je voulais qu’elle soit celle qui me reconduise dans tes bras. Et en un sens elle l’a été. J’aurais juste voulu qu’elle soit là pour ça. J’aurais voulu que tu la rencontres, je crois. »
Ma voix est dure comme un rocher sur le point de s’effondrer.
Je renifle – oui, c’est sexy – avant d’appuyer un peu plus mon visage contre elle pour l’enfouir. Je me sentais si frêle dans les bras de Lou, si fragile. Elle aurait pu me briser comme de rien, mais je savais qu’elle ne le ferait pas.
Finalement, je me résignais.
« Je suppose qu’en un sens elle l’a fait… que je suis là grâce à elle. Là où je dois être. »
Je lie mes jambes aux siennes pour être plus proche, je sens que la fatigue est là, juste derrière la tristesse, prête à m’emporter lorsque cette dernière aura fait son office. Morphée est un amant doux qui soigne les maux autant que la voix de Lou. Je sens que mes yeux sont lourds, je sens la boule dans ma gorge se défaire doucement.
« Je t’aime, ma Louve… » je murmure dans un moment de presque sommeil, entre deux mondes, entre une réalité indifférente à la cruauté de la vie et un monde meilleur, dans les bras de Lou.
Mes sentiments s’envolent dans ses bras, légers. Des plumes, des caresses sans tendresses. Je me permets de les oublier un temps.

Le baiser achève de me détendre et je m’endors dans les bras tendres de Lou qui m’emporte vers Morphée. La chaleur qui m’entoure me protège de moi-même, de l’anxiété qui a su se nicher en moi comme un animal malade sous les roues d’une voiture. Ou c’était peut-être plutôt l’inverse, et j’étais l’animal malade sous la voiture, prête à se faire rouler dessus su personne ne venait me déloger. Dans tous les cas, pour le moment je dormais. Jusqu’à ce que l’absence de toute la chaleur du monde s’éloigne sans que je n’en comprenne la raison.
Il fallut quelques minutes, couplé de longues secondes, pour que ce froid insidieux s’insinue dans mon inconscient. J’ouvrais les yeux lentement et je comprenais la raison de ce froid. Lou n’était plus là. Je fronçais les sourcils et je me redressais sur deux bras, toujours de profil avant de ne plus l’être. Je regardais autour de moi avant de me lever, non sans m’enrouler dans la couverture que je tirais autour de mes épaules. Je portais la cape d’une Reine qui avait perdu son royaume et partait le chercher.
Heureusement, je trouvais assez rapidement le royaume en question sous la forme d’une silhouette recroquevillée dans un fauteuil. Avant de la rejoindre toutefois je partais en quête de mon téléphone – que je trouvais dans mes habits trempés, oops – pour envoyer un rapide message à Loan. Je voulais qu’elle sache que j’allais bien et que je restais la nuit chez une amie, pinçant les lèvres en songeant à l’inquiétude qu’elle pouvait ressentir comme je n’avais donné aucune nouvelle de la journée. C’était une occurrence rare depuis l’accident.
Je portais mon regard sur le balcon, j’admirais le visage de Lou, la façon dont l’orange de l’éclairage public peignait les immeubles aux couleurs de l’aurore dans un dégradé qui s’effaçait dans la nuit jusqu’à masquer les étoiles au Monde des Homme, dont ces mêmes couleurs affectaient les traits de Lou dans un contraste frappant. Je regardais autour de moi pour attraper le premier appareil photo que je voyais passer, et de loin, je capturais ce moment. Le cadre de la photo se superposait à celui du balcon alors que la fumée blanche de sa cigarette créait un chasme entre elle, silhouette rendue minuscule par le fauteuil, fragile, et la ville à ses pieds, les Géants sans âmes aux contours ciselés dans le béton aux pieds d’asphaltes.

Lorsque j’arrivais sur le balcon, je posais l’appareil sur la table puis je venais passer mes bras autour de Lou, je l’enveloppais de ma couverture dans un même temps et je déposais un baiser au sommet de son crâne avec affection. Finalement je perchais mon menton au sommet de son crâne. Je ne disais rien pendant une bonne minute, me contentant de poser mon regard sur la ville. Au loin on entendait un brouhaha qui n’existait plus une fois la distance franchie, devenant le murmure d’une rivière au pied d’une montagne quelconque.
« J’ai faim, » je constatais finalement avec simplicité.
Je ne voulais pas lui reprocher d’avoir quitté le lit – la présence de l’alcool et l’odeur de la cigarette ne m’avaient pas échappés – aussi je me contentais de dévier de sujet vers quelque chose de plus simple. J’en profitais pour glisser mes lèvres le long de sa tête, dégageais ses cheveux pour déposer des baisers contre son cou et la naissance de son épaule, écartant de mes doigts fins le tissu comme on déplaçait un filet d’or couvrant le plus grand des trésors.
« On pourrait commander quelque chose, et s’installer devant un film, tu en dis quoi ? » je glissais finalement à son oreille en stoppant mes baisers. « On sera mieux à l’intérieur, tu crois pas ? »
Je resserrais un peu la prise de mes bras autour d’elle pour poser ma joue contre son épaule, mes yeux parcourant ses traits. Je capturais de nouveau l’image plus nette des contours dessinés par la nuit, les nuances bleutés sur fond d’un orange qui tournait presque au doré sur sa peau bronzée. Je déposais un baiser contre sa joue à la pomette tranchante mais si tendre sous mes lèvres.
J’attendais sa réponse avec une patience infinie.

