les pieds sur terre (falloane #15)

Sans vraiment s’en rendre compte, le temps file à toute vitesse. Hier encore, on était en train de fêter le passage à la nouvelle année. Enfin non.. mais c’est l’impression que j’ai. Peut-être parce que ce qu’il s’est passé ce soir-là était magique. Ce fut une renaissance, une seconde chance pour Fallon et moi. Depuis ce soir-là, il n’y a plus de disputes : les choses se sont apaisées entre nous, bien qu’elles restent encore un peu compliquées. Nous ne nous fuyons plus, mais nous fuyons une discussion et c’est pourtant ce dont nous avons besoin. Nous nous sommes retrouvées, mais le problème initial reste là : nous ne sommes plus vraiment sur la même longueur d’onde. Continuer d’avancer ainsi, c’est prendre le risque de souffrir encore plus plus tard. Mais il est bien là le problème. J’aime Fallon, je n’ai pas envie que tout s’arrête entre nous. Cependant, est-ce que je serais prête, plus tard, à mettre mes envies de côté ? Mes envies de mariage, mes envies de grande maison, mes envies d’enfants. Est-ce qu’il existe vraiment un bon moment pour parler de tout cela ? Je ne pense pas, alors depuis presque quatre mois maintenant, je repousse les choses. Qui sait, peut-être que ce soir sera le bon soir. Enfin, quand elle sera rentrée, car pour l’instant je suis la seule à l’appartement. Rien d’inquiétant encore, elle travaillait aujourd’hui. D’ailleurs, voilà que la porte s’ouvre. Un sourire se dessine alors sur mes lèvres. « Tu rentres tard. Il y avait du monde à l’institut ? » Parfois, elle peut avoir de longues journées, le tout en restant debout, je ne voudrais pas être à sa place. Néanmoins, la jeune femme aime son métier et elle y est plutôt douée. « En t’attendant, j’ai préparé des petites bricoles pour un apéritif. Si tu as faim bien sûr. » Il n’y a rien à fêter, mais passer un peu de temps comme ça, en tête-à-tête, ça ne fait jamais de mal. Installée sur le canapé jusque là, je me lève pour aller chercher deux verres et la boisson qui va avec. Le reste est déjà sur la table basse du salon. « Qu’est-ce qu’on va faire de la troisième chambre maintenant que Wylona est partie ? » Cet appartement est trop grand pour nous. Si on considère le fait que nous nous retrouvons parfois dans la même, nous pourrions louer deux chambres. Ou alors, si l’on souhaite rester à deux, la meilleure option reste de trouver un autre appartement. Si c’est en ville, Fallon ne se braquera peut-être pas, pas comme l’avait évoqué au Nouvel An.

Les semaines défilent à une vitesse folle, et je ne vois pas le temps passer. Quand on est jeune, on a qu'une envie ; grandir et pouvoir avoir une vie d'adulte. Mais finalement, les années passent et on finit par regretter l'innocence que nous pouvions avoir enfant. Les vacances qui vont avec le rythme scolaire aussi d'ailleurs. Parce qu'après, c'est plus la même histoire. Entre Jihane et moi, les choses se passent beaucoup mieux depuis le Nouvel An. Nous nous sommes plus ou moins redonné une seconde chance. Ou une troisième ? Je ne sais même plus où on en est dans le comptage exactement. En même temps, ça dépend si nous comptons depuis le tout début de notre amitié. Quoi qu'il en soit, les choses sont redevenues plus naturelles entre nous et ça fait du bien. Même si en réalité nous n'avons jamais réellement évoqué le sujet. Peut-être parce que je sais inconsciemment que le véritable problème est toujours là. Nous avons toujours été différentes l'une de l'autre. Et si nos différences arrivent souvent à se compléter, il y a des sujets où ça finira forcément par poser problème. Je le sais très bien. C'est exactement les raisons qui m'avaient poussé à prendre mes distances après l'histoire du baiser avec Rain. Mes doutes avaient pris le dessus sur mes sentiments. Et malgré tout l'amour que je peux lui porter, est-ce que ça sera réellement suffisant ? Seul l'avenir nous le dire. En attendant, j'ai décidé de ne pas trop me prendre la tête et de vivre au jour le jour. Jusqu'à ce que la discussion revienne sur le tapis par la force des choses. Parce que je sais que ça sera forcément le cas un jour ou l'autre. Ce soir peut-être même ? C'est la question que je me pose lorsque je rejoins notre appartement pour la retrouver. « Tu rentres tard. Il y avait du monde à l’institut ? » Je viens naturellement déposer un baiser au coin de ses lèvres avant de prendre le temps de poser mes affaires. « C'est la folie en ce moment, à croire qu'ils se sont tous donné le mot. » Nous sommes en plein dans une période de rush à l'institut. Et les absences de certaines de mes collègues n'arrangent rien. « En t’attendant, j’ai préparé des petites bricoles pour un apéritif. Si tu as faim bien sûr. » Un large sourire vient alors étirer mes lèvres. C'est exactement ce dont j'avais besoin. « C'est exactement pour ça que je t'aime. » Ajoutais-je en riant un peu. Pas que pour ça évidemment mais c'était tentant. Jihane s'éclipse pour aller nous chercher deux verres alors que je m'installe dans le canapé. « Qu’est-ce qu’on va faire de la troisième chambre maintenant que Wylona est partie ? » C'est vrai que ça fait déjà un petit moment qu'elle est partie maintenant et que sa chambre est vide. Nous n'avons même pas eu le temps d'en parler. « C'est vrai que ça fait un peu vide sans elle. » Ou l'appartement est un peu trop grand aussi maintenant ? Dans tous les cas, le loyer n'a pas diminué pour autant et forcément sur la longue, ça va coincer. « Tu veux qu'on mette une annonce ? » Pour trouver une nouvelle colocatrice - ou colocataire d'ailleurs. Sur le coup, c'est la première idée qui me passe par la tête. Je ne pense pas forcément à d'autres options possibles, même si de toute évidence il doit bien y en avoir.

