Erreur sur la personne | Zora

« Je te pensais plus vin que bière. » Alma glissa un regard amusé à son petit-ami et but une nouvelle gorgée de sa pinte, s’essuya le coin des lèvres de son pouce et esquissa un sourire en coin. « Il n’y avait pas de bonnes bières au Cambodge, nos collègues buvaient de la pisse de chat. » Il eut un léger rire et entama son propre verre. Tous deux réunis autour d’une table dans un coin d’un restaurant branché du centre de Los Angeles, ils profitaient de se retrouver loin de l’imposante présence des parents d’Alma et loin de leurs responsabilités professionnelles. Et puis cette dernière culpabilisait d’avoir ainsi mis son couple de côté pour renouer avec Maxyn. Elle ne regrettait en rien le fait de l’avoir de nouveau dans sa vie, mais le fait de ne pas en parler à Victor lui donnait cette désagréable impression de mettre son couple au bord de la falaise et de se mettre elle-même en danger si Merida apprenait pour son retour.

Les doigts du brun sur son bras l’arrachèrent délicatement à ses pensées et elle lui vola un baiser dans un sourire. Ils étaient à l’abri des regards indiscrets ce qui permettait à la jeune femme de se montrer plus affectueuse à son égard, elle n’était pas démonstrative en public. Un serveur vint prendre leur commande et disparut aussitôt. Alma rectifia sa coiffe et tira légèrement sur sa combinaison bleue marine pour en redresser le décolleté, manquerait plus que Victor s’y perde dedans. « Tiens, je savais pas qu’on avait le droit à une animation. »

Alma arrêta de jouer les perfectionnistes pour embrasser la petite scène entourée de plantes du regard. Une jeune femme venait d’apparaître magiquement devant eux. Ses lèvres s’entrouvrirent comme prête à intimer un commentaire à son brun mais fut comme balayée par un vent de doute. Elle se terra dans un mutisme interrogateur. « Elle me fait penser à quelqu’un… » murmura Victor de quoi faire frissonner Alma. « C’est pas ton ex qui est venue te hurler dessus l’autre soir ? » La latina jura intérieurement et dut se retenir de ronger l’ongle de son pouce, un vieux tic nerveux qu’elle refreinait depuis quelques années déjà.

De là où elle se trouvait, elle jurait reconnaître Maxyn et son esprit s’affola à cette pensée, le karma n’était en rien de son côté depuis quelques temps. Elle profita de l’arrivée des plats pour changer complètement le sujet et ainsi sauver sa peau. Ce n’était pas pour autant qu’elle en oubliât la chanteuse, au contraire. Quand Victor s’excusa pour aller aux toilettes, Alma sauta sur l’occasion pour quitter la table et rejoindre la scène, là où la mystérieuse inconnue s’apprêtait à partir. Elle tenta alors le tout pour le tout au risque de passer pour une folle. « Maxyn ? »