Cela devait bien faire sa troisième cigarette, sa gorge se plaignait de cette fumée qui l’irritait mais en demandait pourtant encore et encore. Elle la soignait de quelques gorgées de vin et fermait les yeux pour se laisser bercer par le vide intérieur, il était si bon de ne plus rien ressentir le temps d’un battement de cils, de ne plus se soucier de ses pensées et de planer au gré du vent. Mais ceci fut de courte durée, il suffit qu’elle entende un bruit à sa gauche pour que la cigarette meure au fond du cendrier et que la bouteille soit posée contre un pied du fauteuil. Le fait de voir son appareil photo ainsi posé sur la table la fit froncer les sourcils, elle y tenait énormément et se demandait pourquoi Casey s’était amusée à l’amener ici, là où le vent et la pluie pouvaient l’abimer de leurs cruels assauts. Mais bientôt, elle oublia cette pensée, les bras de la belle autour d’elle l’enfermèrent une nouvelle fois dans leur monde. Ce monde encore vierge de tout toucher mais qui n’attendait qu’une chose ; qu’on le façonne.

Elle ferma les yeux et posa une main hésitante sur une des siennes. Même si la peur était toujours aussi présente au creux de son être, elle ne renonçait pas à son contact et à sa présence parce qu’elle refusait de voir sa vie guider par ce sentiment une fois de plus. Il lui faudrait du temps c’était certain, tout comme il faudrait du temps à Casey pour complètement guérir. Un sourire amusé étira ses lèvres pincées, il n’y avait qu’elle pour penser à une telle chose à un tel instant mais elle ne broncha pas. Elle se pencha sur le côté pour récupérer sa bouteille pour en boire une gorgée. Son contact et ses douces intentions la firent frissonner et elle fut étonnée de ne pas avoir cédé plus tôt à cette Muse. Lorsque les baisers prirent fin, elle put tourner la tête en direction de Casey, du moins le plus qu’elle le pouvait vu l’étreinte dans laquelle elle était piégée. « Encore un film ? Décidément… » Elle but une énième gorgée et lui passa la bouteille, permettant ainsi à son corps de s’échapper et de pouvoir faire face à la jeune femme. « On peut oui. » Elle prit sa main et l’emmena à l’intérieure, s’empêchant de penser à tout ce qui s’était dit plus tôt, notamment les trois mots dangereux prononcés par Casey.

Une fois à l’intérieur, Lou se saisit de son téléphone et consulta les quelques restaurants encore ouverts à cette heure-ci. Des pizzerias, des chinois et autres établissements qui risquaient de leur donner des maux de ventre. Elle soupira et trouva la solution à tous leurs problèmes culinaires. In n’ out, les frites et burgers ne faisaient de mal à personne. Elle passa commande et mit son téléphone en sonnerie pour être sûre de ne pas rater le livreur puis le téléphone fut abandonné là pour qu’elle puisse rejoindre Casey dans le canapé. « Je te laisse vraiment choisir le film cette fois. » Lou lui offrit un sourire moqueur puis vint se pencher en avant pour se saisir de ses lèvres langoureusement, appréciant ce goût enivrant qui faisait vibrer la moindre partie de son corps. Ses doigts fins trouvèrent leur chemin sur ses cuisses nues pour ensuite se réfugier sur ses hanches, la faisant ainsi basculer sur le canapé. Elle la réchauffa de son corps et d’un geste habile, les recouvrit de la couette. « Ou on peut très bien se réchauffer en attendant… » glissa-t-elle sournoisement au creux de son oreille. Elle ne changeait pas la Louve.