Même si nous avons deux boulots parfois prenants, la plupart du temps, voire même toujours, nous sommes sûres de rentrer chez nous le soir. Passer du temps avec Fallon, qui plus est pour un moment de détente, je prends. Je prends chaque soir qu’elle est prête à m’offrir, quitte à devoir attendre qu’elle s’occupe de ces autres personnes. « C'est la folie en ce moment, à croire qu'ils se sont tous donné le mot. » Est-ce que je peux blâmer toutes ces personnes qui souhaitent prendre du temps pour elles ? Non. J’ai été à leur place et quand Fallon me le propose, je ne me fais pas prier pour me laisser aller à ses massages. Après une telle journée, elle a besoin de se reposer et de se détendre. Pour cela, quoi de mieux que se poser dans le canapé et siroter un verre avec quelques apéritifs ? « C'est exactement pour ça que je t'aime. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je m’absente quelques secondes pour récupérer nos boissons. À mon retour, j’évoque le départ de Wylona et questionne ma petite amie sur l’avenir de notre appartement. Bien que parfait, il est devenu trop grand pour nous. Trop grand et trop cher. « C'est vrai que ça fait un peu vide sans elle. » Elle avait un boulot prenant, alors bien souvent, on passait nos soirées en tête-à-tête. Ça ne changerait donc pas grand-chose, mais ça serait tout de même différent. « Tu veux qu'on mette une annonce ? » C’est l’une des options possibles, mais ce n’est pas la seule. « On peut faire ça, oui. » Je laisse volontairement un silence s’installer entre nous, lui laissant ainsi la possibilité de proposer autre chose. Mais rien. « Ou on pourrait trouver un autre appartement. Quelque chose de plus petit. Juste pour nous. » Ce n’est pas la grande maison qui l’effrayait tant au Nouvel An, cependant, ça reste un certain engagement. Pour nous, ça pourrait être un début, un renouveau pour laisser une vraie chance à notre relation. « Depuis que nous sommes ensemble, nous avons franchi une étape en terme de pudeur. Ça serait cruel d’imposer cela à une autre personne. » Il n’est pas rare que l’on se promène en sous-vêtements ou encore moins vêtues que cela, en fonction de la personne avec qui on tomberait, cela pourrait causer des problèmes. Ça pourrait faire partie des questions avant de faire un choix, c’est vrai. Mais là, à être pessimiste de la sorte, je me dis que peut-être, l’avis de Fallon finira par pencher du même côté que le mien. « Enfin.. c’est comme tu veux. » Même si ça me ferait plaisir de passer ce cap avec la blonde, je n’ai pas envie de la forcer à faire quelque chose qu’elle ne veut pas vraiment. Surtout après ce qu’il est arrivé entre nous. « Je comprends que vivre seule avec moi, avec un tel corps, de telles capacités en cuisine, un tel humour, ça t’effraie. » Assez vite, je commence à utiliser l’humour pour faire passer ma proposition. Je ne veux pas lui plomber le moral après sa longue journée, je ne veux pas la faire fuir. « Depuis le début tu ne veux pas vivre avec moi, je devrais me faire à l’idée. » Bien sûr, au début de notre colocation, ce n’était pas pour les mêmes raisons. On se détestait ou du moins, on essayait d’y croire et forcément, nous avons été désagréables l’une avec l’autre. Cette haine s’est transformée en passion avant de devenir de l’amour.

Le départ de Wylona n'a pas changé grand chose ici. Enfin, pour nous. Puisque nous naviguons toujours d'une chambre à l'autre selon nos humeurs. Soit dans celle de Jihane, soit dans la mienne. Mais effectivement l'appartement commence à être un peu grand. Disons qu'une seule chambre pourrait théoriquement nous suffire. En terme de couchage en tout cas. Parce que pour nos affaires, c'est une autre histoire. Mais je n'ai jamais vraiment réfléchi à une autre option. Avant que Jihane décide d'aborder le sujet en tout cas. Il faudrait sans doute que nous pensions à chercher un nouveau colocataire. « On peut faire ça, oui. » Quoi d'autre ? Je hoche un peu la tête pour acquiescer. « Ou on pourrait trouver un autre appartement. Quelque chose de plus petit. Juste pour nous. » Ah. « Juste toutes les deux ? » C'est vrai que je n'avais pas pensé à cette option là. Et étrangement ça me fait bizarre. Peut-être parce que ça sonne un peu comme un engagement. D'où l'effet de surprise qui se dessine sur mon visage que je n'arrive pas franchement à dissimuler. « Depuis que nous sommes ensemble, nous avons franchi une étape en terme de pudeur. Ça serait cruel d’imposer cela à une autre personne. » Sur ce point-là, c'est vrai qu'elle n'a pas tord. Nous avons inconsciemment pris certaines libertés depuis quelques temps. Surtout depuis que Wylona n'est plus là d'ailleurs. En même temps, c'est plus simple aussi. « Enfin.. c’est comme tu veux. » Je reste sur le coup un peu muette, sans trop savoir comment aborder la chose. Je sais que ce n'est rien d'exceptionnel en soit, puisque nous vivons ensemble depuis le début, mais quand même. Chercher un appartement toutes les deux, emménager véritablement ensemble comme un couple et non plus comme des colocataires, c'est différent. Et on sait à quel point ce genre de pas en avant peut me faire peur. « Je comprends que vivre seule avec moi, avec un tel corps, de telles capacités en cuisine, un tel humour, ça t’effraie. » Jihane essaye de contourner sa proposition en jouant la carte de l'humour mais je la connais. Je sais pertinemment que mon silence est en train de la rendre mal à l'aise. « Depuis le début tu ne veux pas vivre avec moi, je devrais me faire à l’idée. » A la base ce n'était pas pour les mêmes raisons. Et pourtant, voilà où nous en sommes aujourd'hui. Qui l'aurait cru ? Pas moi en tout cas, ça, c'est certain. « C'est vrai que tant de perfection me fait un peu peur. » Je mêle légèrement mon rire au sien. « Non mais c'est pas ça... » Alors quoi d'autre ? Bien sur que si, c'est ça. Enfin pour le fait d'avoir peur. L'engagement n'est pas quelque chose d'évident pour moi. « C'est juste que... je sais pas... en réalité je n'y avais pas du tout pensé. » Pourtant, ça ne change rien en soit puisque nous vivons déjà ensemble. C'est juste pour le fait d'officialiser vraiment les choses quoi. « Mais je n'ai pas forcément envie de brûler les étapes. » Ok, c'est complètement ridicule. « Et puis rien que le fait de penser au déménagement, faire les cartons, tout ça, ça me déprime d'avance. » Suis-je vraiment en train de chercher des excuses aussi débiles que ça ? « On est bien là non ? » Je sais que notre équilibre de couple est déjà fragile, alors pourquoi tenter de risquer de tout foutre en l'air pour des conneries ? Bon je ne suis pas certaine qu'on soit du même avis sur le sujet... et en même temps, je ne veux pas qu'une histoire d'appartement vienne semer le trouble entre nous. « T'as vraiment envie de devoir me supporter H24 toute seule ? » Je déguise ma question sur le ton de l'humour à mon tour, même si c'est une question vraiment sérieuse. Parce que si elle en a vraiment envie, si c'est ce qu'elle veut vraiment pour nous, alors ça reste à voir. On peut peut-être arriver à négocier.

