I'll be gone in the morning ((Miles))

Mains autour du gobelet, qu’il remuait doucement son café en observant les rayons du soleil tapaient sur l’asphalte du trottoir. Il faisait chaud, déjà, les premières chaleurs de l’été faisant rougir les épaules et les nez. Les examens étaient terminés, depuis à peine quelques jours et le temps estival permettait aux étudiants de sortir et de profiter. Pour ceux qui ne travaillaient pas. Eddy porta doucement le carton à ses lèvres, goûtant l’amertume qu’il appréciait tant dans cette boisson. Poser sur la table, son téléphone attendait un message ou un appel. Il l’avait prévenu ce matin, qu’il voulait le voir, pour lui parler. C’était la première fois qu’il lui envoyé un message en premier, n’ayant jamais cherché à le voir en dehors de leurs quelques rencontres. Quelque soit l’emploi du temps de Miles, il allait attendre. C’était important. Il voulait arrêter, mettre fin à ses nuits où les corps s’entrechoquaient pour lui laisser des cicatrices toujours plus profondes dans son organe vital. Même si cela lui retirait son indépendance, il allait devoir vivre sur ses revenus qui n’étaient pas les siens, qu’il allait profiter en quelque sorte de quelqu’un d’autre. Un sourire étira ses lèvres aux songes de cette personne. Il ne lui en voudra pas, c’était sûr. C’était presque s’il n’était pas le premier à lui dire qu’il était prêt à tout encaisser pour lui, à tout faire pour le rendre heureux et à lui offrir un monde stable et sain. Sa vie de débauche prenait fin. Et il allait devoir faire des adieux.

Son violon reposait à côté de lui, épuisé d’avoir subis tous ses concours. Oui mais sans cela, Eddy n’aurait pas pu s’inscrire dans le programme de bourse. Et peut-être réussira-t-il à se faire remarquer pour une nouvelle audition ? Pourquoi pas un orchestre qui veuille bien de lui et de ses talents ? Ou alors un petit groupe, pour quelques enregistrements ? Il était prêt à prendre n’importe quoi. Son corps avait été sacrifié pendant des années, pour payer ses études hors de prix, alors qu’il n’avait qu’espérer réussir. Délicatement, il reposa son gobelet en inspirant. Il était le seul auprès de qui il devait des explications. Tous les autres n’en avaient rien à faire qu’il disparaisse du jour au lendemain sans laisser de traces. Beaucoup ne comprendront pas et penseront qu’il est mort. Car c’était plus fréquent qu’on ne le pensait. Il avait eu de la chance. Beaucoup de chance. Toutes ses rencontres ne s’étaient pas toujours soldés par du gain. Il avait séché des larmes, appris des secrets, gardé des noms, joué des rôles, assumé ou non. Il avait beaucoup découvert sur sa personne et sur l’être humain, qui l’en avait presque dégoûté. Son cœur battait un peu trop fort en songeant à tout ce qu’il avait fait. Il n’avait pas honte. Mais savoir que tout cela sera derrière lui un jour, lui faisait du bien. Il n’avait plus l’impression d’être dans cette spiral sans fin qui le poussait à ne voir que le noir. Il y avait un peu de lumière dans le monde. Qu’il apprenait à apprécier sans la tâcher.

Comme un nouveau sens, il releva la tête au moment où la silhouette de son invité apparue. Pas de sourire, mais il lui fit un mouvement de la main pour lui indiquer qu’il était là. C’était étrange, presque irréel, de le rencontrer ainsi, comme deux personnes civilisées qui n’avaient rien fait ensemble. Toutes les personnes assises à cette terrasse avaient une histoire et possédaient sans doute beaucoup plus de secret qu’eux. Mais ce n’était pas important. Eddy ignorait de quoi était faite la vie de Miles. Tout comme Miles ignorait la sienne. Peut-être sera-t-il surpris de sa résolution. Mais c’était ainsi. Il ne voulait pas le blesser. Mais il se devait de se protéger et de continuer à vivre hors de cette sphère qui l’avait asphyxié pendant autant d’années. Néanmoins, son anxiété remonta doucement en lui, l’obligeant à resserrer de ses doigts sur son gobelet, agrippant son estomac. La furieuse envie de se mordre l’ongle du pouce en attendant qu’il ne s’asseye le saisit. C’était une mauvaise habitude dont il n’arrivait à se passer. Elle en devenait épuisante. Lorsqu’il fut installé, Eddy tenta un sourire.

« How are you ? lui demanda-t-il, sans doute pour la première fois de toutes leurs rencontres. Sorry, I didn't know what you'd like, so I didn't order for you. »

Essayait-il de faire durer le moment pour éviter de faire face à sa propre décision ? Un peu oui. Parce qu’il avait la gorge nouée et l’esprit embué. C’était comme lorsqu’il avait quitté l’orphelinat à dix-huit ans. Il en avait été soulagé, mais une petite douleur s’était insinuée en lui. Après tout, il avait vécu presque toute sa vie dedans, sans attendre qu’une famille ne veuille bien de lui. Et maintenant, il faisait la même. Mais au lieu de ne le devoir à une institution, il devait regarder quelqu’un dans les yeux. Cela semblait beaucoup plus difficile encore. Il était pourtant résolu. Aujourd’hui, il allait dire à Miles qu’ils ne pourront plus se revoir. Quelque soit leur relation – simple rencontre ou pointe sentimentale – c’était terminé. Aujourd’hui.

La casquette noire mise à revers envoyait le mot Gucci derrière lui. Par style, mais par cette envie subtile de passé inaperçu. Le chapeau avait vu de meilleur jour ce faisant vieux. Son noir n'était plus aussi profond, une égratignure la distinguait de ses jumelles. C'était son accessoire préféré et il s'était permis de l'apporter comme réconfort. Le reste était général, débardeur blanc sur skinny jeans délavé. Rien de marque, rien qui attirait l'attention. S'il y avait un jour où il ne voulait pas être reconnu, c'était aujourd'hui. Il se cachait derrière des Ray Ban rondes et ses pas étaient agités. L'idée d'être en compagnie en plein jour, publiquement, ne faisait pas son affaire. Les textos cryptés l'avaient toutefois convaincu que ce n'était pas leur rendez-vous normal. Au moins, le café n'était pas près d'Hollywood, près de son travail. Bien sûr, tout ce qui troublait son esprit était la raison de cette rencontre en plein jour. Il n'était pas désillusionné au point de penser que l'autre désirait plus que leur habituel arrangement. Même s'il y avait eu quelques moments de confusion par le passé, même s'il l'avait utilisé pour plus que sa chair tendre, Eddy n'avait jamais cessé d'être professionnel. Malheureusement. Il savait donc que ça ne pouvait être positif puisque tout de positif se produisait dans le calme de ses quatre murs à son appartement.