Oui, encore un film. J’aimais l’idée de pouvoir cette fois venir m’instaler contre elle, poser ma tête sur son épaule, sentir sa chaleur contre moi. Tout ce que j’avais voulu lors de notre dernière rencontre, la première fois qu’on s’étaient revues après l’incident qui nous avait séparées. Un incident qui commençait à prendre des couleurs moins douloureuses. Aussi, en tant que future actrice, il était toujours aussi important que j’étudie les techniques d’autres acteurs, et quoi de mieux pour ça que de regarder des films ? Je souris en prenant la bouteille lorsqu’elle se leva et la suivait ensuite, ma main dans la sienne alors qu’elle acceptait qu’on regarde un film. Ca nous laisserait le temps de nous remettre de nos émotions, de vraiment se poser pour l’occasion.
Je prenais son appareil photo pour le rentrer également, le reposant là où je l’avais trouvé alors que je m’approchais de sa télé. Je l’allumais et je lançais netflix avant de me reculer pour me saisir de la télécommande et naviguer tranquillement. Lorsqu’elle me dit qu’elle me laissait choisir le film, je lui rendais son baiser avant d’afficher un sourire mutin.
« Oh je ne pensais pas te laisser le choix de toute façon. »
Je lui tirais la langue, amusée, avant de sentir ses mains se perdre sur ma peau.

Je frémissais à ce simple contact, à la chaleur de ses doigts contre mon épiderme, alors que je basculais sur le canapé. Je retenais un petit cri surpris alors que je m’enfonçais dans le confort des coussins, sous la chaleur du corps de Lou qui fut bientôt contenue avec la mienne par la couette.
Je la regardais dans les yeux alors que j’ajustais ma position pour être installée plus confortablement sous elle, un sourire aux lèvres. Je riais à peine à ses paroles, sentant bien son sérieux dans la façon qu’elle avait de s’exprimer. Je glissais une main sous son haut pour poser mes doigts contre son ventre, mes lèvres venant se poser contre son cou pour remonter à son oreille.
« C’est tentant… très tentant même. Mais on risque de se faire interrompre à tout instant tu sais ? »
Je mordillais le lobe de son oreille, joueuse.
« Je ne suis pas certaine de vouloir prendre le risque pour le moment. »
Le désir était bien présent, mais j’avais encore quelques réserves que je préférais garder pour moi. Même si les choses étaient mieux maintenant, quelque part je craignais encore de me faire avoir par Lou, une crainde infondée en-dehors du fait que c’était déjà arrivé une fois. Pourtant je sentais la chaleur en moi se faire plus présente, mon corps réagissant naturellement à la présence de Lou. J’étais partagée entre mes désirs et mes craintes sans savoir quoi choisir.

Mon autre main – qui tenait encore la télécommande – s’étendit hors de la couverture pour la poser avant de se loger contre la nuque de Lou pour la retenir quelque part.
« Convaincs-moi. »

Jouer, parfois Lou aimait à penser que la vie était un jeu et qu’un acte n’entrainait qu’une perte de points ou d’avancement. Il était bien plus simple de penser qu’on ne bougeait que des pions plutôt que d’affronter la réalité. Elle avait cru trouver une partenaire en Casey mais cette dernière avait été cette main invisible qui l’avait arraché d’un rêve bien trop profond. Elle lui en voulait et la remerciait dans une même pensée. Parce que réveillée désormais, elle devait prendre en compte ses sentiments et sa raison qu’elle avait ignorés jusqu’alors. Et pourtant, malgré ce réveil, elle ne pouvait s’empêcher qu’un jeu était toujours présent entre elles, Casey continuait toujours de jouer avec le feu, et Lou avec ses sentiments. Elle ne comptait pas la briser une nouvelle fois, contrairement à une quelconque partie, elle n’avait pas suffisamment de vie pour tenter de nouvelles expériences.

Alors quand il fut le temps de convaincre la princesse qu’une étreinte valait mieux qu’un film, Lou décida de ne pas se lancer dans la bataille. Ses lèvres se contentèrent de saisir les siennes dans un baiser délicat, long certes, mais lent comme une caresse apaisante sur une blessure qui venait à peine de guérir. Puis avec souplesse, elle se glissa derrière elle pour l’entourer d’un bras et récupérer la télécommande. Quelle action étrange, jamais elle n’avait fait ça depuis Diana, c’était devenu quelque chose inconnu, voir même gênant pour une prédatrice comme elle. Mais comme un bambin qui devait apprendre à faire ses premiers pas, Lou devait apprendre la tendresse et l’attention. « Alors le breakfast club. » Le film fut sélectionné sur la plateforme de streaming connue de tous et Lou reposa sa tête sur l’accoudoir du canapé, son nez chatouillait par les cheveux de Casey.

On toqua à la porte et la française se redressa en sursaut sous le regard outré de son amante. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle s’était endormie à son contact. Mais elle ne pouvait le nier, elle était bel et bien incapable de faire un résumé de ce qu’elles venaient de voir. « Je vais chercher les pizzas. » Souplement, il lui suffit de passer par-dessus le dossier du canapé et d’attraper son portefeuille qui traînait sur la table d’entrée. « Bonsoir, voilà pour vous, gardez la monnaie. » Elle offrit un sourire poli au livreur qui semblait sur le point de laisser échapper un filet de bave. Quels idiots ces adolescents. Elle referma ensuite pour rejoindre la table basse où le butin fut posé. « Voilà petite gourmande. » Un bref baiser fut volé.