On pourrait croire que ma proposition sort de nulle part et pourtant, elle est mûrement réfléchie. Sûrement un peu aidée par les discussions que l'on a pu avoir au Nouvel An avec nos amis communs. « Juste toutes les deux ? » Je connais Fallon et sa peur de s'engager et pourtant, ses mots, bien que non surprenants, me blessent un peu. Est-ce si surprenant que cette idée m'est traversé l'esprit ? Ou bien même, que cela arrivera un jour ? J'ai bien peur que cette conversation me fasse plus de mal que de bien, alors comme pour me protéger, je décide d'utiliser un peu d'humour. « C'est vrai que tant de perfection me fait un peu peur. Non mais c'est pas ça... » Je l'écoute, attentive à tout ce qu'elle pourrait dire. Si elle a besoin d'être rassurée, je suis là. Si elle a besoin de réponses, j'en ai des dizaines à lui donner. « C'est juste que... je sais pas... en réalité je n'y avais pas du tout pensé. » Il n'y a rien qui m'étonne là-dedans, de nous deux, je suis celle qui est la plus à même de proposer ce genre de choses. « Mais je n'ai pas forcément envie de brûler les étapes. » Brûler les étapes ? Ça pique un peu. Pour moi, nous sommes exactement à cette étape. Mais si ce n'est pas ce qu'elle pense, alors où en sommes-nous ? « Et puis rien que le fait de penser au déménagement, faire les cartons, tout ça, ça me déprime d'avance. » Ça ressemble plus à une excuse qu'à autre chose selon moi, mais je me garde bien de le dire, inutile de mettre de l'huile sur le feu. « On est bien là non ? » Je hoche machinalement la tête, avant de venir boire une gorgée de mon verre. Pourquoi est-ce que j'ai amené nos verres ici si vite ? J'aurais bien eu besoin d'une échappatoire dans la cuisine à ce moment précis. « T'as vraiment envie de devoir me supporter H24 toute seule ? » « Tu penses que je te proposerais cela sinon ? Je suis un peu sadique sur les bords, je sais, mais j'ai mes limites. » Un emménagement à deux, je sais ce que ça implique. Ce n'est pas comme si ce serait la première fois pour moi : j'ai vécu avec Jonah. « C'est comme tu veux, je propose juste. » De toutes manières, je ne peux pas la forcer, alors si elle n'est pas partante pour cela, alors nous attendrons. « On pourrait choisir un appartement à notre image, avec une chambre supplémentaire si jamais tu ne veux pas dormir avec moi. » Ou bien pour accueillir quelqu'un d'autre plus tard, un enfant par exemple. Mais je ne vais pas parler de cela tout de suite, sinon je risque de la perdre. Enfin non, ce n'est pas une éventualité, c'est une certitude. « Tu penses que nous n'y arriverons pas ? » Que notre couple n'y survivra pas ? Après des mois de relations, des hauts et des bas, il serait peut-être temps de prendre une décision si c'est cela. Et dans ce cas, ce n'est pas une annonce pour la colocation qu'il faut mettre, mais trouver deux appartements distincts. « On a connu des jours plus heureux, c'est vrai, mais n'est-ce pas le bon moment justement pour repartir de zéro ? » C'est un sujet sensible pour elle, l'engagement, alors je pourrais m'arrêter là et passer à autre chose. Mais cette idée d'appartement ne quittera pas mon esprit aussi facilement, alors autant mettre les choses à plat maintenant. Ainsi, on connaîtra toutes les deux nos avis sur la question.

Depuis le Nouvel An, c'est vrai que notre couple va mieux. Nous avons décidé de se redonner une chance, même si le fond de nos problèmes n'a jamais vraiment été résolu. Parce que nous avons soigneusement évité les sujets fâcheux. Je ne m'attendais donc pas forcément à ce que Jihane veuille officiellement emménager avec moi. Voilà pourquoi je suis un peu surprise par sa demande. Mais c'est dans la logique des choses. Et à vrai dire nous habitons déjà ensemble, même s'il s'agit à la base d'une colocation à trois. Le problème, c'est moi et mes démons qui ne sont jamais loin. « Tu penses que je te proposerais cela sinon ? Je suis un peu sadique sur les bords, je sais, mais j'ai mes limites. » Sait-on jamais. « C'est comme tu veux, je propose juste. » Je ne me suis jamais engagée avec quelqu'un comme j'ai pu le faire avec elle. Ne serait-ce que pour la première et simple étape de se mettre en couple. C'est nouveau pour moi, et c'est quelque chose qui me terrifie bien plus qu'il est possible d'imaginer. J'ai toujours eu peur de l'attachement. Mais je sais aussi que sans Jihane, je ne serai pas la personne que je suis aujourd'hui. C'est grâce à elle que j'ai pu évoluer, mûrir et devenir la meilleure version de moi-même. Je reste convaincue que c'est elle et pas un(e) autre. Alors pourquoi continuer à avoir peur ? « On pourrait choisir un appartement à notre image, avec une chambre supplémentaire si jamais tu ne veux pas dormir avec moi. » « Ou toi d'ailleurs. » Ajoutais-je en rigolant. « Une chambre supplémentaire sera toujours mieux que le canapé ou la baignoire. » Je vais dans son sens, pour la taquiner, mais loin de moi l'idée de penser déjà au fait qu'on puisse se disputer et faire chambre à part. Pas sûre que ça soit la meilleure optique pour prendre un appartement ensemble si on en est là. Mais une chambre supplémentaire est à mon avis indispensable pour faire une chambre d'amis ou simplement un dressing pour réussir à caser toutes nos affaires. Est-ce que je suis doucement en train de me projeter là ? Ok, peut-être un peu. « Tu penses que nous n'y arriverons pas ? On a connu des jours plus heureux, c'est vrai, mais n'est-ce pas le bon moment justement pour repartir de zéro ? » Elle a surement raison. Si nous avons décidé de se remettre ensemble, c'est justement pour essayer de repartir plus ou moins de zéro. « Oui, c'est vrai. » Je viens mêler mes doigts aux siens pour répondre à sa question initiale. « Tu sais bien que ce n'est pas de nous que je doute... » Ça n'a jamais été le cas, même lorsque nous avons fait une pause toutes les deux. C'est surtout de moi qu'il s'agit. Je me connais et je n'ai pas envie de lui faire du mal, encore. « Je ne pourrais pas me le pardonner si je venais à tout foutre en l'air. » Mais ça va, on en est pas à l'étape du mariage non plus. « Mais si tu veux, on commencera à regarder un peu les annonces. » Si on ne trouve pas la perle rare tout de suite, c'est pas très grave en soit. On est pas pressées non plus, c'est pas comme si nous étions à la rue. « Tant que tu ne me proposes pas d'adopter un chien, ça devrait être gérable. » Je dis ça pour rigoler sans avoir aucune autre arrière pensée. J'aurais très bien pu l'attaquer sur le mariage par exemple mais on va peut-être éviter. Là encore, nous n'avons toutes les deux pas les mêmes opinions sur le sujet. Mais le visage de Jihane se décompose un peu à ce moment-là. « Quoi ? C'était prévu ? » Je n'étais pas sérieuse en disant ça. Surtout que ça ne me dérangerait absolument pas d'avoir un animal à la maison. C'était juste pour imager la prochaine étape de notre "engagement". Et c'est la première chose qui me soit naturellement venue en tête.

