What happened to “us“ ?(rayden#21)

Quelques jours auparavant

« Oui… Je vois. Tant pis, le projet était intéressant mais ce n’est pas le seul. D’ailleurs j’ai presque terminé de lire le scénario que tu m’as envoyé en début de semaine, je te fais un retour dès que c’est fait. Bonne journée à toi aussi Aria. » je raccroche de cette conversation avec mon agent. Elle n’était pas porteuse de bonnes nouvelles, le réalisateur du film pour lequel je devais signer prochainement à voulu faire des modifications, notamment pour le casting. Ça fait partie du jeu, je ne le prends pas personnellement, mais ce n’est pas très agréable ce genre d’annulation de dernière minute. Il y aura d’autres films, évidemment, cependant celui-ci me plaisait beaucoup. Je n’ai aucun contrôle là dessus, inutile donc de ruminer, ça ne changera rien.
Je rejoins Eden, elle m’interroge du regard « C’était Aria. Finalement ils ont changé d’avis et ont choisi une autre actrice. Je ne signe pas pour le film dont je t’ai parlé. » dis-je en haussant les épaules, je suis un peu déçue mais tout n’est pas négatif « Le bon côté à cela, c’est que je ne vais pas repartir en tournage pour l’instant. Donc passer du temps avec toi… Et pouvoir t’accompagner à la soirée de charité, si l’invitation tient toujours. » ajouté-je dans un sourire. Bien sûr, cette nouvelle carrière d’actrice compte beaucoup pour moi, cependant mon histoire avec Eden ayant pris un nouveau tournant depuis mon retour du Canada, j’ai envie d’en profiter aussi. J’aimerais garder un certain équilibre entre ma vie professionnelle et privée, même si j’ai conscience de la difficulté de la tache lorsque l’on choisit une voie comme celle du cinéma.


Je termine de me préparer pour la soirée, la voiture qui passe me chercher ne devrait plus tarder. J’ai reçu un message d’Eden plus tôt dans la journée pour m’informer qu’elle viendrait de son côté après une réunion qui la retiendra au bureau sans lui laisser le temps de repasser chez elle avant la soirée. Un changement de plan de dernière minute, encore, ça fait déjà deux fois en quelques jours, la loi des séries sans doute. Ça n’a pas une importance capitale, mais ce soir aurait été la première fois où nous nous rendions ensemble à un événement. Mais comme il était initialement prévue que je n’y assiste pas du tout, je suppose que ce petit détail est un moindre mal. Je check une dernière fois mon maquillage et ma tenue puis quitte mon appartement. Timing parfait, je fais tout juste deux pas dans la rue et le chauffeur arrive.
En chemin j’envoie un message à la productrice pour savoir où elle est, si nous arriverons à peu près en même temps sur les lieux de la soirée ou non. Sa réponse se fait attendre, et elle aussi se fera attendre. Retenue un peu plus longtemps que prévu, elle a pris du retard, ce qui repousse son arrivée. Si tout ne se passe pas exactement comme prévu, je reste enthousiaste quant à la soirée. Bien que nous ne comptons pas nous afficher trop ouvertement, je sais ce qu’il en est entre nous et ce soir c’est la première fois que je ne suis pas l’amante secrète, celle que l’on doit cacher. Une perspective qui suffit à me ravir, bien que je sente une pointe d’appréhension en arrivant. C’est plutôt une forme de trac, je suis ici parce qu’Eden m’a invité, c’est déjà un signal d’envoyé. Mon nom figure bien à la liste, on m’autorise à entrer sans problème. Je commence à prendre mes marques dans ce monde qui n’est pas encore le mien, à vrai dire je ne sais pas s’il le sera vraiment un jour, et je ne me sens pas totalement à l’aise, seule dans l’arène. Je repère des visages de vagues connaissances croisées au détour d’autres évènements, c’est finalement un petit monde. Je les salue, prends une coupe de champagne et le temps d’échanger quelques banalités, la productrice fait finalement son entrée, toujours remarquée. Partout où elle passe elle ne laisse pas indifférente, elle a ce charisme nécessaire à son statut, cette aura qui m’a charmé voire même envoûtée dès notre première rencontre. Sa progression dans ma direction est ralentie par les mondanités d’usages auprès des quelques personnes sur son chemin. Elle se rapproche, je ne peux empêcher mon sourire de s’élargir, chaleureux, traduisant la joie que j’ai de la voir. Mais je le tempère rapidement quand il se heurte à l’attitude formelle d’Eden dans sa manière de me saluer. Ok. Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais, c’est peut-être ça le problème, avoir eu une attente… Me projeter dans je ne sais même pas quoi exactement, mais pas ça. « Bonsoir, Ms Lewis. » je rentre à nouveau dans ce rôle que je ne pensais plus devoir jouer. Je crois être d’avantage déçue à cet instant qu’il y a quelques jours en apprenant que je ne jouerais finalement pas dans ce film qui me plaisait beaucoup. Je lui adresse un regard plein d’incompréhension lorsque l’opportunité m’est donnée. A quoi joue-t-elle ?

J’ai essayé par tous les moyens de faire cracher le morceau à Aria, l’agent de Rayan. Mais rien à faire, elle n’a pas donné d’autre raison que celle exposée à la jeune actrice il y a quelques jours. Pourtant, je sais qu’il se passe quelque chose, je le sens. Ce n’est pas un hasard si elle a été refoulée du rôle pour lequel elle était pressentie, juste trois jours après ma rupture avec Cora. Je revois encore le regard dur de l’italienne quand je lui ai dit que ça ne pouvait plus continuer. Elle se doutait de quelque chose, bien sûr, mais j’ai mis un coup de couteau dans notre contrat, et je savais par avance qu’elle ne le prendrait pas bien. Pour sa défense, dans le sens inverse, je ne l’aurai pas bien pris non plus. C’était le risque de notre deal, et pour être honnête - même si évidemment je ne lui ai pas dit - si c’était à refaire, je referai exactement la même chose. Mon histoire avec Rayan est puissante, plus encore que toutes les histoires que j’ai pu avoir jusqu’à présent. Et si j’ai aimé profondément Jamie, et Cora, ce n’est rien en comparaison avec ce que je partage avec la jeune actrice. Ça ne se commande pas.

Ce soir se tient une soirée caritative importante, et c’est la première fois que je n’y vais pas officiellement avec Cora. Ma relation avec Rayan a sensiblement changé depuis mon voyage au Canada. J’ai compris certaines choses, et surtout, j’ai fait en sorte de mettre ma vie privée en ordre. Si je veux pouvoir vivre quelque chose avec Rayan, il fallait que tout soit remis à zéro, en commençant par mettre un terme à ma relation avec Cora. C’est chose faite, et je ne regrette pas, même si je suis sûre qu’elle n’y est pas pour rien dans les évènements récents de la vie professionnelle de ma jeune protégée. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai donné rendez-vous à mon ex compagne, ici, dans mon bureau, avant la soirée. Jusqu’au moment de son arrivée, je n’étais pas certaine qu’elle honore le rendez-vous, mais la voilà qui entre. « C’est donc à ça que vont ressembler nos prochains contacts. Professionnels. » Je sens l’amertume dans la voix, alors qu’elle prend place dans le sofa qui nous avait si souvent accueillies jusque là, pas seulement pour des conversations d’ailleurs. Je dois penser à le changer, pour un nouveau départ. « Ça ne tient qu’à toi. » lui dis-je d’une voix plutôt calme. « Comment ça ? » « Je n’ai jamais dit que je voulais rompre tout contact personnel avec toi, Cora. » Je la vois plisser les yeux pour tenter de comprendre. « Pas dans le sens que tu penses. Ma décision est prise et je ne reviendrai pas dessus, en ce qui concerne le couple qu’on était. Ça ne nous empêche pas de rester amies, du moins de mon côté. Si bien sûr tu as la même envie. » Elle lâche un rire acerbe, je la reconnais bien. « Le beurre, l’argent du beurre, la crémerie, le cul de la crémière, et la crémière du voisin ! » Prend toi ça dans les dents. « Arrête, tu me connais assez pour savoir que ce n’est pas comme ça que je fonctionne. » « Si, Eden. C’est exactement comme ça que tu fonctionnes. Ouvre les yeux sur toi-même. Mais dans la vie, on fait des choix, on ne peut pas tout avoir, il faut te faire une raison. Tu l’as choisie elle, tu as fait ton choix. L’affaire est réglée. » Elle n’est pas prête à passer outre pour le moment, c’est trop frais, je peux le concevoir. « Et donc tu te venges sur moins fort que toi. Je ne sais pas qui de nous deux est la plus dépréciable en terme de comportement… » Son regard se mue en une forme de colère que je reconnaîtrai entre mille. « Moi aussi je te connais, Cora. Et je ne te laisserai pas démolir la carrière naissante de Rayan à cause de ton égo mal placé. » Je crois qu’encore une fois, j’ai perdu une occasion de fermer ma gueule. « Tu es à l’origine de son début de réussite. Tu seras aussi à l’origine de sa chute. Longue vie à Eden et Rayan. » Elle se lève de manière théâtrale et quitte mon bureau sans un mot de plus, me laissant seule avec ma culpabilité nouvelle.