J'inspire, j'expire. Une fois, deux fois, trois fois. Je n'ai pas l'habitude de me produire dans ce genre d'endroits. A vrai dire, c'est la première fois. Normalement ce sont les bars un peu miteux ou les rues qui m'accueillent. Bon d'accord, y'a parfois des bars qui sont sympas, ou du moins, des bars où les mecs ne finissent pas ivres morts sur le comptoir. Mais dans un restaurant, ouais, c'est une première. Un contrat décroché par hasard, une proposition que je ne pouvais pas refuser. Alors me voilà. J'ai même fait un effort sur ma tenue, c'est pour dire. Pas de jean troué, pas de tee shirt trop large. Une simple robe, l'une des rares de mon placard. Bottines aux pieds et voilà tout. Mes cheveux sont détachés, je cache toujours l'appareillage, j'aime pas le regard des gens. J'accepte mon handicap maintenant mais je ne veux pas être définie comme la nana sourde du coin. On vient me chercher, visiblement ça va être à moi. Bon, ça devrait aller.  Cinq chansons. Juste cinq. Et bien plus payée que quand je fais deux heures au Rabbit Hole ou n'importe quel bar au nom douteux. Autant en profiter. La piano est installé, je n'ai plus qu'à m'installer derrière. On annonce la petite animation musicale et je fais mon apparition sur scène sous quelques applaudissements respectueux. Je m'installe et laisse la musique faire son oeuvre. Le premier morceau je ne chante pas beaucoup, je laisse mes doigts prendre le dessus. Le rythme est lent, parfait pour ne pas déranger les clients qui mangent tranquillement. Le reste des chansons est similaire. Langoureuses, paroles plutôt douces, ambiance feutrée qui filtre par les arbres qui m'entourent. C'est agréable même si je n'ai pas l'impression d'être dans mon univers. Faut bien en découvrir d'autre. Encore quelques notes et j'ai fini pour ce service. Je rejouerai pour le deuxième service de la soirée mais en attendant, j'ai quartier libre. Enfin, je ne vais pas aller bien loin non plus. Mais je n'ai pas le temps de quitter la scène qu'une nana brune m'approche. " Maxyn ? " Je la regarde, je ne comprends pas où elle veut en venir. " Maxyn ? Qui ça moi ? Non je m'appelle Zora. " Je la regarde, je n'ai pas le souvenir que mon nom ait été écorché lorsqu'on m'a présentée. " Vous aviez besoin d'un renseignement ? "

Ce n’était pas elle, merde. Alma se sentait complètement stupide à se pointer là, les bras désormais ballants et le cerveau retournait. Elle avait juré voir les traits de Maxyn sur scène et pourtant maintenant qu’elle la voyait de près, elle remarquait quelques différences, mais ça n’empêchait pas le constat que les deux jeunes femmes se ressemblaient énormément et que l’erreur pouvait être refaite. Sa voix brisa encore l’illusion et Alma secoua doucement la tête comme pour se remettre les idées en place en se mâchouillant la lèvre. « Excusez-moi mais vous ressemblez à quelqu’un que je connais, la ressemblance est vraiment frappante. » Et clairement à part Merida et la petite-sœur, il n’y avait personne dans la famille de Maxyn, elle avait une bonne mémoire la latina et elle mettait sa main à couper sur cette vérité-là. Elle se gratta l’arrière du crâne. « Je ne veux pas vous effrayer Zora mais je me demande du coup, vous avez de la famille en ville ? Vous connaissez les Cooper ? » Elle allait sûrement se faire jeter à se montrer aussi intrusive mais Alma n’y était jamais allée avec des pincettes même avec les enfants elle avait tendance à être franche, ce qui ne plaisait pas énormément au corps électoral. Mais elle essayait c’était tout ce qui comptait au final, elle ne pouvait revenir à table avec Victor hantée par cette jeune femme qui aurait pu être Maxyn. Elle pouvait appeler les hommes en blanc, elle s’en fichait, elle voulait des réponses.

J’ai du mal à comprendre ce qu’elle me veut cette brunette. Enfin j’ai déjà vu des personnes venir me voir à la fin de concerts, là dessus il n’y a rien d’étrange. Mais dans l’idée, on m’appelle par mon prénom surtout. Puis ils ont pas l’air surpris si je les corrige. Là, elle semble totalement paumée et j’ai presque l’impression qu’elle pense que je lui mens. Quel est l’intérêt à mentir, je me le demande. Je ne cherche pas plus, de toute façon elle me livre d’elle même la vérité. ” Excusez-moi mais vous ressemblez à quelqu’un que je connais, la ressemblance est vraiment frappante. “ Ce qui parait logique pour qu’elle m’ait appelé d’une autre manière d’ailleurs. ” Ce n’est rien. “ J’esquisse un léger sourire prête à passer à autre chose. Sauf qu’elle ne semble pas être de mon avis. ” Je ne veux pas vous effrayer Zora mais je me demande du coup, vous avez de la famille en ville ? Vous connaissez les Cooper ? “ Je la regarde encore, elle lâche pas l’affaire. Puis sa question réussit quand même à m’arracher un rire franc. J’ai du mal à me retenir mais en même temps, elle en face de moi là, elle ne peut pas savoir. Non, elle ne connaît pas mon passé, elle ne sait pas d’où je viens. Alors elle n’est pas au courant. ” Désolée… “ Je m’excuse quand même, c’était pas très poli je dois bien le reconnaître. ” Non, je ne suis pas d’ici. Je n’ai pas de famille en ville ni ailleurs d’ailleurs. Et Cooper ça ne me parle pas pourquoi ? “ Parce que oui du coup elle m’a rendu curieuse avec ses questions là.