Je dois y aller doucement, pas à pas et c'est bien pour ça que j'essaye d'amener ma proposition différemment, en lui montrant d'abord les bons côtés de ce déménagement. Surtout qu'au final, ça ne changerait pas grand-chose à notre quotidien. « Ou toi d'ailleurs. » Ou moi, c'est vrai. Mais là, à ce moment précis, je ne suis pas celle qui a peur de franchir cette épreuve. Je ne cherche aucune échappatoire. « Une chambre supplémentaire sera toujours mieux que le canapé ou la baignoire. » Elle a raison. Et puis même sans parler de faire chambre à part, ça serait dommage de nous porter la poisse, avoir une chambre supplémentaire est un vrai plus. Que ce soit pour y mettre un lit, pour en faire un dressing ou pour plus tard, qui sait, accueillir un enfant. Je sais bien que là-dessus, nous sommes aussi en désaccord, mais volontairement, je décide de ne pas lancer ce sujet : un sujet du discorde par jour, c'est déjà bien. Pour faire pencher la balance de mon côté, je décide de lui parler du nouveau départ. Celui qu'on mérite d'avoir suite à notre break. « Oui, c'est vrai. » Je misais tout sur cet argument et heureusement pour moi, il est reçu à sa juste valeur. La blonde vient doucement entremêler ses doigts avec les miens pour accompagner ses mots. « Tu sais bien que ce n'est pas de nous que je doute... » J'ai bien envie de la croire et pourtant, c'est difficile. Si ce n'est pas nous, c'est quoi alors ? Sa peur de s'engager ? Indirectement, c'est lié à nous. On en revient toujours au même point. Ses angoisses et ses craintes ont un impact sur notre couple, qu'elle le veuille ou non. « Je ne pourrais pas me le pardonner si je venais à tout foutre en l'air. » Je ne laisserais pas cela arriver et si jamais on en arrivait là, alors elle ne serait pas la seule responsable. « Mais si tu veux, on commencera à regarder un peu les annonces. » Un fin sourire se dessine sur mes lèvres, fière d'avoir réussi à la faire changer d'avis. Comme une enfant de quatre ans qui reçoit le cadeau qu'elle attend depuis des mois, je pourrais sauter sur place, d'excitation. Je me penche légèrement vers elle et lui vole un baiser. « Tant que tu ne me proposes pas d'adopter un chien, ça devrait être gérable. » J'aurais dû m'y attendre, j'aurais dû voir cela arriver. Parler d'emménager ensemble, ça allait forcément soulever d'autres choses. Je ne pensais pas vraiment à un animal de compagnie, mais à en voir sa réaction, je suppose que pour le reste, il ne faut même pas espérer. « Quoi ? C'était prévu ? » Visiblement, mon visage parle pour moi. Nous sommes ramenées à un sujet sensible, à un sujet que l'on a longtemps évité. Mais s'il revient comme ça, c'est peut-être pour une bonne raison. « Pas dans un futur proche. Mais tu sais, avec ma soif de l'engagement, nous ne sommes pas à l'abri plus tard. » Dis-je, sur le ton de la plaisanterie. « Tant que je ne te parle pas d'enfants, c'est bon, non ? » Si l'appartement à deux est déjà une épreuve pour elle, là, c'est encore pire. En réalité, elle ne s'imagine même pas avec des enfants, alors pour la faire changer d'avis, je pense que je peux toujours courir. Mais dans ce cas de figure, qu'est-ce qui se passe ? Je dois essayer d'enfouir cette envie que j'ai d'avoir une famille ou de freiner mes sentiments pour elle, car nous ne sommes pas destinées à finir ensemble. « Je ne sais plus si je te l'ai déjà dit, mais j'ai appris que ma sœur était enceinte ! » Une façon contournée de parler de tout cela, sans la braquer complètement.

Nos problèmes de couple sont peut-être plus profonds qu'on ne peut le penser. Nous avons voulu nous donner une nouvelle chance, et pour ça, certains sujets avaient soigneusement été évités. Nous avons toujours été différentes l'une de l'autre, et jusqu'à maintenant, nous avons plus ou moins réussi à faire avec. Parce que nos sentiments sont sincères et notre amour est réel. Mais est-ce que ça sera suffisant sur le long terme ? Est-ce que nous avons la même vision pour notre avenir ? Ça, c'est une autre histoire. Le fait que Jihane veuille emménager officiellement avec moi est une première étape. Ce n'est pas un problème en soit, pour le moment, mais je ne peux m'empêcher de penser à la suite. A notre futur en commun. En tout cas, Jihane a l'air heureuse d'avoir réussi à me faire changer d'avis pour l'appartement. Son euphorie est communicative et un sourire instinctif vient également se dessiner sur mes lèvres. Comme si cet instant de bonheur pouvait retarder encore un peu l'échéance. Certains futurs sujets fâcheux pourraient nuire à cet équilibre, et je crois qu'au plus profond de moi-même, j'en suis déjà consciente. Même si j'essaye de ne pas y penser et surtout de me persuader du contraire. Mais ma plaisanterie sur l'adoption d'un chien est un signe annonciateur. C'est un peu comme la partie immergée de l'iceberg. « Pas dans un futur proche. Mais tu sais, avec ma soif de l'engagement, nous ne sommes pas à l'abri plus tard. » Je le sais, et c'est justement ça qui me fait peur. « Tant que je ne te parle pas d'enfants, c'est bon, non ? » Enfants ou mariage, on est sur la même galère. Jihane est sans doute la personne qui me connait le mieux et elle sait très bien à quel point je ne m'imagine pas avec des enfants. On a déjà pu en parler lors de notre séjour ensemble au Mexique. « Tu as tout compris. » Ajoutais-je dans un rire plus nerveux qu'autre chose. En même temps que pourrais-je bien lui dire d'autre ? Dire le contraire serait lui mentir, et on connait déjà toutes les deux la vérité. J'ai bien peur que ce sujet sensible finisse par semer le trouble dans notre couple. Et peut-être même plus tôt que prévu... « Je ne sais plus si je te l'ai déjà dit, mais j'ai appris que ma sœur était enceinte ! » Non, elle ne me l'avait pas encore dit. « Ah bon ? Mais je croyais qu'elle était plus avec son mec ? » J'avoue que je n'ai pas trop suivi l'histoire mais c'est pourtant ce qu'il me semblait. Ou alors elle l'a quitté après être tombée enceinte, j'en sais rien en fait. « En tout cas c'est une bonne nouvelle, tu vas devenir tata ! » Je suis contente pour elle. Mais en réalité je ne suis pas certaine que ce soit une si bonne nouvelle que ça... c'est un peu quitte ou double. Le fait de devenir tata peut lui donner envie de plus encore. L'envie d'être maman par exemple. Je sais qu'elle a failli l'être avec Jonah et que la perte de son bébé a été un évènement difficile à vivre pour elle. Mais les années sont passées et son envie est peut-être revenue ? « T'es contente ? » Je pose la question plus pour prendre la température qu'autre chose. « Elle sait déjà si c'est une fille ou un garçon ou pas ? » Même si c'est un sujet délicat et que je ne suis pas forcément la plus à l'aise avec ça, je m'intéresse quand même un minimum à elle. Parce que c'est de sa sœur qu'il s'agit et que sa grossesse la touche de près.