***

Les mots de Cora tournent en boucle dans ma tête, et même une fois sur place, dans cette immense bâtisse, entourée de tous ces gens du monde dans lequel j’évolue, je ressens toujours le poids des insinuations de mon ex. Sourire de façade, je salue les gens sur mon passage, et pose finalement mon regard sur celle qui fait battre mon coeur depuis plusieurs mois. Mon attitude reste froide et elle le sent très bien, à en voir les quelques mots qu’elle m’adresse. Mon coeur saigne de devoir encore jouer ce rôle. Je me dois de la fuir, le temps pour moi de trouver une façon de lui expliquer mon comportement. J’ai tellement peur de la perdre. Alors quand je sens le moment propice, je soutiens son regard, et comprends qu’elle a réellement besoin de ces explications. Je lui fais signe de me suivre pour que nous puissions nous retrouver seules. Poussant la porte d’un couloir, j’entends les pas de Rayan me talonner, et je finis par me retourner pour lui faire face. Je n’avais même pas remarqué à quel point elle était belle. Je tente une esquisse de sourire, tendre, juste par la pensée qui m’a traversée de pouvoir la prendre dans mes bras. Très vite je reprends conscience de la situation, et prends une inspiration comme pour me donner du courage. « Je n’étais pas en réunion, avant de venir. J’avais donné rdv à Cora, pour essayer de comprendre. Quand tu m’as parlé de ce film qu’on t’a retiré au dernier moment, j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Et j’ai trouvé la coupable, même si elle n’a pas clairement avoué, c’est tout comme… » Je n’entre pas davantage dans les détails, je pense qu’elle comprendra d’elle-même mon propre comportement de ce soir. Du moins, je l’espère.

J’avais des attentes sans trop me l’avouer et une fois de plus je me prends un revers. Le pire c’est que je m’en veux de ressentir de la déception, de l’amertume. Je ne devrais pas, c’est tout simplement humain d’être déçue. D’autres l’auraient été pour moins que ça, et surtout auraient déjà lâché l’affaire depuis longtemps. Moi qui suis plutôt du genre pragmatique, j’en viens à me demander s’il n’y a pas une sorte de malédiction, de mauvais sort ou une affaire de karma pour que cette histoire soit une suite sans fin de montagnes Russes. C’est sûrement parce que les hauts sont vertigineux que je suis à même d’enduré les bas, mais je me serais bien passé de celui-ci. Je me tempère, après tout je ne connais rien des raisons qui pousse Eden à se comporter de cette manière. De son point de vu elle en a forcément une bonne, mais avant d’en juger moi-même encore faudrait-il avoir une explication. Je la réclame implicitement par un jeu de regard que la productrice comprend très bien. Je la sens nerveuse, contrariée, j’ai appris à décrypter son langage corporel pour voir au delà du masque. Mais je n’en suis pas devenue devin pour autant. Entre deux mondanités et gorgée de champagne elle me fait signe de la suivre. Je ne me fais pas prier, la retrouvant au détour d’un couloir, impatiente de savoir pourquoi elle joue les indifférentes. Au moins là, une fois seules, Eden m’offre un sourire, un vrai. Il est tendre, sincère mais ne suffira pas à me faire oublier qu’elle me doit une explication. Je me plante face à elle haussant les sourcils avant de lever les mains en signe d’incompréhension « C’était quoi ça ? » demandé-je, impatiente. Quand elle inspire pour se donner du courage comme ça, ce n’est pas bon signe. Elle se lance, me balançant tout d’une traite. Sa réunion qui n’en était pas une, mais une confrontation avec son ex qu’elle soupçonnait d’avoir eu un rôle à jouer pour que moi justement je n’ai pas le rôle pour lequel je devais signer. Ce que Cora n’a avoué qu’à demi mot.
Je soupire « Et ? ». Non, je ne suis pas idiote je comprends pourquoi elle fait subitement un pas en arrière ce soir mais ça m’étonne d’Eden qu’elle laisse l’autre furie gagner si facilement. « En plus de me faire rater un projet elle va aussi plomber cette soirée ? Celle-ci et d’autres à venir ? » c’est donc la double peine « Tu crois vraiment qu’elle se retiendra de tout faire pour nous emmerder en agissant comme ça ? » je secoue la tête « Tu as du pouvoir, de la légitimité, un nom et une place dans ce milieu… Et tu te laisse marcher sur les pieds par cette… » je lève les yeux et soupire de nouveau pour ne pas devenir vulgaire « Là je ne comprends pas. » est-ce que je lui en veux ? Non. Peut-être un peu, je n’en sais rien, ça me dépasse et cette soirée me semble déjà condamnée à être gâchée. « De quoi tu as peur Eden ? Vraiment. » ça ne peut pas être juste de Cora et ses bassesses. Est-ce qu’elle n’est finalement pas prête à ce que notre relation évolue, s’officialise ?

Elle n’avait pas besoin de me poser la question, j’allais de toute manière lui fournir une explication. Je crois que je la connais assez bien désormais pour comprendre ses regards et son langage non verbal. Et puis, je la lui dois, cette explication. Je ne passe pas par quatre chemins, n’essaie pas de la ménager ou tourner autour du pot. Elle veut savoir, elle doit savoir. J’ai bien conscience de la blesser, une fois n’est pas coutume, mais cette fois, j’estime avoir une bonne raison. La protéger. Sauf que visiblement, mon explication n’a pas l’air de lui suffire, ou lui convenir. « En plus de me faire rater un projet elle va aussi plomber cette soirée ? Celle-ci et d’autres à venir ? » Je n’avais pas vu les choses sous cet angle, l’angle Cora. Est-ce que c’est ce qu’elle cherche ? Probablement. Est-ce que c’est ce que je lui laisse faire sans le vouloir ? On dirait bien. « Tu crois vraiment qu’elle se retiendra de tout faire pour nous emmerder en agissant comme ça ? Tu as du pouvoir, de la légitimité, un nom et une place dans ce milieu… Et tu te laisse marcher sur les pieds par cette… » Je secoue la tête, parce que je n’ai pas envie que ce soit le cas. Je n’ai même pas le temps d’en placer une qu’elle continue. « Là je ne comprends pas. De quoi tu as peur Eden ? Vraiment. » Je vois la déception dans son regard. La peine, aussi, et j’ai juste envie de la prendre dans mes bras, la rassurer, lui dire tout ce qu’elle sait pourtant déjà mais qui semble avoir été balayé par un nouveau mauvais comportement de ma part. « Je n’ai pas peur d’elle, Rayan. J’ai peur pour toi. J’ai tout mis en oeuvre pour que tu aies une chance de débuter une carrière prometteuse, tout ça ce n’est pas grâce à moi, j’ai juste mis un projecteur sur toi pour que tout le monde voit à quel point tu as du talent. » Je ne la lâche pas des yeux et poursuis. « Mais je refuse de laisser quelqu’un saboter tout ce que j’ai mis en oeuvre, tout ce qu’on a mis en oeuvre jusque là. » Je sais bien qu’elle aimerait qu’on assume ce que nous partageons, pouvoir officialiser notre relation, mais j’ai peur qu’il soit encore un peu trop tôt pour ça. « J’ai plus de pouvoir qu’elle, c’est une certitude, mais je sais aussi de quoi elle est capable. C’est un vrai requin, et il n’est pas question qu’elle gâche tout. » En réalité, les choses sont ce qu’elles sont. Cora est au courant pour Rayan et moi, elle sait que c’est ma rencontre avec la jeune actrice qui a en quelque sorte brisé notre couple. Si elle veut tout faire pour détruire Rayan, que je m’affiche avec elle ou pas ne changera rien. Le problème, c’est moi. Cette pensée traverse mon esprit et je me laisse un instant pour réfléchir vraiment à la question de la jeune femme. De quoi j’ai peur. « J’ai peur de te perdre. » Et pourtant, on dirait bien que je fais tout pour que ça arrive. Ou en tout cas, rien pour que ça n’arrive pas. « Je sais, je fais les choses à l’envers, je n’ai pas la solution, je voudrais juste te protéger, nous protéger. Que tu n’aies pas à entendre tout ce qu’on pourra dire sur toi, sur nous. Moi je suis blindée, ce qu’on dit sur moi n’a plus aucune importance. Mais c’est pour toi que j’ai peur. » Je m’approche juste assez pour venir attraper doucement sa main, dans l’espoir qu’elle ne me retirera pas ce contact. « Je te jure que j’avais envie de me montrer avec toi ce soir, mais j’ai eu peur. Pour toi. » C’est une grande fille, elle est assez grande pour savoir ce qu’elle veut, je ne l’infantilise pas. Elle ne sait juste pas ce qui pourrait l’attendre.

