commedia dell'arte (rayan)

J'en ai marre. J'en ai marre de penser à elle. Elle m'obsède, elle occupe toutes mes pensées. C'est chiant, c'est lourd et je dois dire que ça commence réellement à me prendre la tête. J'essaye de rester la plus positive possible mais c'est dur. Au moins j'arrive à rester professionnelle. C'est déjà un début. Mes élèves n'ont pas à pâtir de mon humeur de chien. Mes collègues non plus. Pourtant, une fois que la sonnerie qui annonce la fin des cours retentit, je pousse un long soupir. Les élèves se ruent vers la sortie et moi je retarde le moment où je vais devoir passer la grille. Je remplie ma bouteille d'eau à la cafétéria et me dirige enfin vers la sortie. Je regarde la queue de taxi et un haut le coeur me prend. Je ne peux définitivement pas rentrer dans l'une de ces voitures. Je sais que maintenant je peux faire attention, mais elle peut me voir. Alors je reste en retrait et j'attends. J'irai surement en bus. Pour le moment je me permets de chasser tout l'air possible de mon corps. Et une inspiration plus grande. J'attends. Je ne sais pas quoi mais j'attends. Je me pose sur un des bancs devant l'entrée, sur le dossier de celui ci. Je sors mon téléphone, envoie un message à ma soeur. C'est la seule avec qui j'ai envie de discuter en ce moment. Enfin non, pas la seule. Une silhouette arrive et je souris. Ma collègue. La plus proche vu qu'on enseigne toutes les deux le sport ici. " Salut Rayan. " Même elle je ne l'ai pas trop vu depuis quelques jours. J'évite la salle des profs, j'évite tous ces endroits où les gens parlent trop, sourient trop. Je ne suis pas à l'aise, je n'ai pas envie de m'étaler. Je sais que ce n'est pas judicieux vu que je suis nouvelle, que je devrais plutôt tenter de m'intégrer. Mais j'ai du mal. Je ne peux pas faire semblant de sourire. Face à des enfants, ça va. Face à des adultes, beaucoup moins.

Le mardi est toujours une journée un peu plus intense que les autres, c’est le jour où j’ai des cours avec deux classes un peu plus difficiles que les autres. Heureusement le sport est une matière dans laquelle la plupart des élèves de ce lycée de South L.A s’investissent bien. Le problème c’est que certains prennent cela un peu trop à cœur où en font le théâtre pour régler leurs querelles. Intervenant dans deux établissements très différents de part leurs fréquentations, je dois m’adapter et j’espère le faire assez bien. J’aime le challenge, et bien avec certains je suis servie ! Mais j’adore mon boulot, les élèves me le rendent généralement bien une fois le cadre posé et les règles définies. Il n’empêche que ce genre de journée est plutôt éprouvante, alors je suis contente lorsque j’en ai fini. Je récupère mes affaires en salle de repos puis quitte le lycée après avoir discuté avec quelques collègues. A la sortie je vois une autre prof de sport, Logan, assise sur un banc un peu comme le ferait nos élèves. Intriguée par son attitude pensive je m’avance dans sa direction. Elle n’a pas l’air dans son assiette depuis quelques jours, et n’étant pas de nature invasive je ne me suis pas permise de faire une quelconque remarque sur le sujet pensant que ce n’était sans doute qu’une passade. Néanmoins en la voyant là je ne peux m’empêcher de m’inquiéter un peu pour elle. « Hey Logan. » je lui souris « Tu te remets dans la peau d’une ado pour mieux les comprendre ? » demandé-je avec une pointe d’humour pour tenter de la mettre à l’aise. Elle n’est pas là depuis longtemps et je suis sans doute celle avec qui elle s’est le plus liée ici, entre prof de sport on se serre les coudes mais d’autant plus en étant deux femmes. « Tu as l’air pensive, tout va bien ? » demandé-je finalement ne pouvant faire autrement si je veux en savoir plus et éventuellement l’aider. « Un cours qui s’est mal passé ? » c’est parfois difficile et en parler peut vraiment être une bonne chose pour relâcher la pression. A la mine que fait la blonde je comprends que ça n’a pas forcément à voir avec le boulot, son soucis est sans doute plus personnel. Un coup d’œil à ma montre, j’ai mon cours de théâtre dans une quarantaine de minutes, ce soir on fait de l’improvisation. « J’ai mon cours de théâtre ce soir, mais on peut discuter un peu…. Enfin si tu veux. » proposé-je avec un haussement d’épaules sans être vraiment sûr que ça soit ce que souhaite la jeune femme, ni ce dont elle ai besoin.

Je rigole lorsqu’elle me demande si je chercher à mieux comprendre les ados en me mettant à leur place. ” Mince, je suis démasquée ! “ Elle arrive à m’arracher un sourire, plutôt sincère d’ailleurs. C’est rare en ce moment, je dois bien l’avouer. Et ça doit se remarquer. J’ai donc l’air pensive. Oui, c’est sûrement le cas. Revoir la seule fille qui a pu me faire craquer, celle qui a mis à sac mon mariage, celle pour qui j’aurai tout plaqué et au fond pour qui j’ai tout plaqué malgré qu’elle ait désertée. Ouais celle là. Elle est revenue dans ma vie comme un boomerang. Et pas le gentil boomerang qu’on récupère élégamment d’un mouvement de bras bien dirigé. Non, le boomerang qui t’arrive en pleine tronche et te fout une claque monumentale. Finalement, j’ai du me paumer encore dans mes pensées vu qu’une nouvelle question me parvient aux oreilles. Est-ce qu’un cours s’est mal passé. Je secoue la tête de gauche à droite doucement. ” Non, enfin quelques tire-au-flanc mais rien de bien inhabituel. “ Je n’aime pas embêter les gens avec mes problèmes. Surtout lorsque je ne sais pas si ce sont vraiment des problèmes. Enfin si, bien sur, c’est un problème. Mais je n’ai pas l’habitude de m’apitoyer sur mon sort. J’ai vécu mon rêve étant ado, j’ai gagné mes médailles olympiques et ce n’était clairement pas en me plaignant. Sauf que maintenant, je ne sais plus trop ce qu’il me reste. J’ai du mal avec le changement, avec les retournements de situation. Et il y en a beaucoup dernièrement. Elle me propose son cours de théâtre, je laisse échapper un petit rire. ” J’ai rien de mieux à faire, je peux bien t’accompagner. “ Je descends de mon perchoir et récupère mon sac que je glisse sur mon épaule. Le théâtre. Je ne pense pas que ce soit pour moi ça. Enfin de ce que j’en ai déjà testé. Je ne suis pas franchement à l’aise mais bon, j’ai du temps à tuer de toute façon. ” Ca a été ta journée ? “ Je ne sais pas comment elle fait pour enchaîner le théâtre après sa journée de cours. C’est que ça fait beaucoup cette histoire au final.