Parler d’engagement, ça lui fait peur. Je l’ai toujours su, avant que nos chemins se séparent et depuis nos retrouvailles. J’ai même été étonnée lorsque nous avons officialisé les choses. Je pensais qu’elle voudrait qu’on continue de se voit, sans mettre de nom sur ce que nous étions. À force, les choses m’auraient sûrement énervé, mais je n’ai même pas eu à négocier avec elle. Pas à ce moment-là, mais c’est arrivé aujourd’hui : avec l’appartement et plus tard avec toutes les épreuves que notre couple sera amené à affronter. « Tu as tout compris. » Je m’y attendais et pourtant, ça me fait tout étrange. Des enfants, elle n’en veut pas. Je ne pensais plus en vouloir non plus, pas après ce qui m’est arrivé, mais les choses ont légèrement changé au Mexique, lorsque je suis partie à la découverte de mon histoire. Ne voulant pas aborder directement ce sujet avec elle, j’utilise la grossesse de ma sœur pour le contourner. « Ah bon ? Mais je croyais qu'elle était plus avec son mec ? » Je rigole un peu, amusée par sa réflexion. Il est vrai que l’histoire de ma sœur est un peu atypique et quand on ne connaît pas les détails, ce peut être difficile de suivre. « C’est un peu compliqué. Elle ne voulait pas d’enfants au départ et elle prenait la pilule pour éviter cela. Mais son mec, enfin son ex, a trafiqué sa plaquette pour qu’elles ne fassent plus effet. » Clairement le geste d’un psychopathe. Heureusement, ma sœur a décidé de tracer un trait sur lui. « Et voilà le résultat. » Une grossesse non voulu, mais une grossesse qu’elle ne souhaite pas interrompre. Et cet enfant, cet homme n’aura pas l’occasion de le connaître, pas après ce qu’il a fait. « C'est dingue de devoir en arriver là. Si jamais tu n'as pas les mêmes projets de vie, surtout des importants comme ceux-là, il vaut mieux mettre un terme à l'histoire qu'en arriver là. » C'est toujours plus facile à dire qu'à faire. « En tout cas c'est une bonne nouvelle, tu vas devenir tata ! » À défaut d'être maman, oui, je serais tata. Ça me fera tout de même un bébé à gâter. « T'es contente ? » Je n'attends pas plus longtemps pour laisser un large sourire se dessiner sur mon visage. Parfois, un geste vaut plus que des mots. « Elle sait déjà si c'est une fille ou un garçon ou pas ? » « Non, pas encore ! Bientôt peut-être. » Cet enfant sera le premier de la famille, alors forcément tout le monde est ravi et il se pourrait même que tous les King souhaitent l'accompagner à sa prochaine échographie. Personnellement, je viendrais que si elle me le demande. Elle a été là pour moi quand j'en avais besoin, mais étant déjà passée par là, je sais que parfois, avoir trop de monde dans un moment comme celui-ci, c'est étouffant. Un bip résonne dans la cuisine, me faisant légèrement froncer les sourcils. « Mince. J'avais oublié que j'avais laissé quelque chose au four. » D'autres apéritifs. Heureusement que le temps était bien réglé, nous aurions pu nous retrouver à appeler les pompiers sinon. Je lâche la main de Fallon et me lève pour aller chercher cela. Je mets tous les petits fours sur un plateau et reviens dans le salon. Je le dépose sur la table basse, mais je ne me reprends pas place à côté d'elle, je reste debout pour lui poser la question qui me ronge. « Fallon ? Est-ce que tu voudras des enfants plus tard ? »

Je ne suis pas très à l'aise dans cette situation, parce que même si nous plaisantons toutes les deux sur le sujet, je sais finalement que le problème risque d'être plus profond qu'on ne le croit. Peut-être pas tout de suite mais dans quelques années sans doute. Pour le coup, je préfère ne pas brûler les étapes. Je me focalise sur la première étape, celle de notre futur emménagement ensemble. Malgré toutes les peurs qui en découlent, le bonheur de ma petite-amie passe en priorité. Pour le reste, advienne que pourra. Le sujet dérive sur sa soeur, apparemment enceinte. C'est une nouvelle à laquelle je ne m'attendais absolument pas. D'ailleurs je pensais qu'elle n'était plus avec son mec. A croire que j'ai loupé un épisode. Ou pas. « C’est un peu compliqué. Elle ne voulait pas d’enfants au départ et elle prenait la pilule pour éviter cela. Mais son mec, enfin son ex, a trafiqué sa plaquette pour qu’elles ne fassent plus effet. » « Sérieux ? » Mais qui fait ça franchement ? « Et voilà le résultat. » Ah ouais... quand même. C'est un peu tordu comme histoire. Mais finalement je comprends pourquoi elle n'est plus avec. Quelle ordure. « C'est dingue de devoir en arriver là. Si jamais tu n'as pas les mêmes projets de vie, surtout des importants comme ceux-là, il vaut mieux mettre un terme à l'histoire qu'en arriver là. » Pourquoi je sens me coeur se comprimer dans ma poitrine lorsqu'elle dit ça ? J'ai l'impression qu'elle vient de toucher du doigt notre véritable problème. « C'est sûr que là, c'est un peu extrême... beaucoup même. » Dans leur cas, c'est vrai qu'ils auraient peut-être mieux fait d'arrêter leur histoire avant que ça ne dérape. Et nous alors ? Ok, stop. Ça n'a définitivement rien à voir avec nous. Malgré les obstacles, nous avons toujours su nous retrouver. Notre amour est plus fort que n'importe quel autre amour n'est-ce-pas ? En tout cas, Jihane a l'air heureuse et ça, c'est le plus important. Sa soeur ne sait apparemment pas encore s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon. Un bruit de minuteur se fait entendre dans la cuisine et la brune s'éclipse pour s'en occuper. Apparemment elle avait oublié, et c'était moins une. Mais ça va, aucune odeur de brûlé à l'horizon. Quand elle revient, son regard est étrangement plus sombre. Elle se positionne devant moi avant de poser une question qui risque de tout chambouler. « Fallon ? Est-ce que tu voudras des enfants plus tard ? » La question tant redoutée. Et cette fois, Jihane ne semble plus vouloir se cacher derrière des plaisanteries. Prise au dépourvu, il me faut quelques longues secondes pour encaisser le coup. Et pourtant, la réponse est évidente. Je suis sûre qu'elle l'a toujours su au plus profond d'elle-même. « Je... » Je fuis son regard, m'apprêtant sans aucun doute à briser le peu d'espoir qui pourrait lui rester. « Franchement, je ne pense pas. » Ce n'est pas un non catégorique, et pourtant, ça sonne comme tel. Parce qu'il y a peu de chance que je me réveille du jour au lendemain avec l'envie de devenir maman. Je n'ai jamais eu l'instinct maternel. Et même si j'ai évolué à ses côtés, sur ce point-là je n'ai pas changé. J'aurais pu laisser un doute, une ouverture, mais à quoi bon ? J'ai promis d'être totalement honnête avec elle, et ce, en toutes circonstances. « Je me doute que ce n'est pas la réponse que tu attendais mais... » Mon coeur se brise un peu plus encore. « Tu le sais Jihane, tu me connais. » Que je le dise à haute voix est peut-être différent pour elle. « Je suis désolée... » Qu'adviendra-t-il de nous maintenant que les choses sont dites ? Est-ce que Jihane sera capable de renoncer à ses projets pour moi ? C'est sans doute les réponses à ces questions qui me font le plus peur...