Fonceuse, Eden a filé tout droit dans la direction que Cora voulait lui faire prendre. Elle voulait s’immiscer dans notre relation ? Elle a réussi. En plus de faire d’interférer avec ma vie professionnelle. Donc je prends double dose d’emmerdement, super, je suis ravie. Je donne le fond de ma pensée à Eden, entre incompréhension et un brin de frustration, c’est vrai. Je ne comprends pas comment elle peut se laisser faire, donner à son ex exactement ce qu’elle cherchait. Mais là j’oublie un peu que j’ai une position d’observatrice qui me donne la possibilité de prendre du recul. Ce dont manque la productrice, une fois n’est pas coutume, ça fait partie d’elle et de son charme. Cependant, si elle ne parvient pas à prendre ce recul, c’est qu’il y a une raison. J’aimerais la connaître, je lui demande de quoi elle a peur. Parce qu’Eden est forte, mais elle a ses failles, des peurs comme tout le monde, elle est juste très forte pour ne pas les montrer et ne pas les regarder en face non plus. Ça progresse sur ce point, je crois que je la force à l’honnêteté, envers les autres mais par dessus tout envers elle-même. Nous apprenons l’une de l’autre, évoluons ensemble malgré les tempêtes. Quelle taille fait la vague cette fois ? Si c’est celle de Cora, ça passera vite, c’est un petit format.
Franche, Eden admet avoir peur pour moi. Peur de voir les méchants requins de l’industrie du cinéma me bouffer toute crue et me faire sombrer dans l’oubli. Elle ne veut pas gâcher mes efforts et les siens de ce début de carrière prometteur mais encore fragile. Soit. J’entends son argument, il est légitime, sauf que je ne suis pas une demoiselle en détresse. « Si ces gens sont trop influençables pour garder le cap de leurs choix et leurs opinions, je ne suis sûre de vouloir travailler avec eux. » dis-je avant de rappeler à Eden qu’elle pèse beaucoup plus lourd dans ce milieu que son ex. Et peu importe que nous soyons vues ensemble ce soir ou non, si elle a décidé qu’elle allait nous emmerder, elle le fera. Peut-être a-t-elle même déjà ébruité notre relation. Alors le fond du problème est ailleurs, et j’aimerais savoir où. J’ai l’impression d’être une sorte d’inquisitrice sans cesse en quête de réponses, de preuves, d’explication. Moi aussi je manque sans doute un peu de recul parfois, c’est toujours comme ça quand les choses nous tienne à cœur.
La peur de me perdre, voilà la vraie raison de ce comportement distant. Paradoxal, c’est vrai, mais ça lui ressemble. Malgré tout l’aplomb dont Eden est capable, elle aussi avance à vue sans trop savoir comment agir et me préserver. Elle veut me protéger, on en revient là. Sa main se saisit de la mienne avec douceur, elle est sincère, son envie était aussi que la soirée soit différente. « J’ai choisi tout ça. » plus ou moins, ça m’est un peu tombé dessus au début ces histoires de casting, de film et de tournage. Néanmoins je poursuis dans cette voie c’est parce que je le veux. « Je suis nouvelle dans tout ça, j’en découvre tous les jours. Mais je ne suis pas naïve. J’ai conscience de la dureté de ce milieu, de toute la merde qui peut se dissimuler derrière les paillettes. » je ressers mes doigts sur sa main « Je n’ai pas besoin que tu me protège Eden, juste de savoir que tu es là et que tu me soutiens. » je ne veux pas être mise sous cloche, mais me sentir épaulée et accompagnée sur ce chemin possiblement accidenté. Je me rapproche, c’est une torture de me tenir à distance pour des raisons qui n’en sont pas des bonnes. « Ma carrière et ce que l’on a toi et moi sont deux choses différentes. » je peux ne plus tourner dans un seul film, ça ne changera rien à ce que je ressens à son égard. J’esquisse un sourire et lui adresse un regard complice « N’est-ce pas ? ». Je me rapproche encore un peu plus, ne la quittant pas des yeux « A moins qu’une simple prof de sport et de théâtre n’ai aucune chance de trouver grâce à tes yeux ? ».

Mes pensées sont confuses, tout se mélange dans ma tête, dans mon coeur. Rayan me pousse à plus de transparence avec elle. Ce n’est pas que je ne veux pas être honnête avec elle, c’est plutôt avec moi-même que je semble avoir plus de mal. Me poser les bonnes questions, ce n’est pas toujours évident. Je voudrais seulement la protéger. Je sais que c’est une femme équilibrée, épanouie, et qu’en soi, elle n’a pas besoin de moi pour la mettre dans une cage dorée. « Si ces gens sont trop influençables pour garder le cap de leurs choix et leurs opinions, je ne suis sûre de vouloir travailler avec eux. » Elle a raison, sur le fond. Mais dans ce milieu, les gens vont et viennent au gré de ce qu’ils peuvent grappiller de tous les côtés. Le but étant d’écraser les autres pour briller. C’est affligeant, mais c’est une vérité qu’il faut savoir prendre en compte.
Finalement, à force de lui parler, ou qu’elle me fasse parler, je finis par mettre le doigt sur ce qui me fait vraiment peur : la perdre. C’est vrai qu’elle a choisi d’en être là où elle est, même si je l’y ai un peu aidée, poussée peut-être. Mais elle a accepté, personne ne l’a forcée. « Je suis nouvelle dans tout ça, j’en découvre tous les jours. Mais je ne suis pas naïve. J’ai conscience de la dureté de ce milieu, de toute la merde qui peut se dissimuler derrière les paillettes. Je n’ai pas besoin que tu me protège Eden, juste de savoir que tu es là et que tu me soutiens. » Un noeud se forme dans ma gorge, à mesure que j’entends ses mots, que je sens ses doigts se refermer contre ma paume. Je serai toujours là pour elle, pour la soutenir, tant qu’elle voudra bien de ma présence auprès d’elle. « Ma carrière et ce que l’on a toi et moi sont deux choses différentes. » Elle a raison, je le sais, mais malheureusement les deux sont aujourd’hui liés, et je voudrais simplement la préserver au mieux. J’ai bien compris qu’elle ne me demande pas de tenir ce rôle, elle est bien conscience de ce qui pourrait lui arriver, que sa carrière pourrait subir des turbulences, ou même s’arrêter. Mais visiblement, c’est un risque qu’elle choisit de prendre. « N’est-ce pas ? » me demande-t-elle en se rapprochant de moi. Je souris, plongeant mon regard davantage dans le sien. « A moins qu’une simple prof de sport et de théâtre n’ai aucune chance de trouver grâce à tes yeux ? » Cette fois, c’est un rire qui franchit la barrière de mes lèvres. « Je crois que je t’aurai vue passer le balais dans la cour d’un immeuble, que je serai quand même tombée sous ton charme. » Ça a été immédiat, intense. Je n’ai rien pu faire contre cette fascination, cette attirance. Et ça n’a été que plus intense à mesure que j’ai appris à la connaître. Bonne actrice ou pas, je sais que j’aurai été folle d’elle, peu importe son métier ou sa raison sociale. Nos visages plus proches, mon regard dévie sur ses lèvres, que je viens finalement embrasser tendrement. Etrangement, je me sens un peu plus apaisée, même si je sais que ces tourments pourront réapparaître sous peu. Mais je sais qu’elle sera là. Je l’espère plus que tout. Une fois le baiser rompu, je prends une petite inspiration. Il va falloir y retourner. « J’ai encore quelques personnes à voir, ce soir. Peut-être aussi quelqu’un à te présenter. Et après je te kidnappe. » Un nouveau sourire illumine mon visage, et je me sépare de ses mains, pour prendre le chemin de la grande salle. Je ne compte pas m’afficher avec elle au point de l’embrasser devant l’assemblée, ou la présenter comme la femme que j’aime. Mais je ne compte plus cacher ce qui nous lie pour autant.