Il n'était pas de bonne humeur. Tel un adolescent qui savait une dispute approcher, il s'accrochait à une aura menaçante. L'attaque était la meilleure défense. Il refusait de saigner de mots tranchants. Il refusait de se montrer faible. Il ne pouvait être que froid, de marbre. Un soupire agressif contre un passant qui ne regardait pas où il allait manquant de lui rentrer dedans et un excuse you un peu sec, puis il entra finalement au café. Ne remarquant pas les cheveux pâles à l'intérieur, il s'engagea sur la terrasse, le ventre retourné, la tension tordant ses tripes, ses mains moites. Tant mieux que les verres fumés cachaient son regard lorsqu'il le vit relever la tête. Fuck. Il fut atteint en plein coeur. Son visage, ses yeux, provoquaient un changement en lui. Leurs soirées passées ensemble avaient fini par le conditionner. Le voir était un réconfort, une promesse de douceur, un goût sucré à ses lèvres. Sauf qu'ils n'étaient ni chez l'un ni chez l'autre. Retenir ces réflexes qui voulaient l'effleurer durcit la pierre froide et c'est à contre-coeur qu'il le rejoint.

- Hey. Good, you ? c'était dit plus par politesse que par sincérité.

Juste cet échange était ongle sur tableau. Ce n'était pas eux. Ils n'avaient jamais passé par ces trop simples paroles qui ne voulaient rien dire. C'était dur à avaler. Heureusement, Eddy lui donna une excuse pour repousser le sujet important d'aujourd'hui. Faisant une moue pour signifier que ce n'était pas grave, il se releva alors qu'il s'était assis à peine vingt secondes. No worries, gimme two minutes, lança-t-il en quittant la table, car il aurait probablement pu demander à un serveur, mais il préféra prendre un moment pour s'éclipser allant à l'intérieur pour commander. Et aussitôt qu'il fut en ligne, il se traita d'idiot. L'anxiété le rendait intenable. Ce n'était pas le meilleur moyen d'avoir l'air calme. Maintenant, il était certain qu'Eddy remarquerait son attitude, s'il ne l'avait pas lu dès son arrivée. Cette situation anormale n'était juste pas agréable. Il arriva sans mal pourtant à agir normalement avec l'employée qui prépara sa boisson froide au matcha. Il lui offrit un sourire charmeur, histoire de se souvenir de son pouvoir avant de rejoindre celui sur qui ses beaux yeux ne fonctionneraient pas. Enfin, il se débarassa de ses lunettes une fois assit, mais n'osa regarder l'autre trop longtemps. Il passa une main dans ses cheveux, replaça sa casquette.

- So, that's weird of you. To meet me here. I highly doubt that this is a date, so what is it ? You're breaking up with me ?

En mode défensif, d'horribles paroles avaient presque glisser au travers de ses dents, mais il s'était retenu, pour l'instant. Il mordait sa langue et contrôlait au mieux son agressivité dormante. Il se satisfaisa d'une blague qui n'en était clairement pas une et d'un sourire qui ne rejoingnit pas ses yeux.

L’air sec était devenu compact à l’arrivée de Miles. Les grains de sable roulaient dans la gorge d’Eddy alors qu’il essayait de paraître détaché de tout. Il savait ce qu’il avait à lui dire ; ce n’était même pas un discours long et complexe, rempli d’apostrophe et de guillemets. Il voulait aller droit au but, pilant net dans la course qu’ils avaient menée jusque là. D’un hochement de tête, il lui indiqua qu’il allait bien. Il était heureux. Il se sentait léger. Mais la chape de plomb dans son ventre lui rappelait qu’il n’était pas aussi libre que cela. Un fil doré s’étira entre eux, alors même que Miles allait chercher de quoi boire de son côté. Des plaques vertes et noires s'enroulaient autour du fil, éclipsant les étincelles du soleil. Cela ne datait pas d’hier, ni même d’aujourd’hui. Du tout début jusqu’à aujourd’hui, ils n’avaient pas été fait pour être ensembles ou même continuer dans le secret des nuits bruyantes de Los Angeles. Ils n’allaient jamais aboutir. Et maintenant qu’il avait une chance de se sortir de la misère, Eddy n’allait pas se priver. Même s’il abandonnait une âme en peine dans son ascension.

Ses pensées furent coupées par le retour de Miles. Eddy releva les yeux vers lui, le regardant alors qu’il s’installait tranquillement. A bien y réfléchir, l’homme devant lui n’aurait jamais dû le rencontrer. De tout ce qu’avait vu le violoniste, ils n’étaient pas du même monde, ne dormant pas sur la même somme d’argent chaque soir. Ils ne mangeaient pas les mêmes repas, ne discutaient pas des mêmes sujets. Ils ne naviguaient pas dans les mêmes sphères. Impossible de se croiser, si ce n’est par la pulsion première d’un individu en manque. Apportant son café à ses lèvres, Eddy retenait encore de quelques secondes sa réponse, qu’il savait déplaisante à entendre. Si l’atmosphère de cet après-midi au soleil pouvait être légère pour certains, elle était de glace autour d’eux. La nervosité de l’un, l'expectative de l’autre. Le gobelet émit un léger bruit en revenant sur la table. Les lèvres pincées en une fine ligne, Eddy ne le regardait pas dans les yeux. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser de lui, il n’était pas courageux. Il avait agis toute sa vie dans le but de s’en sortir, trébuchant dans le noir pour faire les mauvaises décisions. Ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Un de plus. Il commençait à avoir du mal à les supporter. Il en avait marre.

« Kinda, répondit-il enfin. I’ll quit my job. I am not a prostitute anymore. So yeah… It’s a break up. Even if we weren’t a thing at first. »

Au bout de la deuxième phrase. L’information était sortie, alimentant sa propre langue qui ne s’était pas arrêtée. Il aurait pu rebondir à sa blague d’une autre manière, ne pas écorcher une plaie déjà à vif. Il ne savait pas si Miles allait bien, ou mal le prendre. Il ne savait pas s’il allait lui faire une scène ou non. Il n’en savait rien. Mais ce qui était dit, était dit. Pas de retour en arrière, juste de nouveaux pas en avant. Ses ongles grattèrent contre l’autocollant sur son gobelet, traçant plusieurs traits parallèles, qui effritaient le carton.