Que ma sœur soit enceinte c'est un miracle. Un miracle causé par un événement tragique, mais un miracle quand même. Celui de la vie. La surprise de Fallon a cette révélation est grande, alors je lui explique comment ils en sont arrivés là. « C'est sûr que là, c'est un peu extrême... beaucoup même. » Parfois, les gens vont trop loin, beaucoup trop loin. D'ailleurs, je n'arrive même pas à comprendre comment il est possible d'en arriver là. Être sur deux axes différents est une chose, en arriver à trafiquer une plaquette de pilules en est une autre. J'évoque les faits jusqu'à ce qu'un bip attire mon attention jusqu'à la cuisine. Je récupère les gourmandises qui sont dans le four et les positionne dans une assiette. Lorsque je reviens de la cuisine, je ne peux pas attendre plus longtemps, je me dois de lui poser une question. Cette question qui risque de changer beaucoup de choses et de faire du mal. J'aime Fallon, c'est une certitude, mais je sais aussi au fond de moi que nous espérons deux choses différentes pour notre futur. Elle a déjà hésité pour l'appartement, cherchant des excuses pour l'éviter, qu'en sera-t-il pour la suite ? « Franchement, je ne pense pas. » Je serre les dents et instinctivement, je détourne le regard d'elle. Je sens mon cœur qui se brise, ou quelque chose qui s'en rapproche. Je le savais et pourtant, j'ai voulu que les choses continuent avec elle. « Tu le sais Jihane, tu me connais. » Je soupire légèrement. Elle a raison. Alors je ne peux pas lui en vouloir, je suis autant responsable qu'elle dans cette histoire. « Je suis désolée... » « On ne peut pas devenir comme eux. » On ne peut pas en arriver là. Bien que biologiquement, ça serait beaucoup plus compliqué à mettre en place, puisque pour un couple de deux femmes, il faut se lancer dans de longues démarches administratives. Un combat que je serais prête à mener, mais je ne pourrais pas le faire seule. Je ne pourrais pas le faire pour nous deux. « Suite à mon accident, je ne pensais plus vouloir être mère. Mais.. au Mexique, les choses ont commencé à changer. » Et ça, je suis sûre qu'elle l'a sentie. Le baiser entre Rain et moi a entraîné des turbulences dans notre couple, mais il ne pouvait pas y avoir que ça. « Dans le futur, je pense que je voudrais une famille. Avec un ou plusieurs enfants. » Toujours debout face à elle, je viens passer l'une de mes mains dans mes cheveux. Il faut se rendre à l'évidence, avant que notre histoire soit trop avancée pour faire marche-arrière. « Fallon.. je t'aime et ça me brise le cœur de dire cela, mais peut-être que nous ne sommes pas faites pour finir notre vie ensemble. » Je finis par faire quelques pas vers elle, pour réduire la distance qui nous sépare. Je viens alors m'agenouiller devant elle. C'est difficile de faire cela, de lui dire tout ça, mais je ne peux pas le faire loin d'elle. « Je ne peux pas t'obliger à avoir des enfants et tu ne peux pas me demander de ne pas en vouloir. » Dis-je, tout en prenant ses mains dans les miennes. Je ne la déteste pas, je ne le pourrais jamais. Mais nous devons nous rendre à l'évidence.

La soirée semble prendre une toute autre tournure, et je crois que je n'y étais pas vraiment préparée. Pourquoi a-t-il fallu que le sujet de la discussion dérive sur les enfants ? Ce n'était pas suffisant de parler d'emménager ensemble ? Pour moi, c'était déjà un énorme pas en avant. Mais là, c'est encore un tout autre niveau. La réponse que je m'apprête à lui donner risque de bouleverser la suite des évènements. Et en même temps, je ne peux pas lui mentir. Elle me connait, je me connais, et il n'y a pas d'autre issue possible que la vérité. Non, je ne pense pas vouloir d'enfants. Je ne me suis jamais imaginée avec des enfants, et je crois que ce n'est pas encore prêt d'arriver. Peut-être que ça n'arrivera jamais d'ailleurs. Ou peut-être que si, mais je ne peux rien lui promettre. Je ne veux pas lui faire de faux espoir. Alors je choisis d'être totalement honnête avec elle, quitte à lui briser le coeur. Et le mien aussi par la même occasion. Je ne sais pas exactement quelles en seront les conséquences, même si je peux facilement imaginer que la suite ne s'annonce pas des plus heureuses... c'est difficile à admettre, et pourtant, c'est en quelques sortes une évidence. Comme si nous savions toutes les deux ce qui nous attendait depuis un moment. « On ne peut pas devenir comme eux. » Elle fait référence au couple de sa soeur. Au fait qu'ils n'avaient tous les deux pas les mêmes envies pour le futur. « Suite à mon accident, je ne pensais plus vouloir être mère. Mais.. au Mexique, les choses ont commencé à changer. » C'était à ce moment-là que Jihane avait commencé à tâter le terrain. Après le moment passé avec cette petite fille à l'orphelinat. Ce serait mentir que de dire que je n'avais pas déjà commencé à sentir les choses arriver... mais à l'époque, j'avais préféré ne pas penser à ça. Retarder l'échéance le plus possible. « Dans le futur, je pense que je voudrais une famille. Avec un ou plusieurs enfants. » Jihane est issue d'une famille adoptive nombreuse contrairement à moi. C'est sans doute aussi pour ça que nous en sommes là aujourd'hui. « Fallon.. je t'aime et ça me brise le cœur de dire cela, mais peut-être que nous ne sommes pas faites pour finir notre vie ensemble. » Ses mots sonnent comme un véritable crève coeur alors que je suis incapable de soutenir son regard. Même s'il y a de grandes chances qu'elle ait raison, je ne peux absolument pas me résoudre à y croire. Ce n'est pas possible... Elle se rapproche, se mettant à ma hauteur avant de venir lier ses mains aux miennes. « Je ne peux pas t'obliger à avoir des enfants et tu ne peux pas me demander de ne pas en vouloir. » Cette fois, c'est le point de non-retour. Je sens cette douleur insupportable venir me transpercer le coeur. « Alors quoi ? » Système d'auto-défense activé. « Tu me proposes d'emménager avec toi pour une seconde après me balancer tout ça à la gueule ? » Je romps brutalement le contact de nos mains. Je sais qu'elle n'est pas l'unique fautive dans l'histoire et que nous avons toutes les deux notre part de responsabilité, mais là tout de suite, je me sens blessée. Et mon seul moyen de réaction n'est autre que la colère. « Fallait peut-être y penser avant... » Je ne voulais pas prendre le risque de lui faire du mal en me mettant avec elle. Mais c'est tout le contraire qui a fini par arriver... Des larmes viennent couler le long de mes joues alors que je me lève finalement du canapé. « C'est vraiment ce que tu veux ? » J'ai changé pour elle, je lui ai donné mon coeur... mais ce n'était sans doute pas suffisant.