Malgré les circonstances, et ma frustration, notre discussion est calme. C’est un progrès, car il y a peu nous nous serions probablement écharpées dans les toilettes. Un lieu de discorde comme un autre, qui a au moins l’avantage d’être un peu discret. Ce couloir l’est tout autant, à l’abri des regards et d’écoutes indiscrètes nous pouvons mettre les choses à plat. Je reconnais à Eden un vrai effort de se montrer si sincère, envers moi, et elle-même. J’entends sa peur, la prend en compte et lui témoigne de mon propre ressenti. L’échange, la communication sont essentiels dans une relation, ça tout le monde est d’accord ou presque là dessus. Cependant à la mise en œuvre ce n’est pas toujours si simple, surtout quand les protagonistes ont du tempérament. Des tempêtes nous en avons traversé et nous en traverserons encore, parce que ce milieu est un vrai panier de crabe et au delà de ça, l’existence n’est pas une ligne droite. Elle est faite de virages, de creux, de bosses, de murs aussi parfois. Mais j’ai confiance, depuis longtemps je ne m’étais pas sentie aussi confiante, en moi et aussi en quelqu’un d’autre. Il m’a fallut du temps pour réapprendre à faire confiance, à prendre ce risque. Maintenant je suis prête, je le sens. Il est tout autant question de sentiment que de courage et ils s’alimentent mutuellement.
J’allège la conversation par un trait d’humour. Si je redevenais “personne“, la productrice poserait-elle toujours le même regard sur moi ? A priori oui, si j’en crois sa réponse, qui d’ailleurs me fait sourire « Ça peut être une idée de scénario ça. Pas très original, c’est le genre de truc qui marche, les histoires de ce genre, non ? » dis-je alors que nous sommes irrémédiablement attirées l’une par l’autre. Eden me libère de cette envie que j’avais de l’embrasser, exauçant ce souhait sans se préoccuper un seul instant que l’on puisse nous surprendre. Un cap est passé je crois, et si nous n’en sommes pas à une officialisation, il me semble que ses réticences à laisser planer le doute sur notre relation, ont l’air de s’être dissipées. Je pourrais rester là encore un long moment à l’embrasser, mais toutes les bonnes choses ont une fin, ce baiser ne manque pas à la règle. Des mondanités nous attendent, enfin elles attendent surtout Eden qui réussit à m’intriguer d’abord avec cette personne qu’elle va peut-être me présenter puis avec son intention de me kidnapper « Tu as un vrai don pour le teasing. Tu devrais songer à faire carrière dans l’audiovisuel. » ironisé-je avec malice. Je lui emboite le pas pour rejoindre la salle principale où se tient la réception. A peine de retour j’intercepte un serveur pour prendre deux coupes de champagne pleines. J’en donne une à Eden « Tu as des pompes à cirer ou se sont plutôt les tiennes qui vont briller ? » demandé-je, curieuse d’en savoir plus sur ce qui nous attend pour la suite de la soirée.

J’admire la façon que Rayan a de prendre les choses, avec légèreté mais sérieux tout de même. C’est une jeune femme réfléchie, mais aussi passionnée. Elle est complexe et je n’arrive pas toujours à lire en elle, mais je sais être plus complexe encore qu’elle ne l’est. J’apprends chaque jour à l’écouter, entendre ce qu’elle me dit, travailler sur mes angoisses, surtout celles qui la concernent. Elle sait trouver les mots juste pour me rassurer, c’est exactement ce dont j’avais besoin. J’ai tellement eu l’habitude d’avoir des histoires passionnées mais dans lesquelles on se déchirait, que de trouver quelqu’un avec qui vivre quelque chose de sain, je me sens légèrement déroutée.
En prenant la décision de confronter Cora, je savais que je prenais un risque. Et en arrivant ici, il fallait que j’en parle avec Rayan, mais je n’ai pas su comment faire, et je suis passée - encore une fois - à côté de la catastrophe. Fort heureusement, la belle actrice a une patience d’ange, je ne sais pas ce que j’ai fait pour la mériter. Notre petite altercation se finit bien, sur un ton d’humour agréable. « Ça peut être une idée de scénario ça. Pas très original, c’est le genre de truc qui marche, les histoires de ce genre, non ? » Je ris avec elle, hochant la tête à la positive. « C’est un indémodable, le Cendrillon version 21ème siècle. »
Nos corps sont attirés tels deux aimants et enfin, j’ai le plaisir de retrouver ses lèvres. Elle m’a apaisée si facilement que c’en est déconcertant. Contre ses lèvres je finis par lâcher un léger soupir. De bien-être, mais aussi parce qu’il faut que je retourne bosser. « Tu as un vrai don pour le teasing. Tu devrais songer à faire carrière dans l’audiovisuel. » Je ris à nouveau sous la malice que cachent ses petites insinuations. Son humour est fin, et il m’a toujours fait chavirer.
Reprenant contenance, nous quittons le couloir calme qui nous avait accueillies un instant, pour retrouver l’effervescence de la soirée. A vrai dire, j’ai hâte que ça se termine pour me retrouver à nouveau seule avec Rayan. Mais en attendant, je dois donner le change. La jeune femme récupère deux coupes au passage pour m’en donner une, et je la remercie d’un sourire. « Tu as des pompes à cirer ou se sont plutôt les tiennes qui vont briller ? » J’aime sentir son regard sur moi, celui qu’elle m’offre en cet instant, je peux sentir son admiration tout autant que sa bienveillance. Elle a conscience de mon métier, de ce que ça représente, et c’est une chance pour moi qu’elle l’accepte. « Un peu les deux, mais tu me connais, je n’aime pas trop cirer les pompes… encore moins celles d’hommes fortunés. » Et ce soir, ça grouille de cette catégorie. Je vais faire en sorte que ça ne dure pas une éternité surtout. Faisant signe à Rayan de me suivre, je lui emboîte le pas pour aller serrer quelques mains. Après tout, elle est ma petite protégée, tout le monde est au courant. J’ai été le coup de pouce à sa carrière, même si aujourd’hui quelqu’un cherche à lui vouloir du mal. Je trouverai un moyen que ça n’ait pas trop d’importance.
Je n’ai pas besoin de m’introduire dans la discussion, une fois arrivée près du petit cercle, les regards se tournent vers moi. Je salue les quelques convives et plante mon regard dans celui de Lennon, une réalisatrice de talent avec qui j’ai eu la chance de travailler à plusieurs reprises. « Je peux te présenter quelqu’un ? » Elle accepte et, une main dans le dos de Rayan, je la fais avancer jusqu’à mon niveau. « Lennon, je te présente Rayan, l’actrice prodigieuse dont je t’avais parlé au téléphone. Rayan, c’est Lennon Finley, réalisatrice de talent. » Je les laisse se serrer la main pour un premier contact professionnel avant d’enchaîner. « J’ai entendu dire que tu avais un nouveau scenario en cours d’écriture, et Miss McHalway est disponible pour de nouveaux projets. Je voulais simplement vous mettre en relation pour que vous puissiez échanger. » Ma main toujours dans le bas du dos de Rayan, je ne fais plus vraiment attention à la manière dont je me comporte avec elle, c’est même assez naturel. Cora a quitté mon esprit pour le moment. Je leur propose de discuter pendant que je vais serrer quelques mains. Plus ou moins discrètement je glisse quelques mots à l’oreille de Rayan avant de m’éclipser : « Détends-toi, tu as plus de talent qu’il n’en faut dans ce métier. » Je lui adresse un clin d’oeil complice et la laisse en compagnie de cette femme que j’apprécie beaucoup.

