to be loved (nickyjules)

to be loved
@Nicola woods

Il y avait bien longtemps que tu n’avais pas autant été ébranlée par tes émotions. La tempête de panique qui te gagne se saisit de tout ton corps et te cloue au siège de ta voiture. Les larmes te secouent toute entière et tu sens, impuissante, tes poumons se contracter dans ta poitrine, faisant de chacune des bouffées d’air que tu prends une nouvelle épreuve contre l’adversité. Alors tu ne réfléchis pas. Tu prends ton téléphone et composes le premier – le seul, même – numéro que tu aies envie de contacter. Ce n’est pas Jack, loin de toi l’idée d’appeler ton mari. Tu as la présence d’esprit de ne pas chercher à parler avec Wilma, elle ne comprendrait pas. En réalité c’est sans réfléchir que tu appuies sur le nom de Nicola alors même que tu avais finalement réussi à couper les ponts. La pauvre doit probablement sacrément s’inquiéter sur le chemin, elle qui n’a eu le droit qu’à un appel plutôt mystérieux révélant une voix rauque, essoufflée et pleine de sanglots, entrecoupées par des phrases à peine audibles. « Je suis sur le parking de l’hôpital. » A t’entendre, elle doit probablement croire qu’il t’arrive quelque chose d’horrible. « …J’ai besoin de toi… S’il te plaît. »

Tu n’arrives pas vraiment à comprendre pourquoi tu en arrives à te mettre dans un état pareil. Ce rendez-vous dont tu sors à peine est semblable à tous ceux que tu as vécu au cours de ces vingt dernières années. Des analyses sanguines normales, un examen normal, une discussion normale et ton médecin, normal. Tout va bien, comme d’habitude. Le cancer est loin et n’a pas l’air de t’avoir dans sa ligne de mire. Une part de toi se demande si tu attendais une autre issue à cette consultation, mais tu le balayes bien vite. Tu serais incapable d’autant de cynisme et de masochisme. Alors la seule explication plausible est celle du soulagement. Une inquiétude que tu n’avais pas mesurée planait depuis des jours au-dessus de ta tête, et la délivrance libère tes nerfs de leurs nœuds ankylosés.

Tu sursautes en entendant des doigts qui frappent à ton carreau et observes la silhouette d’une femme se glisser sur ton siège passager. A l’instant où tu croises le regard de la paysagiste, la crise reprend de plus belle. Tes mains agrippent le volant, et ton front tombe sur leur dos comme pour cacher ton visage. « Je suis désolée Nicky. » Tu n’aurais pas dû l’appeler. Tu n’avais pas le droit. Tu n’oses pas relever la tête pour qu’elle puisse voir que tu es sincère. Tu as bien trop peur de te laisser submerger à nouveau, cette fois-ci par des sentiments bien différents des premiers.

Je crois que je la connais par coeur, cette lettre. Plusieurs fois Jules avait initié notre rupture, même si on ne peut pas dire qu’on était vraiment un couple. Mais à plusieurs reprises elle a mentionné le besoin de rompre tout contact. Je n’ai jamais trop bien compris les raisons, peut-être parce qu’elles n’étaient à mon sens pas valables. Elle n’aime pas son mari, ou en tout cas pas comme elle estime qu’elle le devrait. Et lui n’est plus fiable depuis un moment. Je me demande s’il l’a même déjà été. Quand j’étais en couple avec sa soeur, elle me disait déjà qu’il était infidèle. Mais Jules a toujours eu peur du regard des autres, peur de ne pas être heureuse. Et cette part de mystère que je n’ai jamais su résoudre. Tout ce temps, j’ai à chaque fois réussi à lui faire changer d’avis, en lui prouvant mes sentiments, en lui montrant qu’elle pouvait être heureuse avec moi. Je n’ai jamais demandé de légitimité, qu’elle quitte son mari pour moi, qu’on puisse s’afficher en couple. Ça n’avait que peu d’importance face à ce qu’on pouvait s’apporter l’une et l’autre. Mais maintenant, c’est fini. Pour de bon. Je crois que je n’ai pas eu assez de force cette fois pour me battre. Je ne dis pas que je suis lasse, seulement que je me dois, pour une fois, de respecter sa décision. Ça a été extrêmement difficile, et j’ai relu sa lettre tant de fois que j’en connais la moindre virgule. Je l’entends presque la lire, je la vois l’écrire, les larmes roulant sur ses joues pâles, parsemées de ses magnifiques tâches de rousseur que j’adore. Tout ça n’est plus qu’un souvenir auquel je me raccroche malgré moi. Je dois aller de l’avant, et heureusement je ne suis pas seule. Mes fils m’aident à ne pas sombrer, et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas les plomber de mon coeur brisé. Ils le sentent pourtant, Elio a souvent demandé si c’était à cause de Juliette. J’ai nié. En vain.

Alors lorsque le numéro de Jules s’affiche sur mon téléphone à l’instant, je sens mon coeur s’emballer dans une course folle. Quelque chose ne va pas, je ne peux pas ignorer son appel. Et j’ai raison. Je sens la panique dans son souffle, avant même qu’elle n’ait eu à prononcer un seul mot. Alors quand elle me parle d’hôpital, mon sang ne fait qu’un tour. Elle me demande de l’aide, et je ne peux me résoudre à lui refuser. Par ego mal placé j’aurai pu lui dire d’appeler son mari. Mais je suis sans doute trop conne, et je m’empresse de récupérer ma voiture pour rejoindre l’hôpital. Heureusement que je n’ai pas croisé les flics, parce que j’ai dû enfreindre quelques pages du code de la route. Je repère rapidement la voiture de la rouquine et m’approche, frappant au carreau pour qu’elle m’ouvre. Je me faufile alors dans l’habitacle, le coeur battant à tout rompre, de peur de ce qu’elle pourrait m’annoncer. Elle fond en larmes contre le volant de sa voiture, je ne sais pas comment me comporter. « Je suis désolée Nicky. » Déglutissant avec difficulté à cause du noeud dans ma gorge, je tente quelques mots. « Qu’est-ce qui se passe, Jules ? » J’ai besoin de savoir, pourquoi elle m’a appelée. Je n’arrive pas à m’enlever de la tête que ça doit être grave. J’ose un geste tendre, plaçant ma main sur son épaule, compatissante, la poussant sans doute à me dire ce qu’elle doit me dire. J’aimerai la prendre dans mes bras, la rassurer, lui dire que je serai là. Mais ce n’est plus ma place. Pourtant, je suis quand même là.