J’ai fui ce sujet ou plutôt nous l’avons fui autant que nous avons pu, mais il n’est plus possible de le faire maintenant. Cela pousserait notre couple à foncer dans un mur. Et même si je n’ai pas envie de me séparer de la blonde, j’ai encore moins envie de voir notre couple devenir comme ceux que je déteste. « Alors quoi ? Tu me proposes d'emménager avec toi pour une seconde après me balancer tout ça à la gueule ? » Je me suis rapprochée d’elle pour prendre ses mains, mais elle rompt violemment le contact. Par réflexe, je soupire et baisse la tête. « Fallon.. » Elle n’a pas tort, je n’ai pas fait les choses dans le bon ordre, mais n’est-ce pas mieux de faire cela maintenant que plus tard, quand il sera trop tard justement. « Fallait peut-être y penser avant... » La blonde se lève, alors que je vois des larmes couler le long de ses joues. Cette soirée est en train de se transformer en véritable cauchemar, mais au moins, pour une fois, nous sommes honnêtes l’une envers l’autre, sur ce que nous espérons, sur ce que nous voulons dans le futur. « C'est vraiment ce que tu veux ? » « Non. » Je n’ai pas besoin de réfléchir plus longtemps là-dessus. Ce n’est pas ce que je veux, mais j’ai vraiment l’impression que c’est la meilleure des choses à faire. Nous nous aimons, je n’ai aucun doute là-dessus, cependant parfois, ça ne suffit pas et c’est bien ça que j’essaye de lui faire comprendre là. « Mais est-ce que nous avons vraiment le choix ? » Si elle a une autre option à proposer, je veux bien l’écouter, car là, je n’en vois pas. « Je t’aime, d’accord ? C’est quelque chose qui ne changera certainement jamais. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je me lève à mon tour. Je ne peux m'empêcher de penser aux moments que nous avons partagés, aux sentiments que j'éprouve quand elle est à côté de moi. « Mais si nous restons ensemble, alors que nous désirons deux choses différentes, ce n'est pas nous rendre justice. » Ce sera nous faire plus de mal que de bien. Et si l'une de nous cède aux envies de l'autre, alors elle finira par être malheureuse et nous n'avons pas le droit de nous infliger ça. Je fais quelques pas en direction de Fallon pour la rejoindre. « Fallon, regarde-moi. » Mais elle ne semble pas de cet avis, alors je viens prendre sa tête entre mes mains pour l'obliger à le faire. « Tu seras toujours mon premier amour, ma plus belle histoire. » Bon.. sûrement celle qui m'a fait le plus de mal aussi, mais c'est un détail ça. Et puis, lui rappeler n'apportera rien à la déclaration que je suis en train de lui faire. « C'est quelque chose de difficile à faire, alors s'il te plaît, ne me déteste pas. » Je rapproche son visage de moi et viens coller mon front contre le sien. « Je fais ça pour nous. Pour toi. Pour moi. Même si là, c'est difficile à voir. » Récemment, les choses ont été si compliquées entre nous, qu'est-ce qu'il en sera si on continue alors que maintenant nous savons que nous voulons deux choses bien différentes ? « On pourrait continuer et faire comme si de rien était. Trouver l'appartement de nos rêves, vivre heureuses pendant des mois. Mais un jour, ce problème finirait par refaire surface. » Si vraiment elle le veut, on peut continuer, on peut essayer. Mais je suis convaincue que ce sera seulement repousser l'inévitable.

Comment passer du tout au tout en l'espace d'une minute. Ou du meilleur au pire en l’occurrence. Il y a encore quelques instants nous parlions toutes les deux d'emménager officiellement ensemble, de prendre un nouvel appartement. Et voilà où nous en sommes maintenant. Jihane est en train de rompre avec moi, ou en tout cas ça y ressemble. Elle m'aime mais pourtant elle pense que nous ne sommes pas faites pour finir notre vie ensemble. C'est en tout cas ce qu'elle dit. Et même s'il y a sans doute une part de vérité là-dedans, sur le moment, je n'ai même pas envie d'y réfléchir. Dans ma tête, ses mots se mettent à tourner en boucle. Et je vois rouge. Je n'ai pas spécialement envie d'entendre ses justifications, encore moins de lui donner raison. Parce que là, tout de suite, la seule chose que j'arrive à ressentir c'est de la tristesse. Une tristesse qui chez moi, comme souvent, se transforme rapidement en un tout autre sentiment ; la colère. Mon coeur se brise aussi violemment que si la brune était en train de le piétiner. C'est un peu ça d'ailleurs, comme si elle balayait d'un revers de la main tout ce que nous nous étions efforcées de construire ensemble. Le château de cartes s'effondre pour ne laisser place qu'à ce sentiment détestable qu'est l'impuissance. Est-ce que c'est vraiment ce qu'elle veut ? « Non. Mais est-ce que nous avons vraiment le choix ? » Nous avons toujours le choix. Pourtant, elle semble déjà résignée. Comme si sa décision avait était prise depuis bien longtemps déjà. Je pensais que nous étions en train de nous donner une nouvelle chance, de prendre notre temps pour ne pas brûler les étapes, pour grandir et s'épanouir ensemble. Apparemment, nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Alors ok, j'ai déjà pensé à cette éventualité aussi. Mais la différence entre elle et moi, c'est que moi, je n'aurais jamais été capable de rompre avec elle. « Je t’aime, d’accord ? C’est quelque chose qui ne changera certainement jamais. Mais si nous restons ensemble, alors que nous désirons deux choses différentes, ce n'est pas nous rendre justice. » Elle se rapproche de moi et me force à la regarder dans les yeux. « Tu seras toujours mon premier amour, ma plus belle histoire. » Pourquoi ses mots me donnent envie de vomir ? Pourtant je ne réagis pas, inerte. Comme si le couperet final avait fini de m'achever. « C'est quelque chose de difficile à faire, alors s'il te plaît, ne me déteste pas. Je fais ça pour nous. Pour toi. Pour moi. Même si là, c'est difficile à voir. » Effectivement c'est difficile à voir. Et là, tout de suite, je la déteste déjà. « On pourrait continuer et faire comme si de rien était. Trouver l'appartement de nos rêves, vivre heureuses pendant des mois. Mais un jour, ce problème finirait par refaire surface. » Je n'ai même plus envie de l'écouter. Ses paroles rentrent par une oreille et ressortent par l'autre sans leur laisser le temps de réellement s'imprégner dans ma tête. « Arrête de continuer à dire que tu m'aimes, que je suis ton premier amour et toutes ces conneries... » Si elle m'aimait vraiment, du plus profond de son coeur, nous n'en serions certainement pas là. « C'est débile putain ! » Et puis de l'entendre dire ce genre de choses me fait encore plus de mal. « La personne que je déteste le plus à cet instant, c'est pas toi, c'est moi. Parce que j'ai été trop conne de penser ne serait-ce qu'une seconde que c'était moi qui pouvait foutre notre couple en l'air... finalement, tu le fais encore mieux que moi. » Le baiser avec Rain, et maintenant cette rupture. « Félicitations. » J'ai baissé ma garde avec elle, je lui ai ouvert mon coeur, je suis devenue vulnérable... et voilà le résultat. Je n'aurais jamais dû m'autoriser à vivre cette histoire. Je ne suis pas parfaite, loin de là, et je ne l'ai clairement pas été dans le passé, mais en attendant, depuis que je suis avec elle, ce n'est pas moi qui ait quelque chose à me reprocher. « On va finalement le chercher ce nouvel appartement. » Mais chacune de notre côté. Parce que je ne pourrais pas vivre sous le même toit qu'elle plus longtemps dans ces conditions.