La peur n’évite pas le danger, mais il n’est pas facile d’affronter ses peurs, de les dépasser. C’est un travail quotidien, un apprentissage dont le temps et l’expérience sont les enseignants. Il est aussi question de volonté, mais Eden n’en manque pas, je sens qu’elle essaie. J’en suis là également, nous avançons ensemble et même si ce n’est pas toujours facile, ça en vaut la peine. Je suis assez fière que nous réussissions à désamorcer ce début d’incompréhension et de conflit aussi rapidement sans que toute la soirée soit gâchée. C’était ce que je craignais et ça aurait été synonyme de victoire pour Cora, hors de question de lui faire ce plaisir. Elle se pense sans doute plus maline, se donne une importance qu’elle n’a pas, mais il ne tient qu’à nous de ne pas lui donner de pouvoir. Ce qui nous concerne seulement Eden et moi, notre vie privée, nous devons la préserver de ses attaques. Pour le reste, notamment ma carrière, elle me sous-estime en pensant que ses petites bassesses vont me décourager. Je chasse rapidement l’ex de la productrice de mon esprit pour me reconcentrer sur le moment présent. Il implique qu’Eden fasse acte de présence et plus encore. En fait son boulot ne s’arrête pour ainsi dire jamais, dès lors qu’elle se trouve en présence de gens liés de près ou de loin à son business, elle doit afficher une certaine image et si possible gagner des points auprès des investisseurs. Je le traduis par du cirage de pompe, et elle me rappelle combien elle déteste cette activité, surtout auprès de quelques hommes qui se pensent tout permis du fait de leur compte en banque bien rempli. « Tu sauras être rapide et efficace, je te fais confiance. » dis-je encourageante alors que nous nous avançons vers un groupe de personnes.
Pas de riche investisseur à l’horizon mais des auteurs, scénaristes et une réalisatrice, je ne la connais que de nom. C’est donc à elle qu’Eden souhaitait me présenter, sans doute un peu pour se faire pardonner des méfaits de son insupportable ex. La blonde ne manque pas de me vendre en des termes élogieux, sur un ton teinté d’enthousiasme. Elle semble en éprouver tout autant à me présenter, qu’à me faire connaître cette réalisatrice pour qui elle a tout l’air d’avoir beaucoup d’estime. Les formalités des présentations faites, Eden choisit de nous laisser discuter pendant qu’elle va remplir ses obligations de son côté. Avant de s’éclipser elle me glisse quelques mots d’encouragement à l’oreille et je ne peux me retenir de sourire avec une certaine tendresse, ce compliment me touche. Certes elle n’est pas totalement objective, mais je la sais sincère. Elle s’éloigne et la discussion avec Lennon s’engage tout naturellement. Elle évoque ce scénario qu’elle a presque terminé et dont elle m’explique les grandes lignes. C’est prometteur, je lui fais part de mon intérêt pour ce projet à venir. La conversation se poursuit, dans un silence au cours de notre échange je cherche Eden dans un coup d’œil furtif. « Ça fait longtemps ? » intriguée par la question de mon interlocutrice mon regard se pose à nouveau sur elle « Avec Eden. ». Dois-je nier ? Je n’en ai pas envie « Quelques mois. » c’est vague mais suffisant, comme réponse. Elle hoche la tête, accompagnant son geste d’un sourire « Mon intuition était bonne. » conclue-t-elle dans un regard complice.
Après encore quelques minutes de discussion, ma propre intuition m’invite à prendre congé et rejoindre la productrice. Elle a commencé sa tournée de relation publique depuis un petit moment, et quelque chose me dit qu’elle ne sera pas contre une excuse pour couper court. Je l’aperçois au fond de la salle, en pleine conversation avec ce que je devine être des investisseurs. Je m’approche, restant d’abord légèrement en retrait, j’écoute ce qui se dit, remarquant bien vite qu’Eden a tout l’air de clairement s’ennuyer. J’ai quelques compétences pour jouer la comédie, paraît-il, autant les mettre à profit. Je signale ma présence, m’avançant avec un air navrée « Pardonnez moi de vous interrompre. Ms. Lewis ? On vous demande au téléphone. C’est important. » j’adresse un regard d’excuse à ses interlocuteurs puis m ‘éloigne, laissant le soin à la productrice de gérer ce “contretemps“. Elle ne tarde pas à me rejoindre et je lui tends mon téléphone pour crédibilisé mon excuse alors que nous nous éloignons davantage « J’ai senti que tu avais besoin d’une sortie de secours. J’ai vu juste ? » dis-je avec un léger sourire. « Cette soirée est tellement guindée… Tu sais ce dont j’ai envie ? » je la regarde du coin de l’œil, malicieuse « D’aller danser. » avec elle, évidemment.

En mettant les pieds dans cette soirée, après mon altercation avec Cora, j’imaginais que les choses seraient bien différentes. Cette discussion avec Rayan me remet les pendules à l’heure. C’est comme si elle avait le pouvoir de me pousser dans mes retranchements, me pousser à l’introspection. Je me pose les questions importantes, je fais preuve de vulnérabilité. Et quand on me connaît, on sait que ce n’est pas l’exercice le plus évident qui soit. Mais avec elle j’y parviens, et je ne la remercierais jamais assez de me laisser cette place pour être vraiment moi-même, comme je ne l’ai jamais été. « Tu sauras être rapide et efficace, je te fais confiance. » Je lui offre un large sourire, espérant qu’elle aura raison. Certes je sais être efficace, mais je ne suis pas la seule meneuse de ces discussions plus ou moins formelles. Je choisis d’aller présenter Rayan à Lennon, une réalisatrice que j’aime beaucoup. J’aimerai qu’elles puissent travailler ensemble sur un projet, que ce soit celui dont la réalisatrice travaille actuellement ou un autre, mais je suis sûre que leurs énergies pourraient bien fonctionner ensemble.
Pendant ce temps, j’en profite pour faire le tour des gens que je dois voir, me montrer un peu, adresser quelques poignées de mains, quelques sourires. Et puis je tombe malencontreusement sur ce directeur de production anglais qui m’avait draguée il y a quelques années à mon arrivée dans le milieu. J’avoue que si je n’avais pas pris un court instant pour taper son nom dans google, apprenant qu’il était marié, je crois que j’aurai pu répondre favorablement à ses avances. Pas que ce genre de chose me dérange, mais j’aime être au courant avant de savoir dans quoi je mets le pieds.
Une main dans le creux de mes reins me fait frissonner, mais pas le frisson agréable. Celui qui pourrait me faire me retourner et donner un coup de coude dans le nez du porteur de geste. Je me retourne rapidement, fusillant le propriétaire de la main en question. « Oh je suis désolé, je ne voulais pas être déplacé. » dit-il dans un petit sourire. Bien sûr. Fous-toi de ma gueule. « Nicholas. » « Je suis ravi moi aussi de te voir, Eden. »[/color] Mes poils s’hérissent dans le sens inverse. Son côté gentleman anglais qui m’avait presque plu, a le don de me dégoûter aujourd’hui. « Je dois conclure à ton attitude que tu as fait une croix sur les hommes. Ou que tu as trouvé mieux ailleurs… » Son regard se pose sur Rayan un peu plus loin dans la salle, avant de se reposer sur moi. « Tu as toujours eu bons goûts, en matière de femmes. » Je déteste ce genre de personne qui se mêle de ce qui ne les regarde pas. « Bonne soirée. Nicholas. » Ne pas donner à manger aux trolls, c’est encore la meilleure façon de les rabaisser.
Je continue mon tour de salle et tombe cette fois sur un groupe d’investisseurs ayant l’air d’avoir beaucoup de très bonnes idées sur les prochaines productions qu’ils comptent financer. Evidemment, il s’agit toujours du même type de films, avec un héros et sa jolie petite assistante. A gerber. Et alors que je cherchais une bonne excuse pour prendre congé, Rayan arrive à ma rescousse. Un appel téléphonique urgent, voyez-vous donc. Je retiens mon sourire, et m’excuse platement auprès du groupe d’hommes se croyant tout puissant de par leur gros porte monnaie.
Je récupère le portable de Rayan que je porte à mon oreille, telle une actrice de bas étage. « J’ai senti que tu avais besoin d’une sortie de secours. J’ai vu juste ? » Je lui offre un sourire conquis, et lui rends finalement son téléphone, la remerciant de mon regard appuyé. « Cette soirée est tellement guindée… Tu sais ce dont j’ai envie ? D’aller danser. » Danser ? J’arque un sourcil, pas si surprise que ça. « Pourquoi tu me pousses toujours à faire l’école buissonnière dans ce genre de soirée ? » Ce n’est pas la première fois, et j’ai comme l’impression que ce ne sera pas la dernière. Je ris un peu, et lui fais signe de me suivre. Nous récupérons nos affaires à la consigne et quittons l’établissement. Un bon bol d’air frais. « Tu as envie de danser alors… » Je me rapproche d’elle, faisant totalement fi des gens qui nous entourent, fumant une cigarette pour la plupart. Je glisse une main à sa taille jusque dans son dos, plongeant mon regard dans le sien. « Quel genre de danse ? Je doute que nos tenues soient vraiment adaptées… Tu veux qu’on passe par chez moi pour se changer, avant d’aller danser ? » Retrouver un peu l’énergie des premières soirées que nous avons partagées, ça ne nous fera aucun mal, pour sûr.