« Listen, I-... I know I’m just a passerby in your life and you probably don’t understand why I am telling you that. I just thought that… Telling you was a fair game. »

De tous ceux qu’il avait fréquenté, de tous ceux qui avaient porté leurs mains sur lui, Miles était le seul qui aurait réagi à sa disparition. Ou alors, Eddy s’inventait une vie, où il trouvait dans un décor de papier qu’un individu ayant usé de ses services puisse lui porter de l’attention. Si ce n’était pas pour son égo, il voulait croire que l’humanité n’était pas voué à sa perte. Ses pupilles rencontrèrent enfin celles de son vis-à-vis. Il ne sut quoi y voir, tant ses propres émotions le submergeaient. Peut-être que Miles allait l’envoyer balader, lui dire qu’il était fou de croire à l’utilité de ses paroles. Peut-être que la douleur du pansement passait plus rapidement lorsqu’on ignorait qu’elle existait. Ce n’était pas un conte de fée ; ils n’allaient pas soudainement se rendre compte que toute cette histoire n’était que le début d’un nouveau monde. Ils sont ancrés l’un en l’autre. Eddy l’a écouté, même si ce n’était pas son travail et qu’il avait essayé de s’en séparer le plus possible. Mais sa part humaine, celle survivante à sa descente infernale, n’avait pu se résoudre à ne pas le lui dire. Si l’on supprimait tout leur contexte respectif, ils n’en restaient que deux naufragés. Ou, en tout cas, cela faisait parti de l’histoire imaginée d’un artiste inspiré.

Cette affreuse pause. Son sourire aussi faux que son faible entrain se fânèrent disparaissant derrière sa propre boisson fraîche. Les glaçons frissonnèrent contre le plastique. Ils retenaient leur souffle. C'était étrange comment il savait ce qui allait suivre. Peut-être était-ce un pouvoir magique qu'il découvrait ou il savait livre l'aura des gens ou il connaissait Eddy juste assez, juste assez, bien pour savoir. La demande de le rencontrer dans un café avait été de mauvais présage et cette pause qui s'éternisait chuchotait en avance l'écho de ses mots. Kinda. Not kinda. Être devin n'avait pas aidé. La blessure s'était ouverte, béante et inconfortable. Entendre le mot interdit n'écorcha pas même ses oreilles. La peur que quelqu'un capte l'échange suite à ce mot si assourdissant ne l'effleura pas. Il n'y avait qu'une peine qu'il ne pouvait ignorer et une confusion qui s'y agrippait, car pourquoi était-il si atteint ? Objectivement, il n'avait que payé un service et aujourd'hui on déchirait le contract. Il devrait pouvoir passer par-dessus sauf que. Sa deuxième phrase rendu le reste pire et réanima un sourire à ses lèvres. Ce n'était pas de la joie, ce n'était pas positif. Peut-être était-ce le vaut mieux en rire qu'en pleurer. Et au lieu de répondre, il ramena son matcha latté à ses lèvres baignant dans un nouveau silence inconfortable.

La colère grondait dans son ventre. Il l'a savait injuste. Eddy avait trouvé une manière de se soutenir sans devoir vendre son corps. Ce n'était que bonne nouvelle. Il devrait être content pour cet être auquel il s'était attaché. Mais il ne pouvait le féliciter. Il s'était cru différent des autres. Il s'était cru spécial. La preuve était qu'ils étaient là à avoir cette conversation face à face au lieu de recevoir un texto trop court. Il n'était qu'un autre client au fond. Est-ce qu'Eddy l'enfermait dans la même catégorie de ces hommes désespérés, assoiffés, irrespectueux, dégoûtants ? Était-ce tout ce qu'il était ? L'avait-il regardé deux secondes ?

- Is it a.. game you're playing just because I'm not out ? Is all of that because I can't say that I see you to the world ? Do you want me to say that I care, maybe ?

Because I do. La colère tordait toutefois ce fait en une blague cruelle. Il ne pouvait le laisser savoir la réalité. Celle qui l'horrifiait à l'idée de ne plus le revoir du tout. Celle où il était seul au monde sans personne pour le comprendre, sans personne pour l'écouter. Wow, c'était pathétique. La seule personne devant laquelle il se sentait confortable d'être lui-même était un prostitué qu'il payait. Qu'est-ce que ça voulait dire de lui ? Rien de bon. C'était une couche d'humiliation qui s'ajouta au reste. Cette réalisation étira son sourire en un bref rire.

- So that's it. You don't need my money so you're ditching me. So nice of you. Here I thought that maybe... No, see, because you asked me to meet you here so you could tell me when it could have been a text. Do I get special treatment or you did this with the others ? Was this all fake ? You never cared ?

Ça aussi, c'était injuste, ses paroles. Il retournait sa souffrance contre Eddy brandissant des mots tranchants. Si le blond quittait plus blessé que lui peut-être aurait-il gagné. S'il faisait plus mal qu'il n'avait mal, peut-être pourrait-il garder la tête haute. Et pourtant, alors qu'il pensait à de nouvelle manière d'attaquer sans pitié, il repassait la dernière année sous son crâne cherchant où il avait gaffer. L'avait-il maltraité ? Avait-il imaginé ces moments en suspens, presque tendres, non définitivement tendres ? Qu'aurait-il dû faire différemment ? Avait-il pu faire différemment ? A-t-il prit trop longtemps à briser ces rôles de client et prostitué ? Et s'il l'avait invité à sortir, serait-il dans la même situation ? Laissé derrière ? Fuck, il aurait dû l'invité à sortir... C'était sa faute. Il avait pris pour acquis.

- Guess it's better that way, you were getting sloppy, qu'il marmonna.

Son estomac se vida aussitôt que les mots avaient traversés sa bouche, mais il ne perda pas la face. Il regretta. Il aurait voulu reculer la scène de quelques secondes à peine juste pour retenir sa haine de se déverser. Il venait de gaffer pour vrai, pour de bon. Sauf qu'il était trop fier pour s'excuser. Il venait de creuser sa tombe, comme un grand. Bravo.

Une tempête de neige balaya la chaleur de Los Angeles. Il ressentait le givre grimpait sur sa peau, recouvrant chaque particule, chaque cellule, exposé à la morsure. Eddy le savait depuis le début : cela n’allait pas se régler facilement. Ses mots, épines de glace, lui écorchaient le visage. Pourtant, il ne bougea pas, restant aussi impassible que possible devant la dureté de son langage. Ne comprenait-il pas ? Ne comprenait-il pas qu’il le considérait bien plus que ses autres clients ? Ne le ressentait-il pas ? Il l’écouta néanmoins, le laissant déverser sur sa tête le saut de glaçons qu’il possédait en lui. Eddy ne portait pas son nom de famille pour rien. Si Miles voulait se montrer désagréable, surtout alors que ce si beau soleil annonçait une canicule prochaine, le Snow se fera un plaisir de lui montrer comment l’hiver mord réellement. Il sentait que derrière toute cette scène, il y avait une incision qui le rendait agressif. Miles était comme un tigre blessé. Il agressait pour ne pas montrer sa faiblesse. Eddy n’était pas mieux. Il se coupait du monde pour se faire oublier et ainsi ne pas souffrir. On ne ressent rien lorsqu’on ne tient à personne.

