all the broken happy ever afters. (cléandre)

Jamais je n’aurais dû revenir ici. À cet endroit. Revenir à Los Angeles n’avait pas été si douloureux – moins que je ne l’avais imaginé – mais revenir à cet endroit précis, chargé de tant de souvenirs était finalement au-dessus de mes forces. Je n’étais pas prête. Et je pense que jamais je ne le serai. Comment pouvait-on être prête à voir ce qu’il restait d’un être vivant qui avait grandi pendant sept mois au creux de votre ventre ? Il ne restait rien. Il ne restait rien de cet enfant qui aurait dû être le mien. Le nôtre, pensé-je difficilement, une grimace au bord des lèvres. Vivre en France, tourner la page avait été facile tout compte fait. Faire semblant d’être une autre, de n’être que « Poppy » et non plus « Penelope Abbott » l’enfant star tombée du haut de sa tour d’ivoire. Vivre en France, ne plus penser à tout ce que j’avais laissé ici, en Amérique. Tout ce que j’avais quitté, tout ce que j’avais fui. Si ma mère n’était pas tombée si gravement malade, je crois que jamais je ne serais revenue à Los Angeles. Je me plaisais en France, je me plaisais en uniforme de serveuse Starbucks. Je passais inaperçue tout en étant reconnue par les habitués du café. Mais je n’étais plus la même. Je n’étais plus celle qui avait quitté cette terre. Je sentais le changement en moi, c’était là – au creux de mon estomac. Et je restais en même temps la même, comme si j’avais retrouvé ma peau d’antan. Comme si j’avais repris ma vie là où je l’avais laissée avant de partir, le cœur en berne et les espoirs au vent.

J’ai comme une nausée dans la gorge ; j’ai comme une pointe dans le cœur. J’ai comme des larmes qui me brûlent les paupières. Je me sens bête d’être venue mais je crois que j’en avais besoin. Depuis mon retour sur ma terre natale, je ressentais cette culpabilité qui me rongeait. J’avais eu la sensation de l’abandonner. De la trahir. Ma petite fille. Comme si je l’avais laissée aux portes de l’avion avant de décoller pour le ciel parisien. Pendant un court instant, je ferme les yeux et prends une inspiration tremblante. Et quand je rouvre les paupières, j’ai la sensation que mon cœur s’arrête. « Cléandre ? » Ma voix tremble. Mon corps m’abandonne. J’ai la sensation que la terre s’ouvre sous mes pieds. Cléandre. Mon ex-mari est là. Cléandre. Ou alors est-ce seulement un mirage ? Une hallucination. « Cléandre, je répète, le souffle court. » Je n’avais pas pensé le croiser. Je n’avais pas imaginé le croiser. Je crois que je n’avais pas voulu me dire que j’allais sûrement le croiser. C’était une pensée trop douloureuse pour moi. C’était une pensée trop effrayante. J’avais peur de lui, je crois. J’avais surtout peur de moi. J’avais peur de mes réactions, de ce que je ressentirais en l’ayant en face de moi. Tant de choses s’étaient produites entre nous. Tant de temps était passé. Il y avait tant de blessures pas encore véritablement refermées. Mais c’était Cléandre. Mon Cléandre. Ou il le fut. Il y a longtemps.