Je me fonds dans cette masse de gens fortunés, me plie au jeu des apparences, je m’adapte aux codes de ce milieu dont je me sens pourtant très éloignée. J’aime le métier d’actrice pour ce qu’il est, pas pour tout ça, la notoriété à vrai dire je m’en passerai volontiers. Pas que la mienne soit avérée, mais je sens parfois dans certains regards ce truc qui dit “je crois savoir qui vous êtes“. C’est un peu déroutant, amusant aussi, parfois. Ici, c’est autre chose je me sais observée, je suis une nouveauté et certains m’attendent au tournant. J’imagine que là encore Cora n’y est pas pour rien, mais soit, je ferai avec. Et puis il y a Eden, finalement dans ce monde depuis assez peu de temps comparée à d’autres, mais qui a su se faire une place, être reconnue. Ça suscite l’admiration, autant que la convoitise et la jalousie. Mélanger tout cela, et une soirée en apparence sympathique, tourne vite au jeu de rôle. Ce qui tombe plutôt bien me concernant, mais pour la productrice, ce n’est pas si évident. Pas qu’elle n’ai aucun talent pour ça, au contraire, mais les circonstances et enjeux ne sont pas les mêmes. Alors que je trouve le temps un peu long sans elle, je vole à sa rescousse avec l’excuse la plus basique qui soit. Ce sont souvent les meilleures, trop en faire reviendrait à se griller. Je prétexte un appel urgent pour tirer la blonde de l’ennui dans lequel elle semblait avoir été plongé et elle fait le reste en jouant le jeu. Certes, je voulais la “sauver“, mais ma démarche est un peu intéressée. J’aimerais me sauver moi aussi, je crois avoir suffisamment fait bonne figure pour ce soir. Je pensais sincèrement tenir plus longtemps avant de vouloir prendre la poudre d’escampette… Je crois que c’est raté. A vrai dire j’ai une autre envie, je la verbalise à Eden laquelle feint la surprise sans vraiment l’être. Je n’en suis pas à mon coup d’essai quant à la débaucher d’une soirée mondaine. Est-ce que je culpabilise ? Pas le moins du monde. « Parce que tu en as besoin. » répliqué-je pleine d’innocence, du moins ce qui pourrait en rester.
Nos affaires récupérées, nous quittons l’endroit, magnifique au demeurant mais ce n’est pas le sujet. Dehors il y a du monde, cependant rien qui ne freine Eden de se rapprocher de moi, sa main dans mon dos, faisant état de mon vœu d’aller danser. « Oui, j’ai l’impression que ça fait une éternité que je ne suis pas sortie pour simplement m’amuser et profiter. » pas que je sois une grande fêtarde qui sorte tous les soirs, mais j’aime sortir de temps à autre, sans que cela ne soit une sorte d’obligation ou de continuum avec le boulot. « N’importe quelle danse, juste bouger, se laisser porter par la musique. » je ne la quitte pas du regard, mon sourire s’élargit « Etre avec toi… » c’est finalement assez simple. Seul petit détail, nos tenues qui ne sont effectivement pas vraiment adapter pour une sortie où le but est de passer inaperçue, se fondre dans une toute autre masse que celle que nous venons de quitter. « Ce serait mieux, oui. Je dois bien avoir quelques affaires qui trainent chez toi. » un peu plus que ça à vrai dire, même si je vis toujours dans mon appartement, je passe beaucoup de temps chez la productrice et de ce fait m’éparpille un peu.
Après un passage chez Eden pour nous changer, c’est dans un club réputé pour son ambiance et sa piste de danse que nous décidons de poursuivre la soirée. Il y a du monde, sans être bondé au point que ce soit invivable, néanmoins ma main se glisse dans celle de la quadra pour que nous avancions sans nous perdre. La “terre promise“ de la danse n’est plus très loin. Pour rejoindre la piste, nous passons devant le bar « Tu prendras bien un cocktail ? » demandé-je à la blonde avec un sourire en coin, elle va sûrement me dire que je cherche à la faire boire. Inévitablement je repense à cette soirée qui a tout chamboulé, tout remis en question en ébranlant mes certitudes. Je souris en pensant alors au chemin parcouru, et je ne peux pas retenir cet élan qui me fait voler un baiser à Eden « Merci… » elle se demande sans doute pour quoi et je m’en tiens à « …D’être là avec moi ce soir. » alors que je pourrais lui dire tellement plus, mais ce n’est pas le moment. Nous sommes là pour danser, non ?

Rayan me sauve d’une discussion fort peu constructive, et je dois dire qu’elle tombe à pic. Je crois qu’on se connaît assez maintenant pour arriver à se lire sans avoir besoin de mots. Je la remercie sans tarder, et souffle un peu de me sentir débarrassée. Evidemment, je me doutais qu’elle avait une idée derrière la tête. Ce genre de soirée, ce n’est pas son truc, et je peux le concevoir. Il faut s’habituer - bien que parfois, on continue de ne pas aimer ça. J’ai besoin d’être poussée ailleurs que dans mes zones de confort, c’est ce qu’elle semble vouloir dire. Elle n’a pas tout à fait tort, et puis je n’avais aucune envie de m’amuser ce soir dans un endroit pareil. Cet échappatoire avec elle a comme un goût de reviens-y. Rayan m’avoue ressentir le besoin de sortir et s’amuser, juste pour le plaisir de profiter. « N’importe quelle danse, juste bouger, se laisser porter par la musique. Etre avec toi… » Je fonds. Totalement. Comment pourrait-il en être autrement face à ce regard, à ce sourire. Si ça ne tenait qu’à moi, je ne lui aurai pas demandé la permission, et l’aurai kidnappée pour passer le restant de la nuit chez moi, juste avec elle. Ce ne serait pas la première fois, rien de très exceptionnel à ça, mais ça reste quand même un grand plaisir pour moi.
Je sens bien que son envie d’aller danser est importante, et c’est peut-être dans ce genre de moments que je me rends compte de notre différence d’âge. Dix ans ce n’est pas rien, et je dois avouer qu’après ce genre de soirée, j’aurai préféré une tenue décontractée et une fin de soirée plus au calme, lovée dans ses bras, ou elle dans les miens. Mais je ne lui fais pas part de ma réflexion, et décide de lui accorder cette envie. Elle a quelques affaires chez moi, et je ne peinerai pas à trouver quelque chose dans mon dressing qui lui irait à merveille.