Pourtant, sa dernière phrase changea tout. Elle n’avait été que chuchoter. Mais toute l’attitude d’Eddy se transforma. Il redressa son dos, ses yeux d’ordinaire immense, se rétrécirent pour devenir aussi coupants que des poignards. Il lâcha son gobelet, soutenant enfin le regard de l’autre. Il pencha alors la tête sur le côté, étirant sa bouche dans un sourire empreint de moquerie. Him ? Getting sloppy ? Il aurait pu l’insulter de pute, ou n’importe quoi d’autre. Mais critiquer ses performances, alors qu’il était celui qui en redemandait, c’était l’hôpital qui se foutait de la charité.

« Oh really ? Me ? Sloppy ? Telling by the guy who keeps on calling me, sometimes twice a week ? Telling by the guy who can’t stop moaning my name while pounding me ? Who pulls my hair when I suck him dry ? »

Il décroisa les jambes, s’adossant à son siège en le fixant dans les yeux. Ils avaient dépassé les bornes. Autant l’un que l’autre. La violence ne fait que créer de la violence. Tout son corps était en feu, bouillonnant de lui envoyer dans la figure l’énormité de son égo, pour qu’il se rende compte d’à quel point son discours n’était que bégaiement d’un enfant en manque d’attention. If you wanted love, you shouldn’t have called me. Asshole. Son expression ne s’adoucit pas alors qu’il reprit, l’empêchant de répondre.

« I don’t fucking care that you’re out or not, I don’t fucking care if you stay in the closet or try to be a fucking man, grow some balls, and tell that you fuck guys. But don’t say that I use you for money. You used me, my body, while your rich ass was giving me the bare minimum to survive. Now, I can live and make my dream come true. Not that you care of course. Only my ass was getting your attention. Too bad, mine’s flatte af. »

Sa voix ne portait pas sur la terrasse. Elle restait cantonnée à eux-deux. Il n’était pas un connard complet. Il n’allait pas out Miles devant une foule. Même si l’envie le démangeait, faisant tressauter son système nerveux qui ne demandait que plus encore. Une boule acide enfla dans son estomac au fur et à mesure qu’il déversait son propre venin. Eddy n’était pas de ceux qui avaient peur de frapper lorsque le besoin s’en faisait ressentir. Il savait se défendre et prendre ses décisions. Et il n’allait pas perdre la face devant un crétin qui se prenait pour le roi du monde.

« You’re right ! You’re the only one I text for a meeting. You know why ? Because you were the only one who fucking cares about me ! Or so I thought… (Il ravala ses crocs de serpent.) And I listened to you, during your darkest nights. I was here. Nothing was fake. You should be happy for me, no ? No more injuries, no more fear of STI. But no. Here I thought you were special… Guess you’re like everyone else... »

De la déception transperçait dans sa voix, troublant les harmonies de ses cordes vocales. Il se baissa alors, saisissant la poignée de son étui à violon pour se lever. Il n’avait plus à faire ici. Ecouter encore quelques secondes de plus une désillusion ne lui donnait aucune envie. Il glissa une des lanières sur son épaule, prenant son café dans l’autre main. Et alors qu’il aurait dû être libéré, il n’arrivait pas à détacher le froid qui lui collait à la peau.

Sa plus grande erreur ne passa pas inaperçue évidemment. Ses mots avaient quittés sa bouche assoiffés de sang et bien que leur ton avait voulu réduire leur dommage, ils n'avaient été que destructeurs. Si Eddy l'avait écouté se révolter sans histoire, la fameuse phrase eu bon de l'armer en retour. Tel un pistolet chargé, ses dents grincèrent des attaques qui voulurent le remettre à sa place et elles s'y appliquèrent avec succès. Non, il ne le montra pas une seconde comme il cachait sa peine depuis le début. Son visage se durcit haineusement face aux descriptions crues de leurs moments passés. Il n'aurait pensé qu'il irait jusque là, d'utiliser son besoin de l'avoir avec lui contre lui. Quoi il ne pouvait pas le critiquer sur ses performances sans avoir à couper les ponts ? C'était son droit, non ? Ça ne voulait pas dire qu'il ne voulait pas de lui. Le dos contre sa chaise, bras croisé pour ne pas frapper la table, il ouvrit la bouche pour rétorquer, mais Eddy continua et ne voulant pas attirer l'attention d'inconnus, il ne tenta pas de parler par-dessus lui. Son genou ne fit que tressauter alors qu'il se prenait tout à la figure. Le pire était que l'autre avait raison. Il n'avait pas imaginer ce que c'était que de vivre sa vie, à la dure et il ne pouvait imaginer les horreurs qu'il avait vécu. Dans sa tête, il n'y avait que leurs moments partagés qui étaient respectables et agréables, il n'y avait pas ceux des pires clients. Eddy avait passé par l'enfer pour enfin respirer et il lui arrachait les ailes égoïstement, sans pitié, lui ordonnant de rester où il a toujours été, sous son pied. Il utilisa le mot "rêve" et Miles se surpris à ignorer ce dont il était question. Il n'en avait au-cune i-dée. Ça lui retourna l'estomac. Mais ce n'était pas sa faute. Eddy avait eu tout le temps du monde pour lui parler de ce qui le passionnait. Il n'avait pas à lui demander lui-même et lui tirer les vers du nez, non ? Non ?

Et le pire était à venir. Pire que sa colère était cette tristesse qu'il échappait au travers de ses crocs, cette déception qui pincerait le plus horrible des salauds. Ce n'est qu'à ce moment qu'il comprit qu'il avait ruiné quelque chose qui aurait pu être spécial. S'il n'avait pas été agressif et qu'il l'avait félicité comme il le méritait, ça aurait compté aux yeux d'Eddy. Si pour une fois, il n'avait pas tourné la conversation autour de lui et qu'il avait écouté, il s'en aurait peut-être sorti avec un ami qu'il aurait pu revoir. He was a failure. Big time. Et pourtant..

- You done ?

Ce furent ses derniers mots. Épineux, secs, tranchants. Ce furent les derniers mots qu'il prononça à Eddy avant qu'il ne l'abandonne. K.O., 1-0 pour le blond.