Calmement, j'essaye de lui dire les choses, de lui expliquer ce qui me pousse à faire cela ce soir. Ce n'est pas les sentiments qui manquent, ils sont bel-et-bien là, plus forts que jamais. Mais en général, pour qu'une histoire fonctionne, il faut que les projets soient les mêmes. « Arrête de continuer à dire que tu m'aimes, que je suis ton premier amour et toutes ces conneries... » Des conneries. Mon cœur ne peut s'empêcher de se serrer à ses mots. Elle pense donc que je ne suis pas honnête avec elle en lui disant tout cela. « C'est débile putain ! » Débile ? Voilà donc où nous en sommes rendues. Je suis honnête avec elle, de la pire des manières, c'est vrai, mais c'est tout autant compliqué et douloureux pour elle que pour moi. « La personne que je déteste le plus à cet instant, c'est pas toi, c'est moi. Parce que j'ai été trop conne de penser ne serait-ce qu'une seconde que c'était moi qui pouvait foutre notre couple en l'air... finalement, tu le fais encore mieux que moi. » Les choses n'ont pas toujours été simple entre nous et je pense que si on regarde les choses sur la durée de notre relation, les fautes sont partagées. Dernièrement, j'ai fait de la merde. Plus que j'en avais jamais fait et plus que ce que j'aurais dû, mais c'est parce que quelque chose n'allait pas. Dans ma vie, dans mon passé. Avec mes histoires de famille, mais aussi mon accident qui m'a fait perdre un enfant que j'ai porté pendant plusieurs mois. C'est vrai que c'est dommage de s'en rendre compte maintenant, après avoir envisagé de passer à la vitesse supérieure avec elle, mais cette discussion sur ma sœur et sur ce bébé qu'elle va avoir plus ou moins contre son gré, ça m'a ouvert les yeux. On ne peut pas se faire ça, on ne peut pas se priver ou s'obliger à avoir des choses que l'autre ne veut pas. « Félicitations. » C'est blessant de l'entendre me dire cela, mais au fond, je crois que c'est ce qu'elle cherche. Vu l'ascenseur émotionnel que l'on vient de vivre, je ne suis peut-être pas la mieux placée pour pouvoir lui dire quelque chose. Pourtant, dans cette histoire je souffre aussi. « On va finalement le chercher ce nouvel appartement. » Je ne peux m'empêcher de soupirer un peu. Je ne suis pas idiote, je sais ce qu'elle sous-entend par là. « Alors quoi ? Tu as une autre solution à me proposer ? » Si elle a une autre solution, je l'écoute. Comme je lui ai dit, faire ceci, mettre fin à notre histoire ne fait pas partie des choses qui me font plaisir. « Est-ce que tu peux me dire que dans deux ans, tes envies auront changé et que tu voudras fonder une famille ? » Cette question a déjà une réponse et je le sais très bien. À l'orphelinat où j'ai vécu, nous avions déjà rapidement évoqué la question et sa réponse était la même qu'aujourd'hui. Elle ne se voit pas mère, c'est un fait et je ne pourrais rien y faire. Ça reste sûrement un faible pourcentage des femmes, mais il arrive que l'envie de devenir mère n'existe pas. « Non. Qu'est-ce qu'on fera alors ? » C'est facile de critiquer et de simplement nier que c'est la chose à faire, mais si en face elle ne propose rien, alors nous n'irons pas loin. « Ce n'est pas ce que tu espérais. Moi non plus. J'aurais aimé un futur avec toi, un mariage, une belle maison et des enfants. Mais pour toi, ce ne sont que des mots plus effrayants les un que les autres. » Même après un an passé ensemble, emménager ensemble lui semblait compliqué, avant que j'insiste un peu. Nous ne sommes simplement pas sur la même longueur d'ondes. Ou au moins, pour l'instant, nous n'y sommes pas en même temps. « Je vais partir, ce sera mieux. » Cette fois-ci, elle n'a pas fui. Pas comme tout à l'heure, même si clairement, elle ne semble pas très réceptrice à ce que je peux lui dire. Néanmoins, cette proximité me permet de l'embrasser, une dernière. Sur la joue pour commencer, à la limite de ses lèvres. Puis sur celle-ci, avant de m'éloigner. « Je repasserais plus tard, pour récupérer des affaires. Si tu veux qu'on reparle de tout cela, je serais là. » Quand je lui disais que je ne voulais pas de rancœur, j'étais honnête. C'est difficile à encaisser et ce soir, elle a peut-être dit des choses qu'elle ne pensait pas. Je l'espère, je ne voudrais pas que l'on se quitte sur cela. Quoiqu'il en soit, pour aujourd'hui, nous avons toutes les deux vécues assez d'émotions, il est temps que je parte. Je laisse la blonde dans le salon, passe rapidement par ma chambre pour récupérer le strict nécessaire et je m'en vais. Sans me retourner, de peur de faire marche-arrière et de mettre de côté ce que je souhaite au plus profond de moi : donner la vie plus tard.