Nous ne tardons pas à la maison, et il vaut mieux si je veux garder l’énergie qui m’anime encore. Quarante-six ans, je ne pensais pas entrer à nouveau dans un night club du genre. Il faut bien que je sois amoureuse. « Tu prendras bien un cocktail ? » demande-t-elle avec cet éclat de malice dans le regard. Je hoche la tête en lui souriant, m’approchant d’elle pour glisser à son oreille, puisqu’il serait bien impossible de me faire entendre à une distance plus importante : « N’essaie pas encore de me rendre ivre, tu n’en as plus besoin… » Le sous-entendu fait référence à notre première soirée, lorsqu’elle m’avait invitée dans ce bar à cocktails où je m’étais laissée piéger par les jus de fruits alcoolisés. « Merci… …D’être là avec moi ce soir. » me dit-elle après avoir déposé un baiser furtif sur mes lèvres. Je reste à la regarder un instant peut-être un peu plus long qu’il ne l’aurait fallu, un sourire tendre égayant mon visage. Je l’attire à moi, glisse une main sur sa joue, et viens quérir ses lèvres dans un baiser appuyé, lourd de sens. Comment aurais-je pu refuser son invitation, pire son envie de partager ce genre de moment avec moi. Nous commandons finalement notre cocktail, et trouvons un endroit un peu reculé de la piste de danse, pour le siroter, avant qu’il ne soit temps de se déhancher sur la piste. J’aime cette proximité que nous affichons sans crainte, j’ai eu peur que nous n’y arrivions pas. Le cocktail me monte déjà à la tête, et ça ne me fera pas de mal pour me laisser entraîner sur la piste de danse. Depuis combien d’années je n’ai pas fait ça exactement ? Est-ce je ne vais pas être rouillée ? Rayan m’invite à me lever et je prends sa main, la laissant me guider. Peu à peu, l’alcool m’aide à ne plus me poser trop de question, par rapport à mon âge, le sien, je sais bien que je suis plus vieille que la majeure partie de toutes les personnes qui dansent autour de nous, mais qu’importe. Je suis là avec elle. Pour elle.

Même si ça s’est bien fini, la soirée a été éprouvante malgré tout et j’ai besoin d’évacuer la tension. Sortir, aller danser, juste nous amuser sans prise de tête. Une envie simple dont j’ai pourtant conscience qu’elle représente un effort pour Eden. Parce qu’elle a un emploi du temps chargé, des responsabilités qui la fatiguent et un cœur fragile auquel elle doit faire attention. Je reste toujours attentive à elle, son état, sans la fliquer ou être toujours sur son dos. Mais je suis vigilante, elle m’a fait bien trop peur il y a quelques mois. Ce soir je ne veux pas la pousser dans ses retranchements, la quadra n’est pas non plus une petite chose fragile et elle saura de toute manière me faire comprendre quand elle voudra rentrer. Elle me fait le plaisir de m’accompagner, je lui donnerais celui de partir quand elle l’aura décidé. C’est un bon compromis.
Autant profiter du temps que nous allons passer dans ce club, et la première étape me semble être de prendre un cocktail. Un clin d’œil au début de notre histoire qu’Eden saisit évidemment. Elle me rappelle qu’il est inutile de chercher à l’enivrer, puisque je n’ai désormais plus besoin de ça « En ai-je vraiment eu besoin un jour ? » demandé-je, sourire malicieux aux lèvres et le regard enjôleur. Je n’étais pas si sûre de moi à l’époque, surtout pas la concernant. Elle a chamboulé tant de choses dans ma vie, mais si c’était à refaire, en dépit des difficultés, je le referais sans hésiter. Je la remercie, d’être là, de m’avoir suivie encore une fois dans une de mes petites folies, de sortir des sentiers battus. Ce regard qu’elle pose sur moi, je serais incapable de m’en passer, de même que son sourire et plus encore de ses baisers. Cora et ses menaces sont loin, le monde autour je ne m’en préoccupe pas. Qu’il est bon de se sentir libre et soi-même.
Après avoir siroté le cocktail, c’est la piste de danse que nous rejoignons. Eden me paraît presque un peu hésitante, mais l’alcool est un bon allié pour se désinhiber. Je l’entraine avec moi, l’invitant à se lâcher sans se soucier de rien d’autre que du moment passé ensemble. L’instant présent, le seul dont il est important de profiter. Je m’y applique, laissant le rythme de la musique guider les mouvements de mon corps, alternant des phases de proximités avec celui d’Eden. J’aime danser, j’aime encore plus danser avec elle. Le temps passe, la chaleur monte, rien à voir avec le désir – quoi que – plutôt la foule et le mouvement. « Tu veux sortir prendre un peu l’air ? » proposé-je à la quadra, une petite pause nous feras du bien. A l’extérieur, au bar, je commande deux nouvelles boissons pour nous rafraichir, sans alcool cette fois. « Je suis tes recommandations, rien d’alcoolisé. » dis-je en lui tendant son verre « Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, dis moi quand tu veux rent… » « Rayan ?! » la voix s’élève à ma gauche, un peu en retrait, je crains de l’avoir reconnue et me fige légèrement. «  C’est drôle qu’on se croise ici. Ça fait longtemps. » hilarant, oui. Je me tourne vers mon interlocuteur, mon ex. Je me retiens de lui donner le timing précis depuis lequel nous ne nous sommes pas revus. Très exactement une semaine après qu’il m’ai largué, quand j’ai récupéré mes affaires et quittée l’appartement où nous vivions. « Ouais… Quelle surprise. Un casanier comme toi, ici. » répondis-je, pas franchement enthousiaste malgré mon sourire forcé. Pourquoi je m’inflige ça d’ailleurs ? « On fête un enterrement de vie de garçon. Quand tu es sortie je t’ai tout de suite reconnu. Je te reconnaitrais entre mille, normal en même temps. Ça me fait plaisir, tu as l’air d’aller bien… » ok, il a bu, il est toujours très bavard quand il boit, l’enfer «… Alors tu es actrice maintenant ? » nous y voilà « J’ai vu ton film tu sais. C’était pas mal, pas trop mon style mais c’était sympa. Si j’avais su, hein ? ». Est-ce que je peux disparaître ? Ou juste revenir dix minutes en arrière et ne pas décider de sortir. J’adresse un regard désolé à Eden « Oh pardon de m’incruster comme ça, Andrew. » se présente-t-il en comprenant enfin que je suis accompagnée. « Ton amie et toi voulez-vous joindre à nous ? » je soupire et secoue la tête « Non, merci on va décliner l’invitation. On allait partir. » il semble déçu « Vraiment ? Allez, juste un verre en souvenir du bon vieux temps. Et puis comme ça mes collègues me croiront enfin quand je leur dis qu’on a été ensemble. » il rit, moi j’ai juste envie de lui balancer ma main à travers la gueule. Comment j’ai fait pour être avec ce type ? Qui est-il ? Un sentiment de honte m’envahit et pourtant je ne devrais pas être celle qui se sent mal, c’est lui qui est ridicule. Je serre les dents.