Continuer leur dispute l'aurait gardé encore un moment et il aurait tout fait pour qu'il reste. Il l'aurait insulté davantage, il aurait argumenté jusqu'à ce qu'il n'ait plus de voix, juste pour qu'il reste. Sauf qu'il ne le désirait pas au point de se lever et s'élancer à sa suite. Faux. Il le voulait, mais son égo était trop grand et l'enchaînait à sa chaise. Ça lui était trop désagréable de s'imaginer partir à la course pour le rattraper. Et il lui dirait quoi ? Désolé ? Non. Il ne pouvait revenir sur ses mots, il était trop tard pour ça. C'était trop tard. Un rire dégoûté s'expulsa de ses lèvres avant que ses dents n'attaquent sa bouche. En rire n'était pas assez. Il bouillait de rage. Il voulait frapper quelque chose ou quelqu'un, crier, mais surtout.. il voulait pleurer. De colère ou de douleur ? Qui sait.

Dans un moment de lucidité, il repensa à son père. Il ne comprit pas pourquoi dans la seconde, mais réalisant la ressemblance, il eut dû mal à s'empêcher de s'effondrer. Tel père tel fils, hein ? Wow, il venait de commettre un meurtre, sa propre âme. Il se revoyait parler d'acting class, tout fier de savoir ce qu'il voulait faire de sa vie pour être massacré par la déception et la colère du géant. Il se souvenait de l'atroce peine qui l'avait poussé à quitter le pays pour passer du temps avec sa mère qui l'avait à son tour utilisé. Et il venait d'agir avec Eddy comme s'il n'avait jamais été dans cette position. Sans le savoir, il venait d'entretenir une chaîne vicieuse de la famille Lee.


Assit dans son humble salon, lover sur le sofa, jambes étendues sur la table basse, ses yeux dansaient sur les mots du script. Concentré, perdu dans ses pensées, il visualisait chaque scène avec précision et si l'incertitude le prenait, il répétait au travers de différentes options jusqu'à qu'une fasse l'affaire. Sa bouche mimait les dialogues, ses sourcils se fronçaient et s'haussaient alors que sa main libre s'agitait en l'air presque aussi expressive que ses traits. Comme à son habitude, il ignorait la femme de ménage qui travaillait, non par vanité, mais bien parce qu'ils préféraient tout deux le silence. Il ne la considéra que lorsqu'elle repassa au salon déposant un petit objet sur la table, prête à quitter. Ce n'était rien d'important pour elle. Miles ramena ses pieds au sol et vint prendre la bague en argent entre ses doigts l'étudiant un instant, surpris.

- What's this ? qu'il demanda vers Isabelle.

Elle se retourna et observa le bijou comme si elle avait été sur le pilote automatique depuis son arrivée, puis haussa les épaules. Après un instant de réflexion, elle expliqua avoir trouvé l'objet derrière la table de nuit. Il allait lui informer que la bague ne lui appartenait pas lorsqu'il se figea ses yeux revenant sur l'anneau. It's his, of course, qu'il pensa, le coeur lourd. Il remercia donc la femme qui quitta.

Le silence complet de son appartement lui sembla soudainement plus lourd. Il le sentait sur ses épaules, sur son dos, l'étouffant. Bien sûr qu'il avait pensé rectifier la situation. Il devait avoir fixé l'écran de son cellulaire vingt fois au cours de la semaine débatant entre l'appeler ou supprimer son numéro. Il n'avait eu le courage de faire ni un ni l'autre. Il ne croyait pas avoir droit à une seconde chance, mais il n'était pas prêt de faire son deuil. Et le revoilà dans cette position. Peut-être était-ce un signe. Sauf qu'il ignorait s'il serait capable de survivre à un refus. Et s'il l'avait bloqué ? Il ne pourrait l'avaler. Mais d'un autre côté, il était certain de s'en vouloir s'il n'essayait pas. Maintenant, il ne lui restait que de trouver la force de faire le premier pas. Il enfila la bague à son annulaire et joua distraitement en la tournant à son doigt. Il devrait l'appeler de vive voix, il savait que c'était la chose à faire, mais plus il y pensait, plus ça lui semblait impossible. Alors il se contenta d'un texto.

Hey, I know it's been a while...

Non.

If you have nothing to do today...

Nope.

I'm sorry, come back. Please?

Certainement pas. Sa gorge relâcha un grave soupire désespéré et il cru ne jamais y arriver. Sauf qu'il ne voulait pas abandonner. Si leur lien devait être tranché, ça ne sera pas par lui. Il devait faire l'effort. Alors, il fit de son mieux et envoya "Hey, I understand if you wouldn't want to talk to me again. Just gonna let you know that the cleaning lady found something of yours. I'll be home all day if you want it back." Send. Et lorsqu'il pensa poser son portable, ses pouces se remirent à écrire et c'est avec une grimace qu'il texta ensuite "I want to apologize too, if you'd let me." incertain si c'était la bonne approche.

Il lança son cellulaire à son côté comme s'il était devenu de la lave en éruption. Il était pétrifié à savoir si Eddy lui pardonnerait ou s'il lui laisserait même la chance de s'excuser. Au moins, il en aurait le coeur net. Il tenta de se distraire, de retourner à son étude de script, mais ses yeux glissaient constamment sur l'appareil. Il ne reçu aucune réponse en retour pendant des heures et cru enfin que le silence était en soit la réponse qu'il ne voulait pas. Plus le temps avança, plus la tristesse l'enveloppa au point où il abandonna. Il n'aurait pas de deuxième chance, ça lui apprendra. Même que lorsqu'on frappa à sa porte, il ne pensa pas plus loin et lâcha:

- Come in, un peu las croyant recevoir Yeong Ho ou Jinyeong.

Pourtant, ce fut Eddy qui entra le faisant sursauter. Complètement abasourdi une seconde, il baissa les yeux s'en voulant de ne pas être venu lui ouvrir la porte. Alors il se leva pour venir à sa rencontre.

- Sorry, I didn't think you would come.. Do you want something to drink, maybe coffee ? Or... hum, maybe you don't want to stay. 