A sa place, Alma aurait déjà jeté la personne pour se réfugier tranquillement à l’arrière, mais heureusement pour elle, cette fille connaissait mieux les règles de civilité qu’elle et lui répondit. Et autant dire que la latina n’obtint aucune réponse pour satisfaire sa curiosité. Il pouvait simplement s’agir d’un sosie, tout le monde en avait un dans ce monde n’est-ce pas ? Et la coïncidence était que cette blonde se trouvait dans la même ville que Maxyn, la vie se jouait sûrement d’elle la fourbe. Alma remit une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille, prête à s’excuser pour définitivement lâcher l’affaire et revenir auprès de Victor qui devait sans doute s’impatienter à la voir papoter comme si de rien n’était. Mais voilà que la curiosité était désormais partagée et que les rôles s’inversaient. Elle ouvrit la bouche pour la refermer, réitéra plusieurs fois l’opération histoire de détruire toute trace de crédibilité puis inspira profondément. Autant ne pas y aller par quatre chemins et foncer dans le tas, elle avait toujours fait comme ça alors pourquoi changer hm ? Orpheline ? Elle retint cette information dans un coin de sa tête. Elle allait jouer les Sherlock plus tard ou pas. « C’est une famille qui vit ici et que je côtoie depuis quelques années et leur fille ainée vous ressemble. » répondit-elle, excluant le fait qu’elle avait été virée par ladite famille et qu’à part Théo, Maxyn, tout le monde voulait sa mort là-bas. « Mais excusez-moi de vous avoir dérangé. »

Je ne peux être qu'impressionnée par son obstination. C'est marrant et quelque peu déconcertant. J'ai plus l'habitude d'être dérangée à cause de mon handicap plutôt que par une quelconque ressemblance physique avec quelqu'un du coin. Parce que je ne connais personne dans cette ville. Et encore moins des gens nommés Cooper. Bon après c'est un nom plutôt commun mais là comme ça, ça ne me dit rien. Je lui avoue donc que je n'ai pas de famille ici et puis qu'au final j'en ai pas vraiment. Du moins de famille biologique. Parce que les Coleman sont ma famille. Ceux qui m'ont élevé. " C’est une famille qui vit ici et que je côtoie depuis quelques années et leur fille ainée vous ressemble. " C'est étrange quand on y pense. Mais bon il parait qu'on a en tout sept sosies sur Terre alors peut être que l'un de mes sosies c'est cette nana, cette Cooper. Ce serait drôle mais bon j'suis pas certaine d'avoir envie de perdre du temps avec ce genre de choses. " Oh d'accord je comprends mieux. " C'est sur que ça doit faire bizarre de croiser quelqu'un qu'on pense connaître et qu'au final, ce ne soit pas cette personne. Ca ne m'est jamais arrivé mais oui, étrange. " Mais excusez-moi de vous avoir dérangé. " Je lui souris, un peu plus détendue qu'au début de cette conversation. Ce n'était qu'une erreur. Une simple erreur. " Y'a pas de mal. Je vous souhaite une bonne soirée et j'espère que la musique vous a plu. " Bah oui parce qu'après tout, c'est pour ça que je suis là. C'est pour ça que je suis payée.