Bump into you • Alice

Lorsque tu sors de l’eau, il doit être dans les 10 ou 11h00 du matin. Tu lâches ta planche sur le sable aux côtés de ta serviette de bain et essores tes cheveux du côté droit de ton visage. L’excédent d’eau ruisselle le long de ton épaule et sèche aussitôt dans sa course avant même d’atteindre ton ventre. Il commence à faire chaud. Très chaud. La belle saison est lancée et ce n’est pas pour te déplaire. Après avoir enchainé quelques étirements, tu enfiles un simple tee-shirt blanc, attrapes ta serviette que tu secoues et poses sur ta planche avant de récupérer celle-ci. Tu n’as rien d’autre avec toi que le large instrument de glisse sous ton bras. Peu à peu, tes pas t’éloignent de la petite plage formée aux pieds d’une crique que seuls les locaux les plus anciens connaissent. Il s’agit d’une partie de la côte, légèrement en amont de Los Angeles et miraculeusement toujours épargnée de touristes.

Lorsque tu rejoins enfin l’étroite promenade du quartier, tu pivotes sur ta gauche dans le but de rejoindre ta voiture, d’y déposer ton matos, enfiler un short, une paire de chaussures, récupérer ton téléphone et peut-être aller boire un thé glacé dans un café typique du coin. Mais ça, c’était sans compter sur ta distraction de l’instant. Dans ton mouvement, l’arrière de ta planche entre en contact violent avec un obstacle. Tu te retournes aussitôt et lâches tout lorsque tu comprends avoir frappé quelqu’un au passage. Le coup classique du débutant. Ce que tu n’étais pourtant plus depuis une éternité. Shame on you Jay ! Tu t’agenouilles aussitôt auprès de la silhouette ayant vacillé sous le choc. “Oh my God, I’m so sorry !! Are you okay ?” Ton regard croisant enfin celui de la victime qui redresse le menton, ta mine surprise et mal à l’aise s’affiche soudainement souriante également. “Alice ?”
Tu te retrouves soudainement coincée entre le plaisir de la revoir et la gène que cela soit dans une telle situation. “Let me help you”. Tu te redresses avec aise, main tendue vers la française. La laissant se déplier à son aise et frotter la poussière sur son legging de course, tu oses avec un sourire en coin : “Considering my assault, is it to soon and completely inappropriate of me to say that I’m pretty happy to see you ?” Un petit rire s’échappe de tes lèvres, préférant tenter de détendre l’atmosphère. Et puis l’air de rien, cela te faisait réellement plaisir de revoir la gérante ….

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Tu n’as jamais été une grande sportive, mais s’il y a une chose que la Californie t’a apprise c’est bien l’importance de soigner un minimum son hygiène de vie. Tu es évidemment bien loin des gourous de la détox, du jeûne intermittent et du crossfit, mais tu as appris à t’astreindre à deux joggings par semaine, trois si tu en as le courage. Ton look est aussi bien différent des filles d’ici, préférant un large t-shirt de groupe de rock aux brassières moulantes, et un simple legging aux minishorts. Ce qui est peut-être plus inhabituel, c’est de te voir les cheveux attachés en une minuscule queue de cheval à l’arrière de la tête. Dans la ‘vraie’ vie de tous les jours, ça n’arrive jamais, la faute à ta mère qui te répétait de cacher tes oreilles à longueur de journées.

C’est ainsi que tu te retrouves à l’autre bout de la ville, bien plus tôt qu’à ton habitude, entamant ton 5ème kilomètre de course au bord de l’eau. Enfin, au bord de l’eau… C’est un bien grand mot. Los Angeles n’est pas ta Bretagne native… Mais tu vois la mer, c’est déjà pas mal. Tu profites du silence et d’un air un peu moins pollué qu’en centre-ville, légère d’avoir laissé tous tes effets personnels dans la voiture, refusant jusqu’au bourdonnement de la musique dans un casque. Tu passes déjà beaucoup trop d’heures toutes les semaines dans le brouhaha incessant pour avoir envie de t’infliger ça lorsque tu es en repos. Avec tes sens en alerte et ton attention imperturbée, tu aurais dû voir le choc arriver, et pourtant… Pourtant tu te retrouves bien vite les quatre fers en l’air, aplatie sur le sol sans grâce aucune. Des larmes incontrôlables te montent aux yeux, réveillées par le coup sur ton nez et la douleur lancinante qui irradie dans tout ton visage. “Oh my God, I’m so sorry !! Are you okay ?” Tu ne lèves pas les yeux vers la voix qui te parle, trop concentrée à examiner ton nez du bout des doigts en grommelant. Au milieu de quelques jurons inaudibles, on peut distinguer : « I know my nose is out there but that’s not a reason… »

Quand tu finis par redresser la tête pour mettre un visage sur ton assaillant, tu es prise de court. “Alice ?” Jay t’a reconnue avant que tu ne puisses mettre un nom sur ses traits. Mais elle n’est pas sonnée, elle, tu lui accordes ça. “Let me help you”. Tu attrapes sa main tendue et te redresses avec vigueur. « thanks. » Tes paumes, légèrement écorchées, s’affairent à dépoussiérer ton pantalon sombre sans se soucier du picotement brûlant qui les anime. “Considering my assault, is it to soon and completely inappropriate of me to say that I’m pretty happy to see you ?” Son rire réussit à te décrocher un sourire amusé. Curieusement, tu n’es pas habitée par l’envie de fuir qui te gagne assurément quand tu recroises une conquête, de peur que celle-ci se fasse des idées, ou pire, s’attache. Peut-être parce que ta soirée – nuit, matinée même – avec la biologiste n’était pas tissée de faux semblants. « You know, you could have waved and said ‘Hi Alice, good to see ya !’ » Tu illustres tes mots en imitant un signe de main, et en changeant de voix pour rappeler l’accent américain de la brune. « But now… You have a debt, I guess. » Lèvres pincées, taquines, tu termines par un clin d’oeil : « Well done. »