Cela aurait été trop cliché. Si Miles l’avait suivi, s’il l’avait retenu. Eddy l’aurait frappé. Pour leur bien à tous les deux, ce n’était pas arrivé. Lorsque le violoniste avait mis les pieds hors de la terrasse, il avait pris une inspiration, quittant petit à petit la colère qui avait contrôlé ses dernières paroles. Il n’était pas aussi émotif d’ordinaire. Bien au contraire. Comme une bougie éteinte, soufflée leur de sa première relation, il avait l’habitude de jouer l’apathie. Seulement, comme aujourd’hui, la coupelle contenant sa patience avait cédé, libérant des mots qui n’existaient que dans ses réflexions. Les yeux encore ombrageux, il se décida à retourner à l’appartement d’Alan. Il ne savait pas comment il allait camoufler son visage, si même il avait à le faire. Il ne pouvait pas lui dire la vérité. Autant pour la protection de la sexualité de Miles que pour son amour propre personnel. Pour une soirée, ce n’était pas si difficile. Et ce n’est pas comme s’il lui devait quelque chose. Enfin… Pas pour ses relations. Pour le moment.


« Do you want coffee ? »

Eddy appuya sur le distributeur de boisson chaude du conservatoire, attendant devant avec Shinji à ses côtés. Ils venaient de sortir d’une répétition pour la représentation de fin d’année ; deux heures assis sur une chaise à refaire, encore et toujours, les mêmes parties de morceaux. Eddy se moquait du japonais, lui disant que le piano était l’instrument le plus facile dans un orchestre. Et, malheureusement, il était difficile d’argumenter avec un violoniste. Son café prêt, le jeune homme le récupéra. Du bout des lèvres, il souffla la pellicule de mousse, découvrant la couleur marron d’un café de machine. Ce n’était pas avec un plaisir de grand goûteur qu’il but, mais plutôt celui d’un étudiant en manque de stimulant. La journée passait avec une lenteur désastreuse. L’horloge de la salle d’entraînement les narguait en plus, vu qu’elle était cassée et arrêtée à minuit vingt-trois. Personne n’avait eu l’envie de changer les piles. Ce n’était sûrement pas le Snow qui allait la faire fonctionner.

Son café dans la main à l’entrée de la pièce, il ne pouvait pas passer, devant terminer son gobelet avant de traverser l’océan d’instruments qui jonchaient le sol ou les sièges. Son téléphone vibra. Tendant la main pour le prendre dans sa poche, son ami lui indiqua soudainement que la cheffe d’orchestre revenait, les obligeant à revenir à leur place. Avec la rapidité d’un éclair, il termina son café avant de sautiller entre les places pour aller s’asseoir à la sienne. Shinji se trouvait à deux chaises de lui, assis derrière son piano, attendant les consignes. Archet et violon dans les mains, Eddy fit de même. Sans préambule, la répétition reprit L’empêchant de voir qui lui avait envoyé un message et pourquoi.

Le bruit des pieds de chaise raclant le sol sonna la fin du travail d’aujourd’hui. Avec habitude, Eddy rangea son instrument, son ami l’attendant, n’ayant rien à faire de son côté. Ce n’est pas comme s’il se trimballait avec son instrument sur le dos. Les deux jeunes hommes quittèrent l’établissement quelques minutes plus tard. Eddy put enfin sortir son téléphone. Son cœur rata un battement. Pas d’excitation. Mais de surprise. Il avait supprimé son contact de sa liste. Ainsi, le numéro lui était inconnu. Seulement, il ne savait que trop à qui ces paroles pouvaient appartenir. Il n’y avait qu’un seul individu qui lui devait des excuses. Seulement, la première partie du message l’intrigua. Something of me ? Avait-il jamais perdu quelque chose chez lui ? Eddy était plutôt fort pour égarer ses affaires. Cela ne devait pas l’étonner.

« Hey, Shin. Can you.. Can you go home by yourself ? demanda-t-il au pianiste. I need to take care of something like… right now. »

C’était fréquent qu’il le raccompagne, ne voulant pas le laisser marcher seul jusqu’à chez lui pour certaines circonstances. Mais aujourd’hui, l’autre devra faire sans. Pas qu’il en soit incapable - il est adulte tout de même - c’était seulement rare. Pourtant, cela ne sembla pas le déranger. Ainsi, ils se séparèrent. Sans prendre la peine de répondre, il fit le chemin menant à l’appartement de Miles. Il s’en souvenait encore. Évidemment, il garda ses affaires. Il avait eu une journée chargée, et d’après l’heure d’envoie du message, il avait fait poireauté le Lee pendant quelques heures. Dans les transports, il tenta de deviner ce qu’il avait bien pu laisser chez Miles. Il avait perdu plusieurs bracelets lors de ses aventures. Une chaussure une fois. Il avait aussi oublié un collant. Oh, et cette bague ! Et puis, son choker aussi. Des lunettes de soleil. Plus il y réfléchissait, plus cela devenait improbable. Était-ce un plan pour le voir ? Non… Miles ne ferait jamais ça. Ou peut-être que si ?

Trop tard pourtant, il était arrivé. Cela ne remontait pas à si longtemps que ça. Alors il ne prit pas longtemps à se retrouver devant la bonne porte. Oh douce agonie, quand tu empoignes le cœur. Il se souvenait de beaucoup de choses. Maintenant reléguées au passé. Si Miles avait été celui à faire le premier pas, Eddy devait clôturer la marche. Le rideau n’était pas tombé la dernière fois. Au contraire, un goût de mélodie interrompue avait flotté dans l’air. Eddy toqua. Une voix lasse lui répondit. Il entra. Rien n’avait changé. Tout était rutilant, venant d’être nettoyé. Et Miles, toujours splendide, même dans le plus simple apparat. Eddy avait cette chance de connaître des beautés renversantes. Seulement, elles n’étaient pas toujours bienfaitrices. Les mains sur les sangles de son étui, il l’écouta.

« I’d rather not stay, approuva-t-il. But… A  cup of coffee won’t hurt, I guess. »

A son habitude, il se montrait à l’aise, feintant une indifférence, alors qu’il savait très bien qu’il n’était pas à sa place ici. Délicatement, il retira son étui de son dos, le déposant sur la tranche contre un mur. Il ne comptait pas s’attarder. Après tout, même en restant une journée entière assis, il aurait voulu pouvoir se reposer, relâcher la pression de ses muscles. Un confort que cet endroit ne lui offrait pas. Les bras croisés, il se rapprocha alors de lui, les lèvres pincées, se préparant à parler. La communication n’avait jamais été compliquée entre eux. Enfin… Les quelques mots qu’ils échangeaient s'écoulaient fluidement. Ils n’avaient jamais discuté de choses importantes.

« So hum… Can you give me what I forgot here, please ? »

Son ton trahissait l’empressement. Plus il pourra partir rapidement, moins il aura à subir les craquellements de sa conscience. Si Miles s’excusait, pour de vrai, que fera-t-il ? Comment réagira-t-il ? Maybe it wasn’t a good idea to come here. Il aurait dû ramener Shinji. Et ne pas se faire séduire par une tasse de café. Il devrait s’enfuir, remonter le temps, ne pas arriver devant cette porte. Seulement… Quoi ? Que voulait-il faire en venant le voir ainsi ? Régler leur problème ? Retrouver Miles une dernière fois ? S’imaginer que tout n’était pas perdu était plus naïf encore qu’un rêve. La désillusion habituelle qu’il aurait espéré ne pas subir ici. Car peut-être qu’ils ne se reverront plus jamais.