J’ai la sensation d’avoir abandonné toutes mes certitudes, d’avoir accepté une quantité de choses que je n’aurai jamais pu ne serait-ce qu’imaginer il y a encore un an. Rayan me pousse dans mes retranchements, et j’ai l’impression d’être une meilleure version de moi-même depuis que je la connais. Grâce, à elle, en grande partie. Tout ce que je vis à ses côtés m’émerveille un peu plus chaque jour, même si tout n’est pas acquis, bien au contraire. De toute manière, je n’ai jamais aimé les choses trop faciles, et notre relation ne l’est pas. Pour moi, il y a une forme d’évidence, mais ce n’est pas aisé pour autant.
J’accepte de la suivre pour aller danser puisque c’est ce qui lui ferait plaisir. Et j’ai à coeur de lui faire plaisir. Une fois passées par chez moi pour nous changer, nous trouvons une boîte qui m’était encore inconnue, mais que visiblement Rayan avait déjà repérée. Ce n’est plus vraiment de mon âge d’aller traîner dans ce genre d’endroit. Pas que j’ai un souci avec le regard des autres - je m’en suis délestée depuis un certain temps maintenant - mais je ne pense pas avoir assez d’énergie pour sortir en boîte et retourner bosser le lendemain matin. Je suis plus proche de la cinquantaine que de la vingtaine, il faut se faire une raison. Pourtant ce soir avec Rayan, c’est une autre histoire. Avec elle, j’ai souvent la sensation de n’avoir aucun âge. Elle me propose un cocktail et j’aime faire cette référence au passé qui nous a liées. « En ai-je vraiment eu besoin un jour ? » me demande-t-elle avec malice. Elle marque un point, et mon regard se suffit à lui même pour lui offrir la réponse qu’elle mérite. Elle n’en a jamais eu besoin, et elle le sait très bien.
Je ne pense plus à rien, cette suite de soirée est la nôtre, je ne me pose aucune question lorsque je danse contre elle, sur le rythme de la musique. Plus rien n’existe vraiment, ou peut-être que le reste du monde est devenu flou. C’est une sensation grisante que j’accepte avec grand plaisir.
Mais il fait chaud, et le besoin de s’aérer un peu se fait sentir. J’accepte volontiers de prendre l’air lorsque Rayan le propose, et puis je garde dans un coin de ma tête que je dois faire un peu attention à cet organe qui me tient en vie, et qui n’est plus si pimpant qu’il l’a été par le passé. Un cocktail non alcoolisé au passage, la jeune femme ne me pousse pas à prendre des risques. En même temps, ça n’a jamais été le cas, même si je la taquine parfois du contraire.
« Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, dis moi quand tu veux rent… » sa phrase est interrompue par la voix d’un homme, prononçant le prénom de la belle. Il vient dans notre direction et s’adresse directement à Rayan. Je comprends très vite ce qui les a liés. Si au départ j’ai pensé à une simple amitié visiblement fanée, il y a un autre paramètre qui est entré en jeu. L’attitude de Rayan très en retrait me met la puce à l’oreille. Elle n’a aucune envie de discuter avec cet homme avec qui elle a partagé une tranche de vie intime. Pourtant, je fais le choix de ne pas intervenir, ne me mettant pas à l’écart pour autant. J’observe silencieusement, mon verre à la main que je sirote presque comme si je mangeais des pop corn devant un mauvais film. Le jeune homme semble me voir, comme une éclaircie après un passage nuageux. « Oh pardon de m’incruster comme ça, Andrew. » Je hoche la tête et me contente d’un « Enchantée. » même si ce n’est pas tout à fait la vérité, et ne prends pas la peine de lui donner mon prénom. Il n’en a que faire de tout façon, il n’a d’yeux que pour Rayan. Ce qui est compréhensible en un sens. L’invitation est passée, et elle est immédiatement refusée. Je ne peux réprimer un très léger sourire amusé. La dernière phrase du jeune homme me fait halluciner et je soupire même d’exaspération. Quelle lourdeur. « Pas si étonnant qu’ils aient du mal à le croire, personnellement, j’ai aussi quelques difficultés. » Tous les deux me regardent et j’offre un sourire au fameux Andrew. Je ne compte pas me positionner en sauveuse auprès de la jeune femme, elle n’a pas besoin de moi, elle a plus de ressources que nécessaire. Pourtant je suis exspérée par l’attitude de son ex, et je préfère mettre un terme à l’échange avant de devenir désagréable et ternir la fin de notre soirée. « C’est vrai on allait partir. Merci pour l’invitation. Bonne soirée. » Je reste classe et pour une fois, je cherche pas à prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Il y a encore quelques temps, j’aurai fait en sorte de montrer que Rayan était ma propriété, même si elle ne l’est pas. Montrer mon appartenance, notre lien, sans doute par peur qu’elle m’échappe. Mais ce soir, je n’ai pas peur de lui, et je ne joue pas au combat de coq, il a perdu d’avance. Je couvre la jeune femme du regard et fais volte-face pour prendre le chemin du retour. Une fois seules, je lui adresse ma pensée « Tu n’as pas à avoir honte de quoi que ce soit, on est toutes sorties un jour avec un looser. » Un sourire en appui, je la rassure quant à ce qui vient de se produire. Comme on dit, le passé est passé.

C’était trop calme, bien trop calme et je crois que je préfère quand c’est un peu trop plus moins calme. La soirée ne pouvait pas se finir en toute simplicité, sans accrocs, ça ne marche pas comme ça dans notre histoire. A croire que quelqu’un tire les ficelles, écrit tout cela en cherchant sans cesse un petit rebondissement, même minime, un sursaut empêchant une forme de tranquillité de s’installer. Si c’est le cas, regarde ce majeur mental que je t’adresse, je n’avais pas besoin de revoir la tête d’imbécile de mon ex ! Oui, il m’a plu un jour, je l’ai même aimé. J’ai l’impression que c’était une autre vie. Le temps est passé, j’ai changé, beaucoup, bien plus que je ne m’en rendais compte. Voir Andrew face à moi ce soir après plusieurs années sans même l’apercevoir me fait bizarre mais c’est aussi une prise de conscience inattendue sur tout le chemin que j’ai parcouru. Gênée, et même honteuse de l’entendre déblatérer des conneries, je me demande vraiment comment j’ai pu envisager un jour de faire ma vie avec lui. C’était une autre époque, de celle que l’on relate en commençant par “jadis“ pour l’éloigner de soi ou que l’on tait, tout simplement. Affligée par ces mots, je prends seulement la peine de décliner son offre de se joindre à lui et ses amis. Quelle horreur… Et l’aveu de ses intentions derrière cette proposition me donne encore un peu plus la nausée. Jusqu’ici Eden est resté silencieuse, spectatrice de la scène avec un détachement presque étonnant. M’attendais-je à sentir son contact ? A ce qu’elle prenne les devants en affichant notre relation ? Oui, peut-être. Néanmoins je suis contente de son attitude, elle ne vole pas à ma rescousse, le message est passé. Sa patience ayant tout de même des limites, après un soupir elle confirme notre intention de partir, non sans remettre Andrew à sa place. Je hausse les épaules en lui adressant un dernier regard « Bye. » dis-je simplement avant de tourner les talons, revenant à la hauteur de la productrice, alors que nous nous frayons un chemin vers la sortie.
A l’extérieur il est à nouveau plus facile de se faire entendre pourtant je ne dis rien, encore gênée par la scène qui vint de se dérouler. Ou plutôt qu’Eden ai dû assister à cela, faire connaissance avec une partie de mon passée dont j’ai souffert à une époque et dont maintenant je ne suis pas fière. La quadra lit dans mes pensées, ou tout simplement, elle aussi a connu ce sentiment de honte qui n’a pas lieu d’être. Je souris et lui adresse un sourire, la remerciant pour ces quelques mots anodins en apparence mais qui veulent dire beaucoup. « Ouais… Enfin ce looser là j’ai faillit me marier avec. » avoué-je dans un léger rire, peinant à le croire aujourd’hui. « Le voir ce soir m’a fait réaliser à quel point j’ai changé. » et en parlant de changement « Je suis étonnée, tu ne lui ai pas sauté à la gorge. Et tu ne m’as pas sauté dessus non plus. » je lui souris, arquant un sourcil dans un regard complice « Ce n’est pas un reproche, au contraire. ». Je m’arrête et sors mon téléphone pour commander un Uber en quelques secondes. Une fois fait, je regarde à nouveau la blonde « J’ai été très blessée à l’époque, quand il m’a quitté. Mais c’est finalement le meilleur cadeau qu’il m’ai fait. » sans cela, je n’aurais peut-être jamais rencontré Eden. Bien sûr c’était plusieurs années après, mais tout ce concours de circonstances nous a amené ici. « Sinon je ne serais peut-être jamais tombée amoureuse d’une femme plutôt incroyable. » dis-je, venant chercher ses lèvres pour un baiser appuyé, plein de sens et surtout de sincérité.