Le regarder était aussi dur que l'éviter. Son visage, ses yeux surtout, c'était toujours ses yeux, le menaçaient d'une mort lente et souffrante, car les voir pour la dernière fois le tuerait. Comment un être pouvait offrir réconfort et douleur par sa simple présence ? Eddy lui était venu dans les pires nuits et lui avait donner son corps pour y noyer ses peines, sa bouche se trouvant être le parfait baume pour ses blessures. Cependant, suite à leur dernière rencontre, leur relation avait changé à jamais. Entendre son nom, sentir son parfum, imaginer sa peau sous ses doigts, aujourd'hui ne lui apportait aucune joie. C'était regret et torture. Toute comme sa réponse à ses devinettes. Il avait voulu le voir et quelque part, il avait imaginer qu'il voudrait autant que lui réparer les pots cassés. Son empressement de fuir les lieux lui soufflait le contraire. Alors il s'attacha aux minces espoirs au goût de café. S'il acceptait, c'était qu'il avait une chance de se racheter. Un hochement de tête et il s'engagea dans la cuisine non loin, ouverte, pour préparer la cafétière.

Un si court silence, si inconfortable. Il ignorait comment il pouvait commencer ses excuses. Ce n'était pas une habitude. Il n'avait que très peu de pratique en ce genre de situation. Son père ne s'excusait jamais. Sa mère le faisait d'une manière qui sonnait toujours faux. Et lui... Il l'avait déjà fait.. right ? Il devait. Pas avec son frère, car ils se disputaient jusqu'à se détester, puis un ou l'autre invitait à sortir, jusqu'à ce que Rehan ne le contact plus. Avec Jin, ils en arrivaient rarement aux arguments et utilisaient la blague pour alléger toute attaque personnelle. C'était difficile à croire. Eddy était sans doute la première personne à qui il voulait s'excuser sincèrement.

- Yeah, I..., qu'il commença en presque murmure, mais sa voix fut couverte par celle de l'autre.

Il se sentit un peu maladroit, un peu embarrassé, mais il apprécia avoir une excuse pour passer rapidement par-dessus. La bague. Il se redressa et réfléchit un instant à où il l'avait laissé.

- Right.

La machine à café en marche, Miles quitta la cuisine pour retourner au salon cherchant le bijou sur la table, mais il n'y avait que son script. Sur le sofa, que son cellulaire. Confus, il regarda à nouveau et bougea même quelques coussins décoratifs, sans succès.

- I swear it was here.

Il en suait presque. Et si Eddy commençait à croire qu'il mentait ? Pour être honnête, cela ne serait pas surprenant de lui, c'était le pire. C'était si facile à penser de lui, car cette bague avait été en effet utilisé pour l'attirer ici. Mais elle existait cette bague ! Il ne l'avait pas inventé de toute pièce. Il prenait trop de temps à la trouver. Il se senti forcé de s'expliquer. Il se tourna vers le blond.

- It's a ring. The cleaning lady found it. It's not mine. I know it's yours. It was the one...

Et ses yeux se posent sur sa main. Wow, super embarassing. Énervé contre lui-même, déprimé du ridicule de la situation, il soupire. Il n'aurait pas pu la laisser sur la table, bien sûr. Il fallait se montrer sentimental. Fucking idiot. Et un nouveau problème s'ensuit. Il n'arrive pas à la retirer. That's some bullshit. Il tire sur l'anneau, mais sa jointure ne laisse rien passer. Y avait-il une limite à l'embarras ? Il l'atteignait sans doute à peu près dans l'instant.

- I'll make your coffee and I'll try to take it off with soap.

Les yeux baissés, retour à la cuisine. Il ignorait comment, mais il se souvenait de comment il prennait son café. La tasse prête, il l'a déposa sur le comptoir avant de se tourner vers l'évier. Eau tiède, savon à vaisselle sur sa main, il essayait à nouveau, mais plus les secondes passaient, plus il s'énervait. C'était peut-être cette peine qui montrait le bout de son nez à nouveau se camouflant en colère. Il s'en voulait de ne pas savoir quoi dire. Il détestait que même s'il trouvait le courage de dire ce qu'il voulait, Eddy pouvait l'abandonner et refuser de lui pardonner. C'était ce qui le bloquait. Pouvait-il se montrer vulnérable sans promesse de récompense pour ses efforts ? Se détesterait-il dix fois plus s'il arrivait à s'ouvrir pour être jeter quand même ? Pourquoi est-ce que cette bague ne voulait pas BOUGER ? Il grimaça s'arrachant presque le doigt et il se retint de frapper le mur. Au lieu, il mit sa mission sur pause et soupira profondément déposant les coudes sur le comptoir, ses mains mollement entrecroisées.

- I hate this. I'm sure you do too. You probably don't want to be here and I get that. I shouldn't have asked you to come.

Et pourtant, il était venu. Il aurait pu refuser.

- I don't know what to say to you. No, I know, I just...

Il pouvait y arriver. Simplement commencer par ces trois petits mots serait assez pour déballer le reste. Il pouvait le faire. I..

- Why is it so fucking hard.

Ok, c'était assez de l'enfantillage. Un, deux, trois, go. Il s'arma de courage et il quitta la cuisine pour rejoindre Eddy lui faisant officiellement face, peine et tout. Non, il n'arrivait pas à le regarder trop longtemps.

- Look, I acted like a fucking asshole, I know. I said things.. I didn't mean it. I was horrible and I hurt you. And I'm... sorry. I'm sorry. But you just... I knew, alright. I didn't know-know, but I had an idea of why you wanted to meet. I was already angry so when you told me, I exploded. I don't know why, okay, and I know it's stupid, but I thought that you were... always gonna be here for me. Which I know, now that I hear it, how selfish it is.

La colère s'estompait, absorbée par la tristesse qui gonflait en lui. Il ne savait pas comment lui dire qu'il avait besoin de lui sans avoir l'air d'un possessif égoïste. Il n'avait pas les mots. Maintenant, ses yeux s'embuaient et sa gorge se serrait. Et voilà que son faux sourire faisait une apparence.

- You know what the worst thing is ? I'm scared of losing you, 'cuz you're the only one that truly knows me. The closest I let anyone to me.. is a whore. And you were right. I never asked you about what you like, about your passions. You are the most important person to me.. and I never asked. It's fucked up.

Il soupira lourdement. Ses yeux se levèrent enfin dans les siens.

- I'm sorry. I am. You deserved a congratulation. I should have said that I was happy for you and that I was relieved that you were not gonna be in danger ever again. I should have said so much more..

Il se détestait d’agir ainsi. D’être aussi tranchant dans ses paroles, trahissant son envie de fuir, ne lui allait pas. Mais il savait que la discussion assise et calme ne lui irait pas. Pas après ce que Miles lui avait dit. Il avait encaissé ses coups, lui rendant chaque attaque par une autre. Ce n’est pas ainsi que l’on règle les problèmes. Mais ils étaient trop fiers, l’un et l’autre, pour céder. Ses bras se resserrent autour de son torse, appelant à la protection plus qu’à l’offensive. Il observa Miles démarrer le café, avant de le voir remuer toute la pièce, à la recherche de ce qu’il avait laissé ici. Eddy ne doutait pas de lui, sachant très bien qu’il était plus que capable d’avoir oublié quelque chose ici, surtout si c’était petit et détachable. Il tenta de l’appeler pour le faire arrêter ; ils verront plus tard. Seulement ses yeux tombèrent en même temps que lui sur la bague à son doigt. Oh ! Oh… Eddy releva avec le regard vers lui, essayant de capter le sien. Mais il le fuyait, préférant tirer sur l’anneau comme un fou. Cela lui brisait le cœur. Voir Miles ainsi, à cause de lui, était encore plus terrible que toutes les fois où il avait dû sécher ses larmes. Car c’était de sa faute. Et uniquement de la sienne.

Gardant le silence, il l’observa à côté de l’évier. Ce qu’il aurait donné pour le rejoindre, glisser sa main sur son dos, lui dire que ce n’était pas grave. Sauf que c’était grave. Et il ne devait plus le toucher ainsi. Eddy comprenait les limites et resta silencieux. Le forcer, prendre une décision qui n’était pas la sienne, ce n’était pas sa place. Alors il ne fit que rester ici, son café dans les mains, intouché. Les mots lui manquaient à lui aussi. Ils se devaient de terminer leur conversation, de mettre un point d’arrêt à cette situation qui les emprisonnait tous les deux. Ils avaient tous les deux besoin de ce pivot pour avancer et ne pas rester coincés. Devant lui, Miles ressemblait à un adolescent qui ne savait pas comment exprimer ses sentiments. Eddy aurait voulu lui toucher la joue, le rassurer de prendre son temps. Mais il en éprouvait aussi du rejet. Ce n’était plus son travail, Miles était presque un inconnu ; il ne lui devait plus rien. Ses sentiments, mêmes factices, avaient existé. Mais comme tout ce qui est construit sur des pierres bancales, ils s’effondraient.

« You fucked up, yeah. » résuma Eddy en soupirant, déposant sa tasse de café sur la table.

Rien ne lui avait échappé. Les yeux brillants, la voix vibrante, les bégaiements. Jamais le Lee n’avait agi ainsi avec lui. Il semblait désespérément sincère et cela touchait Eddy. Néanmoins, il ne pouvait lui dire le contraire et le laisser filer comme ça. Miles avait été un petit con avec lui sur cette terrasse et n’avait pas pensé une seule fois à la portée qu’auraient ses mots. Ses mains enfin libres, Eddy se gratta légèrement le front, réfléchissant à comment il pouvait bien lui répondre. Ce déboire de sentiments, c’était nouveau pour lui. Peu d’individus avait un jour été aussi ouvert à lui, sans but ou sans que cela devienne un devoir d’Eddy à la personne.

« I won’t say it’s okay, because it’s not, obviously, continua-t-il. You appreciated people with some toxic aspects that you need to fix, for sure. And I can’t be good for you with that. I sure believe that you care about me, that you need me with you or something. But Miles… a whore, like you said, is just a whore. You had treated me like one for our entire relationship. How could I know that you'll be this possessive over me when I ask for my freedom ? You gotta see it : I wasn’t going to meet you until your late seventies.... »

Délicatement, il posa la main sur l’un de ses bras, le regardant dans les yeux. Evidemment, tout cela, Miles le savait déjà. Mais Eddy, et son cœur qui ne pouvait laisser traîner une âme perdue alors qu’il en était une aussi, sentait qu’il n’avait pas exprimer l'entièreté de sa pensée. Il sentait à quel point c'était dûr pour Miles. Comme perdre un individu que l’on vient de rencontrer et avec qui l’on a déjà créé trop de liens. Seulement, un inconnu sans son nom est facilement oublié. Un amant, beaucoup moins. Il allait faire une bêtise. Il allait dire une connerie.

« But it doesn’t mean we’re completely over, you and I… You’re still important to me too. Otherwise I wouldn’t be here. And it’s not even about the ring. It’s about us. I… I wanted to tell you, because leaving you without a word would have been rude and inappropriate. I appreciate you Miles. Even if you’re a dickhead sometimes. »

Sa dernière phrase fut prononcée avec un sourire sincère, non moqueur, mais tendre. Personne n’était parfait. Eddy le premier. Ses yeux dans les siens n’étaient plus empreints des flammes de la terrasse. Il s’agissait plutôt d’une pluie tombant contre les vitres, leurs larmes s’écoulant dans ses iris comme sur le verre. Leur histoire aurait pu être désastreuse. Et ce n’était pas ce qu’il leur fallait. Tous les deux avaient besoin de calme et de paix. Et même si Eddy l’apportait à Miles, ce n’était pas une bonne façon de le faire. Peut-être pourra-t-il le faire sous une autre forme ? Comme de l’amitié. Et si la douleur est trop forte, alors ils se sépareront. La vie avait vraiment un drôle d’humour lorsqu’elle arrivait au chapitre des relations humaines. Eddy relâcha le bras de Miles, perdant légèrement son sourire. Lui-même se rendait compte qu’il allait sans doute en souffrir. Mais peut-être que cela leur fera du bien. A little bit of pain… to get over it. Malgré tout, il ne reviendra pas sur sa décision.

« Can we hug ? demanda-t-il avec précaution. I feel like we both need one. »

Il n’avait plus de passe-droit, où il pouvait toucher Miles comme bon lui semblait, sachant pertinnement que tout lui plairait. Ce temps-là était révolu, définitivement effacé à la minute où Eddy lui avait demandé de le retrouver à la terrasse de ce café. Une page était sur le point d’être tournée, renversée pour laisser place à quelque chose de nouveau. Où Eddy n’apparaîtra peut-être pas dans l’univers de Miles. Et inversement.